Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Réunion du jeudi 21 novembre 2019 à 8h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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L'audition débute à huit heures trente.

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Mes chers collègues, nous reprenons ce matin le cours des auditions conduites dans le cadre de la mission d'information sur l'incendie de Lubrizol à Rouen pour entendre M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur, que je remercie pour sa présence.

Plusieurs questions viennent tout naturellement à l'esprit, puisque le ministre de l'intérieur est à la fois le ministre des pompiers, le ministre des policiers… et aussi le ministre des préfets.

Je voudrais tout d'abord saluer, une fois de plus, le formidable courage, le professionnalisme et la bravoure des très nombreux sapeurs-pompiers qui sont intervenus sur place. Dotés de matériels conséquents, ils sont parvenus à maîtriser l'incendie. Vous vous êtes d'ailleurs, monsieur le ministre, rendu à Rouen très rapidement afin de constater par vous-même l'état des lieux.

Deux questions, l'une relative aux hommes eux-mêmes, l'autre au matériel. Tout d'abord, les pompiers qui sont intervenus sur le site ont subi un certain nombre d'examens de santé, et plusieurs informations concernant leurs résultats ont circulé.

Que pouvez-vous nous en dire au jour d'aujourd'hui ? Existe-t-il un lien de cause à effet entre la présence de ces soldats du feu sur le site et les résultats de ces analyses, qui ont parfois soulevé des inquiétudes chez un certain nombre d'entre eux ?

J'en viens au matériel : pour faire face à un incendie d'hydrocarbures, les émulseurs, dont les exploitants disposent, constituent un équipement essentiel. Les pompiers en sont-ils également dotés ? Pour faire face à un incendie de cette ampleur, pour reprendre l'expression du colonel Jean-Yves Lagalle, il a fallu faire intervenir des moyens qui dépassaient ceux du Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Seine-Maritime. En effet, plusieurs autres départements ont été sollicités.

La Seine-Maritime est un département à très forte empreinte industrielle qui compte de nombreux sites classés en « Seveso ». Il n'est bien sûr pas le seul dans ce cas : je pense au « Couloir de la chimie » ou à d'autres régions que des membres de la mission représentent. Ces départements disposent-ils de moyens à la hauteur de leur spécificité industrielle, autrement dit de moyens plus importants que d'autres ?

Vous êtes également, comme je l'ai indiqué, le ministre des policiers. Eux-mêmes sont évidemment intervenus sur le site, notamment pour définir le périmètre de sécurité et le faire respecter.

Des questions, là aussi, se posent sur les hommes, sur la sécurité ainsi que sur la sûreté sur ces sites. Le plan particulier d'intervention (PPI) a été déclenché à cinq heures du matin, en raison notamment du risque induit par la nature des produits en combustion. Des mesures particulières ont-elles été prises pour les policiers présents sur place ? On a parlé de masques, de tenues et de protections spécifiques. Qu'en a-t-il été exactement ?

Plus largement, même si nous savons que l'enquête suit son cours et que personne ne connaît encore ni les causes ni la nature exacte de l'incendie, les sites dits « Seveso » font-ils l'objet des mesures particulières de surveillance, comme c'est le cas pour les installations nucléaires de base ? Dans le cas présent, l'usine Lubrizol est située en zone « police ». Des rondes sont-elles organisées autour de ces sites ? Font-ils l'objet d'une surveillance accrue en considérant la nature de leurs activités et du danger qu'elles peuvent représenter ?

Vous êtes également le ministre des préfets. Quelles instructions leur avez-vous donné lorsque vous avez très tôt été informé de cet incendie d'une ampleur inhabituelle, puis lors de votre visite sur place ?

Que pensez-vous par ailleurs des dispositifs d'alerte qui relèvent de la Sécurité civile ? Les jugez-vous adaptés aujourd'hui à la nature des événements ? La célérité de la circulation de l'information oblige à répondre quasiment en temps réels à des demandes légitimes des citoyens. L'approche des préfectures dans ce domaine doit-elle être améliorée afin de leur permettre de mieux comprendre ces événements ? Le fameux document d'information communal sur les risques majeurs (DICRIM), qui répertorie la nature des risques naturels et technologiques à l'échelle des communes, vous paraît-il aujourd'hui adapté et suffisant ? Ne pourrait-on pas l'améliorer ? Doit-on se contenter de le distribuer une fois, sachant que la situation spécifique de certaines communes rend nécessaire le renouvellement de l'information ou de la connaissance de ce document ?

Au niveau européen enfin, une directive en particulier pourrait améliorer les dispositifs d'alerte. Votre ministère a-t-il déjà entamé sa transposition ? À quel moment pourrons-nous disposer en France du meilleur dispositif d'alerte possible ? On sait que les technologies dites de diffusion cellulaire (Cell broadcast) pourraient être utilisées dans de telles circonstances. Notre rapporteur Damien Adam en avait fait état et cela a été confirmé par le préfet que nous avons auditionné. Où en est votre réflexion sur ces nouveaux outils ?

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Je vous remercie pour votre présence, monsieur le ministre, car votre audition est évidemment très attendue. Comme vous le savez, la mission d'information n'a pas l'intention de mettre en cause l'efficacité et la réactivité des secours face à cet incendie d'une exceptionnelle intensité, à commencer par l'action des pompiers et des policiers à propos de laquelle de nombreuses personnes que nous avons auditionnées n'ont pas tari d'éloges. En revanche, le temps d'une réflexion plus générale sur la gestion des accidents industriels est venu : c'est tout l'objet de cette mission ainsi que du rapport que j'aurai à rédiger à l'issue de ses travaux.

L'alerte et l'information de la population sont essentielles. On a beaucoup parlé des sirènes, qui ont fait débat tant au niveau local que national : on peut estimer qu'aujourd'hui ce système est à tout le moins obsolète, ou en tout cas insuffisant pour informer convenablement la population en cas de risque majeur. Selon vous, que convient-il de faire sur ce sujet ? Je sais par ailleurs que l'État met en oeuvre un plan assez conséquent de renouvellement et de rénovation de ces sirènes : un tel investissement est-il le plus judicieux ? Ne vaudrait-il pas mieux s'orienter vers d'autres systèmes, comme le Cell broadcast que le président a évoqué, et qui permet d'envoyer un SMS à toute personne équipée d'un téléphone mobile dans une zone géographique donnée ? Rien n'empêche de coupler cette technologie avec les sirènes en vue d'informer la population, et elle fonctionne en toutes circonstances et en tous lieux. Et contrairement aux sirènes, elle peut être également déclenchée en pleine nuit sans réveiller des personnes qui n'ont pas forcément besoin de l'être. Ce système doit-il selon vous être déployé en France ? Dans l'affirmative, peut-on imaginer un délai de déploiement ?

Je suis par ailleurs aujourd'hui tout à fait convaincu que nous devons travailler sur la culture du risque au sein de la population, particulièrement celle qui est exposée aux risques industriels. Si les choses sont plutôt bien organisées dans notre pays pour ce qui est du risque nucléaire – la population vivant à proximité des centrales est relativement bien informée –, c'est un peu moins le cas pour les sites industriels « Seveso », qu'ils soient classés en « seuil bas » ou « seuil haut ». Nous l'avons vu lors de l'incendie : les populations se sont parfois trouvées démunies face aux événements. Votre ministère a-t-il à ce stade entamé une réflexion à ce sujet ? Avez-vous des propositions dans vos cartons ?

J'en viens à la réglementation applicable aux sites « Seveso » : ne conviendrait-il pas d'accélérer la réflexion sur les établissements industriels classés dans cette catégorie, et plus particulièrement sur ceux qui produisent et stockent des produits dangereux en zone urbanisée ?

Ne pourrait-on pas également imaginer que les sites « non Seveso », mais néanmoins à risque, soient régulièrement inspectés par les services de l'État, et notamment par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ? Pour l'heure, ces inspections ne sont pas systématiques.

Par ailleurs, un travail d'actualisation des procédures dans un cadre interministériel est-il en cours notamment avec la direction générale de la santé (DGS) ou avec la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la Transition écologique et solidaire ?

Autre point important : le document d'information communal sur les risques majeurs, que notre président a évoqué. Ne conviendrait-il pas tout d'abord que le ministère rappelle aux collectivités locales, y compris les grandes villes et les agglomérations, leur obligation d'actualiser et de réactiver ces documents ? Leur création remonte en effet aux années quatre-vingt-dix, leur objet étant de recenser les risques naturels et technologiques d'un territoire et d'exposer les principaux moyens d'alerte et de sauvegarde des personnes et des biens.

