Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Réunion du jeudi 7 novembre 2019 à 11h25

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à onze heures vingt.

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Je vous propose de poursuivre nos auditions dans le cadre de la mission d'information qui nous a été confiée par la Conférence des présidents à la suite de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen. Elle vise à faire toute la lumière sur l'évènement et à en tirer un certain nombre d'enseignements et de conclusions, afin d'améliorer si besoin l'ensemble des dispositifs encadrant ce type d'activités et ses risques.

Nous recevons pour cette audition M. Raymond Cointe, directeur général de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS). Il est accompagné de certains membres de son équipe. Afin d'introduire une première série de questions, je souhaiterais d'abord que vous rappeliez le rôle de l'INERIS et la nature de vos missions. Pourriez-vous nous préciser aussi les saisines qui vous ont conduit à intervenir au moment de cet évènement, leur nature et la façon dont vous avez mobilisé vos moyens pour y répondre ?

Lorsque nous sommes confrontés à un accident de cette nature, qui soulève de façon légitime des inquiétudes et parfois de l'anxiété, nous avons besoin d'être rassurés. Pour cela, des analyses sont demandées. Mais parfois, la façon dont sont présentées ces analyses et les avis publiés amène à la question de la communication de crise. À propos des dioxines, vous avez indiqué qu'elles étaient à un « niveau relativement bas ». Pourriez-vous préciser ce « niveau de seuil bas » ? Pourquoi avoir formulé les choses de cette façon ?

Plus généralement, l'INERIS est connu pour sa contribution à la prévention des risques, notamment industriels. L'incendie est une cause d'accident assez fréquente puisqu'il représente plus de 60 % des accidents industriels. Auriez-vous des éléments sur cet aspect ainsi que sur les manières d'y remédier ? Avez-vous des explications qui permettraient d'éclairer la question de « l'effet cocktail » ? Nous avons entendu des avis parfois contradictoires et différents, ou des appréciations nuancées, sur cette notion même « d'effet cocktail ». Nous souhaiterions savoir quel est votre point de vue à ce sujet.

La France est un pays qui compte plus de 1 300 sites Seveso. C'est beaucoup. Vous intervenez lors d'événements, mais aussi en amont dans vos relations avec les industriels ou leurs représentants. Avez-vous parfois l'occasion d'apporter des conseils ou d'édicter des recommandations à partir du retour d'expérience d'accidents auxquels vous avez été confronté ?

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J'ai quelques questions complémentaires. À quel moment avez-vous été sollicité pour la première fois par les services de l'État, afin de participer à la gestion de cette crise de l'entreprise Lubrizol ? Quel a été le rôle concret de votre Cellule d'appui aux situations d'urgence (CASU), sollicitée le jour même de l'incendie ?

Au sujet du retour d'expérience et des leçons à tirer, et peut-être plus encore que pour le sujet des analyses des risques de l'incendie : quel peut être le rôle prospectif de votre institut ? De votre point de vue, considérez-vous que les moyens d'action de l'État en matière de surveillance des sites classés sont suffisants ? Pouvez-vous commenter l'affirmation du rapport récent de l'Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (AMARIS), selon laquelle « la mise en protection des activités riveraines des sites Seveso seuil haut reste une étape à franchir » ? Comment qualifieriez-vous la culture du risque industriel en France ? Et quel est le rôle de votre institut sur ce sujet ? Certains pays européens vous semblent-ils plus avancés sur ce point ?

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J'ai quelques questions au sujet de la combustion des molécules chimiques et de « l'effet cocktail ». Selon la formule qui a fait débat, il n'y avait pas de « toxicité aiguë de l'air ». Mais la combustion de molécules peut entraîner la formation de nouveaux produits, dont nous ignorons encore la dangerosité. En ce sens, j'ai beaucoup de réserves lorsque nous disons que, à moyen ou à long terme, il n'y a pas de risques pour la santé de la population.

Une brève de Mediapart, datant du 2 octobre, relate la possible présence de dioxines. Les résultats permettent-ils d'écarter celle-ci ou non, et à quel niveau de dangerosité ?

À l'instar de l'Autorité de sûreté nucléaire, existe-t-il une autorité de sûreté industrielle dédiée à la sécurité des usines classées Seveso ?

Concernant l'analyse de la qualité de l'air en temps réel, il serait nécessaire d'installer des bornes de mesure sur toutes les zones Seveso. Est-il possible de le faire ? Tous les produits chimiques et tous les produits dangereux ne sont pas mesurés en temps réel dans les usines Seveso à haut risque. Il serait opportun de le faire, mais peut-être n'est-ce pas réalisable.

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Votre institut a beaucoup d'expérience. Avez-vous déjà été confronté à un autre événement d'une telle ampleur sur le plan industriel, pour ne considérer que cet aspect ? Et avez-vous le sentiment que nous commençons à y voir plus clair et à avoir davantage la situation en main ?

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Je souhaiterais vous interroger sur le rapport d'analyse qui a été fait à la suite de la saisine du 2 octobre. Ce document est très complet et très précis. Il permet à une population avertie de se renseigner. Cependant, force est de constater que ce document a été assez anxiogène pour la population. Vous serait-il possible, en complément de tels documents, de faire des documents plus synthétiques et plus vulgarisés pour pouvoir rapidement rassurer la population ?

Je me fais aussi la porte-parole de mon collègue, M. le député Jean-Luc Fugit. Selon vous, avons-nous manqué de mesures, ou pas, pour certains polluants pendant l'incendie et les jours suivants ? Quelles seraient vos préconisations pour la situation actuelle, par rapport aux odeurs signalées ?

