Monsieur Coquerel, nous avons reçu quatre fois en un mois les représentants des sapeurs-pompiers, mais il se trouve que je ne suis pas homme à dépenser l'argent des autres : ce sont les SDIS, et donc les départements et les communes, qui paient la prime de feu ! J'ai exposé une règle claire aux pompiers et aux financeurs : il est possible d'augmenter la prime de feu, mais je laisse le soin à ceux qui paient, autrement dit aux employeurs, de décider. On peut toujours rêver d'un Grand soir où le ministre de l'intérieur engagera les dépenses des collectivités, mais ce n'est pas ma culture ! Je suis attentif à respecter leur autonomie. Je nous y invite d'ailleurs tous… Il est important de rappeler que ce que l'on déclare a des conséquences sur les autres.
Je fais la différence entre informer et demander l'évacuation. Je ne soupçonne pas les Français d'être totalement couillons… L'information fournie précisait qu'il n'y avait pas de risque sanitaire établi, donc qu'il n'était pas nécessaire d'évacuer en urgence et de partir en courant – ce que nos concitoyens n'ont d'ailleurs pas fait.
Le préfet a effectivement indiqué qu'il n'était pas nécessaire de porter un masque pour sortir dans Rouen, tout en invitant les Rouennais, autant que possible, à ne pas sortir. Mais de l'autre côté, les policiers en faction qui ont dû rester immobiles dans le périmètre de trois cents ou cinq cents mètres, ont été pendant des heures exposés au risque. Il faut faire la différence entre ceux qui sont sortis ponctuellement dans Rouen, auxquels s'adressait le message du préfet, et ceux qui sont restés durant des heures en faction à proximité du site, et qui avaient besoin d'être protégés : cette distinction a également été comprise par les Rouennais.
Concernant les maires, j'ai précisé que je faisais la différence entre les instructions à caractère opérationnel qui leur ont bien été transmises et les informations dont ils avaient besoin pour jouer leur rôle de relais d'opinion. Ce sont ces dernières qui ont fait défaut.
C'est tout le problème de la communication, monsieur le rapporteur : les journalistes que vous rencontrez veulent de l'information en flux continu pour leur direct. Mais il faut savoir dire « On ne sait pas », et les journalistes doivent l'accepter. Quand les préfets ont une information, ils la donnent ; ils sont formés pour cela et ils ont leurs équipes de communication. Dans le cas d'événements de ce type, ils peuvent aussi compter sur l'appui technique de l'administration centrale. Mais je sais l'impatience des médias qui veulent de l'information en flux continu et leur talent à débattre ensuite d'un mot pendant des heures et à multiplier les tables rondes sur le sujet… Je mesure aussi la nécessité pour le préfet, quand il parle cinq fois, de ne parler que cinq fois – cela fait déjà beaucoup. Cet équilibre n'est pas forcément simple à gérer, notamment avec les journalistes, mais il ne faut surtout pas céder à la dictature de l'information permanente.
En revanche, et c'était le sens de votre question, il faut aussi savoir utiliser les outils de communication que constituent les réseaux sociaux. Je crois vraiment que tous les préfets doivent par exemple avoir un compte Twitter. Les journalistes les consultent beaucoup. Ces comptes permettent de diffuser toutes les informations dont on dispose au fur et à mesure. Jouer la transparence, alimenter le Moloch médiatique est une bonne chose, mais vous devez aussi nous aider à faire comprendre que trop d'informations tuent l'information. Les journalistes doivent être capables d'attendre quelques heures avant de disposer d'informations nouvelles, à moins de vouloir produire de l'information nouvelle en soi, ce qui est une « connerie » – pardon, une bêtise !
Un seul exemple pour illustrer mon propos. Le lendemain de l'incendie, j'étais invité de la matinale sur RTL où je déclare : « Au moment où je vous parle, la situation est maîtrisée. Le panache de fumée fait vingt-deux kilomètres de long sur six kilomètres de large » – je suis le premier à donner cette information. Je poursuis : « Comme tout panache de fumée, il porte en soi un certain nombre de particules, un certain nombre de produits qui peuvent être dangereux pour la santé. Mais, selon les premières analyses qui ont été réalisées dès cette nuit, et qui se sont poursuivies ce matin, il n'y a pas de dangerosité particulière même si, nous le savons, l'inhalation des fumées présente en soi sa part de dangerosité. Un véhicule spécial a été déplacé depuis la plaque parisienne et des études complémentaires sur les particules sont en cours d'examen. Nous aurons les résultats dans les heures qui viennent » Lors de mon propos liminaire, j'ai indiqué que les analyses étaient toujours en cours.
Deux heures plus tard, sur LCI, un débat est organisé sur le thème : « Peut-on dire, comme Christophe Castaner, qu'il n'y a aucun risque ? » En l'espèce, c'est bel et bien une fake news, une fausse information, que LCI a relayée, et qui a donné lieu à un débat de plusieurs heures avec de nombreux spécialistes ! Cela rend l'exercice complexe et doit nous interroger sur la réponse opérationnelle à apporter…
Monsieur Coquerel, vous m'interrogez sur la place de la DREAL et des partenaires sociaux et, au fond, sur la « préfectoralisation » de la gestion de la crise. Je peux comprendre les réserves exprimées, mais l'unité de commandement est nécessaire et c'est le préfet qui l'incarne. Il doit le faire en s'appuyant sur l'ensemble des services ; c'est pourquoi on arme un centre opérationnel départemental (COD) à ses côtés, qui inclut évidemment la DREAL, mais également, entre autres, les services de l'Education nationale.