Si les DICRIM sont obligatoires, tout comme leur communication à la population, les voies par lesquelles les collectivités locales doivent les communiquer ne sont pas précisées. Il me semble important d'agir sur ce point afin d'être certain qu'un minimum d'informations est garanti sur l'ensemble du territoire.

Ne conviendrait-il pas non plus de tirer un bilan des commissions de suivi de sites (CSS), qui se sont substituées aux comités locaux d'information et de concertation (CLIC) ? Si elles sont réglementairement tenues de se réunir au moins une fois par an, elles ne fonctionnent cependant pas partout correctement pour informer les populations sur les mesures de maîtrise du risque industriel et des nuisances. Comment s'assurer d'ailleurs d'une meilleure participation des habitants – au-delà des associations qui peuvent les représenter – vivant à proximité de sites industriels potentiellement dangereux ?

Enfin, les maires doivent-ils être, selon vous, davantage associés à l'élaboration des PPI, comme certains le réclament, dans le but de planifier des réponses supposées adaptées aux risques particuliers à chacun des sites industriels concernés ?

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Je vous remercie, monsieur le ministre, d'être avec nous ce matin. Dans la nuit du 25 au 26 septembre, les services de secours et les forces de l'ordre ont été mobilisés par l'incendie de l'usine Lubrizol. Une centaine d'agents de police ont sécurisé un périmètre de 500 mètres autour de l'usine.

Le plan particulier d'intervention a été déclenché par la préfecture à cinq heures du matin en raison d'un risque chimique. Il semble cependant que certains équipements de protection individuels, comme les masques filtrants de type FFP1 ou FFP2, n'étaient pas disponibles en nombre suffisant. Certains policiers ont manifesté les symptômes classiques que nous avons déjà observés : maux de tête, maux de gorge, étourdissements, nausées. Pouvez-vous nous indiquer si la mise à disposition d'équipements adaptés aux forces de l'ordre au cours de leurs interventions autour de l'usine Lubrizol a été suffisante ? De quelles données disposez-vous à cet égard ?

Les équipes mobilisées n'étaient par ailleurs pas équipées de masques : ne devrions-nous pas rendre systématiques de tels équipements dans les véhicules qui patrouillent régulièrement à proximité des sites industriels ?

On a également entendu que seulement trente combinaisons de protection NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique) étaient disponibles à Rouen : pouvez-vous nous confirmer ce chiffre ? S'il est juste, comment peut-on expliquer un si faible nombre dans un territoire caractérisé par un tissu industriel très dense ?

Je me fais à présent, monsieur le ministre, la porte-parole de ma collègue Stéphanie Kerbarh, qui souhaitait vous interroger sur la culture de la sécurité et la culture du risque. Le Comité pour le dialogue et la transparence a été installé en vue de répondre aux exigences d'une transparence totale telle que voulue par le Premier ministre. Mais pour que cette culture du risque puisse se développer en France, encore faut-il que l'information soit diffusée. Dans cette optique, quelles ont été les effets de l'instruction du Gouvernement en date du 6 novembre 2017 relative à la mise à disposition et aux conditions d'accès des informations potentiellement sensibles pouvant faciliter la commission d'actes de malveillance dans les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ? Cette instruction s'applique aux établissements « Seveso » comme aux autres ICPE soumises à simple autorisation.

Pouvez-vous nous indiquer si, dans le cas de Lubrizol, cette instruction a eu pour effet de priver les acteurs institutionnels, les élus locaux et les citoyens des données relatives à la quantité de matière stockée ainsi qu'aux dispositifs de surveillance du site avant l'incendie ?

Plus largement, pouvons-nous aujourd'hui considérer que la culture sécuritaire qui impose une confidentialité ou une restriction dans la transmission de l'information va à l'encontre de la culture du risque qui nécessite que l'information soit portée à la connaissance de l'ensemble des acteurs publics et des citoyens ?

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Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre présence. Au vu des premières conclusions que l'on peut tirer de cet événement et des témoignages que nous avons recueillis, notamment dans le périmètre habité de la ville du Petit-Quevilly, ne pensez-vous pas qu'il y aurait eu matière à déployer dans le périmètre rapproché un dispositif permettant d'informer les populations, voire de les évacuer ?

Auriez-vous des éléments à nous communiquer quant aux mesures de sécurité civile prises face à un possible effet domino par les entreprises voisines dans le périmètre, dont certaines relèvent de la nomenclature ICPE et des sites « Seveso » ?

N'y aurait-il selon vous pas matière à revisiter le régime des ICPE en rendant systématique le régime d'autorisation accompagné de contrôles périodiques réglementaires, compte tenu de ce que nous avons appris au sujet de l'entreprise Normandie Logistique ?

N'y a-t-il pas lieu également de réformer le régime de l'antériorité, dans la mesure où il s'appliquait à Normandie Logistique et où nous avons pu en constater les conséquences ?

Ne pensez-vous pas qu'il faudrait également réfléchir à la formation d'unités de défense contre l'incendie permanentes dans les usines « Seveso » ? L'idée d'arrêts techniques visant à conduire des contrôles obligatoires au sein des unités « Seveso », qu'elles soient classées en « seuil bas » ou « seuil haut », ne devrait-elle pas être étudiée, comme cela se pratique dans les centrales nucléaires ? De telles procédures pourraient accélérer la mise à jour des dispositifs de sécurité internes aux entreprises, et aider les intéressés à se les approprier.

La périodicité de la réévaluation des risques présentés par les entreprises Seveso, actuellement de cinq ans, me semble-t-il, ne pourrait-elle être écourtée ?

Enfin, ne pensez-vous pas qu'il y aurait lieu de réglementer l'information et la production des comptes rendus des réunions des comités de suivi, qui retracent la gestion courante de ces sites, afin qu'ils soient portés à la connaissance des populations concernées ?

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Nous avons tous, bien entendu, souligné le dévouement des policiers comme des pompiers qui sont arrivés et restés sur place, sans se poser de questions, au péril de leur vie.

Comme tous les Toulousains, j'ai une certaine connaissance des sites « Seveso », pour en avoir vécu une dramatique expérience. Je me suis moi-même rendu sur un site d'Esso qui se trouve au nord de ma circonscription de Haute-Garonne, ce qui m'a permis de dresser plusieurs constats.

Comment peut-on, à chaque incident, améliorer l'information des pompiers et des policiers concernant des méthodes d'action qui se renouvellent sans cesse et qui font appel à des moyens techniques de plus en plus sophistiqués ? Comment les informer des bonnes pratiques en cas d'incendie ?

J'ai par ailleurs été très étonné que l'entreprise Normandie Logistique ne soit pas informée de la dangerosité des produits qu'elle stockait dans son entrepôt. Les pompiers ou la police sont-ils informés des produits stockés dans ces lieux ou à leurs abords ?

J'ai arpenté ceux du site d'Esso que je viens d'évoquer : or j'ai constaté qu'il s'agissait d'une friche, avec des locaux désaffectés. Si l'entreprise est bien protégée par un grillage de 2,50 mètres de hauteur environ, à peu près en bon état, j'ai été stupéfait de voir que ses abords immédiats étaient en fait des lieux de squats présentant un réel danger pour les populations avoisinantes. Comment faire ? Ne pourrait-on recourir à la vidéoprotection ? J'ai été surpris que l'entreprise Normandie Logistique n'ait ni dispositif de vidéosurveillance ni personnel de garde de nuit. Ne peut-on pas améliorer tout cela en fonction de ce que les Rouennais et nous-même avons vécu ? Chaque incident de ce genre est l'occasion d'en tirer des leçons. La première d'entre elle, s'agissant de Lubrizol, est que le risque zéro n'existant pas, il faut informer les populations.

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Je n'ignore pas, monsieur le ministre, que certaines des questions qui vous ont été posées dépassent largement le périmètre de votre département ministériel.

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Je vais tenter de répondre d'abord de façon globale, puis par un propos plus affiné, à l'ensemble de vos questions, tout en veillant à ne pas sortir du champ de compétence de mon ministère. Bon nombre de vos questions relèvent effectivement d'autres ministères, et notamment de celui qui chapeaute les DREAL, pour lesquelles je suis donc formellement incompétent. Et mon opinion personnelle n'a que peu d'intérêt au regard de l'enjeu que représente la gestion de ce dossier et des conclusions que vous souhaiterez en tirer.

Il est en effet essentiel – c'est aussi important que ce qui s'est passé à Rouen dans la nuit du 25 au 26 septembre – de tirer des enseignements et de profiter de ce retour d'expérience pour formuler des propositions : c'est ce que nous faisons, de façon systématique et en lien avec le ministère de la transition écologique et solidaire, afin d'avancer sur ces sujets.