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Raymond Cointe, directeur général de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS)

L'INERIS a été créé en 1990. Nous sommes un établissement public à caractère industriel et commercial, sous la tutelle unique du ministère de la transition écologique et solidaire. L'appui aux pouvoirs publics pour la maîtrise des risques technologiques fait clairement partie de nos missions, aussi bien dans la durée, afin d'appuyer le Gouvernement et le ministère dans l'élaboration et la mise en oeuvre de la réglementation, qu'en situation d'urgence environnementale ou de crise. L'appui en situation de crise et l'intégration des enseignements que l'on peut en tirer sont dans nos gènes.

Nous sommes les héritiers du Centre d'études et recherches des Charbonnages de France (Cerchar). Il capitalisait lui-même une expérience dans le domaine de la sécurité minière depuis la catastrophe de Courrières, qui a fait plus de 1 000 victimes en 1906. C'est la plus importante catastrophe minière en Europe et la deuxième dans le monde. Suite à cette catastrophe, les recherches dans le domaine de la sécurité minière ont été développées en France et nous en sommes les héritiers.

Notre cellule d'appui aux situations d'urgence (CASU) a été mobilisée le jeudi 26 septembre, vers six heures du matin, sur l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen. C'est une cellule opérationnelle 24 heures sur 24. Elle a été mise en place en 2003, à la suite de la catastrophe d'AZF. Elle est composée de trois experts d'astreinte, disponibles jour et nuit, sept jours sur sept. Sa mission est d'apporter aux autorités publiques une aide à la décision immédiate en cas de danger technologique avéré ou imminent pour l'homme ou pour l'environnement.

La CASU a été sollicitée deux fois le jeudi matin :

– la première fois vers six heures du matin, afin de préciser les risques immédiats, c'est-à-dire les risques thermiques et toxiques, voire un potentiel suraccident si un stockage de pentasulfure de phosphore, qui était présent sur le site, avait été pris dans l'incendie ;

– la deuxième fois, afin de préciser les risques de la combustion des produits stockés sur le site.

La CASU a ensuite été sollicitée deux fois le samedi :

– pour évaluer les risques liés à la ruine du toit en fibrociment ;

– pour donner une expertise sur les modalités de traitement des fûts encore présents sur le site.

Afin de préciser les avis rendus le dimanche sur ces deux saisines du samedi, un de nos spécialistes s'est rendu sur le site le lundi matin. Il a remis une expertise sur la ruine du toit en fibrociment afin d'évaluer le risque de dispersion, ou non, de fibres d'amiante dans l'air. Dès le jeudi matin, ces saisines ont conduit nos experts à caractériser ce que nous appelons le « terme source », sur la base des informations communiquées par la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) à propos des produits présents en plus grande quantité dans les bâtiments en feu, et sur la base de l'étude de dangers qui nous a été communiquée. Le terme source vise à :

– caractériser d'abord les produits susceptibles d'avoir été pris dans l'incendie ;

– estimer – et c'est une de nos préoccupations majeures dès les premières heures de ce type de catastrophe - comment ces produits vont se décomposer sous l'effet de l'incendie, c'est-à-dire regarder les polluants émis dans le cadre de la combustion, regarder avec quelle vitesse de combustion ils vont brûler et regarder quelle énergie ils vont libérer.

Nous avons deux objectifs pour ces premières estimations, durant les premières heures de la crise :

– le premier est évidemment d'évaluer, au regard des dangers immédiats, les distances à partir desquelles des risques de dommages irréversibles pour l'homme existent, c'est-à-dire des décès ou des blessures graves. Il s'agit de protéger les équipes d'intervention, que ce soient les pompiers ou les salariés présents sur le site, et les populations avoisinantes en fonction de la distance de danger ;

– le deuxième objectif est « relativement nouveau » au regard de notre expérience depuis 1906, puisqu'il a été développé seulement depuis les années 2010. Dès les premières heures d'un incendie, il s'agit de faire des recommandations en ce qui concerne la « phase post-accidentelle ». L'expérience que nous avons acquise à l'INERIS sur ce type d'accident, avec d'autres intervenants comme le ministère, nous a conduits à procéder le plus rapidement possible à des prélèvements dans l'environnement et à les analyser, pour être en mesure d'évaluer les risques encourus par les populations environnantes, au-delà de la phase de danger immédiat, et les risques en matière d'environnement, selon une méthodologie que nous avons élaborée en 2012.

Cette préparation de la phase post-accidentelle est donc relativement récente. Elle implique deux choses :

– une modélisation du panache de l'incendie, c'est-à-dire l'évaluation de ce panache et l'évaluation de l'endroit où les suies et les résidus liés au panache vont être déposés ;

– la sélection des substances qui vont devoir être recherchées dans l'environnement.

Des prélèvements ont été réalisés durant la matinée du premier jour de l'incendie – le jeudi –, dans cette logique de suivi post-accidentel de l'incendie, par le Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) – et donc par les pompiers –, par ATMO Normandie et par le bureau Veritas, qui a été saisi par la DREAL. Ces prélèvements ont été réalisés le jour de l'incendie et dans les jours et les semaines qui ont suivi.

L'objectif de ces prélèvements était d'évaluer les polluants dans l'air, c'est-à-dire les composés organiques volatils, puisqu'ils sont susceptibles d'être émis dans ce type d'incendie, et des prélèvements de surface sur les retombées ou sur les suies. Sur ce type de prélèvement, les métaux lourds, les hydrocarbures aromatiques polycycliques et les dioxines ont été recherchés. Nous savons, compte tenu de notre expérience, que ce sont les polluants susceptibles d'être retrouvés dans ce type d'incendie, étant donné la combustion des produits en cause.

