L'INERIS a été créé en 1990. Nous sommes un établissement public à caractère industriel et commercial, sous la tutelle unique du ministère de la transition écologique et solidaire. L'appui aux pouvoirs publics pour la maîtrise des risques technologiques fait clairement partie de nos missions, aussi bien dans la durée, afin d'appuyer le Gouvernement et le ministère dans l'élaboration et la mise en oeuvre de la réglementation, qu'en situation d'urgence environnementale ou de crise. L'appui en situation de crise et l'intégration des enseignements que l'on peut en tirer sont dans nos gènes.
Nous sommes les héritiers du Centre d'études et recherches des Charbonnages de France (Cerchar). Il capitalisait lui-même une expérience dans le domaine de la sécurité minière depuis la catastrophe de Courrières, qui a fait plus de 1 000 victimes en 1906. C'est la plus importante catastrophe minière en Europe et la deuxième dans le monde. Suite à cette catastrophe, les recherches dans le domaine de la sécurité minière ont été développées en France et nous en sommes les héritiers.
Notre cellule d'appui aux situations d'urgence (CASU) a été mobilisée le jeudi 26 septembre, vers six heures du matin, sur l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen. C'est une cellule opérationnelle 24 heures sur 24. Elle a été mise en place en 2003, à la suite de la catastrophe d'AZF. Elle est composée de trois experts d'astreinte, disponibles jour et nuit, sept jours sur sept. Sa mission est d'apporter aux autorités publiques une aide à la décision immédiate en cas de danger technologique avéré ou imminent pour l'homme ou pour l'environnement.
La CASU a été sollicitée deux fois le jeudi matin :
– la première fois vers six heures du matin, afin de préciser les risques immédiats, c'est-à-dire les risques thermiques et toxiques, voire un potentiel suraccident si un stockage de pentasulfure de phosphore, qui était présent sur le site, avait été pris dans l'incendie ;
– la deuxième fois, afin de préciser les risques de la combustion des produits stockés sur le site.
La CASU a ensuite été sollicitée deux fois le samedi :
– pour évaluer les risques liés à la ruine du toit en fibrociment ;
– pour donner une expertise sur les modalités de traitement des fûts encore présents sur le site.
Afin de préciser les avis rendus le dimanche sur ces deux saisines du samedi, un de nos spécialistes s'est rendu sur le site le lundi matin. Il a remis une expertise sur la ruine du toit en fibrociment afin d'évaluer le risque de dispersion, ou non, de fibres d'amiante dans l'air. Dès le jeudi matin, ces saisines ont conduit nos experts à caractériser ce que nous appelons le « terme source », sur la base des informations communiquées par la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) à propos des produits présents en plus grande quantité dans les bâtiments en feu, et sur la base de l'étude de dangers qui nous a été communiquée. Le terme source vise à :
– caractériser d'abord les produits susceptibles d'avoir été pris dans l'incendie ;
– estimer – et c'est une de nos préoccupations majeures dès les premières heures de ce type de catastrophe - comment ces produits vont se décomposer sous l'effet de l'incendie, c'est-à-dire regarder les polluants émis dans le cadre de la combustion, regarder avec quelle vitesse de combustion ils vont brûler et regarder quelle énergie ils vont libérer.
Nous avons deux objectifs pour ces premières estimations, durant les premières heures de la crise :
– le premier est évidemment d'évaluer, au regard des dangers immédiats, les distances à partir desquelles des risques de dommages irréversibles pour l'homme existent, c'est-à-dire des décès ou des blessures graves. Il s'agit de protéger les équipes d'intervention, que ce soient les pompiers ou les salariés présents sur le site, et les populations avoisinantes en fonction de la distance de danger ;
– le deuxième objectif est « relativement nouveau » au regard de notre expérience depuis 1906, puisqu'il a été développé seulement depuis les années 2010. Dès les premières heures d'un incendie, il s'agit de faire des recommandations en ce qui concerne la « phase post-accidentelle ». L'expérience que nous avons acquise à l'INERIS sur ce type d'accident, avec d'autres intervenants comme le ministère, nous a conduits à procéder le plus rapidement possible à des prélèvements dans l'environnement et à les analyser, pour être en mesure d'évaluer les risques encourus par les populations environnantes, au-delà de la phase de danger immédiat, et les risques en matière d'environnement, selon une méthodologie que nous avons élaborée en 2012.
