La commission a examiné la proposition de loi visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l'offre de logements accessibles aux Français (n° 2336,) sur le rapport de M. Jean-Luc Lagleize.
Nous abordons l'examen des deux propositions de loi inscrites à l'ordre du jour de la « niche parlementaire » du groupe du Mouvement démocrate et apparentés (MODEM), jeudi 28 novembre.
Nous commencerons nos travaux par la discussion de la proposition de loi visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l'offre de logements accessibles aux Français, sur le rapport de M. Jean-Luc Lagleize. Nous examinerons ensuite la proposition de loi visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France, sur le rapport de Mme Aude Luquet.
Cette dernière proposition faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance, le Gouvernement a souhaité être présent lors des travaux en commission. Il nous faudra éventuellement suspendre quelques minutes notre réunion à l'issue du vote sur la première proposition de loi afin de permettre à M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, de nous rejoindre. Nous devrions avoir achevé nos travaux avant vingt heures.
La commission examine la proposition de loi visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l'offre de logements accessibles aux Français (n° 2336
Notre commission est déjà bien informée du contenu du texte puisqu'elle a auditionné son auteur – le rapporteur – la semaine dernière, afin qu'il lui présente les conclusions de son rapport sur la maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction, remis au ministre chargé de la ville et du logement mercredi 6 novembre. La présente proposition de loi vise à mettre en oeuvre certaines des préconisations de nature législative du rapport.
Dans le cadre de la discussion générale, les orateurs de groupe disposeront de quatre minutes et les autres intervenants de deux minutes.
La proposition de loi a donné lieu au dépôt de trente-huit amendements : huit ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution, deux l'ont été au titre de l'article 45 de la Constitution et un a été retiré par son auteur. Il en reste donc vingt-sept à examiner.
Une semaine après la présentation de mon rapport au Gouvernement sur la maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction, nous voici réunis pour examiner la proposition de loi visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l'offre de logements accessibles aux Français.
Je m'exprimerai tout d'abord sur la situation à laquelle sont confrontés nos concitoyens s'agissant du coût du foncier et du logement. Comme je l'ai déjà dit devant cette commission, le prix du foncier a augmenté de 71 % en dix ans, pendant que le prix global de construction d'un logement augmentait de 24 %, occasionnant pour de nombreux Français des difficultés à se loger dignement et librement, notamment dans les zones tendues.
Le poids moyen du foncier dans le bilan d'une opération d'aménagement atteint régulièrement 30, 40, voire 50 % dans la capitale, la région parisienne, les grandes agglomérations, les zones transfrontalières mais aussi, plus largement, les villes et zones touristiques, particulièrement sur le littoral et en montagne, mais également outre-mer.
In fine, le coût du foncier grève le pouvoir d'achat des Français. La part des dépenses contraintes dans le revenu des ménages est passée de 12 % en 1960 à près de 30 % en 2017, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Parmi les dépenses contraintes, c'est surtout le logement qui plombe le pouvoir d'achat. Ces dépenses de logement n'ont quasiment jamais cessé de croître, du fait de la hausse des loyers, du prix du foncier et des logements, mais aussi du prix de l'électricité, du gaz et de l'ensemble des autres charges liées à l'habitation.
Or cette hausse des dépenses contraintes pèse sur les plus fragiles. Si l'on ajoute les dépenses incontournables en alimentation, transport, santé et éducation aux dépenses contraintes, le tout représente 87 % des revenus des plus modestes, contre 65 % pour les plus aisés selon l'observatoire des inégalités. Le reste à vivre est donc très inégal selon les ménages : de 80 euros par mois pour le dixième le plus pauvre à 1 474 euros pour le dixième le plus riche. Le coût du logement engendre un éloignement des classes moyennes des zones tendues et, en conséquence, une hausse importante des dépenses consacrées au transport, qui demeure souvent individuel.
Face à ces défis majeurs en termes d'aménagement du territoire et de pouvoir d'achat, le groupe du Mouvement démocrate et apparentés a souhaité reprendre plusieurs recommandations importantes de mon rapport dans une proposition de loi. Dans le droit fil de la démarche de consultation que j'avais adoptée lors de l'élaboration de mon rapport, j'ai souhaité auditionner les parties prenantes du secteur sur les sept articles de la proposition de loi. J'ai ainsi pu échanger avec les associations d'élus et de collectivités territoriales, les services de l'État, les établissements publics fonciers, les agences d'urbanisme, les bailleurs sociaux ou encore les professionnels de l'immobilier. J'en profite pour les remercier chaleureusement et sincèrement pour leur mobilisation dans des délais contraints, ainsi que tous les collègues qui se sont joints à ces auditions.
Quel défi entend relever cette proposition de loi ? Il s'agit de réduire le coût du foncier et d'augmenter l'offre de logements accessibles aux Français. Les dispositifs qu'elle contient ont été pensés dans leur globalité pour replacer les élus locaux au coeur de l'acte de construire la ville, en leur donnant des outils et des pouvoirs nouveaux et complémentaires.
Je remercie l'ensemble des groupes politiques de l'Assemblée nationale qui ont répondu favorablement à ma proposition de coconstruction des amendements nécessaires à l'ajustement des articles.
L'article 1er vise à limiter le recours à l'adjudication pour la cession de biens fonciers et immobiliers relevant du domaine privé de l'État et des collectivités territoriales. L'adjudication n'est qu'une des modalités de cession de foncier, l'autre étant les cessions à l'amiable. Celles-ci s'effectuent soit de gré à gré, soit avec publicité et mise en concurrence, sur appel d'offres pour les grands projets ou encore dans le cadre de ventes notariales interactives.
Les ventes par adjudication ne représentent qu'une faible proportion du nombre de cessions : 9 % pour les cessions de biens relevant du domaine privé de l'État, contre 72 % pour le gré à gré et 16 % pour les appels d'offres. Malgré tout, si la proportion des ventes par adjudication de biens de l'État et des collectivités territoriales est relativement limitée sur l'ensemble du territoire, elles ont un impact significatif sur la formation des nouveaux prix de référence, engendrant des références à la hausse dans des quartiers entiers.
Les groupes La République en Marche et MODEM proposeront un amendement visant à améliorer la rédaction de l'article 1er, tout en conservant ses objectifs. Il s'agit d'assurer l'exemplarité des acteurs publics dans la cession de leur foncier en limitant les cessions de biens relevant des domaines privés de l'État et des collectivités territoriales aux seules ventes amiables. Ces dernières permettront de valoriser des critères qualitatifs et limiteront les risques d'augmentation excessive du prix du foncier dans les quartiers sous tension.
Afin de permettre à l'État et aux collectivités territoriales de disposer d'un temps d'adaptation suffisant, l'amendement prévoit une entrée en vigueur au 1er janvier 2021.
Sur le modèle des organismes de foncier solidaire (OFS), l'article 2 vise à la création d'organismes de foncier libre (OFL) qui favoriseront les projets d'acquisition de logements fondés sur la dissociation de la propriété du foncier et du bâti. Ce troisième droit de propriété complétera les deux premiers, que sont la pleine propriété classique et le démembrement du droit de propriété, qui le partage entre l'usufruitier et le nu-propriétaire.
Comme je vous l'ai expliqué la semaine dernière, cette disposition vise à généraliser la dissociation entre le foncier et le bâti au-delà de l'accession sociale à la propriété proposé par les organismes de foncier solidaire instaurés par la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite « ALUR ». La mission d'OFS est actuellement assurée par les seuls organismes sans but lucratif et les organismes d'habitations à loyer modéré, ainsi que par les sociétés d'économie mixte (SEM) de construction et de gestion de logements sociaux. Les OFS ont connu un véritable essor au cours des dernières années : on recense une vingtaine d'organismes agréés.
Face à l'intérêt de nos concitoyens, l'article 2 vise à créer, sur le même principe, des organismes de foncier libre qui permettront de massifier cette dissociation en faveur du logement intermédiaire, du logement libre, ou encore pour des usages commerciaux ou de services.
Afin de prévenir tout risque spéculatif dans la durée, il convient de garantir que cette activité sera assumée par des sociétés à capitaux publics ou majoritairement publics. Avec le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), nous proposons de limiter les organismes éligibles aux seules sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA) et, sous réserve que leur capital soit majoritairement public, aux SEM.
L'article 3 propose la création d'observatoires de l'habitat et du foncier, qui permettront aux collectivités territoriales de disposer des informations et des capacités d'analyse nécessaires au pilotage de leur politique foncière. Il vise à accroître la transparence au profit des élus locaux et des citoyens et à objectiver les évolutions du prix du foncier. La mise en place de stratégies de maîtrise des prix du foncier par les collectivités territoriales suppose qu'elles disposent de données fiables en la matière, actualisées et consolidées à l'échelle du bassin de vie.
Plusieurs dispositifs existent actuellement, mais ils ne sont pas parvenus à offrir systématiquement aux élus locaux la capacité d'information et d'expertise dont ils ont besoin. Avec le groupe Libertés et territoires, nous proposons de réécrire l'article afin de rattacher ces observatoires au programme local de l'habitat (PLH), en le rénovant et en renforçant le périmètre et la finalité de cette mission d'observation foncière. Nous souhaitons que ces observatoires puissent étudier les évolutions foncières de leur territoire et recenser les espaces en friche, ainsi que les surfaces potentiellement réalisables par surélévation des constructions existantes. Les agences d'urbanisme et les différents établissements publics fonciers (EPF) pourront bien entendu déployer leurs expertises au profit de ces observatoires.
L'article 4 vise à créer un Fonds national pour la dépollution des friches urbaines et industrielles. De trop nombreuses friches existent dans des zones à forte demande foncière et immobilière. Les projets de reconversion font face à des obstacles juridiques et économiques. La réaffectation de ces friches se heurte au coût de la dépollution qui gèle inutilement d'importants gisements fonciers dans des zones pourtant tendues. En outre, notre droit se fonde sur le principe dit du pollueur-payeur. Mais il ne suffit pas, comme de nombreux exemples peuvent en témoigner dans nos circonscriptions respectives.
Un Fonds national pour la dépollution des friches urbaines simplifierait l'accès aux financements en agissant comme un guichet unique et aurait pour objet d'amorcer les projets de dépollution, en particulier pour le foncier en friche de l'État et pour les sites dits orphelins. Le cadre fixé par l'article 40 de la Constitution nous a contraints de désigner le groupe Action Logement comme gestionnaire de ce fonds, mais je suis pleinement conscient de la nécessité de revoir les conditions de portage, de financement et de fonctionnement de ce dernier.
Par ailleurs, cet article fait écho à de nombreux travaux en cours ou qui vont être lancés sous peu : mission d'information de notre commission sur la revalorisation des friches industrielles, groupe de travail sur la réhabilitation des friches lancées par la secrétaire d'État Emmanuelle Wargon ou groupe de travail pour la lutte contre l'artificialisation des sols, piloté par M. Julien Denormandie et Mme Emmanuelle Wargon. Je vous propose donc d'échanger plus en détail sur ces points avec le Gouvernement lors de la séance publique.
L'article 5 permet aux collectivités territoriales de recourir à l'avis d'experts privés, en substitution des services de l'État de, dans le cadre de leurs opérations de cessions et d'acquisitions immobilières. Aujourd'hui, avant toute entente amiable, les projets immobiliers des collectivités territoriales sont conditionnés à une demande d'avis préalable du service compétent de l'État, c'est-à-dire du service de la direction de l'immobilier de l'État, auparavant appelé service des Domaines. Mais l'adaptation des méthodes d'évaluation des services de l'État à la situation réelle du marché est parfois remise en cause par les élus locaux : du fait de retours relativement hétérogènes sur le territoire, cette procédure ne tiendrait suffisamment compte des évolutions récentes des marchés et ne pondérerait pas suffisamment la valeur d'usage des biens.