Le siège de l'INERIS est à Verneuil-en-Halatte dans l'Oise. Nous n'avons pas d'implantations territoriales, sauf quelques exceptions. Nous n'avons donc pas de moyens dédiés à une projection sur site en cas d'urgence, afin de faire des prélèvements ou des analyses. C'est un des éléments remarqués lors du retour d'expérience de l'accident précédent de Lubrizol : ces types de prélèvement sont généralement effectués par un réseau de laboratoires identifiés à cet effet, le Réseau des intervenants post-accident (RIPA), qui est opérationnel depuis 2013. Toutefois, en concertation avec les services de l'État, nous avons été en relation avec le SDIS, la DREAL et la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) durant le premier jour de l'incendie. Il a été décidé, compte tenu à la fois du caractère assez exceptionnel de cet incendie et du caractère urgent de la situation, que l'INERIS réaliserait les analyses de certains de ces prélèvements dans nos laboratoires, afin de produire les premiers résultats dès le lendemain de l'incendie. Les premiers prélèvements ont été reçus sur notre site à Verneuil-en-Halatte dès le jeudi soir, certains par hélicoptère et les autres par voiture.

Les résultats des analyses de ces premiers prélèvements ont été obtenus et interprétés dans une certaine urgence. J'entends ce qui peut être dit sur la communication des résultats. Ils ont été fournis dès le vendredi soir pour un grand nombre d'entre eux, et dès le mardi pour les dioxines, dont le temps d'analyse est plus long. Ce n'est pas très habituel dans ce type de circonstances que, 38 heures après le début de l'incendie, les premiers résultats d'analyse soient déjà obtenus.

Pour les analyses effectuées dans ce type de situation, nous avons une idée des types de polluants recherchés, mais nous ne savons pas quels produits exactement. Cela demande des techniques d'analyse assez sophistiquées appelées « screening ». Vous avez auditionné ATMO Normandie hier. Nous avons reçu des canisters par ATMO Normandie et des canisters privés par le SDIS. Lorsque nous analysons ces canisters, nous sommes amenés à faire un screening assez large pour rechercher la gamme la plus complète de polluants susceptibles d'avoir été émis. Nous raffinons le niveau de calibration en fonction des résultats que nous trouvons, avec un double souci qui est d'avoir des limites de quantification aussi bonnes que possible, et de comparer les résultats avec des normes sanitaires établies lorsqu'elles existent, et c'est le cas pour certains polluants comme le benzène. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a dû vous en parler.

En parallèle, certaines de nos équipes spécialisées dans le domaine de la modélisation de la qualité de l'air ont été mises à contribution pour effectuer des modélisations plus sophistiquées que celles réalisées dès le jeudi de la dispersion du panache. Les modèles utilisés en urgence pendant un incendie, c'est-à-dire en quelques heures, permettent de faire une simulation du panache à courte distance, seulement quelques kilomètres. Dans ce cas, il était évident que le panache allait se propager sur une distance plus importante. Il nous fallait donc des modèles nettement plus sophistiqués, que nous utilisons par ailleurs pour faire de la prévision de la qualité de l'air à grande échelle. Ce sont les modèles que nous avons développés avec le CNRS et Météo France. Ils permettent de prendre en compte les conditions météorologiques sur de grandes distances, de manière plus précise que sur les premières modélisations, et la topographie, ce qui n'est pas totalement neutre à rebours, compte tenu de la situation particulière. Ces simulations du panache sur de grandes distances, c'est-à-dire des Hauts-de-France et jusqu'en Belgique, ont été transmises aux autorités dès le mardi 1er octobre.

Nous étions évidemment déjà en contact avec les ministères concernés. Mais nous avons été formellement saisis le mercredi 2 octobre, conjointement avec l'ANSES, par les directeurs de cabinet des trois ministères impliqués dans la gestion de la crise, les ministères des solidarités et de la santé, de l'agriculture et de la transition écologique et solidaire. Cela nous a conduits à mettre à contribution nos experts chimistes, toxicologues et écotoxicologues pour travailler sur la dangerosité des substances chimiques, afin d'enrichir les premiers avis que nous avions fournis durant les premières heures de l'incendie via notre CASU. Il s'agissait d'obtenir une analyse fine des produits impliqués dans l'incendie dont nous avons eu connaissance progressivement. Dès le jour de l'incendie, nous avions connaissance des principaux produits susceptibles d'avoir brûlé dans le dépôt de Lubrizol. Et nous avons eu connaissance progressivement de la liste plus détaillée des produits concernés et des fiches de sécurité fournies par l'exploitant sur les propriétés de danger de ces produits.

C'est un exercice assez compliqué puisque ces produits sont pour l'essentiel des mélanges. Nous avons été donc amenés à regarder des substances en grand nombre et les fiches de sécurité de chacune de ces substances, pour avoir une idée de la nature de ces produits. Je comprends donc la relative complexité des rapports que nous sommes amenés à fournir. Lorsque cette liste de produits a été rendue publique, cela a été noté…

Nous avons remis avec l'ANSES le premier rapport de cette analyse le 4 octobre. Comme cela avait été demandé, nous y avons inclus un certain nombre de recommandations sur la surveillance environnementale à mettre en place durant la phase post-accidentelle. Et nous avons complété cet avis le 10 octobre, sur la base des informations données à propos des produits stockés par Normandie Logistique, puisque la liste des produits a été disponible le 4 octobre.