Cet incendie spectaculaire a notamment dégagé un très épais panache de fumée noire et provoqué des inquiétudes légitimes parmi la population. Il faut distinguer le temps de l'intervention, sur lequel vous êtes revenus, et celui de la gestion, et notamment de son volet communication.

Mon propos liminaire vise à vous donner un compte rendu précis et rigoureux des événements et sur la manière dont la crise a été gérée tant par les sapeurs-pompiers – je commencerai par eux – que par les services de l'État.

Trois cents sapeurs-pompiers se sont mobilisés pendant douze heures dans des conditions difficiles. Ils ont réussi à maîtriser les flammes et à empêcher qu'un suraccident ne se produise. Grâce un travail sans relâche de leur part, des faits beaucoup plus graves ont été évités : cela fournit d'ores et déjà une partie de la réponse, car c'est en raison de leur bonne connaissance du site, appuyée sur les dispositifs de sécurité, sur les pompiers privés de la société Lubrizol ainsi que sur ses salariés qui ont collaboré avec eux et effectué eux aussi un travail remarquable au cours de cette nuit afin de préserver l'essentiel, qu'ils ont pu définir un plan d'attaque de l'incendie et de gestion de la crise.

Ils ont ainsi, mais j'y reviendrai, pu préserver l'essentiel. Leur mobilisation exemplaire, que je tiens, après vous, à souligner de nouveau, a permis d'éviter un événement de bien plus grande ampleur.

Il est également important d'insister sur l'engagement des salariés de l'usine Lubrizol qui eux aussi ont eu un comportement héroïque pendant la nuit de l'incendie.

Rappelons, même si chacun l'a bien en tête, qu'il n'y a eu ni mort, ni blessé, ce dont nous ne pouvons, monsieur le député Pierre Cabaré, que nous féliciter. Vous avez évoqué des faits survenus à Toulouse et qui ont marqué notre mémoire ; de nombreux incidents de ce type se sont produits, qui auraient pu entraîner des dommages autrement plus importants si des évolutions législatives n'avaient été apportées au fil des ans,

Il arrive que l'on se livre à des comparaisons hasardeuses : or il me paraît primordial de tirer tous les enseignements de ce qui s'est passé à Rouen cette nuit et ce jour-là et d'avoir en tête que l'essentiel a été préservé. Nous avons eu affaire à un incendie de très grande ampleur et non à une catastrophe ayant provoqué des morts, comme cela fut le cas à Toulouse. Ce sinistre pose naturellement des questions : vous en avez posé certaines, et les habitants de Rouen et de ses environs, mais également de plus loin, jusque dans les Hauts-de-France, en ont posé d'autres, auxquelles il faut évidemment répondre.

Étant donné la nature de la crise, je souhaite vous rappeler comment les services et nous-mêmes intervenons habituellement dans ce type de circonstances.

À deux heures quarante-deux du matin, un incendie s'est déclaré dans l'usine Lubrizol. À trois heures quarante-cinq, un centre opérationnel départemental (COD) a été ouvert : il s'agit, comme vous le savez, d'un outil de gestion de crise à la disposition du préfet en cas d'événement majeur. Et le préfet a évidemment considéré que nous nous trouvions face à un événement majeur.

À cinq heures vingt-cinq, le préfet a décidé – j'y reviendrai – d'activer le plan particulier d'intervention (PPI). Ce dispositif est adapté et permet de définir l'organisation des secours face à un incident sur un site présentant une dangerosité particulière pour l'environnement et les populations, ce qui était précisément le cas.

Ce PPI présente pour le préfet l'intérêt de connaître les risques ainsi que la nature des produits susceptibles d'être présents sur le site : il s'agit d'informations précieuses et indispensables pour organiser l'intervention.

Je reviens en quelques mots sur celle des sapeurs-pompiers, qui s'est déroulée sans discontinuer pendant douze heures. À dix heures cinquante-cinq, le feu était circonscrit ; à treize heures, le feu était maîtrisé ; à quinze heures, il était éteint.

Par ailleurs, au-delà du SDIS de la zone, la réaction de l'ensemble du ministère a été immédiate, sous la responsabilité du directeur général de la Sécurité civile et de la Gestion des crises : le Centre opérationnel de gestion et d'information des crises (COGIC) a coordonné l'envoi de renforts nationaux, notamment deux hélicoptères de la Sécurité civile et les moyens en émulseurs de cinq départements voisins.

Un certain nombre d'informations ont circulé, concernant notamment des ruptures d'eau dont auraient été victimes les sapeurs-pompiers pendant leur intervention. Une rupture a effectivement eu lieu chez l'exploitant ; une enquête administrative est en cours pour en comprendre les raisons. Cependant, grâce au pompage de l'eau de la Seine, aucune rupture n'a été à déplorer dans le traitement de l'incendie. Il est important de le préciser car il a beaucoup été dit et écrit à ce sujet – mais pas dans le cadre des travaux de votre commission ou de celle du Sénat.

J'ajoute qu'il n'y a jamais eu aucun manque de solutions moussantes. En outre, des barrages flottants installés dans le cadre du plan POLMAR ont permis, dès la fin de matinée, d'empêcher une pollution de la Seine – ils ne l'étaient pas au moment où nous sommes arrivés sur place et nous avons expressément demandé qu'il soit remédié à cette situation dans les meilleurs délais, ce qui a été fait.

Au total, 11 000 mètres carrés du site ont été détruits sur un total de 140 000. Les bâtiments administratifs et les outils de production ont été préservés, ce qui mérite d'être salué compte tenu de la gravité du sinistre. La mobilisation des femmes et des hommes a été remarquable. Surtout, un suraccident par l'effet domino lié à la présence d'autres sites industriels à proximité, comme l'a indiqué M. Wulfranc, a été évité. Là encore, je précise que sous l'autorité du directeur des opérations des sapeurs-pompiers, tout a été organisé pour prendre ce risque en compte et éviter tout effet domino.

Tout au long de l'incendie, un épais nuage de fumée noire s'est formé et propagé. Il nous est apparu immédiatement que nous devions connaître la nature des particules qu'il contenait et leur éventuelle dangerosité pour les populations. Un réseau de mesures a donc été immédiatement mis en place par les sapeurs-pompiers sur vingt-six points, dans l'axe de propagation du panache de fumée.

Dès quatre heures deux du matin, le SDIS a indiqué qu'il était nécessaire de veiller au confinement des personnes fragiles et notamment de fermer certains établissements scolaires. Leurs directeurs ont donc été contactés.

Un des premiers enseignements que nous devons tirer est la nécessité d'une définition précise et de l'utilisation du bon mot : un confinement n'est pas une mise à l'abri. Des mots différents ont été utilisés, qui n'ont pas forcément le même sens. Peut-être en tirerez-vous certaines préconisations. Le vocabulaire est en effet essentiel dans la mesure où, au-delà même de l'information, il doit déterminer des comportements.

À cinq heures cinquante-cinq du matin, il a été décidé d'envoyer un laboratoire mobile de la Sécurité civile, basé à Nogent-le-Rotrou. Ensuite, preuve de l'engagement et de la mobilisation complète du ministère, un autre appareil du Laboratoire central de la Préfecture de police a été envoyé sur place. Ces laboratoires mobiles ont procédé à l'analyse des prélèvements réalisés par les sapeurs-pompiers pendant les opérations, et ce jusqu'au vendredi.

Leurs résultats ont mis en évidence la présence dans les fumées d'hydrocarbures aromatiques polycycliques, de composés organiques volatils et soufrés. Les concentrations de ces composés, présents généralement dans les émissions de gaz d'échappement automobiles, ne dépassaient pas les seuils d'un pic de pollution urbain.

Notre vigilance s'est maintenue et le préfet a pu compter sur le soutien permanent de tout le ministère. Le COGIC en particulier a renforcé son organisation dans la nuit.

Compte tenu de la localisation du site et du panache de fumée, les zones de défense et de sécurité nord et ouest ont également été sollicitées afin d'évaluer les impacts possibles de l'incendie sur leurs territoires respectifs dans le souci commun de protection des populations. Enfin, le COGIC a permis d'assurer la bonne circulation de l'information sur le plan interministériel.

Je tiens également à signaler que les sapeurs-pompiers disposaient de moyens de protection adaptés lors de leur intervention et qu'ils bénéficient aujourd'hui encore d'un suivi sanitaire très rigoureux ; j'y reviendrai à la fin de mon intervention. Tel est également le cas des fonctionnaires de police qui sont intervenus dans un rayon de 500 mètres autour du sinistre.

J'en viens maintenant à la question de l'information des habitants et des élus.