Un préfet qui n'écouterait pas le COD se fragiliserait. Le préfet a l'intelligence de la situation et une formation pour gérer la crise, mais il n'a pas forcément une compétence sur tous les sujets. À Rouen, le COD a été armé immédiatement et tous les services mobilisés sur site – dont ceux de la justice et le procureur, mais également la DREAL, les services de l'Education nationale, l'ensemble des forces de sécurité intérieure et les collectivités locales. Il ne s'agit donc pas d'une reprise en main par les préfets pour forcer les autres administrations au silence, mais d'une unité de commandement nécessaire pour gérer des situations de crise exceptionnelles.
Monsieur Lassalle, votre question souligne toute la difficulté d'utiliser les bons mots. Vous souhaitez savoir si j'ai connaissance de « drames » semblables. Qu'est-ce qu'un drame ? C'est un événement tragique, violent. Doit-on qualifier de drame cet incendie et ce panache de fumée, sans blessés ni morts ? Certes, c'est un drame environnemental, un drame pour des agriculteurs à qui l'on a demandé pendant des jours de ne pas récolter et vendre le fruit de leur travail – et aucune indemnisation ne compense cela.
Vous avez raison, nous devons tirer des enseignements de cet incendie. Tous les événements importants de ce type font systématiquement l'objet d'un « RETEX » qui nous permet de nous adapter. Ces sites ont pris d'importantes mesures de mise en sécurité depuis vingt ans, ce qui ne correspond pas à la description que vous en faites. Cela suffit-il ? Vous y travaillerez et vous ferez des préconisations.
Monsieur le président, vous m'avez interrogé sur la surveillance du site. Elle est d'abord de la responsabilité interne de l'exploitant. Cette nuit-là, chez Lubrizol, les personnels étaient mobilisés et, avec beaucoup de courage et de détermination, ils ont pris des risques importants. Ils se sont vraiment comportés héroïquement afin de faire en sorte que les produits les plus dangereux soient déplacés. Ils ont évacué tous les conteneurs sensibles alors que l'incendie montait en puissance et ont sûrement évité une catastrophe industrielle majeure.
S'agissant d'éventuelles intrusions sur les sites « Seveso », les services de police ou de gendarmerie nationale et l'entreprise, ainsi que les autorités de tutelle, travaillent main dans la main pour coordonner les modalités de surveillance. Mais nous ne dédions pas de moyens particuliers de surveillance sur des sites privés – et nous ne le ferons pas. En revanche, nous pouvons imposer des moyens de surveillance et cela aux frais de l'entreprise.
De quels outils disposons-nous face aux fausses informations ? C'est compliqué… Une fausse information a toutes les chances d'être beaucoup plus vue que celle diffusée par une autorité, quelle qu'elle soit. Ainsi, la vidéo montrant de l'eau noire coulant d'un robinet, dont je parlais tout à l'heure, a été vue 1,5 million de fois, sans parler des commentaires, des dénonciations – notamment celles qui me visaient personnellement, mais cela devient habituel. Le préfet, les autorités, voire des médias spécialisés – comme l'Agence France Presse (AFP) qui dispose d'un compte Twitter pour démonter ces fausses informations – ont eu beau dire et répéter que c'était faux, leur information, vraie, n'a été vue que 20 000 fois, contre 1,5 million de fois pour cette vidéo mensongère ! C'est pourquoi vous avez raison, monsieur le rapporteur, il faut savoir alimenter le Moloch médiatique d'informations factuelles précises.
Quant à la directive européenne, elle n'impose rien à la France – cela pourrait laisser penser que nous sommes en retard. Elle fixe simplement des objectifs ambitieux, de meilleure communication, et le Cell broadcast est une option parmi d'autres. Le secrétaire général du ministère a lancé une étude. J'aurai les résultats en début d'année prochaine. Nous souhaitons ensuite prendre une décision au cours du premier semestre pour développer cette solution. Mais c'est seulement une des solutions. Bien sûr, il y a beaucoup plus de gens qui possèdent un portable que de personnes qui savent interpréter les sirènes. Mais certains de nos concitoyens n'en ont pas et on ne peut donc s'en contenter. Le réseau France Bleu ou celui des radios locales est beaucoup plus opérationnel en la matière qu'un média national. Nous pourrions imaginer un dispositif sur le modèle de l'alerte enlèvement qui a montré son efficacité, avec un niveau de gradation spécifique.
Les conclusions de vos travaux nous éclaireront, tout comme celles de la commission d'enquête du Sénat qui m'a entendu hier. Peut-être serait-il opportun, même si aucun texte ne le prévoit, que vous échangiez de manière informelle sur ces thématiques.