La saisine que nous avons reçue le 2 octobre par les trois ministères, prévoit la possibilité que nous soyons saisis, avec l'ANSES, afin de procéder à une « tierce expertise », c'est-à-dire un avis critique et indépendant sur l'évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS) établie sous la responsabilité des deux exploitants. L'arrêté préfectoral visant à prescrire cette EQRS devrait être soumis au Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) le 12 novembre. L'exercice en cours est une évaluation de l'état des milieux. C'est une étape préalable à l'élaboration de cette EQRS.

Dans le cadre de cette crise, nous avons étendu notre intervention au-delà de notre cellule d'aide aux situations d'urgence et des risques immédiats. Ces risques ont été maîtrisés rapidement grâce à l'intervention des pompiers, sous l'autorité du préfet. Nous avons ensuite mobilisé largement nos moyens, c'est-à-dire nos laboratoires et notre personnel, des ingénieurs, des techniciens et des chercheurs, afin de mettre à disposition des pouvoirs publics notre expertise dans les meilleurs délais.

L'INERIS sera amenée à faire un retour d'expérience pour identifier les points d'intervention et d'amélioration de notre action. J'ai été amené à déclencher la cellule de crise interne de l'Institut le jeudi matin, afin de piloter sa mobilisation sur cet incident et de regarder les moyens, notamment humains, nécessaires pour répondre à certaines de ces améliorations. Je profite de cette audition pour saluer l'engagement des équipes de l'Institut. Il a été très fort ces dernières semaines, dans un contexte un peu particulier.

Cette mobilisation se poursuit. Nous avons remis hier à la préfecture nos dernières analyses effectuées sur des prélèvements de surface, parce qu'un certain nombre de points méritaient une clarification, notamment un prélèvement en particulier concernant les dioxines. Nous avions une valeur considérée comme relativement atypique sur une table de ping-pong dans un centre de sport. Nous avons donc envoyé des personnes de l'INERIS pour refaire des prélèvements sur ce site. De plus, un certain nombre de prélèvements sur les dioxines avait été effectué et traité par le Bureau Veritas, avec des limites assez élevées de quantification, puisqu'elles étaient supérieures d'un facteur 10 à 60 au niveau que nous avions mesuré sur d'autres prélèvements. Nous avons donc été amenés à refaire des prélèvements sur ces sites, dont nous avons produit les résultats hier.

Au sujet des dioxines, j'ai participé à un certain nombre de conférences de presse à Rouen, aux côtés du préfet, pour présenter les analyses conduites par l'INERIS, notamment celles concernant ces premiers prélèvements. Ces prélèvements doivent être faits immédiatement après l'incendie. Il ne s'agit donc pas de faire des mesures précises pour évaluer un éventuel risque sanitaire. Il s'agit de faire des mesures pour voir s'il y a un marquage de pollution susceptible d'être attribué à l'incendie. Dans ce type d'incendie, il est assez probable que des dioxines puissent être émises. Il y a un débat pour savoir si elles peuvent être émises en grande ou en petite quantité.

L'analyse que nous avons effectuée le jour même de l'incendie, et qui a été ensuite confirmée par une analyse plus approfondie des produits brûlés, nous conduit à considérer qu'il y a peu de produits chlorés : 38 tonnes sur un total de 9 000 tonnes de produits brûlés. S'il y avait eu une grande quantité de produits chlorés, il y aurait eu des émissions fortes de dioxines dans l'air... Le fait qu'il y ait eu très peu de produits chlorés pris dans l'incendie, laisse penser qu'il n'y a pas dû y avoir d'émissions de dioxines très fortes liées aux produits. En revanche, dans n'importe quel incendie, puisque des produits mais aussi des bâtiments et des objets brûlent, comme des câbles en plastique, cela émet des dioxines en quantité plus ou moins importante. Des dioxines ont donc pu être émises mais, a priori, en quantité relativement faible.

C'est donc dans une logique de prévention et de précaution que des prélèvements et des mesures sont faits pour regarder s'il y a, ou non, un marquage de dioxines. Les prélèvements ont été effectués dans les retombées du panache, grâce à sa simulation. Un prélèvement témoin est fait en dehors du panache puisqu'il y a de toute façon de la pollution de fond en dioxines, comme pour les autres polluants. Il s'agit donc de savoir si c'est de la pollution de fond ou si le niveau est supérieur. Dans le cadre des bonnes pratiques d'analyses et de laboratoire, une analyse est faite sur un « blanc », c'est-à-dire une lingette simplement ouverte pour regarder quel est le « bruit de fond » lié à la méthode de mesure.

Compte tenu des premières analyses que nous avions, les niveaux mesurés concernant les dioxines étaient « relativement faibles », c'est-à-dire qu'ils étaient du même ordre de grandeur que ce que nous avions prélevé sur le blanc ou sur le témoin. La nature de la mesure n'a pas beaucoup de sens puisque nous utilisons une lingette. Nous ramassons des toxines pour ensuite mesurer la quantité de dioxines sur la lingette. Tout cela est mesuré en nanogrammes de toxicité équivalente. Pour les dioxines, nous avons plusieurs congénères par mètre carré. Les premiers prélèvements que nous avions effectués se situaient entre 0,4 et 2 nanogrammes, pour des témoins de l'ordre de 0,6. L'ordre de grandeur était globalement le même, avec cependant quelques prélèvements sur lesquels il existait un marquage en dioxines.

Les nouveaux résultats obtenus hier, concernant la table de ping-pong, nous conduisent a priori à écarter l'hypothèse selon laquelle la peinture de la table aurait été à l'origine du marquage en dioxines. Mais d'après les témoignages des pompiers qui avaient fait le prélèvement, il est assez probable qu'il y ait eu une surestimation, puisque le protocole de mesure n'a pas été rigoureusement suivi. Suivant le protocole de mesure, le prélèvement doit être effectué sur une surface déterminée. Il semblerait que dans ce cas, le prélèvement a été fait sur une surface plus importante. Par conséquent, si vous prélevez sur une surface plus importante, vous avez des quantités plus importantes, ce qui conduirait à réduire le résultat d'un facteur 4.