Le code de la sécurité intérieure (CSI) n'impose pas de média précis pour la diffusion des informations, ce qui est une bonne chose. Vous aurez certainement l'occasion d'y réfléchir, mais il me semble qu'écrire depuis Paris, depuis l'Assemblée nationale et le Sénat, ce que le préfet doit faire en termes de communication est toujours une gageure, et donc un risque ! Il est nécessaire de laisser à son appréciation, tout en l'accompagnant, le bon médium à utiliser. Le préfet a choisi une information par la radio dès cinq heures quarante-cinq du matin et a décidé de ne pas actionner immédiatement les trente et une sirènes rouennaises.

Cette décision a pu susciter un débat, mais elle se fonde sur un diagnostic pragmatique de la situation. Pendant les heures qui ont suivi le début de l'incendie, il importait que les populations restent confinées au maximum. Étant donné l'heure nocturne, le plus simple était de les maintenir chez elles plutôt que de risquer de créer des mouvements de panique dans toute la ville. Cela répond à l'une de vos questions, monsieur le député Wulfranc : une évacuation n'était pas nécessaire pour protéger les populations directement concernées ; pire, elle aurait pu créer un mouvement de panique qui aurait nui à l'intervention de nos sapeurs-pompiers.

L'appréciation du préfet, sur la base des informations dont il dispose, n'en demeure pas moins toujours délicate : faire un « RETEX » (retour d'expérience) est toujours confortable, mais gérer la situation en temps réel ne l'est pas. Les faits ont montré qu'il a pris la bonne décision. Quoi qu'il en soit, la question de l'information, de la communication et des meilleurs moyens à utiliser doit être posée et je ne doute pas que nous y reviendrons. En l'occurrence, le préfet a fait le bon choix. C'est donc un peu plus tard, un peu avant huit heures, que les deux sirènes les plus proches du site ont été actionnées, afin de mettre en garde les populations voisines et de confirmer les messages radio transmis précédemment.

S'agissant des élus, les maires des douze communes concernées par le panache de fumée de vingt-deux kilomètres – non ceux de l'ensemble du département - ont été prévenus dès trois heures trente du matin. Ce signalement a été fait directement par téléphone aux communes à proximité immédiate, puis à celles de la cuvette rouennaise en fonction de l'orientation du vent – nord-est à ce moment-là.

Un peu plus tard, à quatorze heures vingt-deux, Météo France n'étant pas en mesure d'assurer avec certitude la trajectoire du panache de fumée, le préfet a choisi de prévenir la totalité des maires du département par une seconde alerte, plus large, à travers le dispositif d'envoi de messages GALA, mais peut-être un peu tard, ce qui explique une partie des questionnements légitimes des élus.

En outre, dès la première journée, le préfet a réalisé cinq conférences de presse, assurant ainsi une information complète et continue des populations.

De mon côté, je me suis rendu sur place, entre onze heures quinze et quatorze heures trente. J'ai pu assurer les forces de la Sécurité civile mobilisées et les populations de notre soutien. J'ai fait part des premiers résultats d'analyses dont nous disposions – la première fois vers huit heures, puis en fin de matinée – et ils étaient rassurants. Il importait de communiquer sur ce point afin de ne pas accroître l'inquiétude et que la panique ne gagne pas en laissant croire que l'on taisait un certain nombre de risques.

Je souhaite également souligner combien cet événement a montré l'importance prise par les rumeurs et les fausses informations qui se répandent sur les réseaux sociaux. Une partie conséquente des informations relayées sur cet événement était erronée, voire, inventée et propice à effrayer les populations. Je pense, par exemple, à cette vidéo montrant de l'eau noire sort d'un robinet, qui a été visionnée plus d'un 1,5 million de fois : elle n'avait en réalité aucun lien avec l'événement. Je pense également à cette rumeur selon laquelle le préfet avait mis son fils à l'abri au Havre, alors qu'il n'a pas d'enfant… Ce qui n'a pas empêchée la rumeur de continuer à circuler, laissant entendre que nous avions bien quelque chose à cacher !

Tout cela est extrêmement instructif sur la manière dont nous allons devoir gérer à l'avenir la communication de crise. Et objectivement, cela complique l'exercice. Quand la parole publique d'un préfet, d'une autorité médicale ou autre, est systématiquement mise en cause et qu'elle n'a pas plus de poids que celle du réseau social dans lequel nous baignons - vous savez que les algorithmes vous amènent à n'avoir qu'une seule vision, liée à vos pratiques –, on comprend à quel point il devient difficile de gérer ce genre de situation. Nous devons en tirer des enseignements.

Deux choses expliquent que les dégâts aient été limités et qu'il n'y ait pas eu de victimes.

D'abord, le fait que nous ayons réagi et adapté nos méthodes en fonction des enseignements du passé. Les crises de Sandoz à Bâle en 1987, de Rhône-Poulenc-Roussillon en 1985, de Protex en 1986 et, bien entendu, d'AZF en 2001, ont eu des conséquences majeures, mais nous ont permis d'apprendre et de nous améliorer. C'est sans doute cette capacité à tirer des enseignements du passé qui nous a permis d'éviter le pire. Nous devrons à nouveau procéder ainsi après Lubrizol ; c'est d'ailleurs ce que nous faisons systématiquement en organisant une mission d'analyse avec l'Inspection générale de l'administration du ministère de l'intérieur et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), mais en procédant la plupart du temps à froid, pas tout de suite. Vos travaux nous y aideront.

Ensuite, c'est parce que nous avons agi vite, dans les règles et collectivement, que la situation a pu être maîtrisée. Mais cela ne saurait nous exonérer, comme à chaque fois, comme pour chaque crise, d'un retour d'expérience rigoureux. J'attends de vos travaux et des conclusions de la mission d'inter-inspection un certain nombre d'orientations. En l'état, j'en vois d'ores et déjà deux.

L'usage de GALA, qui permet d'informer les maires, doit être plus encadré, plus systématisé, amélioré. Nous devons également chercher des solutions d'alerte plus efficaces et plus adaptées à la société et aux usages actuels ainsi que des alternatives aux sirènes – c'était votre question, monsieur le président. Celles-ci sont nécessaires en raison de leur impact sur notre conscience collective, mais elles ne suffisent pas. Notre réflexion sur le Cell broadcast s'inscrit dans ce sens.

Voilà en quelques mots, la description de la situation. Je vais maintenant tenter de répondre précisément aux questions que vous m'avez posées.

L'ensemble des sapeurs-pompiers ayant participé aux opérations était pourvu dès le début de l'incendie des équipements réglementaires de protection. Il ne m'a pas été fait cas de quelque carence que ce soit due au nombre d'équipements disponibles : tous étaient donc protégés. L'ensemble des personnels qui se sont relayés sur le site depuis le jeudi 26 avril, des premières interventions à l'heure actuelle, fait l'objet d'un suivi médical individualisé. Un protocole spécifique a été établi par le service de santé du Service départemental d'incendie et de secours. Ce sont ainsi 800 ordonnances de soin qui ont été délivrées.

Un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) s'est tenu en session extraordinaire le 1er octobre et trois réunions avec les sapeurs-pompiers ont été organisées dans le cadre d'un comité consultatif. Les analyses, évidemment, se poursuivent : 357 comptes rendus d'examen interprétés et retournés aux agents montrent qu'il n'y a aucun problème pour 245 d'entre eux, pour 106, des variations minimes à modérées par rapport aux valeurs de référence définies par les laboratoires, ces variations pouvant être d'ailleurs liées à l'état de santé préexistant, même si on ne peut l'établir ; il faudra surveiller les évolutions, d'où les contrôles à un mois et d'autres par la suite. Pour six agents enfin, des variations importantes par rapport à la normale ont été constatées, lesquelles, là encore, peuvent être liées à l'état de santé préexistant. Quoi qu'il en soit, un suivi s'impose.

Les premiers fonctionnaires de la police nationale qui sont intervenus sur site dès deux heures quarante-trois ne portaient pas de masque ; ils ont assuré la sécurité d'un périmètre de 300 mètres élargi ensuite à 500 mètres. Je précise qu'ils n'étaient pas sous le vent ni exposés directement aux fumées, contrairement aux sapeurs-pompiers.

Progressivement, nous avons défini dix-sept points de barrage, dont trois sur la rive droite. Compte tenu des odeurs d'hydrocarbure, les policiers présents ont été équipés dès huit heures trente de masques papier de type FFP2. Ils n'en étaient pas équipés préalablement et – c'est le sens de votre question, madame la députée Vidal – nous devons en tirer les enseignements afin qu'ils le soient désormais plus rapidement. Même s'ils n'ont pas été exposés au risque « fumée », la forte odeur persistante aurait justifié un équipement plus précoce. Cette mesure de prévention aurait été bien venue et nous en tirerons donc les enseignements.