Cette préparation de la phase post-accidentelle est donc relativement récente. Elle implique deux choses :
– une modélisation du panache de l'incendie, c'est-à-dire l'évaluation de ce panache et l'évaluation de l'endroit où les suies et les résidus liés au panache vont être déposés ;
– la sélection des substances qui vont devoir être recherchées dans l'environnement.
Des prélèvements ont été réalisés durant la matinée du premier jour de l'incendie – le jeudi –, dans cette logique de suivi post-accidentel de l'incendie, par le Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) – et donc par les pompiers –, par ATMO Normandie et par le bureau Veritas, qui a été saisi par la DREAL. Ces prélèvements ont été réalisés le jour de l'incendie et dans les jours et les semaines qui ont suivi.
L'objectif de ces prélèvements était d'évaluer les polluants dans l'air, c'est-à-dire les composés organiques volatils, puisqu'ils sont susceptibles d'être émis dans ce type d'incendie, et des prélèvements de surface sur les retombées ou sur les suies. Sur ce type de prélèvement, les métaux lourds, les hydrocarbures aromatiques polycycliques et les dioxines ont été recherchés. Nous savons, compte tenu de notre expérience, que ce sont les polluants susceptibles d'être retrouvés dans ce type d'incendie, étant donné la combustion des produits en cause.
Le siège de l'INERIS est à Verneuil-en-Halatte dans l'Oise. Nous n'avons pas d'implantations territoriales, sauf quelques exceptions. Nous n'avons donc pas de moyens dédiés à une projection sur site en cas d'urgence, afin de faire des prélèvements ou des analyses. C'est un des éléments remarqués lors du retour d'expérience de l'accident précédent de Lubrizol : ces types de prélèvement sont généralement effectués par un réseau de laboratoires identifiés à cet effet, le Réseau des intervenants post-accident (RIPA), qui est opérationnel depuis 2013. Toutefois, en concertation avec les services de l'État, nous avons été en relation avec le SDIS, la DREAL et la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) durant le premier jour de l'incendie. Il a été décidé, compte tenu à la fois du caractère assez exceptionnel de cet incendie et du caractère urgent de la situation, que l'INERIS réaliserait les analyses de certains de ces prélèvements dans nos laboratoires, afin de produire les premiers résultats dès le lendemain de l'incendie. Les premiers prélèvements ont été reçus sur notre site à Verneuil-en-Halatte dès le jeudi soir, certains par hélicoptère et les autres par voiture.
Les résultats des analyses de ces premiers prélèvements ont été obtenus et interprétés dans une certaine urgence. J'entends ce qui peut être dit sur la communication des résultats. Ils ont été fournis dès le vendredi soir pour un grand nombre d'entre eux, et dès le mardi pour les dioxines, dont le temps d'analyse est plus long. Ce n'est pas très habituel dans ce type de circonstances que, 38 heures après le début de l'incendie, les premiers résultats d'analyse soient déjà obtenus.
Pour les analyses effectuées dans ce type de situation, nous avons une idée des types de polluants recherchés, mais nous ne savons pas quels produits exactement. Cela demande des techniques d'analyse assez sophistiquées appelées « screening ». Vous avez auditionné ATMO Normandie hier. Nous avons reçu des canisters par ATMO Normandie et des canisters privés par le SDIS. Lorsque nous analysons ces canisters, nous sommes amenés à faire un screening assez large pour rechercher la gamme la plus complète de polluants susceptibles d'avoir été émis. Nous raffinons le niveau de calibration en fonction des résultats que nous trouvons, avec un double souci qui est d'avoir des limites de quantification aussi bonnes que possible, et de comparer les résultats avec des normes sanitaires établies lorsqu'elles existent, et c'est le cas pour certains polluants comme le benzène. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a dû vous en parler.
