Monsieur le président, Monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux commencer par rappeler que c'est mon collègue Jean-Noël Barrot qui est à l'initiative de cette proposition de loi dont j'ai l'honneur d'être aujourd'hui rapporteure.
Cette proposition de loi peut, au premier abord, paraître modeste et exclusivement technique – elle sera d'ailleurs examinée en procédure d'examen simplifiée en séance publique – mais, pour en saisir pleinement les enjeux, il faut la considérer dans un cadre plus global, celui d'une urgence écologique et d'un changement du regard porté sur la forêt. En effet, comme le souligne l'accord de Paris sur le climat, les forêts et les arbres jouent un rôle essentiel, agissant comme des puits de carbone et absorbant l'équivalent de 2 milliards de tonnes de dioxyde de carbone chaque année.
Dans ce cadre international brossé à grands traits, la forêt française se présente comme la troisième d'Europe, occupant 30 % du territoire national et captant chaque année près de 70 millions de tonnes de CO2. Avec près de 140 variétés d'arbres différentes, elle compte parmi les plus diversifiées d'Europe.
Changeons encore d'échelle pour descendre au niveau régional, celui qui nous intéresse aujourd'hui : à bien des égards, la situation des forêts franciliennes, fortes de leurs 260 000 hectares, distingue l'Île-de-France des autres régions. Comment ne pas voir une menace spécifique dans la pression foncière qu'une agglomération de plus de 12 millions d'habitants fait peser sur les espaces naturels qui l'environnent ? Comment ne pas penser qu'une région qui représente 2,2 % du territoire métropolitain et concentre 19 % de sa population, soit 1 006 habitants au kilomètre carré, nécessite la mise en oeuvre d'outils spécifiques pour garantir la préservation de ses forêts ? Une forêt qui, par ailleurs, se caractérise par des usages plus variés que sur le reste du territoire, puisqu'elle est un espace de production et de protection de la biodiversité, mais également un indispensable espace de loisirs pour une population urbaine. Une forêt, enfin, trois fois plus morcelée qu'à l'échelle nationale, avec un compte de propriété moyen s'y élevant à un hectare.
L'ensemble de ces éléments de contexte explique le phénomène de mitage particulièrement fort qui pèse sur les forêts de la région Île-de-France. Comme vous le savez, le mitage consiste en la vente de parcelles de petite taille à des particuliers, souvent à des prix très élevés, en vue de donner aux biens acquis un usage non conforme à leur vocation naturelle ou à leur classement dans les documents d'urbanisme locaux.
Face à ce phénomène, les collectivités territoriales étaient jusqu'à présent impuissantes. Pour remédier à cette situation et offrir une solution préventive, l'article 46 de la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain, codifié à l'article L. 143-2-1 du code rural et de la pêche maritime, a ouvert à titre expérimental, pour une durée de trois ans et dans le cadre de la région Île-de-France, la possibilité pour la société d'aménagement foncier et d'établisssement rural (SAFER) de l'Île-de-France de préempter les ventes de biens boisés dès lors que leur superficie est inférieure à trois hectares et que les communes sont dotées d'un document d'urbanisme. Ces préemptions sont motivées par un nouvel objectif, celui de la protection et de la mise en valeur de la forêt.
Les résultats de cette expérimentation sont très positifs : 198 préemptions de la SAFER ont été motivées notamment par l'objectif nouvellement créé, et dans 107 cas il s'agissait du principal objectif invoqué. En d'autres termes, en l'absence de ce dispositif, dans 107 cas, les collectivités et la SAFER se seraient trouvées impuissantes face à une vente contribuant à accroître le mitage.
J'ai pu constater, au cours des auditions que j'ai menées, que dispositif était salué par l'ensemble des acteurs et des observateurs : collectivités territoriales, SAFER, propriétaires privés, préfecture et associations environnementales.
Tous sont donc favorables à la pérennisation d'un outil qui a fait ses preuves, ce qui constitue l'objet de la présente proposition de loi. Le dispositif de celle-ci prévoit une pérennisation dans des conditions légèrement différentes de celles de l'expérimentation, puisqu'elle supprime la condition de zonage qui limitait l'action de la SAFER au territoire des communes dotées d'un document d'urbanisme. Dans les faits, cette condition n'entrave nullement l'efficacité de la SAFER, puisque cette restriction concerne à peine une trentaine de communes. Il me semble plus conforme à l'esprit de l'expérimentation de pérenniser le dispositif dans les conditions de celle-ci, afin d'éviter tout effet de bord que nous n'aurions pas eu l'opportunité d'identifier. Je vous proposerai un amendement en ce sens.
Une seconde question a fait l'objet de toute notre attention : pérenniser le dispositif pour la seule région Île-de-France ne risquait-il pas de constituer, aux yeux du Conseil constitutionnel, une rupture d'égalité devant la loi ? La situation particulière de l'Île-de-France, sur laquelle j'ai insisté en introduction, a justifié, par le passé, la mise en place de dispositifs spécifiques pour l'aménagement de son territoire et la protection des espaces les plus fragiles – je pense par exemple au schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) ou à l'agence des espaces verts (AEV), qui est un établissement public régional et non une association. L'Île-de-France est, par ailleurs, la seule région dans laquelle la SAFER a mis en place, depuis 2000, des conventions de surveillance et d'intervention foncière avec les collectivités locales.
Dans une décision du 29 décembre 1989, Le Conseil constitutionnel a considéré que l'instauration d'une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux ne constituait pas une violation du principe d'égalité du « fait que ce dispositif soit propre à la région Île-de-France » dans la mesure où « [s'y] posent avec une acuité particulière des difficultés spécifiques », ce qui semble pouvoir être transposé, par analogie, à la situation des forêts franciliennes.
Le Conseil d'État a par ailleurs indiqué, dans un arrêt du 6 novembre dernier, que la pérennisation locale d'une expérimentation n'était pas incompatible avec le droit en vigueur « dans l'hypothèse où les dérogations sont expérimentées en raison d'une différence de situation propre à la portion de territoire ou aux catégories de personnes objet de l'expérimentation et n'ont, de ce fait, pas nécessairement vocation à être généralisées au-delà de son champ d'application », ce qui va dans le même sens.
Cette proposition de loi, au dispositif modeste mais essentiel, technique mais opérationnel, est l'occasion pour la commission des affaires économiques d'entamer un cycle de réflexion sur les grands enjeux forestiers, qui sera poursuivi le 11 décembre prochain lorsque la commission sera consultée, en vertu de l'article 13 de notre Constitution, sur la nomination à la tête de l'Office national des forêts de M. Bertrand Munch.
Je vous propose donc de pérenniser le droit de préemption de la SAFER d'Île-de-France, dont la mise en oeuvre expérimentale, depuis bientôt trois ans, a permis d'intervenir sur une surface totale d'environ 105 hectares de foncier forestier. Ce chiffre peut paraître modeste, mais il faut replacer cet outil dans un ensemble plus large de politiques publiques et de démarches privées destinées à la préservation de la forêt et souligner que la vente des petites parcelles constitue un enjeu important pour l'avenir des massifs. À l'heure où les enjeux climatiques et environnementaux sont devenus primordiaux, et dans un contexte régional où 98,8 % du territoire correspond à une aire urbaine, je pense sincèrement que chaque hectare compte et que cette proposition de loi constitue une réponse adaptée au mitage des forêts franciliennes.