Par ailleurs, nous n'avons pas trouvé de niveaux significativement importants pour les nouvelles mesures effectuées sur cette table de ping-pong et sur deux points à côté. Ils sont du même ordre de grandeur que le premier prélèvement et les mesures précédentes en matière de dioxines. En ce qui concerne les analyses faites sur les prélèvements effectués par le Bureau Veritas, nous retrouvons des ordres de grandeur assez similaires à ceux que nous avions obtenus à Rouen et plus loin dans le panache, notamment dans le pays de Bray.

À ce jour, je ne peux que confirmer les analyses que nous avions réalisées dès le mardi :

– des dioxines ont pu avoir été émises dans le cadre de cet incendie ;

– nos prélèvements ne permettent pas d'affirmer, à ce stade, qu'il y a eu une contamination significative à la dioxine. Un certain nombre d'échantillons sont au-dessus du bruit de fond ;

– ces résultats nécessitent des mesures supplémentaires dans une vraie logique d'évaluation des risques sanitaires, c'est-à-dire en faisant des prélèvements de sols et d'autres types de prélèvements que nous avons recommandés pour la surveillance à long terme.

Concernant la communication de crise et la manière de présenter les analyses, la tradition de l'INERIS à travers son appui aux gestionnaires de la crise, est de ne pas communiquer pendant la crise. C'est une politique dont nous pouvons discuter, mais elle est clairement assumée. Nous sommes en situation d'appui, en l'occurrence au préfet qui gère la crise. Nous lui transmettons donc nos résultats et c'est lui qui rend nos analyses publiques sur le site de la préfecture. Bien évidemment, l'INERIS – et donc moi-même – est à la disposition du préfet pour venir présenter les analyses lors des communications qu'il organise.

Un débat devra faire partie du retour d'expérience, parce que nous avons un double souci :

– le souci de ne rien cacher, c'est-à-dire de transmettre les résultats des analyses dès qu'ils sont disponibles ;

– le souci, dans la mesure du possible, de donner des éléments d'interprétation simples de ces analyses.

Cela mobilise dans nos laboratoires des compétences différentes puisque nous avons d'un côté nos experts en matière d'analyses et, de l'autre, nos experts en matière d'évaluation des risques. Chaque fois que nous avons publié des analyses, nous avons essayé de mettre autant que possible des éléments de référence. C'est le cas du benzène sur les prélèvements d'air. Nous avons comparé les valeurs mesurées aux valeurs limites de référence afin d'avoir une évaluation du niveau de risque. Sur les prélèvements d'air, le seul endroit où nous avons trouvé du benzène à un niveau supérieur aux normes sanitaires usuelles, se situe directement sur le site ou à proximité immédiate de l'incendie. Ce n'est pas surprenant, mais nous n'en avons pas trouvé plus loin.

Cela fait donc partie des questions que nous devons nous poser lors du retour d'expérience. Mais je ne suis pas sûr d'avoir une solution miracle à apporter, parce qu'à l'inverse, c'est néfaste de ne pas publier des résultats pendant très longtemps, tant que nous n'avons pas l'explication complète. C'est le cas avec la mesure de dioxines de cette table de ping-pong. Nous avons préféré publier le résultat tout de suite, en mettant en avant les incertitudes qui pèsent sur la mesure, plutôt que de retarder trop longtemps la publication de ces résultats.

Concernant les questions relatives aux incendies, notre démarche n'est pas de regarder uniquement les produits stockés dans l'usine, mais aussi quels sont les produits de combustion. C'est expliqué dans notre rapport, mais c'est peut-être un peu compliqué. Notre priorité est de regarder les dangers immédiats, c'est-à-dire si les produits brûlent de manière « parfaite ». Il s'agit de regarder quels polluants vont être présents et lesquels ont un effet toxique avéré, qui risque de produire des effets irréversibles. C'est l'hypothèse d'une combustion « parfaite » : on prend les produits, on considère qu'ils sont complètement ventilés et que la combustion est parfaite.

Nous avons fait ces analyses dès le jeudi matin : quels polluants vont sortir ? Quel est leur pourcentage ? Cela nous permet de donner un avis sur les distances de sécurité. Mais dans ce type d'incendie, la combustion n'est évidemment pas « parfaite » parce que le feu n'est pas bien ventilé. C'est ce qui va produire d'autres composés présentant une toxicité à long terme, mais en quantité relativement faible par rapport aux quantités émises. Nous étudions ce phénomène aujourd'hui en deux étapes :

– sur la base du retour d'expérience d'incendies similaires, nous connaissons les produits que nous sommes susceptibles d'aller rechercher, comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques, les métaux, les dioxines et, dans l'air, les composés organiques volatils ;

– puis nous affinons ces analyses en allant regarder, sur la base des informations à notre disposition sur les produits, si d'autres produits auraient pu être émis.

Ce n'est peut-être pas exprimé très clairement dans notre rapport, mais nous avons noté que les analyses complémentaires conduites ne remettaient pas en cause celles faites dès le jeudi matin, avec quelques points de vigilance mentionnés, comme celui lié au volet « effets sur l'environnement ». Parmi les produits stockés, des produits ont très clairement un impact sur l'environnement, notamment aquatique. Une surveillance particulière devrait être mise en place dans le domaine de l'eau.