Tous les policiers qui sont intervenus ont pu consulter le médecin de la prévention : 303 fonctionnaires de police sur les 667 présents intervenant à des proximités et des degrés divers ont vu un médecin ; 228 bilans biologiques ont été prescrits ; 150 résultats nous sont parvenus sur lesquels seuls trois montrent des résultats non conformes aux moyennes, sans que l'on sache si cela est lié ou non à l'incendie de Lubrizol.

Néanmoins, à notre connaissance et dans les limites du secret médical, aucun fonctionnaire n'a eu un arrêt maladie en lien direct avec cet événement. À ce jour, on ne compte aucune déclaration de maladie professionnelle qui lui soit liée. Je précise que six fonctionnaires de police ont porté plainte contre X ou contre Lubrizol pour mise en danger ou blessures involontaires, mais dans le cadre d'une autre procédure.

J'en viens à la nature des moyens mobilisés et, en particulier, la complémentarité entre le local, les départements voisins, le national et le privé. Trois sapeurs-pompiers ont été mobilisés, dont 188 du SDIS 76 – ce qui représentait 101 véhicules – et 112 des SDIS voisins. Tous les SDIS n'ont pas un même niveau d'équipement, lequel monte néanmoins en puissance en fonction du risque de leur zone d'intervention. En appui, nous avons disposé de moyens zonaux, interzonaux ou nationaux de la Préfecture de police de Paris ou de la Direction générale de la prévention des risques – j'ai évoqué les deux véhicules d'analyses chimiques. Un véhicule de détection et d'identification de prélèvements des unités militaires de la sécurité civile, en l'occurrence celui de la Direction générale, a également été mobilisé.

Pour conforter les moyens d'analyse, nous avons envoyé assez rapidement dans la matinée le binôme du Laboratoire central de la Préfecture de police, deux hélicoptères de la sécurité civile, des berces à émulseur et trois bateaux remorqueurs incendie dont deux de la société maritime Vicente Boluda.

Cela m'amène à évoquer les moyens privés. Chaque entreprise doit évidemment mettre en place son propre système de défense et d'intervention dans le cadre de son PPI. En l'occurrence, l'ensemble des entreprises à proximité, par solidarité et non en raison du risque d'être touché, s'est mobilisé. Ce fut le cas de Total, Borealis, ExxonMobil, Rubis International, CIM Le Havre, Carré, DRPC – Dépôt Rouen Petite Couronne – du groupe Bolloré, avec cinq engins de lutte contre les incendies.

Au total, près de 900 sapeurs-pompiers ont été mobilisés. Sans oublier l'appui national du COGIC, tant sur le plan des matériels que de la gestion de la crise – vingt-six kilomètres de tuyaux ont été mis à disposition pour gérer les pompages depuis la Seine.

Je n'entrerai pas dans le détail de la planification. Des questions m'ont été posées sur les PPI des entreprises voisines, qui n'entrent pas dans le champ de mes compétences ; mais, dans ses grandes lignes, elle repose sur trois outils complémentaires : d'abord, les plans d'opération interne à la charge des exploitants qui organisent la réponse interne de l'établissement en cas d'accident. Ensuite, les plans particuliers d'intervention qui, sous l'autorité du préfet, organisent quant à eux la mobilisation et la coordination de tous les acteurs indispensables à la gestion de la crise lorsqu'elle est importante et qu'elle risque d'avoir un impact sur les populations ou de présenter un risque de pollution environnante important ; enfin, les plans communaux de sauvegarde (PCS), qui organisent la réponse de proximité.

Les PPI ont vocation à préparer les directeurs des opérations à répondre à toutes ces situations de crise et sont suivis très attentivement par d'autres services que ceux du ministère de l'intérieur. Je ne me prononcerai donc pas.

Les PCS sont globalement bien suivis, mais 23 % des communes n'en ont pas encore élaboré. Je demanderai aux préfets non de mettre la pression, car je ne crois pas que ce soit la bonne façon de faire, mais de veiller à encourager les maires ou les EPCI à les déployer. Cet outil, créé par la loi de modernisation de la Sécurité civile de 2004, a une utilité opérationnelle est manifeste tant en matière d'information que de gestion des populations – lorsqu'elles doivent être déplacées, par exemple.

La question a été posée des conditions d'application de la directive européenne du 11 décembre 2018 relative à la gestion et à l'information des populations dans les zones de danger. Certains pays, je l'ai dit, ont opté pour la diffusion cellulaire de type Cell broadcast sans pour autant abandonner d'autres moyens, comme les sirènes. Nous devons nous inspirer de ce dispositif pour renforcer nos moyens d'information mais, j'y insiste, sans qu'il soit besoin d'en faire une préconisation législative, car les critères sont nombreux. Nous devons promouvoir une gestion d'alerte « multicanal » associant sirènes, diffusion cellulaire téléphonique, médias TV et radios, réseaux sociaux.

Nous savons par ailleurs que, dans la matinée, c'est le décès de l'ancien Président de la République Jacques Chirac qui a très rapidement capté toute l'attention des médias nationaux, ce qui a contribué au sentiment de profond abandon de la population rouennaise qui, d'un coup, a eu l'impression d'être rayée de la carte médiatique, et donc de la carte tout court… Nous devons donc utiliser tous les médias possibles, au sens le plus large du terme.

J'ai répondu à vos questions sur la santé des pompiers, monsieur le président, ainsi que sur les policiers et le matériel.

S'agissant des sites classés « Seveso », les mesures particulières de surveillance ne relèvent pas de mon champ d'intervention.

J'en viens aux instructions que nous avons pu donner au préfet. Mes recommandations ont été assez simples : information et transparence. Il a donc réalisé cinq points presse dans la journée, tant il est vrai que l'emballement est toujours plus fort que la réalité. Je lui ai posé un certain nombre de questions sur place, mais il ne m'avait pas attendu. Ainsi, lorsque je me suis rendu sur la darse, où il y avait un risque que l'eau utilisée pour éteindre l'incendie se déverse dans la Seine et la pollue, je lui ai demandé ce qu'il en était du déploiement du plan POLMAR : il n'était pas encore déclenché mais le matériel était déjà en train d'arriver, de même qu'un premier bateau-pompe, suivi d'un second, au moment précis où je lui demandais ce qu'il se passerait si le premier tombait en panne… Il avait donc déjà la réponse. Cela en dit long de la modestie de la fonction ministérielle, mais surtout de la qualité de ces femmes et de ces hommes tous des opérationnels sur le terrain, qui souvent n'ont pas besoin d'instructions ! En l'occurrence, le préfet avait besoin d'un accompagnement, ce que nous avons essayé de lui apporter.

Nous devons toutefois aider les préfets, qui sont un peu nos officiers généraux, en leur fournissant un cadre méthodologique qui les protège afin qu'ils n'oublient rien. Cela fait partie des éléments de « RETEX » que nous devons mettre en oeuvre.

Nous avons abordé la question des sirènes et de la complémentarité, monsieur le rapporteur Adam. Je lirai bien sûr attentivement vos conclusions en la matière. À l'évidence, les sirènes ne suffisent pas. Nous avons remis en état le Réseau national des sirènes, qui doivent avoir une fonction opérationnelle exceptionnelle, mais reconnaissons que nous sommes assez peu nombreux à savoir correctement interpréter leurs signaux.

Cela signifie que le préfet a raison de ne pas se déresponsabiliser en jugeant que, parce qu'il a appuyé sur un bouton, l'information est passée. Nous connaissons les effets contre-intuitifs que cela peut générer, notamment s'agissant des mesures de confinement ou de la mise à l'abri que j'ai évoquées. Tout cela doit donc être précisé.

Globalement, je vous rejoins sur la culture du risque, peut-être même en ce qui concerne les sites nucléaires. J'ai coprésidé une commission locale d'information (CLI) sur un site nucléaire pendant quelques années. Je crois que, même sur cette question-là, la prise de conscience n'est pas la même. Plus globalement, la culture des risques naturels est inexistante, la mémoire du risque absente. Je pense aux inondations ou aux épisodes cévenols. : nous ne réfléchissons même plus à mémoire d'homme face à ces phénomènes pourtant récurrents, qui risquent d'ailleurs de l'être encore plus. Il est donc essentiel de travailler à cette culture du risque.

Du coup, les DICRIM et les PCS sont des outils qui doivent nous permettre d'avancer. Une sorte de guide méthodologique existe mais, surtout, les sociétés privées qui travaillent pour les communes ou les établissements qui les sollicitent disposent d'un vrai savoir-faire.