En parallèle, certaines de nos équipes spécialisées dans le domaine de la modélisation de la qualité de l'air ont été mises à contribution pour effectuer des modélisations plus sophistiquées que celles réalisées dès le jeudi de la dispersion du panache. Les modèles utilisés en urgence pendant un incendie, c'est-à-dire en quelques heures, permettent de faire une simulation du panache à courte distance, seulement quelques kilomètres. Dans ce cas, il était évident que le panache allait se propager sur une distance plus importante. Il nous fallait donc des modèles nettement plus sophistiqués, que nous utilisons par ailleurs pour faire de la prévision de la qualité de l'air à grande échelle. Ce sont les modèles que nous avons développés avec le CNRS et Météo France. Ils permettent de prendre en compte les conditions météorologiques sur de grandes distances, de manière plus précise que sur les premières modélisations, et la topographie, ce qui n'est pas totalement neutre à rebours, compte tenu de la situation particulière. Ces simulations du panache sur de grandes distances, c'est-à-dire des Hauts-de-France et jusqu'en Belgique, ont été transmises aux autorités dès le mardi 1er octobre.
Nous étions évidemment déjà en contact avec les ministères concernés. Mais nous avons été formellement saisis le mercredi 2 octobre, conjointement avec l'ANSES, par les directeurs de cabinet des trois ministères impliqués dans la gestion de la crise, les ministères des solidarités et de la santé, de l'agriculture et de la transition écologique et solidaire. Cela nous a conduits à mettre à contribution nos experts chimistes, toxicologues et écotoxicologues pour travailler sur la dangerosité des substances chimiques, afin d'enrichir les premiers avis que nous avions fournis durant les premières heures de l'incendie via notre CASU. Il s'agissait d'obtenir une analyse fine des produits impliqués dans l'incendie dont nous avons eu connaissance progressivement. Dès le jour de l'incendie, nous avions connaissance des principaux produits susceptibles d'avoir brûlé dans le dépôt de Lubrizol. Et nous avons eu connaissance progressivement de la liste plus détaillée des produits concernés et des fiches de sécurité fournies par l'exploitant sur les propriétés de danger de ces produits.
C'est un exercice assez compliqué puisque ces produits sont pour l'essentiel des mélanges. Nous avons été donc amenés à regarder des substances en grand nombre et les fiches de sécurité de chacune de ces substances, pour avoir une idée de la nature de ces produits. Je comprends donc la relative complexité des rapports que nous sommes amenés à fournir. Lorsque cette liste de produits a été rendue publique, cela a été noté…
Nous avons remis avec l'ANSES le premier rapport de cette analyse le 4 octobre. Comme cela avait été demandé, nous y avons inclus un certain nombre de recommandations sur la surveillance environnementale à mettre en place durant la phase post-accidentelle. Et nous avons complété cet avis le 10 octobre, sur la base des informations données à propos des produits stockés par Normandie Logistique, puisque la liste des produits a été disponible le 4 octobre.
La saisine que nous avons reçue le 2 octobre par les trois ministères, prévoit la possibilité que nous soyons saisis, avec l'ANSES, afin de procéder à une « tierce expertise », c'est-à-dire un avis critique et indépendant sur l'évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS) établie sous la responsabilité des deux exploitants. L'arrêté préfectoral visant à prescrire cette EQRS devrait être soumis au Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) le 12 novembre. L'exercice en cours est une évaluation de l'état des milieux. C'est une étape préalable à l'élaboration de cette EQRS.
Dans le cadre de cette crise, nous avons étendu notre intervention au-delà de notre cellule d'aide aux situations d'urgence et des risques immédiats. Ces risques ont été maîtrisés rapidement grâce à l'intervention des pompiers, sous l'autorité du préfet. Nous avons ensuite mobilisé largement nos moyens, c'est-à-dire nos laboratoires et notre personnel, des ingénieurs, des techniciens et des chercheurs, afin de mettre à disposition des pouvoirs publics notre expertise dans les meilleurs délais.
L'INERIS sera amenée à faire un retour d'expérience pour identifier les points d'intervention et d'amélioration de notre action. J'ai été amené à déclencher la cellule de crise interne de l'Institut le jeudi matin, afin de piloter sa mobilisation sur cet incident et de regarder les moyens, notamment humains, nécessaires pour répondre à certaines de ces améliorations. Je profite de cette audition pour saluer l'engagement des équipes de l'Institut. Il a été très fort ces dernières semaines, dans un contexte un peu particulier.
