Intervention de Matthieu Schuler

Réunion du jeudi 7 novembre 2019 à 10h10
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques :

Quelques éléments complémentaires par rapport à ce qui a déjà été assez largement décrit.

Je vais commencer par la différence entre risques chroniques et risques aigus parce qu'il y a aussi derrière ça les raisons pour lesquelles nous avons focalisé l'attention, côté agence, sur tout ce qui est ingestion, donc alimentation et eau. C'est notamment là qu'on voit la complémentarité entre l'INERIS et l'ANSES. Avec le premier avis du 4 octobre, suite à la saisine du 2, nos collègues de l'INERIS qui sont des spécialistes de l'incendie, ont effectivement analysé et réfléchi à quels sont les polluants typiques produits dans les combustions de produits stockés, mais aussi de bâtiments. De notre côté, nous avons regardé les choses sous un angle complémentaire qui est de dire : au vu des études que nous menons régulièrement, comme l'étude d'alimentation totale, est-ce qu'il y a des contaminants qui, si la population se met à les recevoir dans la durée, plutôt en situation post-accidentelle, seront susceptibles de poser problème, parce que d'ores et déjà, la population française est relativement exposée par d'autres voies à ces contaminants. Cela peut être le cas du plomb ou du cadmium par exemple.

Donc il y a dualité et complémentarité entre l'action de INERIS et l'action de l'ANSES ; l'INERIS regardant effectivement la dispersion atmosphérique immédiate et nous ce qui est susceptible, non pas dans l'immédiat, mais dans une situation post-accidentelle, de générer une dose par rapport à un risque chronique. Cela a été notre premier regard et c'est également ce que l'on a fait ensuite dans les différents avis, concernant aussi bien l'eau, le lait et d'autres produits alimentaires. Il s'agissait de ne pas identifier uniquement la question de la conformité réglementaire car les acteurs de la gestion, les directions départementales de la protection des populations (DDPP), l'ARS ou les DREAL peuvent tout à fait conseiller le préfet à cet égard. Il nous fallait identifier, dans les prélèvements effectués, s'il y avait des choses inhabituelles au regard de ce qu'on observe dans les prélèvements environnementaux, en France ou dans la région. D'ailleurs le point sur lequel nous avons insisté très tôt, et sur lequel nous avons encore relativement peu de données, c'est de disposer de points de comparaison, notamment en termes de contamination du sol, puisque le sol est par essence un milieu dans lequel les contaminants ou les polluants peuvent se déposer et ensuite resurgir.

C'est effectivement la manière dont nous avons procédé pour nos avis, aussi bien pour le lait que l'alimentation générale, nous avons observé et analysé statistiquement l'ensemble des résultats obtenus par rapport aux plans de surveillance et de contrôle dont on dispose en France et par rapport à des situations d'exposition forte dans d'autres situations accidentelles. Nous avons effectivement eu l'occasion de travailler aux côtés des pouvoirs publics sur des incendies ou des dépôts importants, par le passé.

Ces différents plans de jugements ont été articulés dans nos avis et ont contribué aux conclusions que nous avons apportées, et que nous avons complétées lorsque l'on a pu le faire, ce qui n'était pas forcément toujours le cas en fonction des données disponibles, par une analyse temporelle, c'est-à-dire de voir si l'on avait une évolution des paramètres de cette contamination sur la période de prélèvement durant les quinze premiers jours après l'incendie.

La troisième phase vers laquelle on s'oriente maintenant est d'appuyer ou de conseiller les pouvoirs publics sur la phase post-accidentelle, donc cette fameuse surveillance adaptée. Nous sommes effectivement passés par trois étapes : une première étape qui était l'action immédiate autour du préfet sur les mesures prises, ensuite une deuxième phase de surveillance renforcée pour essayer de caractériser sous quelle forme et de quelle manière se sont déposées les suies et les poussières issues du nuage de l'incendie, puis une troisième phase pour voir dans quelle direction pointaient les capteurs ou les filets de surveillance, pour éviter de se faire surprendre par une contamination chronique qui s'installerait dans le temps. C'est ce travail que nous avons d'ores et déjà fait, en lien avec l'ARS Normandie, s'agissant de l'eau de consommation humaine ; c'était notre avis du 16 octobre, avec la mise en place d'un système sur trois mois, avec des capteurs sentinelles relativement proches et sensibles sur lesquels on conserve une surveillance à très large spectre et une surveillance un peu moins dense, hebdomadaire, sur un ensemble de capteurs sensibles.

Nous n'avons pas encore été au bout du sujet sur ce travail ainsi que pour deux autres champs : appuyer le ministère de l'agriculture et ses acteurs territoriaux pour un plan de surveillance adaptée en matière alimentaire et faire l'équivalent avec l'ARS Hauts-de-France, pour la partie eau de consommation humaine dans cette région. Ce sont deux avis qui sont en cours.

Parmi les points que nous traitons, nous avons jusqu'à présent agrégé l'ensemble des résultats dont nous disposions sur une zone qui est très vaste, le panache s'étant développé sur une très grande distance. En complément des analyses temporelles ou statistiques que nous avons faites, nous sommes en train, avec les éléments confiés par l'INERIS, d'essayer d'identifier, par une corrélation à la fois temporelle et spatiale, s'il y a une signature particulière de ce nuage et s'il a des spécificités en termes de retombées chimiques, par des retombées de traces métalliques ou de polluants organiques, pour ensuite pouvoir faire la différence entre ce qui relève d'un état des sols ou des milieux antérieur à l'incendie et ce qui est associé aux dépôts.

On retrouve cette difficulté dans la surveillance des denrées alimentaires et plus encore, puisque c'était une question du rapporteur, dans la question du suivi des populations. Finalement, qu'est-ce qui, dans l'imprégnation des populations, était préexistant ou pas ? De notre côté, nous le faisons au niveau de la contamination alimentaire, c'est le travail que nous devons encore faire dans les quinze jours qui sont devant nous, pour permettre au ministère de l'agriculture et à ses services territoriaux d'avoir une surveillance adaptée.

Cela a été dit, je pense que les laboratoires de contrôle étaient au taquet des capacités qu'ils pouvaient mettre en oeuvre dans ces conditions-là. Il s'agit maintenant de placer les capteurs de manière la plus intelligente possible, sur les familles de production qui sont susceptibles d'accumuler et de « relarguer » doucement une contamination qui serait associée à l'incendie. Typiquement, on peut avoir des effets différés si les sols se sont surimprégnés, ou lorsque l'on a des animaux qui vont ensuite retransmettre, dans la durée, la contamination.

C'est l'objet de la réflexion que nous menons actuellement pour appuyer le ministère de l'agriculture.

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