La disposition proposée fait suite aux demandes de nombreux élus et collectivités qui souhaitent disposer d'un droit d'option ; je l'ai présentée hier au congrès des maires, où elle a rencontré un beau succès. Cet article autorisera les collectivités à choisir entre le recours à l'avis des services de la direction de l'immobilier de l'État et une expertise privée indépendante et agréée.
Dans un esprit de simplification et de lisibilité, un amendement déposé conjointement avec le groupe Socialistes et apparentés proposera de permettre aux collectivités de recourir non pas à un corps d'experts qu'il conviendrait de créer de toutes pièces, mais aux experts immobiliers agréés auprès des tribunaux et cours d'appel.
L'article 6 propose d'inverser le principe de la règle et de l'exception dans l'application des règles du plan local d'urbanisme (PLU) pour certaines opérations de construction et d'aménagement en zones tendues. Si cet article envoie un signal très favorable aux communes, sa rédaction soulève d'importantes difficultés : en généralisant les régimes de dérogation, elle pourrait contredire la force obligatoire de nombreuses dispositions du plan local d'urbanisme.
Or, au cours des auditions, j'ai pu constater que les possibilités juridiques d'accompagnement et de soutien aux projets de densification sont déjà trop peu utilisées. Il faudrait donc avant tout favoriser une véritable sensibilisation des élus locaux à ces possibilités, en diffusant plus largement une véritable culture du foncier. À cet égard, le développement des observatoires de l'habitat et du foncier, prévu à l'article 3, participera à l'amélioration de la connaissance des élus locaux sur ces enjeux.
Pour ces raisons, je proposerai la suppression de l'article 6 dans l'attente d'une meilleure sensibilisation des élus locaux aux problématiques foncières.
L'article 7 renforce les mesures de transparence en matière de construction de logements dans le cadre du suivi de la mise en oeuvre des programmes locaux de l'habitat. Nous observons trop souvent une inadéquation entre les objectifs fixés par le PLH et les logements effectivement construits dans la collectivité.
Dans un souci de transparence, cet article prévoit de renforcer les obligations liées à la délibération annuelle sur l'état de réalisation du PLH. Elle devra prendre en compte son adaptation à l'évolution de la situation sociale ou démographique, mais également les analyses des observatoires de l'habitat et du foncier. Afin de renforcer cette démarche, avec le groupe UDI-Agir et indépendants, nous avons également prévu un compte rendu annuel en conseil municipal et en conseil communautaire, présentant les écarts entre les objectifs annualisés du PLH et le nombre de logements effectivement livrés au cours de l'exercice écoulé.
Cet article vise donc à mieux articuler la politique locale du logement avec les projets d'aménagement du territoire et à permettre aux élus d'anticiper davantage les contraintes et finalités des projets de construction ou d'aménagement.
Tels sont, mes chers collègues, les tenants et les aboutissants de cette proposition de loi. Avant de conclure, je tenais à saluer l'implication de l'ensemble des groupes politiques sur ce texte et le travail de coconstruction que nous avons mené ensemble ces derniers jours. Ce travail en commun est une nécessité sur ce sujet ô combien transpartisan.
Le groupe La République en marche tient à saluer la qualité du travail de M. Jean-Luc Lagleize sur le sujet sensible du foncier dans les zones tendues. Le rapport qu'il a remis au Premier ministre sur la maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction met bien en avant les difficultés dans la gestion du foncier dans les zones tendues et présente des pistes de travail intéressantes pour y remédier.
Si le prix des logements a augmenté plus rapidement que le pouvoir d'achat des Français, la hausse du prix du foncier a très largement dépassé la hausse des prix de la construction : elle aura atteint 71 % sur les dix dernières années alors que le prix de construction moyen n'a augmenté que de 24 %. La question foncière est un des freins majeurs à l'aménagement et à la construction en zones tendues, non pas à cause de la rareté, mais en raison du prix des terrains. Le poids moyen du foncier dans le bilan d'une opération d'aménagement représente 30 à 40 %. Dans certaines opérations, notamment en zone tendue, il peut atteindre, voire dépasser les 50 %.
Il est donc essentiel de se pencher sur ces problématiques. C'est ce que nous avons déjà fait lors du vote de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite « ELAN », et c'est que nous devons poursuivre. La proposition de loi du rapporteur présente des idées intéressantes auxquelles nous souscrivons globalement. Elles répondent à la nécessité de lutter contre l'engrenage des prix du foncier.
Afin d'en assurer une application pertinente et appropriée sur nos territoires, il convient d'en définir précisément les modalités d'application. C'est ce que nous ferons à l'article 1er, qui revient sur la vente par adjudication, à l'article 2, qui vise à mettre en place des offices de foncier libre et à l'article 3 concernant la mise en place d'observatoires fonciers locaux.
Nous pensons également qu'il est prématuré de mettre en place un fonds pour la dépollution des friches, alors que des travaux sont en cours concernant la lutte contre l'artificialisation des sols. Enfin, il est préférable de ne pas rouvrir les débats sur les PLU, contrairement à ce que prévoit l'article 6, car le sujet a été largement débattu dans le cadre de la loi ELAN.
En conséquence, Monsieur le rapporteur, le groupe La République en Marche soutiendra votre proposition de loi amendée.
Monsieur le rapporteur, je vous remercie, ainsi que le groupe MODEM, de remettre la question foncière et le logement à l'ordre du jour du Parlement. Réduire le coût du foncier, augmenter l'offre de logements accessibles aux Français, on ne peut que soutenir de tels objectifs. Mais derrière vos propositions, il reste des sujets que l'on ne peut éluder, à commencer par celui de la capacité d'acquisition et de la solvabilité des candidats – en témoigne le débat sur l'allocation personnalisée au logement (APL).
Encore faut-il aussi que ce parcours soit envisageable partout en France et que l'ensemble du territoire soit attractif. Nous y reviendrons en proposant des amendements, car certaines de vos idées sont intéressantes, mais pas toujours opérationnelles. Réduire le coût du foncier, mais comment ? En augmentant l'offre pour éviter la pénurie, mais également en répartissant mieux la demande par un aménagement équitable du territoire, par la déconcentration des administrations, par le positionnement des filières d'avenir, par des infrastructures, des réseaux, des services propices au développement de l'emploi et, à sa suite, au développement résidentiel.
Une approche globale du coût du foncier amène à prendre en considération tous les à-côtés : la fiscalité des mutations, les charges imposées aux porteurs de projet, souvent avec les meilleures intentions du monde – coût des espaces publics, des raccordements, des taxes liées aux permis, etc. Ainsi le raccordement au chauffage urbain peut être très coûteux, mais un surcoût à l'instant T peut finalement être avantageux à long terme. Il faut également intégrer le rapport au cadre de vie et le niveau de services exigé dans un territoire.
Vos idées sont intéressantes, même si certains dispositifs existent déjà, sous différentes formes : ainsi, dans certaines collectivités, le prix de vente du foncier public est plafonné ; en contrepartie, le prix de sortie des logements l'est également. En tout état de cause, l'effet de cette proposition de loi sera limité par le fait que l'on ne touche qu'une infime part du foncier cédé. Se posent enfin, pour ces collectivités, les questions du financement du portage et du rythme d'avancement des projets : les ventes de foncier du privé au privé sont beaucoup plus rapides que celles du public en faveur des opérateurs publics… Cette question du rythme est essentielle si nous voulons donner un réel élan à la construction en France.
Votre proposition de loi pose par ailleurs la question de l'opportunité des ventes de foncier en zones détendues et celle de la libre administration des collectivités locales.
La création d'organismes de foncier libre doit être analysée au regard de la loi sur les baux emphytéotiques et de la question bancaire – les remboursements intervenant en deux temps. La création des observatoires fonciers locaux est une idée intéressante, même s'ils existent déjà dans certains territoires. Demandons également aux élus locaux ce qu'ils en pensent, afin de préserver leur liberté et la confiance.
Vous avez évoqué la création du fonds géré par Action Logement ; il fallait effectivement être soucieux de la question de l'équité. Pour ce qui est de l'amélioration de l'évaluation des biens publics, je suis d'accord, mais il faut aussi responsabiliser les services de la direction de l'immobilier de l'État dans leurs délais de réponse. Et à défaut, pourquoi effectivement ne pas recourir à des experts agréés ?
Le dernier article de la proposition de loi crée une nouvelle obligation pour les communes. Regardons cela de plus près. C'est peut-être opportun chez vous à Toulouse et dans les territoires que vous connaissez bien, mais en est-il de même partout ? J'ai mis en place un PLH et certaines des communes concernées comptent moins de 500 habitants, pour moins de sept logements construits… Est-il opportun de prévoir un compte rendu annuel dans ce cas ?
Je suis heureuse de débattre de la proposition de loi portée par mon collègue Jean-Luc Lagleize et l'ensemble du groupe MODEM, qui est l'aboutissement du travail conduit dans le cadre de son rapport.
Avec ce texte, nous souhaitons aborder un point crucial pour les Français : leur logement, et le coût qu'il représente dans leur budget. Beaucoup le ressentent aujourd'hui, et toutes les études le montrent : le budget alloué au logement par les ménages français n'a cessé d'augmenter depuis cinquante ans.
Évidemment, nous avons voté la loi ELAN, qui touchait le bâti : construire plus vite, mieux et moins cher. Mais qu'en est-il du foncier ? Nous devons aussi agir puisqu'il est, tout autant que la construction, facteur d'une spéculation et d'un renchérissement que les Français ne peuvent plus assumer financièrement : c'est toute la chaîne du logement, des constructeurs aux acquéreurs, qui souffre de l'envolée des prix.
Cette proposition de loi veut participer à deux objectifs qui nous semblent prioritaires : casser l'engrenage de la hausse des prix des logements en mettant un frein à la spéculation foncière ; libérer plus de foncier en donnant aux maires les outils permettant l'optimisation de leur politique du logement.
Le texte est une boîte à outils pour les collectivités et les acteurs du logement. Il peut paraître contraignant sous certains aspects, pour l'État surtout, mais c'est au profit des élus locaux et des territoires. C'est le cas, à l'article 2, avec la création d'organismes de foncier libre. Pour les collectivités situées en zones tendues et leurs habitants, la mesure est pensée comme un outil vertueux pour réguler le marché, grâce à la dissociation du foncier et du bâti, ce qui autorisera un parcours résidentiel progressif pour les ménages.
Il est également primordial que toutes les entités qui animent le marché se disciplinent. La hausse des prix est principalement due à une spéculation à laquelle tous les acteurs s'adonnent, y compris les acteurs publics. L'État et les collectivités doivent donc faire preuve d'une attitude exemplaire et prendre leurs responsabilités : c'est l'objet de l'interdiction de vente aux enchères visant l'État et les collectivités, créée par l'article 1er.
Autre outil bienvenu, les futurs observatoires du foncier, prévus par l'article 3. Là encore, on donne aux élus les moyens concrets de mieux appréhender l'évolution de leur territoire en matière de logement. Grâce à ces entités, ces derniers disposeront de toutes les informations essentielles pour aménager et loger. Tous les maires bâtisseurs ont grand besoin d'une source d'information fiable et claire pour bâtir vite et bien, tout comme les citoyens qui, eux, réclament plus de transparence dans le calcul des prix.