Cette mobilisation se poursuit. Nous avons remis hier à la préfecture nos dernières analyses effectuées sur des prélèvements de surface, parce qu'un certain nombre de points méritaient une clarification, notamment un prélèvement en particulier concernant les dioxines. Nous avions une valeur considérée comme relativement atypique sur une table de ping-pong dans un centre de sport. Nous avons donc envoyé des personnes de l'INERIS pour refaire des prélèvements sur ce site. De plus, un certain nombre de prélèvements sur les dioxines avait été effectué et traité par le Bureau Veritas, avec des limites assez élevées de quantification, puisqu'elles étaient supérieures d'un facteur 10 à 60 au niveau que nous avions mesuré sur d'autres prélèvements. Nous avons donc été amenés à refaire des prélèvements sur ces sites, dont nous avons produit les résultats hier.
Au sujet des dioxines, j'ai participé à un certain nombre de conférences de presse à Rouen, aux côtés du préfet, pour présenter les analyses conduites par l'INERIS, notamment celles concernant ces premiers prélèvements. Ces prélèvements doivent être faits immédiatement après l'incendie. Il ne s'agit donc pas de faire des mesures précises pour évaluer un éventuel risque sanitaire. Il s'agit de faire des mesures pour voir s'il y a un marquage de pollution susceptible d'être attribué à l'incendie. Dans ce type d'incendie, il est assez probable que des dioxines puissent être émises. Il y a un débat pour savoir si elles peuvent être émises en grande ou en petite quantité.
L'analyse que nous avons effectuée le jour même de l'incendie, et qui a été ensuite confirmée par une analyse plus approfondie des produits brûlés, nous conduit à considérer qu'il y a peu de produits chlorés : 38 tonnes sur un total de 9 000 tonnes de produits brûlés. S'il y avait eu une grande quantité de produits chlorés, il y aurait eu des émissions fortes de dioxines dans l'air... Le fait qu'il y ait eu très peu de produits chlorés pris dans l'incendie, laisse penser qu'il n'y a pas dû y avoir d'émissions de dioxines très fortes liées aux produits. En revanche, dans n'importe quel incendie, puisque des produits mais aussi des bâtiments et des objets brûlent, comme des câbles en plastique, cela émet des dioxines en quantité plus ou moins importante. Des dioxines ont donc pu être émises mais, a priori, en quantité relativement faible.
C'est donc dans une logique de prévention et de précaution que des prélèvements et des mesures sont faits pour regarder s'il y a, ou non, un marquage de dioxines. Les prélèvements ont été effectués dans les retombées du panache, grâce à sa simulation. Un prélèvement témoin est fait en dehors du panache puisqu'il y a de toute façon de la pollution de fond en dioxines, comme pour les autres polluants. Il s'agit donc de savoir si c'est de la pollution de fond ou si le niveau est supérieur. Dans le cadre des bonnes pratiques d'analyses et de laboratoire, une analyse est faite sur un « blanc », c'est-à-dire une lingette simplement ouverte pour regarder quel est le « bruit de fond » lié à la méthode de mesure.
Compte tenu des premières analyses que nous avions, les niveaux mesurés concernant les dioxines étaient « relativement faibles », c'est-à-dire qu'ils étaient du même ordre de grandeur que ce que nous avions prélevé sur le blanc ou sur le témoin. La nature de la mesure n'a pas beaucoup de sens puisque nous utilisons une lingette. Nous ramassons des toxines pour ensuite mesurer la quantité de dioxines sur la lingette. Tout cela est mesuré en nanogrammes de toxicité équivalente. Pour les dioxines, nous avons plusieurs congénères par mètre carré. Les premiers prélèvements que nous avions effectués se situaient entre 0,4 et 2 nanogrammes, pour des témoins de l'ordre de 0,6. L'ordre de grandeur était globalement le même, avec cependant quelques prélèvements sur lesquels il existait un marquage en dioxines.
Les nouveaux résultats obtenus hier, concernant la table de ping-pong, nous conduisent a priori à écarter l'hypothèse selon laquelle la peinture de la table aurait été à l'origine du marquage en dioxines. Mais d'après les témoignages des pompiers qui avaient fait le prélèvement, il est assez probable qu'il y ait eu une surestimation, puisque le protocole de mesure n'a pas été rigoureusement suivi. Suivant le protocole de mesure, le prélèvement doit être effectué sur une surface déterminée. Il semblerait que dans ce cas, le prélèvement a été fait sur une surface plus importante. Par conséquent, si vous prélevez sur une surface plus importante, vous avez des quantités plus importantes, ce qui conduirait à réduire le résultat d'un facteur 4.