Concernant le sujet des odeurs et le sentiment que la pollution persiste à Rouen, nous retenons deux conséquences :

– nos calculs concernent surtout la toxicité avérée aiguë et les risques chroniques à long terme. Aujourd'hui, il y a des progrès à faire sur l'évaluation d'une toxicité plus faible. Nous sommes capables de dire si quelque chose va vous tuer ou va vous blesser sérieusement. Mais il est difficile de savoir ce qui conduit par exemple à des nausées, en fonction des informations que nous avons sur les produits ;

– la deuxième conséquence est liée à la question des « effets cocktail ». Pour l'étude de l'effet cocktail, nous prenons en compte l'ensemble des substances émises pendant la combustion. Mais un autre sujet méritera d'être regardé de plus près dans le cadre du retour d'expérience. Dans ce type d'incendie, des produits imbrûlés vont aussi potentiellement être répandus dans l'atmosphère. Nous avons les données et les fiches de sécurité de ces produits imbrûlés. Mais la plupart des évaluations de risques pour ces produits sont faites pour leur usage normal. Elles ne sont pas faites pour les usages à risques, c'est-à-dire si le produit est vaporisé, inhalé, etc. Il est difficile de dire aujourd'hui si ces produits ont effectivement été répandus dans l'atmosphère, sous diverses formes, en tant qu'imbrûlés. Nous avons peu d'éléments aujourd'hui pour savoir s'ils présentent un risque, non pas de toxicité aiguë, mais qui pourrait expliquer certains des phénomènes observés. Sur ce point, il y aura matière à réflexion pour le retour d'expérience.

Sur le volet « conseil aux entreprises », nous sommes un établissement public à caractère industriel et commercial. Nous avons une activité d'appui aux pouvoirs publics et, le cas échéant, une activité de conseil aux entreprises. Cela fait partie de nos missions. Nous avons un historique industriel assez fort, puisque nous sommes les héritiers du Centre de recherche des Charbonnages de France. Nous avons donc une action de conseil aux entreprises en matière de prévention des risques. Suivant nos règles de déontologie, nous n'allons évidemment pas travailler sur le même sujet à la fois pour les pouvoirs publics et pour une entreprise privée. En l'occurrence, l'évaluation des risques sanitaires qui va être faite sous la responsabilité des exploitants de l'entreprise Lubrizol, aurait pu nous être confiée en tant que prestataires privés. Nous ne travaillons pas à la fois pour le public et pour le privé. Et nous donnons la priorité aux pouvoirs publics. Dès lors qu'en tant qu'expert public, nous allons être amenés à faire la tierce expertise de cette évaluation, il est évident que nous n'allons pas la faire pour le privé. Notre retour d'expérience n'est pas seulement lié à notre travail pour les entreprises. Il est lié aussi à notre travail pour l'administration et pour l'appui à la gestion de crise, comme nous sommes en train de le montrer dans le cadre de Lubrizol.

Il est un peu tôt pour faire le retour d'expérience général. Mais une chose apparaît clairement : notre dispositif a été bien conçu pour gérer l'urgence immédiate. C'est le principe de la cellule d'appui aux situations d'urgence. Et lorsqu'il s'agit de gérer la situation post-accidentelle à plus long terme – et la préoccupation sociale est de plus en plus forte sur ce point-là – nous avons fait de gros progrès par rapport à ce qui aurait pu se faire il y a 10 ou 20 ans. Mais la question se pose de savoir comment, dans la durée, améliorer le dispositif. Notre réaction sur Lubrizol a été assez rapide, et probablement plus rapide que la moyenne des traitements de ce genre de situations. Nous avons pu avoir des résultats d'analyses, sur des polluants spécifiquement liés à l'incendie, très rapidement après.

Concernant notre rôle prospectif sur nos moyens et ceux de l'État pour gérer ce genre de situations, cela fera partie du retour d'expérience que nous allons être amenés à engager. L'INERIS, comme d'autres opérateurs publics, a des contraintes assez fortes en matière de budget et surtout d'effectifs. Nous sommes dans une ligne de baisse de nos effectifs de 2 % par an. Il est évident que dans ce contexte-là, nous sommes amenés à réfléchir aux activités qui doivent rester notre coeur de métier, et à celles que nous pourrions être amenés à abandonner. Ce volet « appui à la situation d'urgence » fait partie des priorités que nous souhaitons préserver, mais cela mérite très clairement une réflexion un peu approfondie, afin de voir quel est le niveau d'expertise nécessaire pour cela. Ce n'est pas la même chose d'avoir trois ingénieurs d'astreinte, qui s'appuient sur une expertise assez large, ou la mobilisation – comme pour Lubrizol – d'une gamme d'expertises très large au sein de l'Institut, couvrant des chimistes, des laboratoires d'analyses et des toxicologues. Cela permet de nous interroger sur les moyens dont nous disposons.

Au sujet du « pendant » de l'ASN en matière de sûreté nucléaire, notre organisation est aujourd'hui assez similaire, dans le principe, à celle qui existe dans le domaine nucléaire. Dans ce domaine, il y a l'autorité indépendante – l'ASN – qui est chargée de la mise en oeuvre et de l'élaboration de la législation et un expert technique – l'IRSN – qui intervient en appui à l'ASN. Dans le domaine du risque technologique en général, et du risque Seveso notamment, il y a une différence essentielle. C'est la direction d'administration centrale, la DGPR, qui a le rôle régalien. Et nous sommes le pendant de l'IRSN pour le nucléaire, à savoir l'expert technique qui travaille en lien avec cette direction.