Enfin, dernier point important pour les élus : ils ne seront plus obligés de recourir aux services de la direction de l'immobilier de l'État. Tous ceux qui ont exercé un mandat local le savent : dans certaines situations, des décisions ont pu manquer de précision, des évaluations de qualité ou de réactivité. L'article 5 propose de permettre aux élus locaux de s'appuyer sur une expertise privée pour leurs opérations d'acquisition, de cession, de préemption à prix fixe ou contesté, ou de location.
Si je suis revenue longuement sur ces outils et sur leur portée, c'est bien pour dégager le double mouvement dessiné par le texte : réguler le marché du foncier en responsabilisant ses acteurs et en encourageant des pratiques vertueuses. Le foncier est un domaine trop sensible, avec un impact bien trop important sur la vie de nos concitoyens, sur leur pouvoir d'achat, leurs carrières professionnelles, leurs déplacements et même leurs liens sociaux, pour ne pas être abordé sans vision globale.
Nous devons aux Français de nous battre sans relâche pour leur apporter des réponses concrètes. Je crois que c'est ce que nous faisons, une fois encore, avec ce texte.
Je salue la qualité du travail du rapporteur. Tout le monde s'accorde sur le constat de l'augmentation inquiétante, sans commune mesure avec l'inflation, des prix du foncier. Inquiétante, car elle accroît mécaniquement le coût des logements, notamment dans les zones tendues, mais pas seulement. Elle aggrave les inégalités sociales, hypothèque la capacité d'accès au logement des classes moyennes et populaires et chasse ces dernières des centres-villes. Pas plus que vous, Monsieur le rapporteur, je ne me satisfais de cette situation ; je me réjouis que vous ayez pris cette problématique à bras-le-corps.
D'ailleurs, lorsque j'étais ministre du logement, outre la mise en place de mesures visant à favoriser l'accès à la propriété et aux logements locatifs, ainsi que la relance de la construction, j'avais commandé deux rapports sur la mobilisation du foncier privé en faveur du logement en 2016 : le premier à M. Daniel Goldberg et le second à M. Dominique Figeat. Certaines de leurs recommandations étaient très proches des termes de votre proposition de loi. Autant dire que je m'y retrouve.
L'interdiction de la vente par adjudication lors des cessions de foncier public, prévue à l'article 1er, va dans le bon sens. En effet, non seulement ces mécanismes de vente aux enchères se font parfois au détriment de la qualité des projets, mais ils conduisent surtout au surenchérissement des coûts fonciers et immobiliers. Cela s'explique par le rôle d'entraînement que jouent ces ventes, en affichant des valeurs qui font référence.
La cession de gré à gré ou le concours à prix fixe, que vous proposez, devraient quant à eux éviter les effets pervers. Nous aurons l'occasion d'échanger sur la nouvelle rédaction que vous proposez à l'article 1er. La création d'observatoires fonciers locaux reçoit, elle aussi, toute mon approbation.
Monsieur le rapporteur, nous avons travaillé ensemble à un amendement visant à sécuriser juridiquement la création de ces nouveaux organismes. Je tenais à souligner votre volonté d'associer différents groupes à ce travail de coconstruction et votre disponibilité pour y parvenir. Avec la création de ces observatoires fonciers locaux, nous pourrons lutter contre les comportements spéculatifs, en favorisant l'accès des particuliers et des professionnels aux informations sur les transactions immobilières et foncières, et en faisant connaître les méthodes d'évaluation foncières.
Toutefois, afin de rester cohérent avec les dispositifs existants, je proposerai que ces observatoires soient articulés avec les programmes locaux de l'habitat (PLH). De même, je souhaite que leur compétence d'observation puisse être déléguée aux agences d'urbanisme ou aux établissements publics fonciers.
J'en finirai avec votre proposition phare : la création d'un troisième droit de propriété. Cela a été dit : cette dissociation du foncier et du bâti a été introduite par la loi ALUR, qui a ouvert un champ d'expérimentation aujourd'hui limité au mécanisme des baux réels solidaires (BRS). Comme je vous l'ai déjà dit la semaine dernière, je partage votre objectif de sécuriser le dispositif et de simplifier l'agrément des BRS. Je suis en revanche réservée sur ce troisième droit de propriété. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen de l'article 2.
À mon tour, je voudrais féliciter M. Jean-Luc Lagleize, pour son rapport remis au Premier ministre, ainsi que pour sa proposition de loi, mais aussi pour la méthode utilisée, puisqu'il a associé à son élaboration les différents groupes de notre assemblée afin d'essayer de faire consensus sur un sujet particulièrement important.
Si nous avons tous les chiffres clés à l'esprit, il est toujours bon de les rappeler, à plus forte raison après l'hiver et le printemps de mobilisations sociales que nous avons connus. Le pouvoir d'achat reste au premier rang des préoccupations des Français ; or ce qui l'a le plus dégradé, c'est le poids croissant des charges fixes, en tête desquelles le logement, dont le coût a considérablement augmenté. Bien évidemment, en tant que matière première, le foncier joue un rôle déterminant dans la construction de son prix. Il faut analyser les raisons d'une telle flambée de la spéculation : est-elle due à la rareté des biens ou à une fiscalité trop favorable à la rente et à la rétention foncière ? Même si ce n'est pas l'objet du texte, pour aller plus loin sur cette question, il faudrait lancer un immense chantier de révision de la fiscalité foncière, afin d'empêcher les effets de rente.
Si la proposition de loi constitue un pas en avant, nous nous posons tout de même quelques questions, notamment sur le rôle d'Action Logement, auquel je suis très attaché. J'aimerais le voir revenir à sa fonction originelle, alors que la tendance est à la fiscalisation de ses recettes pour compenser les politiques publiques et les finances de l'État. Cette dérive me semble inquiétante. J'ai un doute sur la fonction que vous voulez donner à Action Logement à l'article 4. Je me réjouis en revanche de voir la charte promoteurs, si décriée par le monde de l'immobilier et mise en oeuvre dans certaines villes, reconnue, sinon sanctifiée dans votre proposition de loi.
De nombreuses propositions du rapport que vous avez remis au Gouvernement auraient mérité d'apparaître dans le présent texte. L'aide aux maires bâtisseurs, qui a disparu, aurait pu revenir sous la forme d'un reversement de l'impôt sur les plus-values immobilières. C'est un vrai sujet d'encourager les maires à construire, car cela nécessite souvent du courage, notamment politique. Je regrette également que la proposition 17, qui visait à faciliter le recours à la déclaration d'utilité publique (DUP) « réserve foncière », n'ait pas été retenue. La politique foncière repose aussi sur l'anticipation. Mais j'imagine que toutes ces pistes feront bientôt l'objet d'une nouvelle proposition de loi…
Comme le veut l'usage, mais en toute sincérité, je remercie le groupe MODEM de remettre la thématique centrale du logement au coeur de nos débats. En tant qu'élu de Seine-Saint-Denis, je vois, sans doute comme vous tous, s'aggraver la crise du mal-logement au quotidien. Notre pays compte désormais plus de 150 000 personnes sans domicile fixe, dont 30 000 enfants, tandis que, dans la seule ville de Paris, 200 000 logements sont actuellement vides.
Avec votre proposition de loi, vous souhaitez vous attaquer au prix exorbitant du foncier et, avouons-le, vous avez raison. Le Gouvernement devrait se saisir de toute urgence de la question des logements vides pour y mettre à l'abri ceux de nos concitoyens dont la vie – la vie ! – est menacée chaque nuit par le froid, la faim et la précarité sanitaire. Le prix du logement, que ce soit à la location ou à l'achat, est un facteur d'aggravation de la crise que plus personne ne peut nier. Hélas, le Gouvernement a fait le choix de baisser les APL, d'assécher les budgets des bailleurs sociaux et de maintenir les aides fiscales pour les spéculateurs.
L'Île-de-France compte, à elle seule, 700 000 demandeurs de logement social. La Cour des comptes prévoit pourtant qu'à l'horizon de 2035, la production d'habitats à loyer modéré tombera à 60 000 par an, du fait notamment des décisions gouvernementales. Pour ceux qui peuvent et veulent devenir propriétaires, le prix à payer est très excluant. À Montreuil, par exemple, le prix du mètre carré augmente de 10 % par an ! Petit à petit, toutes les villes de la proche banlieue sont touchées et la gentrification s'étend, brisant la mixité qui faisait encore l'intérêt et la douceur de vivre de certaines communes.
Si la proposition de loi a le mérite d'exister, elle reste insuffisante. La possibilité donnée aux collectivités locales de créer des offices de foncier libre pour dissocier le foncier et le bâti est une bonne idée que nous soutiendrons, à condition qu'elle ne restreigne pas l'offre pour les ménages à revenus modestes. Nous soutiendrons également la création d'observatoires locaux du foncier. Quant à la dépollution des friches industrielles, nous veillerons à ce que ce soient les pollueurs qui paient et non le contribuable. En revanche, nous sommes opposés à ce que des dérogations permettent à certains maires de se soustraire à certaines règles d'urbanisme. La loi doit être la même pour tous et partout.
Pour conclure, nous pensons utile d'inscrire dans la loi des dispositions permettant d'encadrer les prix à la vente. Certaines communes ont déjà mis en oeuvre de telles mesures que la loi doit soutenir. Les aides fiscales à l'investissement privé doivent être immédiatement supprimées, particulièrement quand elles encouragent la spéculation et la hausse des prix. Les logements vacants doivent être davantage taxés, ainsi que les hautes transactions immobilières. Enfin, tout doit être fait pour développer le logement public et permettre à l'État de garantir un toit à tous nos concitoyens. Tant il est vrai que se loger n'est pas un luxe, mais tout simplement un droit.
Avant de répondre à chacun des orateurs, je vous remercie tous pour vos encouragements. Depuis quelques jours j'en reçois beaucoup, ainsi que des messages de félicitations, de la part de tous les acteurs du foncier. Hier matin, au salon des maires, où j'ai été interrogé sur mon rapport ainsi que sur la proposition de loi que nous examinons, tout le monde était particulièrement satisfait du contenu.
Madame Boyer, vous avez avancé que ce n'était pas toujours en raison de sa rareté que le foncier était cher, parce qu'il y en avait de disponible. Comme je l'ai mentionné dans le rapport, il y a deux types de foncier qui sont disponibles et que l'on n'utilise pas ou peu, dont les terrains en friche, même dans les zones tendues.
Vous trouvez que l'article 4 est prématuré. Je l'ai dit tout à l'heure, alors que vous étiez en train de travailler dans l'hémicycle. Néanmoins, je ne souhaite pas qu'on l'oublie. C'est pourquoi je vous proposerai de le voter en l'état. J'ai demandé au ministre Julien Denormandie de nous faire savoir quand l'article 4 serait satisfait par les travaux engagés par Mme Emmanuelle Wargon, qui, dans mon esprit, étaient plutôt orientés vers la transformation de friches industrielles en nouveaux terrains industriels. Or, le sujet qui nous occupe aujourd'hui concerne la transformation de friches urbaines en logements. Si le ministre s'engage à ce que ce point soit traité par les groupes de travail de Mme Wargon, nous pourrons décider ensemble de supprimer cet article.
Monsieur Bazin, je vous remercie pour vos encouragements, qui me font plaisir. L'objectif de cette petite proposition de loi est d'offrir des logements accessibles aux Français. Vous avez fait remarquer que les mesures proposées n'étaient pas toujours opérantes dans l'ensemble du territoire. Cela est fort probable. Ce que je souhaite, c'est qu'elles le soient dans tous les territoires tendus. C'était l'objectif de mon rapport, d'où est issue la proposition de loi. Vous avez également beaucoup parlé d'éléments pouvant faciliter le parcours résidentiel, comme les APL accession ou le régime fiscal. Mais nous ne pouvons pas intégrer de tels éléments dans une proposition de loi, et encore moins dans une proposition de « niche » : il faut le faire dans un projet de loi de finances ou un projet de loi de finances rectificative.