Par ailleurs, nous n'avons pas trouvé de niveaux significativement importants pour les nouvelles mesures effectuées sur cette table de ping-pong et sur deux points à côté. Ils sont du même ordre de grandeur que le premier prélèvement et les mesures précédentes en matière de dioxines. En ce qui concerne les analyses faites sur les prélèvements effectués par le Bureau Veritas, nous retrouvons des ordres de grandeur assez similaires à ceux que nous avions obtenus à Rouen et plus loin dans le panache, notamment dans le pays de Bray.
À ce jour, je ne peux que confirmer les analyses que nous avions réalisées dès le mardi :
– des dioxines ont pu avoir été émises dans le cadre de cet incendie ;
– nos prélèvements ne permettent pas d'affirmer, à ce stade, qu'il y a eu une contamination significative à la dioxine. Un certain nombre d'échantillons sont au-dessus du bruit de fond ;
– ces résultats nécessitent des mesures supplémentaires dans une vraie logique d'évaluation des risques sanitaires, c'est-à-dire en faisant des prélèvements de sols et d'autres types de prélèvements que nous avons recommandés pour la surveillance à long terme.
Concernant la communication de crise et la manière de présenter les analyses, la tradition de l'INERIS à travers son appui aux gestionnaires de la crise, est de ne pas communiquer pendant la crise. C'est une politique dont nous pouvons discuter, mais elle est clairement assumée. Nous sommes en situation d'appui, en l'occurrence au préfet qui gère la crise. Nous lui transmettons donc nos résultats et c'est lui qui rend nos analyses publiques sur le site de la préfecture. Bien évidemment, l'INERIS – et donc moi-même – est à la disposition du préfet pour venir présenter les analyses lors des communications qu'il organise.
Un débat devra faire partie du retour d'expérience, parce que nous avons un double souci :
– le souci de ne rien cacher, c'est-à-dire de transmettre les résultats des analyses dès qu'ils sont disponibles ;
– le souci, dans la mesure du possible, de donner des éléments d'interprétation simples de ces analyses.
Cela mobilise dans nos laboratoires des compétences différentes puisque nous avons d'un côté nos experts en matière d'analyses et, de l'autre, nos experts en matière d'évaluation des risques. Chaque fois que nous avons publié des analyses, nous avons essayé de mettre autant que possible des éléments de référence. C'est le cas du benzène sur les prélèvements d'air. Nous avons comparé les valeurs mesurées aux valeurs limites de référence afin d'avoir une évaluation du niveau de risque. Sur les prélèvements d'air, le seul endroit où nous avons trouvé du benzène à un niveau supérieur aux normes sanitaires usuelles, se situe directement sur le site ou à proximité immédiate de l'incendie. Ce n'est pas surprenant, mais nous n'en avons pas trouvé plus loin.
Cela fait donc partie des questions que nous devons nous poser lors du retour d'expérience. Mais je ne suis pas sûr d'avoir une solution miracle à apporter, parce qu'à l'inverse, c'est néfaste de ne pas publier des résultats pendant très longtemps, tant que nous n'avons pas l'explication complète. C'est le cas avec la mesure de dioxines de cette table de ping-pong. Nous avons préféré publier le résultat tout de suite, en mettant en avant les incertitudes qui pèsent sur la mesure, plutôt que de retarder trop longtemps la publication de ces résultats.
Concernant les questions relatives aux incendies, notre démarche n'est pas de regarder uniquement les produits stockés dans l'usine, mais aussi quels sont les produits de combustion. C'est expliqué dans notre rapport, mais c'est peut-être un peu compliqué. Notre priorité est de regarder les dangers immédiats, c'est-à-dire si les produits brûlent de manière « parfaite ». Il s'agit de regarder quels polluants vont être présents et lesquels ont un effet toxique avéré, qui risque de produire des effets irréversibles. C'est l'hypothèse d'une combustion « parfaite » : on prend les produits, on considère qu'ils sont complètement ventilés et que la combustion est parfaite.