L'information des maires, dans la gestion globale, n'a pas été adaptée ni suffisante. En fait, il n'était pas nécessaire d'aller au-delà ; mais sur le plan psychologique, elle aurait été bienvenue. Mais l'ensemble des services était mobilisé, ce qui explique que tout n'ait pas été parfait, puisque nous avons suscité l'inquiétude des maires alors qu'ils auraient dû être les premiers à pouvoir rassurer la population. Vous m'avez posé la question de leur place dans l'élaboration du PPI : nous devons de toute façon les associer, c'est la volonté constante du ministère, y compris dans l'élaboration des plans et le déroulement des exercices de gestion de crises. Je rappellerai aux préfets la nécessité d'en organiser le plus souvent possible et de s'assurer de la réelle mobilisation des maires, de leurs équipes municipales et services techniques.

Je crois avoir répondu à Mme Vidal sur les mesures de protection des policiers et des pompiers ? Vous m'avez également interrogé, madame la députée, au nom de votre collègue, sur la culture de la sécurité. Je crois là aussi à la transparence totale. Vous avez posé une question précise sur la circulaire de septembre 2017 du ministère du ministère de l'intérieur et du ministère de la transition écologique et solidaire visant à gérer le risque terroriste : s'il peut être dangereux d'indiquer à de potentiels terroristes où sont situés les lieux contenant des matières dont ils pourraient se servir pour provoquer d'importants dégâts, nous n'en devons pas moins jouer le jeu de la transparence. En l'occurrence, la circulaire s'appliquait, mais le préfet a choisi de communiquer la totalité des informations dont nous disposions sur le type de matériels présents et c'était nécessaire. Les pompiers, pour faire simple, savent, eux, ce qu'il en est et ne se voient pas opposer quelque secret que ce soit. Le but n'est pas de cacher quoi que ce soit aux citoyens, aux riverains et aux élus, mais de protéger notre pays du risque terroriste.

Monsieur Wulfranc, je vous ai répondu sur l'effet domino. Sur le régime de l'intériorité et les arrêts techniques de contrôle obligatoire, je pourrais émettre un avis, mais cela ne relève pas de mon champ de compétence, pas plus que les procédures de contrôle et du comité de suivi. Vos questions n'en demeurent pas moins légitimes.

Pour ce qui est de l'information et de la formation, nous avons, je l'ai dit, beaucoup appris des sinistres précédents, en particulier de celui d'AZF. Nous avons aussi accru le nombre d'obligations : les entreprises doivent être les premières à investir massivement – cela peut d'ailleurs faire partie de vos préconisations – dès lors qu'elles présentent un risque potentiel.

Nous avons tous en tête AZF, mais, aussi Bhopal, car certaines grandes entreprises, et donc les puissances occidentales, ont fait en sorte d'exporter les risques. Nous devons avoir conscience que si notre société a besoin d'un certain nombre de produits, notamment pétroliers, elle doit aussi assumer leur production et les risques qui y sont liés. Se pose dès lors la question de la localisation : en l'occurrence, Lubrizol existait bien avant l'urbanisation qui s'est développée tout autour. Nous devons donc aussi accepter de vivre avec le risque industriel ; mais il faut le prévenir, et non chercher à le renvoyer ailleurs, en particulier à l'étranger – c'est en tout cas un point de vue personnel.

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

En matière d'information et de formation, les « RETEX » et la formation permanente de nos pompiers permettent vraiment d'améliorer les choses, de même que la Direction générale de la prévention des risques, les centres de formation territoriaux ou, sur le plan national, l'ENSOP, l'École nationale supérieure des officiers de police.

J'ai répondu à la question du stockage des produits et de l'information qui y est liée. La protection des abords sera bien évidemment prise en compte : l'enquête, je l'espère, permettra d'expliquer comment s'est propagé l'incendie sur le site de Lubrizol, mais je ne dispose pas d'éléments permettant de me prononcer aujourd'hui. La question de la protection du premier cercle et du second cercle de proximité doit être posée même s'il y a toujours une limite, celle du champ lui-même.

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Monsieur le ministre, comme nous tous, vous avez salué la qualité de l'intervention des pompiers. C'est bien, mais ce serait encore mieux de les écouter quand ils demandent une augmentation de leur prime de feu et de leurs effectifs, afin de garantir cette qualité d'intervention dans la durée.

Dans la nuit de l'incendie, on a finalement jugé préférable de ne pas informer la population pour éviter la panique, ce qui laisse à penser que le premier réflexe des gens serait d'engorger les routes plutôt que de rester confinés. J'avoue que cette philosophie me pose question. Quel est votre sentiment ?

Je suis également très étonné que le 27 septembre au matin, soit vingt-quatre heures après l'incendie, le préfet de Seine-Maritime ait expliqué sur France Bleu qu'il n'y avait pas de risque de « toxicité aiguë » – encore aurait-il peut-être fallu expliquer ce qu'il entendait par « toxicité aiguë » – et donc pas lieu de s'équiper de masques. Or, au même moment, France Bleu montrait des policiers équipés de masques, à côté d'une population qui n'en avait pas ! Vous comprendrez la perplexité et les interrogations, d'autant que les études fines de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) n'ont pas été rendues publiques avant le lundi 30 septembre. En l'espèce, n'a-t-on pas ignoré le principe de précaution ? À force de ne pas vouloir entraîner de panique, n'a-t-on pas créé pour le moins un problème de communication ? Il ne s'agit pas de pointer du doigt le préfet de Seine-Maritime, mais de tirer des enseignements pour le futur.

D'autant plus que, le lundi 30 septembre, le préfet de l'Oise expliquait qu'on ne sait pas ce qu'il y a dans les produits, qu'il peut s'agir de métaux lourds, de dioxines, de plomb, de polychlorobiphényles (PCB), etc. Il semblait beaucoup plus précautionneux, voire alarmiste. Ces discours dissonants de ces deux préfets interpellent. Les gens se demandent inévitablement lequel est dans la vérité. J'aimerais avoir votre avis là-dessus : il n'y a là ni vidéos mensongères ni fake news, de deux préfets de deux départements limitrophes qui tiennent deux discours différents. Cela amène à tout le moins à se poser des questions…

Vous avez également reconnu des difficultés dans la communication vis-à-vis des maires, tout en ajoutant que, si elle était psychologiquement nécessaire, elle ne l'était pas pour le bon fonctionnement du dispositif. Cette phrase également m'étonne : il me semble au contraire que l'on doit s'appuyer sur les maires. Nous en avons reçu, dont celui du Petit-Quevilly : s'ils avaient été informés plus rapidement et plus en détail, cette affaire aurait été mieux gérée.

Vous nous avez indiqué que votre périmètre de compétences ne comprenait pas les interventions de la DREAL, mais je souhaite malgré tout vous interroger sur la « préfectorisation » du système en cas de crise. Ce point nous a été remonté dans le cadre d'une autre mission par tous les syndicats du ministère de la transition écologique et solidaire. En gestion de crise, le préfet prend la main et exerce des pressions de nature différente sur les services déconcentrés. Quel est votre sentiment ?

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Monsieur le ministre, je voudrais revenir sur le plan POLMAR. Notre collègue Xavier Batut vous aurait probablement posé la question s'il avait pu être présent ce matin. Il y a de nombreuses semaines, bien avant l'incendie de Lubrizol, il avait alerté le ministère de l'intérieur sur le transfert du plan POLMAR de Normandie en Bretagne. Or l'incendie de Lubrizol nous a ouvert les yeux sur l'importance de sa présence en Normandie pour garantir son déploiement rapide et éviter une pollution de la Seine.

Lorsque nous avons interrogé les sapeurs-pompiers, ils nous ont fait part de la nécessité de disposer d'un nombre important d'émulseurs sur ce type d'incendie : leur déclenchement simultané permet de l'éteindre rapidement. Les émulseurs sont-ils bien répartis sur le territoire et en nombre suffisant pour gérer ce type de sinistre ?

Je souhaitais également vous interroger sur le Cell broadcast. Une directive européenne oblige la France à mettre en place des éléments de communication et d'information de la population d'ici à 2022. Parmi les différents outils envisageables figure le Cell broadcast. En vous écoutant, j'ai l'impression que le choix n'a pas encore été arrêté. Pouvez-vous le confirmer ? Si tel est le cas, à quel moment l'effectuerez-vous ?

Hier, nous avons auditionné des journalistes. Ils estiment que le fait que l'État soit peu présent sur les réseaux sociaux participe à la prééminence des fausses informations sur les vraies. Qu'en pensez-vous ?