Pour ce qui est de l'aménagement du territoire, un sujet important, je partage totalement votre point de vue : il faut y réfléchir globalement. J'ai eu des échanges à ce propos avec les maires hier matin. En revanche, j'ai été surpris qu'une maire de l'association des maires ruraux me dise qu'elle n'avait pas été entendue au moment du rapport. J'ai pourtant sollicité la totalité des associations d'élus, aussi bien ruraux que de montagne, du littoral ou de stations touristiques. Ils sont tous venus et ont été entendus. Seules l'association des maires ruraux et la mairie de Paris n'ont pas répondu à notre demande. Je pense que la loi que vous présentera Mme Jacqueline Gouraud, dite « 3D », pour décentralisation, différenciation, déconcentration, sera un moment important où vous pourrez travailler sur ce sujet.
Madame Florennes, je vous remercie pour votre soutien. Vous avez rappelé la très intéressante loi ELAN, que nous avons votée avec coeur l'année dernière et qui avait pour objet de réduire le coût de la construction – et le faisait bien. Nous avions peur que les économies réalisées soient essentiellement captées par les propriétaires de foncier et non par les acquéreurs finaux des logements. C'est pourquoi notre proposition de loi vient la compléter. Vous regrettez qu'elle ne contienne que six mesures sur les cinquante proposées dans mon rapport. C'est la contrainte de l'exercice : un projet de loi a l'avantage de pouvoir être examiné pendant plusieurs journées, contrairement aux propositions de « niche ». Cela étant, sur les cinquante propositions, si certaines sont de nature législative, d'autres sont essentiellement fiscales ou réglementaires, et relèvent du ministre. Une nette majorité de ces cinquante mesures sont à destination des élus locaux, de manière à renforcer leur pouvoir.
Madame Pinel, je vous remercie d'avoir accepté de travailler avec moi sur ce sujet. J'ai apprécié vos apports, pertinents et documentés, depuis la mission, à laquelle vous avez accepté de contribuer, jusqu'à l'élaboration de la proposition de loi. La ministre que vous avez été ne pouvait pas rester insensible à ce travail. L'article 2, sur lequel vous avez des doutes, est majeur. Toute une partie de la population française, celle qui n'est pas très riche et celle qui ne peut pas bénéficier d'aides, est exclue des zones tendues et contrainte d'aller habiter à dix, quinze ou vingt kilomètres des centres-villes. Nous n'allons pas faire baisser le prix du foncier ; la seule chose que nous pouvons faire, c'est d'essayer de le contenir et de trouver de nouveaux outils pour loger ces personnes. La dissociation entre le foncier et le bâti permettra de loger plus de monde.
Monsieur Peu, je vous remercie également d'avoir bien voulu travailler avec nous. Vous avez fait remarquer que la fiscalité était trop favorable à la rétention du foncier ; je suis entièrement d'accord avec vous. Il y a d'ailleurs dans mon rapport beaucoup de mesures qui revisitent la fiscalité du foncier, notamment l'abattement qui depuis trente ans a favorisé la rétention. Qui plus est, le mode de calcul de la plus-value est totalement inique. J'ai également proposé de reverser aux maires l'impôt sur les plus-values immobilières, puisque ce sont les collectivités locales qui font le prix du foncier. Mon rapport contient également une proposition de prime aux maires bâtisseurs, ce qui permettrait aux maires de délivrer des permis de construire, en épuisant les possibilités offertes par leur PLU.
Concernant l'article 4, Action Logement ne sera pas mis à contribution : c'est l'article 40 qui nous impose de désigner une structure ne relevant pas du champ public. Aussitôt le texte de la proposition déposé, nous avons appelé Action Logement pour leur dire que, si l'article était voté, le Gouvernement le remplacerait par un autre nom et qu'ils n'avaient pas à s'inquiéter.
Les autres propositions du rapport donneront lieu soit à des éléments dans les prochaines lois de finances, soit à des décrets du ministre.
Vous avez regretté que la DUP « réserve foncière » ne soit pas mentionnée. Mais elle l'est, dans un amendement du groupe Socialistes portant article additionnel après l'article 6. Je ne peux y être défavorable, dans la mesure où il reprend une des propositions de mon rapport.
Monsieur Corbière, je vous remercie de vos félicitations. Il y a en effet un état d'urgence à décréter concernant le logement en France. Vous avez mentionné les logements vacants, qui représentent un sujet sur lequel la loi ELAN a commencé à travailler, notamment en permettant à des propriétaires de logements parfois trop grands ou mal adaptés de les remettre sur le marché. Mais d'autres causes peuvent également expliquer la vacance : il peut arriver, par exemple, qu'une personne héritant d'un bien en mauvais état n'ait pas les moyens de le rénover. Dans ce cas, la prise de décision étant longue, il faut trouver des mécanismes pour l'accélérer.
Concernant l'extension de la gentrification, je partage votre point de vue. C'est pour cela que l'article 2 est important, pour permettre à de nouvelles personnes, notamment aux classes moyennes, de revenir habiter en centre-ville. Vous avez fait part de vos doutes sur les dérogations liées à l'article 6 ; j'ai expliqué précisément, avant que vous n'arriviez, que l'article 6 allait être supprimé, notamment parce que les élus devaient auparavant développer une culture du foncier.
TITRE Ier CASSER L'ENGRENAGE DE LA HAUSSE DES PRIX
Article 1er (art. L. 3211-1, art. L. 3211-12 et art. L. 3211-14 du code général de la propriété des personnes publiques) : Interdiction de la vente par adjudication lors des cessions de foncier du domaine privé de l'État et des collectivités territoriales
La commission examine les amendements identiques CE12 du rapporteur et CE26 de Mme Pascale Boyer, faisant l'objet de deux sous-amendements CE31 et CE32 de M. Thibault Bazin.
Les amendements CE12 et CE26 visent à améliorer la rédaction de l'article 1er, tout en en conservant les objectifs : limiter les modalités de cession des immeubles relevant des domaines privés de l'État et des collectivités territoriales aux seules ventes amiables – gré à gré, appel d'offres ou encore ventes notariales interactives. Cette réécriture permettra de mieux encadrer les ventes amiables sans interdire totalement les ventes par adjudication.
Monsieur le rapporteur, je maintiens que votre idée n'est pas applicable partout. Dans sa rédaction actuelle, l'article pourrait causer de vrais problèmes dans certaines cessions. C'est pourquoi mon sous-amendement CE31 vise à transformer l'obligation en simple faculté. J'ai bien noté les modifications apportées par vos amendements identiques ; mais, sincèrement, cela ne change pas grand-chose à l'article L. 3211-14 du code général des collectivités territoriales, par exemple.
Mon sous-amendement CE32 tend à supprimer, par cohérence, les alinéas 4 et 5. Le critère de prix peut être opportun à certains endroits, y compris quand il est inférieur à celui fixé par les Domaines. Cela arrive lorsque des collectivités n'arrivent pas à trouver preneur, notamment dans des territoires où il n'y a pas de rapport entre le revenu locatif et la valeur patrimoniale du bien. Ce n'est pas toujours une vision financière de l'immobilier qui prévaut ; parfois c'est une vision économique, au sens noble du terme. Je pense qu'il faudrait amender votre article pour que nous puissions l'accepter.
Contrairement à vous, Monsieur Bazin, je pense que ce mode opératoire doit s'appliquer de la même manière partout. Je conçois que vous souhaitiez le limiter. Certains biens exceptionnels ou un lot de copropriété dans un immeuble doivent être exclus, tout ce qui ne fait pas augmenter le prix du foncier peut être exclu. En réalité, que l'on soit en zone tendue ou non, le mécanisme de la vente aux enchères provoque la même augmentation de prix et le même effet cliquet. Avis défavorable aux sous-amendements, mais nous pourrons réfléchir d'ici à la séance à une liste d'éléments à exclure, établie par décret en Conseil d'État.
Monsieur Lagleize, c'est une « petite loi », mais sur un sujet énorme et très important pour nos concitoyens et lourd de conséquences ; on ne peut que se réjouir de tout votre travail. J'ai une question sur le changement de procédure et la manière dont le gré à gré sera mis en oeuvre. Dans les commandes publiques, il y a une obligation de transparence, de non-discrimination ou encore de lutte contre la fraude et la corruption. Avez-vous déjà des pistes pour garantir ces obligations et faire en sorte que tout se passe de la façon la plus juste ?
L'article 1er est à ce point fondamental qu'il doit s'appliquer partout et fixer la règle commune, même s'il pourra y avoir des exceptions à définir pour des biens très particuliers. Si nous voulons essayer d'enrayer la spéculation foncière, la moindre des choses, c'est que le prix ne soit plus le critère de l'attribution du lot ; faute de quoi, celui-ci reviendra toujours au mieux disant. Au contraire, dans la proposition de loi, l'attribution se fait sur la base d'un programme – il s'agit tout de même de fabriquer la ville – qui doit respecter le PLU ou encore des cahiers des charges. La règle est souvent de faire un appel à concurrence sur la base d'un programme et de sélectionner le projet, non pas sur son prix, qui est fixe pour éviter toute spéculation, mais sur sa qualité, son insertion urbaine et paysagère, ses performances environnementales, etc. Mais quand je vois les pratiques d'une municipalité dite de gauche, de gauche en fait, celles de la ville de Paris, je suis proprement scandalisé : les grandes opérations d'aménagement publiques des Batignolles, pour prendre la dernière en date, ont donné lieu à un surenchérissement du foncier, si bien qu'on a vendu des terrains 3 500 voire 4 000 euros au mètre carré pour construire des logements. Les prix se sont envolés et cela s'est répercuté sur l'ensemble du marché, et pas seulement sur les biens publics.
Je comprends qu'il est nécessaire de bien définir le gré à gré et de se prémunir du favoritisme ; la question se pose d'ailleurs aussi lors des consultations sur les prix. J'estime que la règle de la consultation doit être favorisée, mais elle doit porter sur la qualité du projet plutôt que sur le prix, sinon c'est toute l'idée maîtresse de votre loi qui est mise à bas. Et cette règle doit s'appliquer partout, y compris dans les endroits où le poids de la spéculation est moins fort. Le prix des terrains ne doit pas être le critère principal.
Je suis d'accord avec M. Peu : si nous voulons maîtriser les coûts du foncier, il faut que cette disposition s'applique partout, pas uniquement dans les zones tendues. J'ai eu par moi-même constater que, même dans des territoires dits « détendus », l'adjudication entraîne un renchérissement du foncier. La disposition proposée me semble aller dans le bon sens.
Je partage aussi l'avis de M. Peu sur l'évaluation de la qualité des projets selon les critères de mixité sociale, de qualité architecturale, paysagère ou environnementale. C'est essentiel et cela répond à une attente de nos concitoyens.
Pour ce qui est de la liste des exceptions, la rédaction proposée me convient bien. Je préfère qu'elle soit définie par un décret en Conseil d'État pour tenir compte de certains particularismes plutôt que de l'inscrire dans la loi. Ces dispositions sont de nature réglementaire. Méfions-nous également des lois bavardes qui, en même temps, peuvent se révéler insuffisantes suite à un oubli, ce qui impose de trouver un véhicule législatif pour compléter la liste ; c'est beaucoup plus facile lorsqu'on est dans le cadre du pouvoir réglementaire. Le décret permet enfin de circonscrire les éléments à un objet bien défini.