Nous avons fait ces analyses dès le jeudi matin : quels polluants vont sortir ? Quel est leur pourcentage ? Cela nous permet de donner un avis sur les distances de sécurité. Mais dans ce type d'incendie, la combustion n'est évidemment pas « parfaite » parce que le feu n'est pas bien ventilé. C'est ce qui va produire d'autres composés présentant une toxicité à long terme, mais en quantité relativement faible par rapport aux quantités émises. Nous étudions ce phénomène aujourd'hui en deux étapes :
– sur la base du retour d'expérience d'incendies similaires, nous connaissons les produits que nous sommes susceptibles d'aller rechercher, comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques, les métaux, les dioxines et, dans l'air, les composés organiques volatils ;
– puis nous affinons ces analyses en allant regarder, sur la base des informations à notre disposition sur les produits, si d'autres produits auraient pu être émis.
Ce n'est peut-être pas exprimé très clairement dans notre rapport, mais nous avons noté que les analyses complémentaires conduites ne remettaient pas en cause celles faites dès le jeudi matin, avec quelques points de vigilance mentionnés, comme celui lié au volet « effets sur l'environnement ». Parmi les produits stockés, des produits ont très clairement un impact sur l'environnement, notamment aquatique. Une surveillance particulière devrait être mise en place dans le domaine de l'eau.
Concernant le sujet des odeurs et le sentiment que la pollution persiste à Rouen, nous retenons deux conséquences :
– nos calculs concernent surtout la toxicité avérée aiguë et les risques chroniques à long terme. Aujourd'hui, il y a des progrès à faire sur l'évaluation d'une toxicité plus faible. Nous sommes capables de dire si quelque chose va vous tuer ou va vous blesser sérieusement. Mais il est difficile de savoir ce qui conduit par exemple à des nausées, en fonction des informations que nous avons sur les produits ;
– la deuxième conséquence est liée à la question des « effets cocktail ». Pour l'étude de l'effet cocktail, nous prenons en compte l'ensemble des substances émises pendant la combustion. Mais un autre sujet méritera d'être regardé de plus près dans le cadre du retour d'expérience. Dans ce type d'incendie, des produits imbrûlés vont aussi potentiellement être répandus dans l'atmosphère. Nous avons les données et les fiches de sécurité de ces produits imbrûlés. Mais la plupart des évaluations de risques pour ces produits sont faites pour leur usage normal. Elles ne sont pas faites pour les usages à risques, c'est-à-dire si le produit est vaporisé, inhalé, etc. Il est difficile de dire aujourd'hui si ces produits ont effectivement été répandus dans l'atmosphère, sous diverses formes, en tant qu'imbrûlés. Nous avons peu d'éléments aujourd'hui pour savoir s'ils présentent un risque, non pas de toxicité aiguë, mais qui pourrait expliquer certains des phénomènes observés. Sur ce point, il y aura matière à réflexion pour le retour d'expérience.
Sur le volet « conseil aux entreprises », nous sommes un établissement public à caractère industriel et commercial. Nous avons une activité d'appui aux pouvoirs publics et, le cas échéant, une activité de conseil aux entreprises. Cela fait partie de nos missions. Nous avons un historique industriel assez fort, puisque nous sommes les héritiers du Centre de recherche des Charbonnages de France. Nous avons donc une action de conseil aux entreprises en matière de prévention des risques. Suivant nos règles de déontologie, nous n'allons évidemment pas travailler sur le même sujet à la fois pour les pouvoirs publics et pour une entreprise privée. En l'occurrence, l'évaluation des risques sanitaires qui va être faite sous la responsabilité des exploitants de l'entreprise Lubrizol, aurait pu nous être confiée en tant que prestataires privés. Nous ne travaillons pas à la fois pour le public et pour le privé. Et nous donnons la priorité aux pouvoirs publics. Dès lors qu'en tant qu'expert public, nous allons être amenés à faire la tierce expertise de cette évaluation, il est évident que nous n'allons pas la faire pour le privé. Notre retour d'expérience n'est pas seulement lié à notre travail pour les entreprises. Il est lié aussi à notre travail pour l'administration et pour l'appui à la gestion de crise, comme nous sommes en train de le montrer dans le cadre de Lubrizol.
