Intervention de Alexandre Holroyd

Réunion du mercredi 20 novembre 2019 à 15h10
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandre Holroyd, rapporteur du groupe de travail sur le suivi de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne :

Après le troisième report, le Brexit reste un sujet d'importance cruciale pour l'avenir de l'Union européenne. Le groupe de travail, dont je suis le rapporteur et qui est présidé par Pierre-Henri Dumont, est chargé du suivi des négociations de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne dans le cadre du futur accord de retrait.

Nous avons reçu des délégations parlementaires de la République d'Irlande et du Royaume-Uni, auditionné l'Ambassadeur d'Allemagne et nous nous sommes déplacés à Bruxelles le 10 octobre dernier. Nous avons notamment pu interroger Guy Verhofstadt, représentant du Parlement européen chargé de suivre les négociations et Michel Barnier, le négociateur en chef.

Pour vous faire un bilan de nos travaux, je voudrais concentrer cette communication sur la question centrale du droit des citoyens et sur la question de la frontière de l'Irlande. Mais avant cela, où en sommes-nous aujourd'hui du processus de sortie ? Le 17 octobre dernier, un nouvel accord de sortie a été trouvé entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.

Comme vous le savez, cet accord prévoit plusieurs points clé. D'abord, une période de transition jusqu'au 31 décembre 2020 pour régler les conditions définitives de sortie. Ensuite, de nouvelles dispositions concernant la relation future entre l'Irlande du Nord et le Royaume-Uni, j'y reviendrai. Enfin, le Royaume-Uni s'engage à honorer sa contribution au budget européen 2014-2020. Ce dernier arrivant bientôt à échéance, ce sujet s'amoindrit avec le temps, avec une période d'extension s'étendant désormais presque jusqu'à la fin du cadre financier pluriannuel, même si des sujets engagent le Royaume-Uni à plus long terme.

Pour des raisons d'arithmétique parlementaire, cet accord n'a pas pu être approuvé à temps par le Parlement britannique. Le Premier ministre a été contraint de demander une extension au Conseil européen, ce qui a été accordé jusqu'au 31 janvier 2020. Des élections générales ont été convoquées pour le 12 décembre prochain. La situation reste donc soumise aux aléas de la vie politique britannique.

Je voudrais à présent revenir plus en détail sur les travaux du groupe de suivi qui ont été plus particulièrement axés sur la question cruciale des droits des citoyens dans un premier temps puis sur la question des deux Irlande.

Concernant d'abord les droits des citoyens, le Royaume-Uni a créé un nouveau statut, le statut de résident permanent (dit « settled status ») qui offre un droit de résidence aux Européens ayant vécu en continu au Royaume-Uni depuis au moins cinq ans. Ce statut doit être mis en place même en l'absence d'accord.

Un « pre-settled status » a été également créé pour les Européens qui résident au Royaume-Uni depuis moins de cinq ans à la date de la sortie du Royaume-Uni. Il permet de faire le pont en attendant que les conditions de résidence du settled status soient remplies.

La demande de statut de résident se fait en ligne : le demandeur doit prouver son identité sur une application mobile, puis justifier de ses années de résidence et déclarer son absence de conviction criminelle en ligne. Le dépôt de la demande peut prendre quelques minutes pour les personnes ayant un parcours de vie linéaire ; mais il peut s'avérer bien plus complexe pour beaucoup d'autres.

Nous sommes donc particulièrement attentifs à la communication effectuée autour du « settled status ». Beaucoup de citoyens européens n'entreprennent pas les démarches pour obtenir le statut de résident permanent. Plusieurs raisons à cela : certains, notamment ceux qui vivent au Royaume-Uni depuis plusieurs années, ne savent pas qu'ils sont tenus de déposer une demande de settled status. D'autres, habitant loin des grandes villes et moins intégrés dans leur communauté nationale d'origine, n'ont jamais entendu parler du settled-status et ne sont pas au courant des démarches à effectuer. D'autres enfin rencontrent des difficultés pour utiliser internet afin de déposer la demande, c'est le cas d'un public plus âgé par exemple.

Pour illustrer mes propos, je vais prendre le cas d'une citoyenne arrivée au Royaume-Uni en 1976. Installée dans le Yorkshire, où elle réside avec son époux britannique, qui décède en 2014. Ses enfants et petits-enfants sont britanniques et habitent à Liverpool. Elle n'a jamais pris la nationalité britannique car elle n'en a jamais eu besoin. Elle n'utilise pas ou peu internet. Si elle a eu la chance d'entendre parler du « settled status », elle est pourtant persuadée qu'elle n'a pas besoin de le demander. Mais si elle ne le fait pas, elle risque d'être soumise au futur régime migratoire britannique, qui sera déterminé après la sortie du Royaume-Uni de l'Union, et dont les conditions sont pour l'heure inconnues. Combien de personnes comme elle existent au Royaume-Uni, qui pourraient se voir refuser des soins ou des droits après des années de résidence sur le territoire ?

Je tiens ici à saluer les efforts considérables fournis par le Consulat Général de France à Londres pour faire connaître le settled status. Jusqu'à maintenant 91 900 Français et 2,3 millions d'Européens ont demandé le settled status, sur environ 3 millions d'Européens qui y vivent.

Certaines carences persistent : l'absence de titre de résidence physique ainsi que l'absence de cadre législatif inquiètent les associations de défense des droits des citoyens, et jusqu'aux parlementaires britanniques. Malgré une apparente simplicité, je tiens à souligner ici une vérité partagée par des millions d'Européens et de Français résidant au Royaume-Uni : tous les dispositifs en ligne du monde ne peuvent remédier à l'angoisse de devoir s'enregistrer pour continuer à vivre dans un pays auquel beaucoup ont tant donné.