Je conçois que nous puissions travailler à cette liste d'ici à la séance, comme l'a proposé le rapporteur, afin de fournir des exemples qui permettront d'aider l'interprétation jurisprudentielle et indiqueront au Gouvernement la voie à suivre, mais gardons-nous de l'inscrire dans la loi.
Je rejoins M. Peu et Mme Pinel : l'approche ne doit pas se faire exclusivement par le prix, y compris en zone détendue. Il arrive d'y voir de très beaux échanges : j'ai en tête l'exemple d'une consultation dans laquelle l'arbitrage portait sur la qualité du projet, mais aussi sur le prix de vente des logements achevés – car c'est cela, le coeur du problème, et cela peut se régler entre les différents acteurs au cours des consultations, Laissons l'intelligence humaine aux collectivités locales…
Je m'interroge sur la portée de votre article, car le foncier cédé peut être de nature très différente : bâti, non bâti, destiné au logement ou non. Dans le cas de cessions par des collectivités de hangars ou de locaux artisanaux, des questions peuvent se poser sur le projet futur si les terrains ne sont pas destinés à y faire du logement : les élus pourraient être très ennuyés au moment de choisir entre un artisan et un autre. Si la finalité est de faciliter la construction de logements abordables, allons au bout de la logique. Je partage complètement cet objectif, mais mesurons l'impact global, en prenant en compte les externalités qui peuvent affecter les collectivités.
Quant à l'argument d'un renforcement du pouvoir des élus locaux, il peut être discuté : il est parfois préférable pour les élus de ne pas avoir à fixer un prix. Essayez de vendre une maison forestière au prix fixé… Il arrive qu'on ait du mal. Mais bien sûr, ces aspects ne sont pas liés au logement abordable.
Madame Hennion, toutes les modalités que nous évoquons existent déjà en droit. Les collectivités locales et l'État peuvent d'ores et déjà vendre de gré à gré, ou lancer un concours à prix fixe dont le critère de choix sera le geste architectural, la vocation sociale ou le développement durable.
Les enchères ne concernent que 9 % des ventes, mais ce sont elles les plus perverses : ce sont ces 9 % qui font monter les prix du foncier et fixent de nouvelles références. C'est ce qu'il ne faut pas faire, sauf dans les cas que le décret en Conseil d'État déterminera. L'argument de Mme Pinel est parfaitement juste à ce propos, mais j'aimerais que nous en discutions ensemble, afin de circonscrire clairement l'intention du législateur.
Nous échangions avec Mme Pinel en préalable à cette réunion, et nous imaginions la vente par l'État d'un hôtel particulier très haut de gamme dans la rue de Varenne. Faut-il recourir à des enchères en ce cas ? Si nous laissons la cession se faire aux enchères, nous contribuerons à faire du VIIe arrondissement le plus cher de Paris. Nous pourrons en débattre en séance afin encore que nos échanges éclairent le futur décret en Conseil d'État.
M. Bazin avance que le prix de vente des logements est plus important que le prix de cession des terrains. Il n'est pas incompatible, dans un même appel d'offres, de déterminer un prix fixe de cession du foncier et le prix de vente des logements à la sortie. Le prix de cession du foncier étant fixé, il faut exiger des promoteurs de prévoir un nombre déterminé de logements sociaux, de logements intermédiaires et de logements libres, qui seront vendus à un prix donné, à charge pour les candidats de présenter des programmes répondant à ces critères.
La commission rejette successivement les sous-amendements CE31 et CE32.
Je voudrais m'assurer que l'adoption des amendements CE12 et CE26 ne rétrécira pas le périmètre de l'article 1er.
La commission adopte les amendements identiques CE12 et CE26.
En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé.
Article 2 (art. L. 329-1 du code de l'urbanisme) : Création d'organismes de foncier libre
La commission adopte l'amendement rédactionnel CE29 du rapporteur.
Elle est saisie de l'amendement CE25 de M. Stéphane Peu.
Cet amendement porte sur le bail réel solidaire (BRS). Il est proposé de préciser les conditions de portage des organismes de foncier libre. Afin de prévenir tout risque spéculatif dans la durée, il convient de garantir que cette activité sera assumée par des sociétés à capitaux publics ou majoritairement publics.
Je remercie M. Peu d'avoir précisé la rédaction de l'article. Aux termes de mon rapport, les organismes de foncier libre doivent être à capitaux publics ou majoritairement publics. Au début de ma mission, j'avais l'esprit ouvert et je pensais que le secteur privé pourrait assumer ce rôle, mais en avançant dans mes travaux, et instruit par les comparaisons internationales, je me suis rendu compte que dans les pays où ces organismes étaient portés par des structures privées, ils n'empêchaient pas les prix du foncier d'atteindre des niveaux particulièrement élevés.
Cet amendement est totalement conforme à l'esprit de mon rapport ; j'en suis d'ailleurs cosignataire.
Les conditions de portage de ces organismes fonciers seront décidées par ordonnance ; nous ne sommes donc pas favorables à cet amendement.
Je suis surpris qu'un député, dans le cadre d'une proposition de loi, décide de s'en remettre au Gouvernement pour légiférer dans ce champ… Je vous invite à ne pas procéder de cette manière : s'il faut en passer par des ordonnances, c'est au Gouvernement de le demander, pas à notre commission. Nous sommes députés, dans une assemblée délibérante, et nous n'avons pas à demander au Gouvernement de se substituer à nous. Je vous invite à attendre que le Gouvernement dépose un amendement en ce sens pour en discuter, il ne nous revient pas de le faire.
Si je peux me permettre, Monsieur le rapporteur, la loi ELAN prévoyait des ordonnances, et au vu du travail nécessaire pour les produire, par exemple sur le droit de la copropriété, le recours aux ordonnances a présenté un réel intérêt pour aboutir à un texte qui a ensuite fait l'objet de concertations. Les ordonnances ont parfois des vertus pour traiter des sujets techniques qui nécessitent un travail de longue haleine.
Je ne nie absolument pas l'intérêt des ordonnances, Monsieur le président, mais vous citez l'exemple d'un projet de loi, présenté par le Gouvernement. Si le Gouvernement vient proposer à l'Assemblée de légiférer par ordonnance sur un sujet donné, on en discute ; mais une proposition de loi, qui émane des députés, ne saurait prévoir de recours aux ordonnances.
On peut en déduire que le Gouvernement viendra déposer un amendement pour rédiger ces dispositions par ordonnance… À titre personnel, sur des sujets techniques tels que celui-ci, je ne suis pas opposée à l'utilisation de cette procédure. Lorsque j'étais au Gouvernement, j'ai eu recours à des ordonnances en matière d'urbanisme, car c'est un domaine extrêmement complexe.
Cela étant, je pense que l'amendement de notre collègue Peu va dans le sens que nous souhaitons, conformément au rapport, et je souhaite que notre commission l'adopte. Je suis toujours étonnée que de voir des parlementaires solliciter un recours aux ordonnances.
Compte tenu de l'état d'esprit qui a présidé à l'élaboration de ce texte, je me garderai de soulever une polémique, mais je trouve un peu choquant qu'un député annonce qu'il est préférable de procéder par ordonnances, alors que seul le Gouvernement peut le faire. J'espère que cette inversion des rôles ne sera pas relevée par les observateurs de l'Assemblée nationale et de la séparation des pouvoirs. Nous verrons en temps voulu si le Gouvernement souhaite présenter dans l'hémicycle un amendement visant à l'autoriser à légiférer par ordonnance.
Par principe, je n'aime pas beaucoup les ordonnances. Elles peuvent se justifier sur certains sujets techniques, comme le disait le président Nogal, mais en l'espèce, ce n'est pas du tout le cas ici. Le foncier solidaire à vocation sociale fonctionne avec des agréments de l'État, et, par définition, avec des organismes bailleurs publics. Dès lors que la loi permet de déconnecter le foncier de la propriété bâtie également pour le secteur libre, il faut aussi prévoir un encadrement : le bailleur durable doit être une société publique, ou à capital majoritairement public, pour éviter la spéculation à long terme. C'est une question éminemment politique, et non un sujet technique. Si le Gouvernement présente un amendement pour légiférer à ce sujet par ordonnance, je m'y opposerai. Quoi qu'il en soit, le Gouvernement n'est pas présent aujourd'hui et Mme Boyer n'est pas encore ministre ; je propose donc que notre commission adopte mon amendement CE25.
Je ne souhaite pas me départir de la courtoisie à laquelle le rapporteur s'astreint remarquablement, mais je suis scandalisé. Je n'en peux plus de nous voir ainsi nous dessaisir de notre rôle de législateur, et sur un sujet aussi sérieux ! J'étais responsable de la loi ELAN par mon groupe, et je peux vous assurer que pour rédiger les ordonnances, même le ministère du logement a des difficultés car il dépend d'arbitrages de Bercy. Tous les ministères n'ont pas le même poids ; c'est donc à nous, en tant que politiques, de poser des principes. M. Stéphane Peu vient de le dire, il ne s'agit pas de détails, de modalités de mise en oeuvre, mais bien d'une question de principe. Ce n'est pas à l'administration d'en décider, aussi brillante et talentueuse soit-elle. La commission des affaires économiques doit être capable de placer l'économie au centre, et de rappeler que la finance est à son service. Nous ne devons pas considérer le logement comme un actif financier, mais comme un actif économique au sens noble. Et quand il faut poser des principes, c'est à la Représentation nationale qu'il revient de le faire.
Permettez-moi de venir à la rescousse de ma collègue : cet appel aux ordonnances, certes un peu maladroit, ne visait qu'à traduire le souhait d'avancer rapidement sur ces sujets fondamentaux, ce qui va dans le sens de notre volonté commune.
J'aurais voulu dire quelques mots sur les amendements qui seront discutés plus tard, car je dois quitter cette réunion pour me rendre à des auditions.
S'agissant de la petite controverse qui vient de naître, les ordonnances ne peuvent que servir à accélérer la mise en place d'une solution politique que nous devons décider ici. En effet, la finance doit être au service de l'économie, et l'économie au service de l'homme.
Nous soutenons totalement la démarche de M. Lagleize, qui s'inscrit dans la ligne d'autres propositions du groupe MODEM, et notamment des travaux de M. Jimmy Pahun ou de M. Jean-Noël Barrot. Nous retrouvons la même démarche d'ouverture et de coopération, que je salue et à laquelle j'apporte mon total soutien. Cette proposition renforce le pouvoir d'achat des ménages, qu'ils accèdent à la propriété ou qu'ils louent leur logement, et touche également à l'économie du foncier, sujet qui me tient à coeur.
Mon collègue Serge Letchimy soutiendra plusieurs amendements visant à améliorer la cohérence de cette proposition. Nous proposerons de recaler les périmètres et les missions, nous insisterons sur la possibilité de constituer des réserves foncières en recourant aux déclarations d'utilité publique ; d'autres propositions viendront consolider une proposition de loi que nous jugeons très importante pour protéger le bien commun et le pouvoir d'achat.
Je propose d'adopter l'amendement CE25 de M. Peu, afin que ce principe soit clairement posé et inscrit dans le texte qui sortira de notre commission. Bien évidemment, le texte pourra ensuite être amélioré, et je savais déjà que le Gouvernement souhaite proposer de retravailler sur les baux, notamment le bail réel libre, qui doit faire l'objet d'un travail technique. Mais ce n'est pas le lieu pour en discuter, nous le verrons en séance. Le texte issu de nos travaux doit traduire les souhaits de la commission et la direction que nous souhaitons donner.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte ensuite l'amendement rédactionnel CE30 du rapporteur.
Elle adopte enfin l'article 2 modifié.