Concernant les mesures en temps réel effectuées autour des sites Seveso, la difficulté est que les polluants ne sont pas forcément les mêmes en fonction de la nature de l'accident. Et nous ne savons pas faire aujourd'hui la mesure en temps réel de tous les polluants possibles. La mesure en temps réel permet donc d'apporter des informations sur certains types de polluants. Techniquement, la seule solution est celle que nous avons mise en oeuvre, à savoir faire des prélèvements, les analyser le plus rapidement possible ou, le cas échéant, déployer sur place des instruments permettant des mesures de polluants directement liés au type d'accident traité. Il n'est pas envisageable d'avoir en continu des mesures de l'ensemble des polluants susceptibles d'être émis pendant un accident, ou autre. L'incendie est un des accidents les plus fréquents, nous en avons donc une certaine expérience. Nous savons à peu près quels types de polluants vont être émis. Mais sur un site Seveso, il pourrait y avoir des scénarios beaucoup plus problématiques, et pour lesquels les dispositifs de mesure ne sont de toute façon pas là en temps réel.

Pour répondre à la question de M. Jean Lassalle : Avons-nous déjà été confrontés à un évènement d'une telle ampleur ? Cela dépend de la période que nous considérons. Oui, si je remonte jusqu'en 1906. C'était même d'une ampleur beaucoup plus importante. Mais je suis directeur général de l'INERIS depuis presque six ans, et je pense que c'est l'évènement de la plus grande ampleur que nous avons été amenés à traiter. Mais je n'étais pas encore directeur général lorsque l'INERIS a été fortement mobilisée lors du premier épisode de Lubrizol en 2013 et lors de la catastrophe d'AZF.

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Raymond Cointe, directeur général de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS)

Commençons-nous à y voir plus clair ? Nous sommes dans la phase où nous avons traité l'ensemble des éléments liés à la gestion immédiate de la crise. Le dispositif est en train de se mettre en place concernant, maintenant, l'évaluation des risques sanitaires à long terme et le suivi épidémiologique. La question des odeurs reste un point à étudier. Nous avons eu quelques discussions avec ATMO Normandie pour voir quels dispositifs pourraient être mis en place pour le suivi des odeurs à Rouen. La solution retenue est de s'appuyer sur le dispositif qu'ATMO Normandie avait déjà mis en place de manière un peu pérenne. Nous avons regardé s'il était possible de faire autre chose, mais objectivement, nous n'avons pas d'autres solutions faciles à mettre en place très rapidement.

Concernant les mesures de certains polluants, notre sentiment est que nous avons a priori effectué les recherches sur les bons polluants. Évidemment, je ne suis pas totalement objectif puisque c'est nous qui avons recommandé la liste des polluants à rechercher. Cette recherche a été mise en place, avec les moyens disponibles, de manière assez efficace. Et les mesures permettent d'avoir les résultats des analyses le plus rapidement possible. Mais la question des odeurs reste à travailler de manière plus pérenne, afin de déterminer la meilleure façon de traiter ce genre de problèmes.

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Bernard Piquette, directeur des risques accidentels (INERIS)

Concernant le livre blanc d'AMARIS, je n'ai pas d'avis personnel. Pour les entreprises riveraines de sites Seveso, dans le cadre des plans de prévention des risques technologiques (PPRT), des obligations de mise en sécurité de leurs installations existent en fonction des évènements qui leur feraient subir une atteinte. Ces évènements peuvent être :

– une explosion. Dans ce cas, il faut s'assurer de la tenue du bâti ;

– une dispersion toxique. Dans ce cas, il faut une salle de confinement ;

– un incendie. Dans ce cas, il faut avoir des protections thermiques.

En collaboration avec AMARIS et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'INERIS a édité des guides à destination des industriels, afin de satisfaire à cette obligation de mise en sécurité en fonction des risques qu'ils encourent. Avec AMARIS, nous avons aussi créé des outils de communication qui permettent de prendre conscience du risque et des obligations de ces industries riveraines.

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En France, dans certaines régions plus que d'autres, il existe des sites Seveso, comme dans la vallée de la chimie en PACA, Rhône-Alpes. La Normandie est aussi un territoire très concerné par ces risques et par la présence de sites de cette nature. Vous avez mentionné cette capacité de projection essentielle pour mener à bien l'appui aux pouvoirs publics et le suivi post accidentel, avec les prélèvements, etc. Votre siège est-il bien localisé à Verneuil-en-Halatte ? Ou ne serait-il pas plus opportun que vous soyez fixés là où il y a les risques ? Cela permettrait d'aider à la diffusion d'une culture du risque.

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Raymond Cointe, directeur général de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS)

Peut-être n'est-ce pas mon rôle de répondre au sujet de la localisation du siège de l'Institut. Mais j'ai deux éléments de réponse. Le premier est historique. L'INERIS est donc l'héritier du Cerchar. Notre siège à Verneuil-en-Halatte est le siège historique du Cerchar. La localisation a été choisie pour être un peu loin de Paris, parce que nous avons des moyens d'essais et des installations expérimentales d'assez grandes dimensions, qui produisent du bruit et de la saleté, voire qui sont potentiellement dangereuses. Mais nous essayons de faire en sorte que ce ne soit pas le cas. Nous sommes donc plutôt bien situés, pas trop près d'une grande agglomération. D'autre part, ce site était à une distance raisonnable des bassins charbonniers de l'époque.

Le deuxième élément relève en fait de notre capacité de projection en cas d'urgence, c'est-à-dire en deux heures. Et effectivement, cela peut être difficile à organiser en étant à Verneuil-en-Halatte. Cela n'a pas été trop compliqué dans le cas de Lubrizol puisque Rouen n'est pas si loin. J'y suis moi-même allé quatre jours de suite pour les conférences de presse du préfet en venant de Verneuil-en-Halatte. Et lorsqu'il s'agit d'une mobilisation dans la durée, pour des problèmes d'ampleur nationale, nous sommes capables d'envoyer des gens sur place.