Les journalistes semblent également favorables à la désignation d'un interlocuteur privilégié au sein de la préfecture, qui assurerait un lien constant avec eux et pourrait répondre à leurs questions avec une plus grande réactivité. En effet, la logique des conférences de presse les oblige parfois à attendre plusieurs heures pour obtenir des réponses à certaines questions. Si la préfecture et le préfet sont efficaces pour gérer une crise, leur communication en situation de crise peut parfois être mal interprétée par la population dans la mesure où elle fait appel à des termes techniques, parfois mal compris. Ne devrait-on pas mieux former les préfets, voire déléguer la gestion de la communication à des experts lors d'une crise, comme c'est le cas dans d'autres pays – aux États-Unis par exemple ?

Vous avez été élu local avant d'être député, puis ministre. Pensez-vous que les communes sont le bon niveau pour gérer les DICRIM ? Ne faudrait-il pas en transférer la gestion aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ?

Enfin, menez-vous des exercices de simulation d'évacuation de grandes agglomérations ? La Métropole de Rouen compte près de 500 000 habitants. Quelles sont les procédures pour évacuer une telle métropole en quelques heures ?

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Monsieur le ministre, avez-vous trace dans vos archives d'un drame semblable dans sa complexité, avec autant de produits différents, son importance et sa situation, en plein centre-ville ? Quels enseignements pouvons-nous en tirer ? D'autres usines sont dans la même situation que celle de Rouen – diminution des effectifs et du coup de la surveillance, vétusté des équipements ? Cet événement sera-t-il l'occasion d'actualiser notre mode de préparation et d'intervention ?

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Je voudrais revenir et préciser la question que j'avais posée dans mon propos liminaire : les sites « Seveso » font-ils l'objet d'une surveillance spécifique de la police nationale ? Vous avez rappelé les termes de la circulaire pour ce qui est des risques terroristes. Au regard des risques d'explosion et de l'existence de lieux de stockage qui, par nature, ne relèvent pas du régime de surveillance « Seveso », existe-t-il un dispositif spécifique face aux risques d'intrusion ?

De quels moyens disposons-nous pour lutter, ou au moins répondre, aux fausses informations ? Dans le domaine des risques naturels, des sanctions sont prévues contre ceux qui diffusent des rumeurs visant à faire croire à l'existence de cavités souterraines alors qu'elles n'existent pas. Nous disposons d'ores et déjà d'un arsenal juridique propre à dissuader celles et ceux qui chercheraient à diffuser de fausses informations dont on mesure parfaitement les conséquences sur l'opinion publique, mais aussi pour l'organisation des secours et la bonne compréhension d'un événement. Le jugez-vous suffisant dans le cas qui nous occupe ?

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Le lundi soir, lors de sa visite à Rouen, le Premier ministre a semblé – j'utilise le terme à dessein – envisager une déclaration de catastrophe technologique. Il a indiqué vouloir d'abord vous consulter, ainsi que d'autres acteurs. Cette déclaration n'a jamais été publiée. Compte tenu de la dimension et des conséquences de cette catastrophe, heureusement non mortelles, ne devrait-on pas revoir les conditions de déclaration de catastrophe technologique ?

Certains maires nous ont fait part de la difficulté des particuliers à déposer plainte dans les bureaux de la police et de la gendarmerie – démarche pourtant assez naturelle en de telles circonstances. Ne conviendrait-il pas de « protocoliser » le dépôt de plaintes ou de mains courantes dans de telles situations, tant auprès de la police que de la gendarmerie ?

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Monsieur Coquerel, nous avons reçu quatre fois en un mois les représentants des sapeurs-pompiers, mais il se trouve que je ne suis pas homme à dépenser l'argent des autres : ce sont les SDIS, et donc les départements et les communes, qui paient la prime de feu ! J'ai exposé une règle claire aux pompiers et aux financeurs : il est possible d'augmenter la prime de feu, mais je laisse le soin à ceux qui paient, autrement dit aux employeurs, de décider. On peut toujours rêver d'un Grand soir où le ministre de l'intérieur engagera les dépenses des collectivités, mais ce n'est pas ma culture ! Je suis attentif à respecter leur autonomie. Je nous y invite d'ailleurs tous… Il est important de rappeler que ce que l'on déclare a des conséquences sur les autres.

Je fais la différence entre informer et demander l'évacuation. Je ne soupçonne pas les Français d'être totalement couillons… L'information fournie précisait qu'il n'y avait pas de risque sanitaire établi, donc qu'il n'était pas nécessaire d'évacuer en urgence et de partir en courant – ce que nos concitoyens n'ont d'ailleurs pas fait.

Le préfet a effectivement indiqué qu'il n'était pas nécessaire de porter un masque pour sortir dans Rouen, tout en invitant les Rouennais, autant que possible, à ne pas sortir. Mais de l'autre côté, les policiers en faction qui ont dû rester immobiles dans le périmètre de trois cents ou cinq cents mètres, ont été pendant des heures exposés au risque. Il faut faire la différence entre ceux qui sont sortis ponctuellement dans Rouen, auxquels s'adressait le message du préfet, et ceux qui sont restés durant des heures en faction à proximité du site, et qui avaient besoin d'être protégés : cette distinction a également été comprise par les Rouennais.

Concernant les maires, j'ai précisé que je faisais la différence entre les instructions à caractère opérationnel qui leur ont bien été transmises et les informations dont ils avaient besoin pour jouer leur rôle de relais d'opinion. Ce sont ces dernières qui ont fait défaut.

C'est tout le problème de la communication, monsieur le rapporteur : les journalistes que vous rencontrez veulent de l'information en flux continu pour leur direct. Mais il faut savoir dire « On ne sait pas », et les journalistes doivent l'accepter. Quand les préfets ont une information, ils la donnent ; ils sont formés pour cela et ils ont leurs équipes de communication. Dans le cas d'événements de ce type, ils peuvent aussi compter sur l'appui technique de l'administration centrale. Mais je sais l'impatience des médias qui veulent de l'information en flux continu et leur talent à débattre ensuite d'un mot pendant des heures et à multiplier les tables rondes sur le sujet… Je mesure aussi la nécessité pour le préfet, quand il parle cinq fois, de ne parler que cinq fois – cela fait déjà beaucoup. Cet équilibre n'est pas forcément simple à gérer, notamment avec les journalistes, mais il ne faut surtout pas céder à la dictature de l'information permanente.

En revanche, et c'était le sens de votre question, il faut aussi savoir utiliser les outils de communication que constituent les réseaux sociaux. Je crois vraiment que tous les préfets doivent par exemple avoir un compte Twitter. Les journalistes les consultent beaucoup. Ces comptes permettent de diffuser toutes les informations dont on dispose au fur et à mesure. Jouer la transparence, alimenter le Moloch médiatique est une bonne chose, mais vous devez aussi nous aider à faire comprendre que trop d'informations tuent l'information. Les journalistes doivent être capables d'attendre quelques heures avant de disposer d'informations nouvelles, à moins de vouloir produire de l'information nouvelle en soi, ce qui est une « connerie » – pardon, une bêtise !

Un seul exemple pour illustrer mon propos. Le lendemain de l'incendie, j'étais invité de la matinale sur RTL où je déclare : « Au moment où je vous parle, la situation est maîtrisée. Le panache de fumée fait vingt-deux kilomètres de long sur six kilomètres de large » – je suis le premier à donner cette information. Je poursuis : « Comme tout panache de fumée, il porte en soi un certain nombre de particules, un certain nombre de produits qui peuvent être dangereux pour la santé. Mais, selon les premières analyses qui ont été réalisées dès cette nuit, et qui se sont poursuivies ce matin, il n'y a pas de dangerosité particulière même si, nous le savons, l'inhalation des fumées présente en soi sa part de dangerosité. Un véhicule spécial a été déplacé depuis la plaque parisienne et des études complémentaires sur les particules sont en cours d'examen. Nous aurons les résultats dans les heures qui viennent » Lors de mon propos liminaire, j'ai indiqué que les analyses étaient toujours en cours.

Deux heures plus tard, sur LCI, un débat est organisé sur le thème : « Peut-on dire, comme Christophe Castaner, qu'il n'y a aucun risque ? » En l'espèce, c'est bel et bien une fake news, une fausse information, que LCI a relayée, et qui a donné lieu à un débat de plusieurs heures avec de nombreux spécialistes ! Cela rend l'exercice complexe et doit nous interroger sur la réponse opérationnelle à apporter…

Monsieur Coquerel, vous m'interrogez sur la place de la DREAL et des partenaires sociaux et, au fond, sur la « préfectoralisation » de la gestion de la crise. Je peux comprendre les réserves exprimées, mais l'unité de commandement est nécessaire et c'est le préfet qui l'incarne. Il doit le faire en s'appuyant sur l'ensemble des services ; c'est pourquoi on arme un centre opérationnel départemental (COD) à ses côtés, qui inclut évidemment la DREAL, mais également, entre autres, les services de l'Education nationale.