Article 3 (art. L. 132-6 et L. 132-6-6 [nouveau] du code de l'urbanisme) : Mise en place d'observatoires fonciers locaux
La commission est saisie de l'amendement CE24 de Mme Sylvia Pinel, qui fait l'objet des sous-amendements CE33 de M. Thibault Bazin, CE37 de Mme Pascale Boyer et CE34 de M. Thibault Bazin.
Mon amendement CE24 consacre la définition des observatoires de l'habitat et du foncier et conforte leurs missions, ainsi que les organismes qui peuvent les porter : agences d'urbanisme, établissements publics fonciers, établissements publics fonciers locaux.
L'objectif est également de fixer des délais pour instaurer ces observatoires de l'habitat et du foncier, afin de disposer d'outils de transparence du marché foncier et de faciliter la mise en commun de données et d'observations au niveau des territoires de compétence.
Nous ne souhaitons pas, dans une proposition de loi, aggraver les charges incombant aux collectivités. À terme, l'objectif serait que ces observatoires de l'habitat et du foncier jouent le même rôle que les observatoires des loyers et fournissent des données stabilisées, transparentes, qui puissent être réellement utiles.
J'ai essayé de jouer au jeu des différences entre la rédaction initiale de l'article et celle proposée par cet amendement. Il n'est pas évident de travailler sur une proposition de loi dont les articles sont totalement réécrits par amendement, mais c'est une bonne chose, cela prouve que nos débats sont vivants.
L'amendement CE24 supprime toute référence aux zones tendues. L'article 3, dans sa rédaction initiale, prévoyait la création des observatoires de l'habitat et du foncier dans les zones tendues ; la nouvelle rédaction proposée les généralise partout. Pour ma part, je souhaite rendre aux collectivités la liberté d'en décider. Je ne suis pas opposé à l'idée de Mme Pinel et du rapporteur, mais si elle est opportune dans certains endroits, elle l'est moins dans d'autres, notamment dans certaines communautés de communes rurales ou rurbaines. Au moment où se tient le congrès de l'Association des maires de France, je ne crois pas qu'il soit très pertinent de créer une nouvelle obligation dans ce domaine.
Préciser les missions des observatoires de l'habitat et du foncier est intéressant, mais je m'interroge sur l'intérêt de les imposer hors des zones tendues. La définition même des zones tendues pose d'ailleurs problème, mais c'est un autre débat. Mon sous-amendement CE33 rend donc facultative la création des observatoires du foncier, afin de les réserver aux lieux où ils sont réellement nécessaires.
Nous avons collectivement salué le travail du rapporteur, qui a préalablement consulté l'ensemble des groupes, et il se trouve justement que notre collègue Pascale Boyer présente un sous-amendement visant à réintroduire la référence aux zones tendues dans la nouvelle rédaction proposée pour l'article 3.
Effectivement, mon sous-amendement CE37 vise à restreindre aux zones tendues l'obligation de création des observatoires de l'habitat et du foncier, afin de ne pas créer une charge trop importante pour les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en zones détendues. Comme nous avons rappelé à plusieurs reprises, l'objet de cette proposition de loi est de traiter le problème des zones tendues.
Le sous-amendement de Mme Boyer est très intéressant : je suis en train de lire l'article 232 du code général des impôts et notre discussion rouvre celle que nous avions eue sur la zone B2 du zonage Pinel… Allons donc jusqu'au bout dans la définition des zones tendues, y compris à partir de ce que l'on peut observer sur les territoires rendus éligibles ! Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) recommandent de réaliser au préalable un programme local de l'habitat (PLH) afin de mettre en évidence les déséquilibres ; ensuite, elles jugent si les communes doivent ou non être considérées comme éligibles et qualifiées de tendues.
Mon sous-amendement CE34 vise à modifier les délais fixés afin de tenir compte de la publication de la loi et de ne pas créer de nouvelles charges pour les collectivités qui viennent de consacrer une part non négligeable de leur budget à financer les études liées aux PLH et PLU. Le décalage proposé permettrait à celles qui viennent d'approuver leurs PLU et PLH ne pas avoir à supporter de nouvelles charges et celles qui ne l'ont pas encore fait de les intégrer.
Je suis favorable au sous-amendement CE37 de Pascale Boyer qui limite l'obligation de création des observatoires aux zones tendues. Il me paraît en effet disproportionné, à ce stade, de demander une telle charge à l'ensemble des collectivités locales.
Néanmoins, l'expérience des observatoires des loyers montre bien, même dans les territoires où les loyers ne sont pas encadrés, combien il est intéressant de connaître le marché. Je suis persuadée que l'observatoire du foncier présentera un jour le même intérêt, y compris pour les territoires les moins tendus.
Enfin, si je peux souscrire à l'idée, cher collègue Thibault Bazin, que le zonage doit être parfois revu dans le cadre de l'examen du PLF, du débat budgétaire, en présence du Gouvernement dès lors que celui-ci s'est engagé à le faire, on ne saurait renvoyer au rapporteur Lagleize la question de la révision du zonage, d'autant qu'elle relève du domaine réglementaire : c'est au ministre du logement, comme je l'ai fait en 2014, que ce travail incombe, et il doit le faire en profondeur, avec courage.
Il faut en effet compter avec ceux qui disent qu'il faut de l'investissement locatif, avec ceux qui disent qu'il n'en faut pas, avec ceux qui jugent que la zone est tendue et ceux qui la considèrent moyennement tendue… Que je sache, notre rapporteur n'est pas encore ministre du logement !
En l'occurrence, je ne peux pas lui faire un tel reproche à l'occasion de cette proposition de loi !
Je soutiens cet amendement et j'espère que nous aurons un jour l'occasion d'avoir un débat plus approfondi sur ces notions de zones tendues ou détendues qui, à mon sens, ne nous éclairent pas toujours. Pour avoir aussi rencontré nombre d'élus en zones dites détendues, j'y ai vu ce que pouvaient être les effets néfastes d'un nombre excessif de produits à forte rentabilité en raison de spéculations, notamment sur le foncier. Je n'ai pas inventé ces logements vides, dans certaines villes moyennes, qui correspondent soit à des produits intégralement défiscalisés, soit à des résidences à statuts particuliers, des résidences services, pas bien définies, vides et qui ne trouvent pas preneurs. En zone tendue comme en zone détendue, le marché du logement doit être encadré par des finalités d'intérêt général. Il faut trouver les bonnes modalités, mais l'encadrement doit être de règle partout.
Je n'ai pas déposé d'amendements mais j'avais cru comprendre, de prime abord, que les observatoires prévus dans cet article 3 pourraient indiquer des prix de vente maximum pour les logements sociaux et intermédiaires – c'est pourquoi j'ai évoqué précédemment les « chartes promoteurs » – mais également pour les logements libres : outre la régulation des prix des terrains, il faut en effet réguler les prix de vente car le but, c'est tout de même que l'acquéreur s'y retrouve et achète dans de bonnes conditions. Or, votre dispositif ne vise que les logements sociaux et intermédiaires, alors que les mêmes dérives existent pour les ventes en état futur d'achèvement (VEFA) dans le logement social comme dans le logement libre. Quelle en est la raison ? Je l'ignore. En tout état de cause, cela mériterait d'être amélioré d'ici à la séance.
Mea culpa, Madame Pinel : vous avez raison, le zonage n'est pas du ressort du rapporteur, mais du domaine du règlement.
Si je soutiens votre amendement, je m'interroge néanmoins sur la notion de « zone d'urbanisation continue de plus de cinquante mille habitants » telle que posée dans l'article 232 du code général des impôts. Il est possible que, sur certains territoires, un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements entraîne de sérieuses difficultés en raison par exemple de contraintes géographiques. Sans doute faudra-t-il appeler, en séance publique, l'attention du ministre sur le fait que cette définition peut exclure des territoires où des problèmes se posent.
Je suis bien évidemment favorable à l'amendement défendu par Mme Pinel.
Dans l'esprit du rapport, ces observatoires du foncier sont obligatoires dans les zones tendues et optionnels dans les zones détendues. Ils n'y sont pas interdits : dans une zone détendue où les élus considèrent qu'un tel besoin se fait ressentir, rien ne les empêche d'en créer un. Mais ils ne sont obligatoires que dans les zones tendues.
Quant au sous-amendement CE33 de M. Bazin, il est satisfait par le sous-amendement CE37 de Mme Boyer.
Bien sûr. Je vous propose donc de le retirer au bénéfice de celui de Mme Boyer.
Enfin, votre sous-amendement CE34 décalerait les dates d'effet, ce qui ne me semble pas opportun. Dans les deux ans, toutes les zones tendues devront toutes disposer d'un observatoire du foncier. Je vous demande également de le retirer ; à défaut, mon avis sera défavorable.
Je retire mon sous-amendement CE33 au profit de celui de Mme Boyer – en espérant que celui-ci sera adopté, mais j'ai encore confiance. Je maintiens en revanche mon sous-amendement CE34 : compte tenu des sommes investies par les collectivités qui viennent à peine de terminer leur PLH, vous créez une charge inopportune.
Le sous-amendement CE33 est retiré
La commission adopte le sous-amendement CE37.
Puis elle rejette le sous-amendement CE34
Elle adopte l'amendement CE24 sous-amendé
En conséquence, l'article 3 est ainsi rédigé et les amendements CE14 et CE15 de M. Dominique Potier tombent
Après l'article 3
La commission est saisie de l'amendement CE17 de M. Dominique Potier.
Il est regrettable que ces deux derniers amendements soient tombés.
Avant de présenter cet amendement, je note que M. Stéphane Peu a dit quelque chose d'essentiel. La dissociation que vous opérez entre le foncier lui-même et l'ensemblier qui l'occupera avec des immeubles rendra la lutte contre la spéculation foncière inopérante : aucune mesure n'est prise en particulier contre les ventes et les reventes. La non-spéculation foncière risque de reporter la spéculation sur les bâtiments occupés, cédés et recédés.
Cet amendement propose qu'une convention soit passée entre les établissements publics fonciers, les SAFER (sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural) et les régions pour que l'on puisse trouver des modalités et des stratégies d'intervention cohérentes sur l'ensemble du territoire concerné.
Cet amendement ne correspond pas pleinement à l'esprit de cette proposition de loi. Il propose d'imposer uniformément et systématiquement la signature d'une convention avec des acteurs qui ne sont pas tous impliqués dans le logement, et notamment la région. La France étant très diverse, l'imposition d'une convention dont on ne connaît pas nécessairement le contenu, faute de l'avoir précisé, ne me paraît pas opportune.
Je vous invite à le retirer ; sinon, avis défavorable.
Je le maintiens, car le lien est très étroit entre les schémas d'aménagement régionaux – en Martinique par exemple –, les SAFER et les établissements publics fonciers. Il arrive que ces derniers soient d'ailleurs financés par les collectivités régionales.
Vous parlez du foncier mais vous n'évoquez jamais la charge foncière ; or on ne construit pas sur un terrain sans y amener les réseaux. Les communes, les collectivités régionales sont interpellées quant au désenclavement du terrain, à l'accompagnement de la diversification, etc.
Je considère donc, en dépit de vos observations, que cet amendement a toute sa place dans ce texte.
Je comprends qu'une collectivité territoriale, une région ou autre ait un besoin spécifique mais ce n'est pas suffisant pour en faire une généralité sur l'ensemble de la République française. Pour la Corse également, il y aurait des choses à faire, mais cela nécessiterait un véhicule législatif particulier.
La commission rejette l'amendement
Elle étudie ensuite l'amendement CE19 de M. Dominique Potier
Cet amendement va à peu près dans le même sens que le précédent mais à l'échelle des schémas de cohérence territoriale (SCOT), dont les établissements publics fonciers locaux – dans l'esprit de ce qu'a développé M. Lagleize – doivent être de parfaits outils pour réguler la spéculation ou lutter contre elle. Ils seraient le bras armé des SCOT.