La distinction que nous sommes amenés à faire est celle de l'utilité d'avoir une expertise au niveau national. J'ai tendance à penser que c'est utile. L'intervention que nous avons été amenés à faire, mobilise des compétences extrêmement variées. Il ne serait pas raisonnable de penser de manière décentralisée, parce qu'il faut être capable d'estimer les produits émis pendant l'incendie, et ensuite de faire une simulation du panache. C'est plus raisonnable de centraliser ces opérations à un niveau national. C'est bien qu'il y ait un expert national sur le sujet, mais sa localisation importe peu. Notre idée est de travailler en appui aux services de l'État, et notamment aux services déconcentrés que sont les DREAL, et le cas échéant en appui aux collectivités locales. Nous travaillons en étroite collaboration avec AMARIS notamment.

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J'ai deux questions. La première concerne le retour d'expérience. Selon vous, il est encore un peu trop tôt pour avoir une vision complète de l'événement. Savez-vous à quel horizon vous pourriez l'avoir finalisée ?

Dans les premiers jours, vous avez été mandaté par le préfet à propos du pentasulfure de phosphore. Pourriez-vous nous expliquer ce que cela aurait pu engendrer en termes de conséquences ?

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Raymond Cointe, directeur général de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS)

Concernant le pentasulfure de phosphore, ce produit a été évacué très rapidement, donc la question ne s'est pas posée. S'il avait été pris dans l'incendie, la question n'aurait pas été celle des dangers liés au pentasulfure de phosphore en lui-même, puisqu'il y en a un certain nombre. Elle aurait concerné les dangers liés à l'incendie. Nous pourrons vous transmettre notre avis sur les distances d'effets irréversibles, mais dans ce cas particulier de l'incendie, elles étaient relativement limitées dans la mesure où le pentasulfure de phosphore aurait brûlé. La distance d'effet létal est de l'ordre de 100 mètres ou quelque chose de cet ordre, de mémoire. Cela aurait posé un problème pour les services d'intervention, mais pas un problème à l'échelle de la métropole de Rouen.

Concernant le retour d'expérience, il sera fait au niveau de l'INERIS. Mais il doit aussi être partagé avec les autres acteurs de la crise. J'imagine qu'il y aura donc un retour d'expérience au niveau national. L'horizon pourrait être de quelques mois ou semaines. Le retour d'expérience ne doit pas être fait immédiatement pendant la crise. Mais en même temps, il faut qu'il soit fait suffisamment rapidement après pour pouvoir en tirer des conclusions.

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Hier, nous avons posé une question à ATMO Normandie au sujet de la recherche de particules fines d'amiante dues à l'explosion des toitures. Ils nous ont dit qu'ils ne les cherchaient pas et que vous devriez répondre à ce sujet.

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Raymond Cointe, directeur général de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS)

Nous ne sommes pas un des spécialistes de la mesure de l'amiante. Pour information, nous avons travaillé le jeudi sur la base des éléments que nous avions, c'est-à-dire l'étude des dangers et la liste des produits stockés durant l'incendie. Nous n'avions pas connaissance que le toit était en fibrociment, puisque cela ne figure pas dans l'étude des dangers. Nous avons été saisis le samedi sur la question du toit en fibrociment. Il fallait que nous réalisions la simulation du panache des éventuelles fibres d'amiante, afin de lancer le protocole de mesure, pour savoir où aller mesurer de l'amiante, et de s'assurer qu'il n'y en avait pas.

Pour nos premières simulations, nous avons pris le scénario le plus pessimiste, qui est celui où l'ensemble du toit aurait brûlé. L'ensemble des fibres d'amiante aurait donc pu être relargué dans le panache. Suivant ce scénario, nous étions susceptibles de retrouver des fibres d'amiante à une distance assez importante du site de Lubrizol. Nous avons donc proposé d'envoyer un expert sur place pour regarder de manière plus détaillée quel avait été le mécanisme de ruine du toit en fibrociment. Le lundi, il est allé examiner sur le site les restes du toit en fibrociment. Il a constaté que durant l'incendie, la toiture métallique a commencé à s'effondrer. Cela a conduit à la ruine du toit en fibrociment. En parallèle, les fûts stockés ont explosé. Ce scénario n'est pas plus préoccupant que celui où l'ensemble du toit brûle. Mais il y a eu une rupture mécanique avec la projection de fragments de fibrociment de taille variable qui ont été emportés dans le panache, à cause de l'explosion des fûts.

Notre expert est donc aussi allé en périphérie directe de l'incendie. Il a pu constater qu'effectivement, des morceaux de fibrociment ont été projetés jusqu'à six kilomètres environ, notamment à Mont-Saint-Aignan. Ce scénario est moins inquiétant puisqu'a priori, les fibres d'amiante sont restées dans les fragments de fibrociment. Mais cela nous a conduits à faire des recommandations à la DREAL et à la préfecture, ce qui a permis d'affiner la stratégie de prélèvement. Des prélèvements de fibres d'amiante ont donc été faits jusqu'à huit kilomètres, dans le sens du panache.

La séance est levée à douze heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à Rouen

Réunion du jeudi 7 novembre 2019 à 11 h 25

Présents. - M. Damien Adam, M. Christophe Bouillon, M. Jean Lassalle, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Sira Sylla, Mme Annie Vidal

Excusés. - M. Xavier Batut, M. Pierre Cordier, M. Jean-Luc Fugit