Un préfet qui n'écouterait pas le COD se fragiliserait. Le préfet a l'intelligence de la situation et une formation pour gérer la crise, mais il n'a pas forcément une compétence sur tous les sujets. À Rouen, le COD a été armé immédiatement et tous les services mobilisés sur site – dont ceux de la justice et le procureur, mais également la DREAL, les services de l'Education nationale, l'ensemble des forces de sécurité intérieure et les collectivités locales. Il ne s'agit donc pas d'une reprise en main par les préfets pour forcer les autres administrations au silence, mais d'une unité de commandement nécessaire pour gérer des situations de crise exceptionnelles.

Monsieur Lassalle, votre question souligne toute la difficulté d'utiliser les bons mots. Vous souhaitez savoir si j'ai connaissance de « drames » semblables. Qu'est-ce qu'un drame ? C'est un événement tragique, violent. Doit-on qualifier de drame cet incendie et ce panache de fumée, sans blessés ni morts ? Certes, c'est un drame environnemental, un drame pour des agriculteurs à qui l'on a demandé pendant des jours de ne pas récolter et vendre le fruit de leur travail – et aucune indemnisation ne compense cela.

Vous avez raison, nous devons tirer des enseignements de cet incendie. Tous les événements importants de ce type font systématiquement l'objet d'un « RETEX » qui nous permet de nous adapter. Ces sites ont pris d'importantes mesures de mise en sécurité depuis vingt ans, ce qui ne correspond pas à la description que vous en faites. Cela suffit-il ? Vous y travaillerez et vous ferez des préconisations.

Monsieur le président, vous m'avez interrogé sur la surveillance du site. Elle est d'abord de la responsabilité interne de l'exploitant. Cette nuit-là, chez Lubrizol, les personnels étaient mobilisés et, avec beaucoup de courage et de détermination, ils ont pris des risques importants. Ils se sont vraiment comportés héroïquement afin de faire en sorte que les produits les plus dangereux soient déplacés. Ils ont évacué tous les conteneurs sensibles alors que l'incendie montait en puissance et ont sûrement évité une catastrophe industrielle majeure.

S'agissant d'éventuelles intrusions sur les sites « Seveso », les services de police ou de gendarmerie nationale et l'entreprise, ainsi que les autorités de tutelle, travaillent main dans la main pour coordonner les modalités de surveillance. Mais nous ne dédions pas de moyens particuliers de surveillance sur des sites privés – et nous ne le ferons pas. En revanche, nous pouvons imposer des moyens de surveillance et cela aux frais de l'entreprise.

De quels outils disposons-nous face aux fausses informations ? C'est compliqué… Une fausse information a toutes les chances d'être beaucoup plus vue que celle diffusée par une autorité, quelle qu'elle soit. Ainsi, la vidéo montrant de l'eau noire coulant d'un robinet, dont je parlais tout à l'heure, a été vue 1,5 million de fois, sans parler des commentaires, des dénonciations – notamment celles qui me visaient personnellement, mais cela devient habituel. Le préfet, les autorités, voire des médias spécialisés – comme l'Agence France Presse (AFP) qui dispose d'un compte Twitter pour démonter ces fausses informations – ont eu beau dire et répéter que c'était faux, leur information, vraie, n'a été vue que 20 000 fois, contre 1,5 million de fois pour cette vidéo mensongère ! C'est pourquoi vous avez raison, monsieur le rapporteur, il faut savoir alimenter le Moloch médiatique d'informations factuelles précises.

Quant à la directive européenne, elle n'impose rien à la France – cela pourrait laisser penser que nous sommes en retard. Elle fixe simplement des objectifs ambitieux, de meilleure communication, et le Cell broadcast est une option parmi d'autres. Le secrétaire général du ministère a lancé une étude. J'aurai les résultats en début d'année prochaine. Nous souhaitons ensuite prendre une décision au cours du premier semestre pour développer cette solution. Mais c'est seulement une des solutions. Bien sûr, il y a beaucoup plus de gens qui possèdent un portable que de personnes qui savent interpréter les sirènes. Mais certains de nos concitoyens n'en ont pas et on ne peut donc s'en contenter. Le réseau France Bleu ou celui des radios locales est beaucoup plus opérationnel en la matière qu'un média national. Nous pourrions imaginer un dispositif sur le modèle de l'alerte enlèvement qui a montré son efficacité, avec un niveau de gradation spécifique.

Les conclusions de vos travaux nous éclaireront, tout comme celles de la commission d'enquête du Sénat qui m'a entendu hier. Peut-être serait-il opportun, même si aucun texte ne le prévoit, que vous échangiez de manière informelle sur ces thématiques.

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Monsieur le ministre, vous ne m'avez pas répondu sur POLMAR, le rôle des EPCI dans les DICRIM et les simulations d'évacuation d'une grande agglomération.

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Des simulations d'évacuation sont réalisées, mais de façon virtuelle. Il serait difficile d'organiser des exercices. Mais, pour développer la culture du risque, nous pourrions imaginer des journées « à la japonaise ». En effet, les risques technologiques et naturels que nous connaissons sont peut-être amenés à se développer. En outre, l'acceptabilité de nos concitoyens face aux risques baisse, c'est un fait. Il ne s'agit pas de dénoncer des couillons, mais de prendre en compte cette donnée. Nous devons donc nous adapter et nous préparer.

C'est toute la difficulté du principe de précaution. La décision, quelle qu'elle soit, fait toujours débat : j'ai en mémoire des évacuations liées à un risque d'éruption volcanique il y a quelques années. Elles avaient donné lieu à un procès car l'éruption ne s'était finalement pas produite… On pourrait également prendre l'exemple du plan de vaccination contre la grippe H1N1.

Faut-il que les DICRIM soient communaux ou intercommunaux ? La police est une responsabilité communale. On peut imaginer que la communauté de communes porte pour le collectif, passe le marché – ce qui permet généralement de dégager des économies – et qu'ensuite, les DICRIM soient élaborés commune par commune. Je l'ai expérimenté comme président d'une communauté de communes. Mais sitôt que c'est la communauté de communes qui gère, les maires s'en foutent… Je suis un peu brutal, mais je l'ai vécu. À plusieurs reprises en conseil communautaire, j'ai dû rappeler aux maires qu'ils engageaient leur responsabilité si le DICRIM n'était pas opérationnel. Il faut donc trouver un point d'équilibre. Transférer la compétence à l'intercommunalité est une autre affaire, d'autant que les communautés de communes ou les communautés d'agglomération sont de plus en plus grandes et que les maires portent la connaissance de leur territoire et doivent s'approprier le document.

S'agissant de POLMAR, je n'ai aucune information sur le déplacement des moyens. Comme pour les émulseurs, il faut monter en gamme, mais on ne peut suréquiper tout le monde pour un risque infinitésimal. Il faut donc prendre des décisions selon la théorie des risques calculés, comme le font tous les acteurs, et tous nos concitoyens. Cela ne veut pas dire ne rien faire, au contraire. Ainsi les SDIS sont montés en puissance de façon significative au cours des dernières années, avec des outils adaptés, et disposent d'une intelligence territoriale qui leur permet de se former. Dans votre département, confronté à un niveau de risque industriel parmi les plus élevés de France, la culture du risque n'est pas la même au Havre et à Rouen par exemple – je parle sous votre contrôle car vous connaissez évidemment bien ces territoires. Il faut donc un bon niveau d'équipement, mais aussi des moyens centralisés et des moyens de projection. Lors de l'incendie, les deux véhicules que nous avons utilisés pour réaliser les premières analyses chimiques des particules venaient de Nogent-le-Rotrou et Paris, à deux heures de route. Mais il n'est pas nécessaire d'en, avoir un partout. Il nous faut donc trouver un équilibre.

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Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre présence et les réponses que vous nous avez apportées.

L'audition s'achève à dix heures cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à Rouen

Réunion du jeudi 21 novembre 2019 à 8 h 30

Présents. - M. Damien Adam, M. Christophe Bouillon, M. Pierre Cabaré, M. Éric Coquerel, M. Jean Lassalle, Mme Annie Vidal, M. Hubert Wulfranc

Excusés. - M. Xavier Batut, M. Pierre Cordier, Mme Stéphanie Kerbarh, M. Bruno Millienne