Selon moi, les SCOT sont des documents de planification stratégique de long terme à l'échelle intercommunale. Je ne les vois pas intervenir dans ce domaine particulier. Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement
Article 4 (art. L. 313-3 du code de la construction et de l'habitation) : création d'un fonds pour la dépollution
La commission adopte l'article sans modification
Peut-être ai-je du mal à comprendre toutes les formes du « en même temps » mais, si j'en crois vos propos liminaires et les confidences du Gouvernement, cet article devait passer à la trappe. Attendez-vous la séance publique pour ce faire ?
Le ministre nous a dit qu'il allait s'engager en séance à propos de cet article. Tout ce qui concerne les friches urbaines destinées à la création de logements relèvera des groupes de travail de Mme Emmanuelle Wargon.
Lorsque cet engagement aura été pris, nous pourrons, quant à nous, décider, en conscience, si nous supprimons ou non cet article – a priori, il devrait être supprimé puisque nous ferons confiance au ministre.
Le ministre n'étant pas là, je ne peux que vous faire part d'un échange que j'ai eu avec lui, mais vous n'êtes pas obligé de me croire. Je préfère donc que ce soit lui qui s'exprime.
Tout en restant dans la bienveillance et en la bonne humeur qui préside à l'examen de ce texte, Monsieur Bazin, je vous rappelle les propos que vous avez tenus, comme plusieurs de nos collègues : nous sommes en commission et nous faisons notre travail de parlementaires… Peu importe l'avis du Gouvernement qui pourrait nous arriver par une arrière-cour ou à travers des bruits de couloir. Restons-en là !
TITRE II LIBERER PLUS DE FONCIER ET OPTIMISER LE FONCIER DISPONIBLE EN DONNANT AUX MAIRES LES OUTILS PERMETTANT L'OPTIMISATION DE LEUR POLITIQUE DE LOGEMENT
Article 5 (art. L. 1311-9 et L. 1311-11 du code général des collectivités territoriales) : Possibilité de recourir à une expertise agréée pour les opérations de cession, vente et préemption décidées par les collectivités territoriales
La commission examine l'amendement CE21 de M. Dominique Potier, qui fait l'objet du sous-amendement CE35 de M. Thibault Bazin.
Il est vrai que les services des Domaines, administrativement, sont parfois un frein en raison de leur lenteur mais il n'en est pas moins important de constater, Monsieur Lagleize, qu'ils ont une obligation de service public pour réguler les prix. En ouvrant la possibilité de recourir à un expert, ne faut-il pas mieux encadrer le positionnement de ce dernier pour ne pas aboutir à une évaluation classique de type « marché » puisque les services des Domaines ont une dimension « marchés publics » en raison de leurs dévolutions et responsabilités ? Tel est l'objet de l'amendement CE21.
Je remercie M. Letchimy qui, finalement, a parfaitement exposé les motifs de mon sous-amendement CE35 : c'était à se demander s'il n'était pas en train de le défendre !
Je ne veux pas dénier toute responsabilité aux Domaines. Les collectivités locales souffrent parfois de leur absence de réponse, ce qui pose un vrai problème, mais je ne voudrais pas que l'on systématise, en quelque sorte, le recours aux experts agréés, ce qui déchargerait encore l'État d'une responsabilité – et qui plus est aux frais des collectivités : qui paie les experts ? Les Domaines assurent une mission de service public ; mais les experts, demain, ne travailleront pas gratuitement, à moins que j'aie mal compris.
Je remercie donc mon collègue Letchimy d'avoir si bien défendu mon sous-amendement, qui vise à introduire un délai de réponse pour les Domaines afin de les responsabiliser. En l'absence de réponse, il sera alors possible de recourir aux experts agréés, ce qui d'ailleurs serait dommageable pour les collectivités, je le répète, puisque cela créerait une charge supplémentaire pour elles – qui plus est durant cette belle semaine où l'on n'a de cesse de protester d'une belle confiance envers les maires !
Le sous-amendement de M. Bazin vise à instaurer un délai. Or le problème ne tient pas au délai, mais à la qualité de la réponse du service des Domaines, inégale sur l'ensemble du territoire : parfaite dans certains endroits, beaucoup moins opportune dans d'autres.
Le problème n'est donc pas de disposer d'un délai mais d'une option : un maire pourra ainsi décider s'il fait appel au service des Domaines ou à un expert immobilier privé.
Afin que vous soyez rassurés sur la compétence de ce dernier et sur la régularité de ses avis, je précise que ce sont des experts immobiliers près la Cour d'appel qui sont visés par l'amendement de M. Potier, « merveilleusement défendu » – c'est un peu ironique de ma part – par M. Letchimy.
Je soutiens l'amendement défendu par notre collègue Letchimy, qui me paraît intéressant.
S'agissant des propos de M. Thibault Bazin, mon avis est assez contrasté. Pour bien connaître l'administration des Domaines, je sais que les choses ne sont pas aussi simples et idéales que ce qu'il nous a présenté. C'est pourquoi je ne suis pas favorable à son sous-amendement.
Je suis séduit par l'idée d'une alternative aux Domaines pour une raison simple : les Domaines suivent le marché alors que cette loi vise précisément à le réguler et, en particulier, à réguler les prix. Or, sans entrer dans les détails, le calcul des Domaines est « suiviste » et ils ne jouent en rien un rôle régulateur.
L'amendement de M. Potier, qui permet de recourir à des experts privés disposant des qualités et agréments nécessaires me convient, mais il faudra bien un jour ouvrir le chantier des Domaines et remettre en question leur mode de calcul. Cela dit, à chaque jour suffit sa peine : dans un premier temps, je souscris à cet amendement.
Globalement, les délais d'intervention des Domaines sont un vrai problème de même que, parfois, la qualité de leur réponse, effectivement assez inégale. Et lorsque des contentieux se font jour sur la valeur des biens, notamment au tribunal, on s'aperçoit qu'il existe plusieurs méthodes remarquables pour les valoriser. Il est vrai aussi que les experts agréés peuvent être très bons, mais leurs services auront un coût pour les collectivités. Sans doute faudra-t-il, la semaine prochaine, que le Gouvernement entende cette demande d'une réforme des Domaines afin qu'ils répondent mieux aux attentes. Je retire mon sous-amendement, mais j'espère que cet appel à leur réforme sera entendu.
Le sous-amendement est retiré
Deux observations importantes, Monsieur Lagleize.
M. Bazin l'a dit : l'estimation des Domaines – c'est une obligation légale à laquelle on ne peut se soustraire – est gratuite mais un expert devra être payé, ce qui représente un coût supplémentaire pour la collectivité.
En outre, l'estimation des Domaines doit être respectée, avec une tolérance de l'ordre de 5 % à 10 % au-delà ou en deçà, mais la réglementation est très précise. Il conviendra donc que vous autorisiez les maires à avoir une marge de manoeuvre plus grande, dans un sens comme dans l'autre, par rapport au prix estimé par l'expert.
Je ne suis pas opposé à cette expertise, mais prenons garde : votre objectif, avec cette proposition de loi, est de réguler les prix et de maîtriser la spéculation ; il ne faut pas que ces nouveaux outils le contredisent. Je maintiens mon amendement.
Nous ouvrons pour les collectivités la possibilité d'un choix entre les Domaines et les experts. Si elles souhaitent se payer un expert, elles se le paieront et si elles souhaitent faire appel aux Domaines, elles le feront. Nous ne leur imposons rien.
Je remercie M. Bazin pour avoir retiré son sous-amendement.
Je suis bien sûr favorable à l'amendement de M. Potier, dont je suis cosignataire, et que M. Letchimy a « superbement » défendu.
La commission adopte l'amendement
En conséquence, l'article 5 est ainsi rédigé
Article 6 (art L. 151-2 et L. 152-6 du code de l'urbanisme) : Généralisation de dérogations au plan local d'urbanisme
La commission examine les amendements identiques CE13 du rapporteur et CE22 de M. Dominique Potier
Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je vous propose de supprimer cet article en attendant que la « culture du foncier » soit bien diffusée parmi nos élus locaux. Nous en reparlerons un peu plus tard.
La commission adopte les amendements
En conséquence, l'article 6 est supprimé
Après l'article 6
La commission examine l'amendement CE11 de M. Stéphane Peu
Je souhaite rectifier la rédaction de cet amendement en supprimant la référence à l'article L. 132-6-1 du code de l'urbanisme.
Cet amendement vise à étendre le droit de préemption pour qu'il puisse être exercé lorsque le prix de vente est excessif au regard des analyses des prix effectuées par l'observatoire du foncier. Nous savons que, dans les transactions foncières, certains prix peuvent être anormalement élevés. Le droit de préemption doit pouvoir s'exercer si nous voulons contenir les effets spéculatifs. En l'état, ce n'est pas légal et si cela se fait, c'est « borderline ».
Je suis très mal à l'aise car cet amendement est issu d'une proposition figurant dans mon rapport de mission. Il importerait, en effet, que les maires puissent bénéficier de ce droit de préemption en raison de prix manifestement exagérés. Je précise dans mon rapport que cela pourra être le cas lorsque l'observatoire du foncier sera bien calibré, indépendant, sécurisé, et qu'il sera possible d'ester en justice une fois ses décisions rendues.
L'article 3 de la présente proposition de loi instaure un observatoire du foncier mais qui n'est pas indépendant, afin de ne pas créer de charges externes ; dans les EPCI, il est associé aux PLH. Je crains donc que nous n'installions un outil qui ne serait pas opérationnel dans la mesure où l'observatoire pourrait être juge et partie.
J'aurais tendance à vous demander d'attendre que ces observatoires aient été actifs pendant un, deux ou trois ans afin de voir comment il serait possible de les labelliser, comment les rendre aussi efficaces et aussi présents que les observatoires des loyers, pour revenir ensuite à la charge en proposant une telle disposition.
Je vous invite, d'un côté, à retirer votre amendement mais, comme vous proposez une mesure plutôt bonne, je vous invite également à ce que nous en reparlions. Étant mal à l'aise, j'émets un avis de sagesse.
Je maintiens qu'il s'agit d'un excellent amendement, puisqu'il est issu du rapport Lagleize… Plus sérieusement, je dirai qu'il est également issu de l'expérience. Je consens à le retirer, mais je crois vraiment qu'il mérite de donner lieu à un débat en séance publique avec le ministre : c'est un vrai sujet, et une mesure très attendue. Je le redéposerai donc en vue de la séance.
L'amendement CE11 est retiré.
La commission est saisie de l'amendement CE23 de Mme Marie-Noëlle Battistel.
L'amendement CE23 a pour objet de consolider la mise en place des déclarations d'utilité publique pour réserve foncière, qui sont actuellement très compliquées à réaliser par les maires : il faut qu'il y ait un projet très bien défini et, à défaut, un caractère d'urgence. Comme je le proposais déjà dans le rapport rédigé dans le cadre de ma mission, cet amendement vise à faciliter le recours des élus locaux à la procédure de DUP « réserve foncière », même lorsque l'acquisition ne présente pas un caractère d'urgence. J'y suis donc favorable.
La commission adopte l'amendement.
Article 7 (art. L. 302-3 du code de la construction et de l'habitation) : Publication en conseil municipal d'un compte rendu annuel de la création de logements et lien entre PLH et PLU
La commission examine l'amendement CE28 du rapporteur, qui fait l'objet des sous-amendements CE36 de M. Thibault Bazin et CE38 de M. Thierry Benoit.