La France a également pris des dispositions pour protéger les droits des Britanniques résidant en France : l'ordonnance du 6 février 2019, prise en application de la loi d'habilitation du 19 janvier dernier, porte sur l'entrée, le séjour, les droits sociaux et l'activité professionnelle des Britanniques en France. Nous avons questionné le Ministère de l'intérieur sur les difficultés potentielles d'application. Cette ordonnance prévoit plusieurs éléments majeurs. D'abord, une période dite de « grâce » qui garantit aux Britanniques le maintien de leurs droits au séjour et à l'activité professionnelle pendant un an à compter de la date de retrait. Toutefois, les Britanniques doivent déposer une demande de titre de séjour dans les six premiers mois. Ce délai doit permettre aux préfectures d'instruire toutes les demandes. Ce régime ne couvre pas le cas des Britanniques entrant en France après le retrait. Il y aura donc rapidement deux populations britanniques en France : ceux qui bénéficient de cette « grâce » et les autres qui relèveront du code du séjour des étrangers.

Ensuite, le Gouvernement s'est engagé à ce que le niveau minimal de ressources pour accéder à un titre de séjour soit fixé au niveau du RSA, calculé sans les aides sociales (prestations familiales et allocations d'assurance chômage). Nous serons très attentifs sur ce point pour bien comprendre quels Britanniques pourraient être exclus du système. Enfin, les Britanniques résidant en France depuis moins de cinq ans auront accès dans des conditions facilitées aux principaux titres de séjour.

Le Gouvernement a mis en place une procédure de dépôt des demandes en ligne. Nous avons encore peu de retours sur la performance du système en ligne, mais il doit permettre de déposer sa demande et le logiciel invite ensuite l'usager à se présenter en préfecture pour finaliser le dossier. Un renfort doit être proposé par le ministère de l'Intérieur aux préfectures les plus en difficulté, sachant qu'il existe des disparités importantes entre les préfectures en fonction du nombre de demandes sans lien avec l'importance démographique des départements, des préfectures de taille modeste étant en effet susceptibles d'être saisies d'un nombre de demandes élevé. Afin de pallier un éventuel engorgement des préfectures, un dispositif spécifique d'accueil doit être mis en place pour éviter la saturation, mais il tarde à être créé. Nous serons vigilants sur ce point. C'est pourquoi le groupe de suivi prévoit de se déplacer dans des préfectures en difficulté pour évaluer la situation sur place et l'effet de la plateforme de demandes en ligne.

Enfin, je voudrais m'attarder sur la nouvelle relation entre l'Irlande du Nord et le Royaume-Uni telle que prévue par l'accord de retrait. Alors que l'accord de Theresa May prévoyait des mesures temporaires entre l'Irlande et le Royaume-Uni si la période de transition n'était pas suffisante pour trouver une solution pérenne entre les deux parties, l'accord de Boris Johnson et son nouveau protocole sur l'Irlande du Nord prévoient une solution définitive qui s'appliquera quelle que soit la relation future entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Il ne s'agit plus d'un « backstop » à proprement parler mais d'un nouvel état de fait. Le backstop prévoyait que, faute d'accord sur la relation future, l'entièreté du Royaume-Uni demeure dans l'Union douanière. Mais le nouvel accord prévoit que la totalité du Royaume-Uni sortira de l'union douanière après la période de transition. Néanmoins, en fonction de la destination finale de certains biens transitant par l'Irlande du Nord, ceux-ci pourront être soumis aux droits de douane européens. Sera également maintenu l'alignement de l'Irlande du Nord sur certaines règles du marché unique. Il s'agit en particulier de règles sanitaires, ainsi que celles relatives aux aides d'État ou à la TVA. Les contrôles réglementaires seront donc effectués en mer d'Irlande et non entre les deux Irlande, préservant ainsi l'accord du Vendredi saint.

L'accord de Boris Johnson introduit également un mécanisme de consentement démocratique. Quatre ans après le début du protocole (c'est-à-dire après la fin de la période de transition), l'Assemblée d'Irlande du Nord décidera par majorité simple si l'arrangement doit demeurer ou non. J'insiste sur ce point en raison du fonctionnement particulier de cette Assemblée qui réunit les deux communautés d'Irlande du Nord. La procédure - si tant est que cela fonctionne - est fondée sur l'obtention d'une double majorité c'est-à-dire que certaines lois, pour être votées, doivent réunir non seulement la majorité des suffrages de l'ensemble des députés, mais aussi la majorité des votes dans chaque groupe nationaliste et unioniste, de manière un peu similaire au cas du Liban. En réalité, cette Assemblée n'est pas parvenue à désigner un gouvernement depuis près de deux ans. Si l'Assemblée consent au maintien du protocole, ce dernier continuera à être appliqué pendant une durée de quatre ou huit ans, en fonction du type de majorité atteint, avant d'être soumis à une nouvelle décision. Si l'Assemblée convient de la fin du protocole, alors il prendra fin au terme d'une période transitoire de deux ans.

Cet accord permet ainsi de concilier les lignes rouges européennes, à savoir la protection du marché unique, la préservation de l'accord du Vendredi saint avec l'absence de frontière dure en Irlande et le maintien du marché britannique.

Je conclus cette communication, mes chers collègues, en soulignant que la question des droits des citoyens, qu'ils soient Français vivant au Royaume-Uni ou Britanniques vivant en France, a toujours été au coeur de nos préoccupations, tout au long des négociations. Leur défense est notre priorité. Ce doit être une obligation morale vis-à-vis de personnes qui se sont installées sous la protection de la citoyenneté européenne dans un pays comme dans l'autre. Nous ne pouvons admettre que leurs droits soient compromis à cause du Brexit. Je vous remercie.

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