Il est un peu tôt pour faire le retour d'expérience général. Mais une chose apparaît clairement : notre dispositif a été bien conçu pour gérer l'urgence immédiate. C'est le principe de la cellule d'appui aux situations d'urgence. Et lorsqu'il s'agit de gérer la situation post-accidentelle à plus long terme – et la préoccupation sociale est de plus en plus forte sur ce point-là – nous avons fait de gros progrès par rapport à ce qui aurait pu se faire il y a 10 ou 20 ans. Mais la question se pose de savoir comment, dans la durée, améliorer le dispositif. Notre réaction sur Lubrizol a été assez rapide, et probablement plus rapide que la moyenne des traitements de ce genre de situations. Nous avons pu avoir des résultats d'analyses, sur des polluants spécifiquement liés à l'incendie, très rapidement après.
Concernant notre rôle prospectif sur nos moyens et ceux de l'État pour gérer ce genre de situations, cela fera partie du retour d'expérience que nous allons être amenés à engager. L'INERIS, comme d'autres opérateurs publics, a des contraintes assez fortes en matière de budget et surtout d'effectifs. Nous sommes dans une ligne de baisse de nos effectifs de 2 % par an. Il est évident que dans ce contexte-là, nous sommes amenés à réfléchir aux activités qui doivent rester notre coeur de métier, et à celles que nous pourrions être amenés à abandonner. Ce volet « appui à la situation d'urgence » fait partie des priorités que nous souhaitons préserver, mais cela mérite très clairement une réflexion un peu approfondie, afin de voir quel est le niveau d'expertise nécessaire pour cela. Ce n'est pas la même chose d'avoir trois ingénieurs d'astreinte, qui s'appuient sur une expertise assez large, ou la mobilisation – comme pour Lubrizol – d'une gamme d'expertises très large au sein de l'Institut, couvrant des chimistes, des laboratoires d'analyses et des toxicologues. Cela permet de nous interroger sur les moyens dont nous disposons.
Au sujet du « pendant » de l'ASN en matière de sûreté nucléaire, notre organisation est aujourd'hui assez similaire, dans le principe, à celle qui existe dans le domaine nucléaire. Dans ce domaine, il y a l'autorité indépendante – l'ASN – qui est chargée de la mise en oeuvre et de l'élaboration de la législation et un expert technique – l'IRSN – qui intervient en appui à l'ASN. Dans le domaine du risque technologique en général, et du risque Seveso notamment, il y a une différence essentielle. C'est la direction d'administration centrale, la DGPR, qui a le rôle régalien. Et nous sommes le pendant de l'IRSN pour le nucléaire, à savoir l'expert technique qui travaille en lien avec cette direction.
Concernant les mesures en temps réel effectuées autour des sites Seveso, la difficulté est que les polluants ne sont pas forcément les mêmes en fonction de la nature de l'accident. Et nous ne savons pas faire aujourd'hui la mesure en temps réel de tous les polluants possibles. La mesure en temps réel permet donc d'apporter des informations sur certains types de polluants. Techniquement, la seule solution est celle que nous avons mise en oeuvre, à savoir faire des prélèvements, les analyser le plus rapidement possible ou, le cas échéant, déployer sur place des instruments permettant des mesures de polluants directement liés au type d'accident traité. Il n'est pas envisageable d'avoir en continu des mesures de l'ensemble des polluants susceptibles d'être émis pendant un accident, ou autre. L'incendie est un des accidents les plus fréquents, nous en avons donc une certaine expérience. Nous savons à peu près quels types de polluants vont être émis. Mais sur un site Seveso, il pourrait y avoir des scénarios beaucoup plus problématiques, et pour lesquels les dispositifs de mesure ne sont de toute façon pas là en temps réel.
Pour répondre à la question de M. Jean Lassalle : Avons-nous déjà été confrontés à un évènement d'une telle ampleur ? Cela dépend de la période que nous considérons. Oui, si je remonte jusqu'en 1906. C'était même d'une ampleur beaucoup plus importante. Mais je suis directeur général de l'INERIS depuis presque six ans, et je pense que c'est l'évènement de la plus grande ampleur que nous avons été amenés à traiter. Mais je n'étais pas encore directeur général lorsque l'INERIS a été fortement mobilisée lors du premier épisode de Lubrizol en 2013 et lors de la catastrophe d'AZF.