Cet amendement à l'article 7 prévoit la réalisation d'un compte rendu annuel au sein des communes, portant sur la différence entre le nombre de logements prévus au PLH et le nombre de logements effectivement construits. Ce compte rendu, effectué en s'appuyant sur les éléments fournis par l'observatoire du foncier, ne nécessitera pas de travail supplémentaire de la part des communes, mais permettra un débat entre le maire, sa majorité et son opposition, afin de préciser un certain nombre d'éléments. C'est un des outils de transparence que j'ai souhaité proposer au Premier ministre.
Monsieur le rapporteur, je trouve votre idée intéressante dans les zones tendues : il semble opportun que le débat que vous proposez puisse avoir lieu là où la construction de logements constitue une vraie préoccupation pour les habitants et les élus des conseils municipaux. Je sais que, dans ma circonscription, certaines communes de la métropole dotées d'un programme local de l'habitat peuvent ressentir le besoin de ce débat. Mais dans les communautés de commune à caractère rural, en particulier dans les communes de moins de 100 habitants ayant des objectifs de construction de logements proches de zéro, je ne vois pas vraiment la nécessité d'organiser un débat annuel sur ce point. Cela pourrait même donner lieu à des situations assez cocasses… Imaginez le maire ouvrant la séance en disant : « Il était prévu de ne construire aucun logement, il n'en a été construit aucun et je vous propose maintenant d'en débattre. »
Nous devons nous adapter à la réalité de nos territoires : ce débat sur la réalisation du PLH sera très opportun dans certains endroits, beaucoup moins dans d'autres. Le sous-amendement CE36 vise donc à ne pas rendre obligatoire le compte rendu annuel pour toutes les communes, afin de ne pas imposer à certaines des contraintes inadaptées.
Je vous remercie de nous avoir exposé cette situation cocasse, Monsieur Bazin, mais a priori elle ne se présentera pas, dans la mesure où mon amendement précise bien que le débat n'aura lieu que dans les endroits où il existe un observatoire du foncier – or, les observatoires du foncier ne sont obligatoires que dans les zones tendues : ailleurs, ils sont optionnels. Il est impossible qu'il soit proposé d'organiser un débat dans une zone où il y aurait zéro construction à réaliser, puisqu'il ne s'agirait pas d'une zone tendue… Pour cette raison, j'émets un avis défavorable à votre sous-amendement.
J'ai en tête des exemples de collectivités qui, bien que ne figurant pas dans la liste des zones tendues, ont cependant effectué, avec le concours d'établissements publics fonciers, des travaux remarquables visant notamment à l'aménagement de friches. Dans ces cas, même si les territoires concernés ne présentent pas une très forte attractivité et même s'il ne s'agit pas de zones tendues, des observatoires du foncier ont été mis en place. Comme vous le voyez, dans les toutes petites communes, le critère de l'existence d'un observatoire du foncier ne semble donc pas pertinent pour juger de l'opportunité d'organiser un débat portant sur la réalisation des objectifs du PLH.
Je vous confirme que nous avons lié la présence d'observatoires du foncier et la classification en zone tendue.
Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, je veux d'abord vous prier de m'excuser pour ma faible participation aux travaux de la commission, qui s'explique par la nécessité où je me trouve d'assister aux débats ayant actuellement lieu en séance publique, qui portent sur le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique.
Par ailleurs, comme d'autres l'ont fait avant moi, je veux saluer le travail de notre rapporteur, ainsi que l'état d'esprit qui l'anime et donne sa tonalité aux travaux de notre commission. Il a su se démultiplier pour travailler avec chacun des groupes qui le souhaitaient, et notre sous-amendement CE38 est ainsi le fruit du travail effectué en concertation avec lui par le groupe UDI, Agir et Indépendants.
Notre proposition part du principe selon lequel l'observatoire du foncier est pertinent non seulement à l'échelle des communes, mais également à celle des intercommunalités. Nous élisons ensemble les conseillers municipaux et les conseillers communautaires, et les intercommunalités ont un rôle déterminant en matière de politique du foncier et du logement – ce rôle est d'ailleurs appelé à devenir de plus en plus important –, que ce soit sur le territoire métropolitain ou dans les outre-mer. Partant de ce constat, nous proposons que les conseils communautaires soient également destinataires du compte rendu annuel.
Monsieur Benoit, c'est un plaisir de travailler avec vous, et votre sous-amendement est tout à fait pertinent : il semble effectivement opportun qu'une fois que chacune des communes concernées aura délibéré, une consolidation soit présentée en conseil communautaire. Je suis donc favorable à ce sous-amendement.
J'ajoute que le fait de travailler avec tous les groupes présente un avantage extraordinaire, celui de permettre des échanges et un débat d'idées fructueux et enrichissants.
Notre commission ne comptant que des députés passionnés, il est normal que les débats auxquels ils prennent part soient enrichissants.
La commission rejette le sous-amendement CE36.
Elle adopte le sous-amendement CE38.
Puis elle adopte l'amendement CE28 modifié.
En conséquence, l'article 7 est ainsi rédigé.
Après l'article 7
La commission est saisie de l'amendement CE9 de M. Jean-Félix Acquaviva.
Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je vais vous parler de la Corse, qui présente actuellement une situation de grande tension sur le foncier, dans le contexte d'une importante résidentialisation secondaire. On compte 37 % de résidences secondaires en Corse, contre 8,9 % en moyenne sur l'ensemble du territoire métropolitain. Selon l'observatoire des marchés fonciers et immobiliers (OMFI) créé par la collectivité de Corse, le coût du foncier a augmenté en dix ans de 138 % en Corse, contre 64 % en moyenne sur le continent, tandis que le coût du logement a augmenté de 68 % en Corse, contre 36 % sur le continent. Il est également à noter le faible taux de logement social en Corse, qui ne s'élève qu'à 10 %, contre une moyenne hexagonale de 17 %. Enfin, un Corse sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.
La Corse, qui de par sa géographie insulaire et montagneuse est naturellement exposée à une rareté foncière assez prononcée, doit également faire face à une grande tension sur le plan social, économique et politique. À cette situation se cumulent les effets d'un processus exponentiel d'attractivité économique et touristique où le mètre carré de résidence secondaire sera toujours plus rentable que n'importe quelle opération de logement social.
Partant du principe selon lequel la loi doit libérer, équilibrer et réguler, l'amendement CE9 vise à instaurer les conditions d'une régulation suffisamment forte en procédant à un rééquilibrage territorial et social de la Corse par la création, dans le cadre des plans locaux d'urbanisme (PLU) et des schémas de cohérence territoriale (SCOT), de zones communales d'équilibre territorial et social où l'on ne pourrait faire que de l'accession sociale à la propriété, du logement social ou des activités économiques, industrielles, commerciales et libérales – à l'exclusion de la grande distribution. Cette proposition nous semble constituer l'un des moyens permettant de combattre le phénomène de dépossession qui se manifeste actuellement.
Pour en revenir à l'amendement de M. Stéphane Peu dont nous avons débattu il y a quelques instants, je dois dire que j'avais moi-même déposé un amendement fondé sur la notion de droit de préemption, s'inspirant de dispositions actuellement appliquées à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui a malheureusement été jugé irrecevable. Nous considérons en effet – quand je dis « nous », je pense à notre groupe parlementaire, mais aussi à la collectivité de Corse – qu'à ce stade du processus, le droit de préemption constitue une solution importante de régulation et, au-delà de la Corse, je serais heureux que cette idée puisse cheminer et finir par se concrétiser.
En tout état de cause, cette proposition de loi visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l'offre de logements accessibles aux Français me semble de nature à concourir efficacement à ce que des solutions opérationnelles et concrètes soient trouvées à court terme, et je suis heureux de pouvoir y contribuer au moyen de l'amendement que je viens de vous présenter.
La Corse a, en effet, la particularité de présenter une proportion particulièrement forte de résidences secondaires. Elle en présente une autre, celle du détournement du dispositif Pinel, utilisé pour acquérir des résidences principales très rapidement transformées en locations saisonnières.
Si votre amendement soulève une question qui mérite d'être abordée, je dois avouer qu'il me gêne un peu. En effet, tout ce qui a trait au contrôle de la bonne application du dispositif Pinel ne relève pas de la loi, mais de la compétence réglementaire du ministre. Par ailleurs, votre proposition évoque les résidences secondaires, alors que cette notion n'a pas d'existence sur le plan légal, mais uniquement sur le plan fiscal.
On peut penser que rien n'empêche une personne d'avoir une résidence principale en Corse pendant deux ou trois ans, de la transformer en résidence secondaire durant les dix années où elle va travailler et résider sur le continent, puis d'en faire à nouveau sa résidence principale au moment de prendre sa retraite. Pour cette raison, la rédaction de votre amendement, basée sur la notion de résidence principale et de résidence secondaire, ne me semble pas pertinente.
J'ajoute, enfin, que le fait de prévoir la création de zones communales d'équilibre territorial et social dans le cadre du plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC), plutôt que dans celui du PLU, me paraît constituer une inversion des normes.
Sur le fond, je comprends et je partage la préoccupation que vous exprimez au travers de cette proposition ; toutefois, pour les raisons que je viens d'évoquer, je ne peux être favorable à votre amendement.
Il faut tout de même que nous allions au fond des choses, afin qu'il n'y ait pas de malentendu.
Pour commencer, le fait que la mesure proposée ait vocation à être mise en oeuvre dans le cadre du PADDUC ne constitue pas une inversion des normes puisque, comme le veut la loi, le PLU doit être compatible avec le PADDUC – j'en veux pour preuve que les critères qui imposent l'intégration des espaces stratégiques agricoles (ESA) dans les PLU ont été maintenus par les décisions des tribunaux administratifs.
L'amendement fixe l'obligation de définition par le maire au niveau du PLU en respectant la critérisation délivrée par le PADDUC, ce qui est tout à fait conforme aux mécanismes institutionnels prévus par la loi et à la directive territoriale d'aménagement qui prévaut depuis l'instauration du PADDUC par la loi du 5 décembre 2011.
Pour ce qui est de la notion de résidence secondaire, comme vous l'avez dit vous-même, elle est reconnue sur le plan fiscal et, quand l'amendement fait à dessein référence à « l'accession sociale à la propriété », cela suppose qu'il y ait un conventionnement et une obligation de continuer à utiliser le logement comme résidence permanente, comme dans le cadre de n'importe quelle convention sociale d'accès à la propriété. De ce point de vue, il est donc tout à fait possible de border l'obligation conventionnelle relative à la destination du bien.
J'insiste sur ce point : si, d'une part, on ne dispose d'aucun instrument de régulation fiscale de nature à répondre à la situation de la Corse – le Gouvernement n'ayant pas souhaité mettre en place de fiscalité particulière pour les résidences secondaires – et si, d'autre part, la régulation ne peut pas non plus se faire au moyen des documents d'urbanisme, on est dans l'impasse ! Or, la situation actuelle est extrêmement tendue. Il faut par conséquent que la loi libère et régule de manière équitable.
Franchement, je serais heureux que, dans le cadre d'une proposition de loi générale, c'est-à-dire ne s'appliquant pas spécifiquement à la Corse, on puisse prendre en compte, parmi d'autres, le cas que j'ai évoqué. Soyons clairs, il n'y aura pas durant cette législature de loi spécifique à la Corse comme il a pu y en avoir par le passé, par exemple avec la loi Joxe, c'est pourquoi nous avons besoin de réponses de court terme. À mon sens, c'est le bon moment et c'est le bon véhicule législatif pour agir : nous sommes sur le chemin de crête, et nous devons avancer !
Ce dont il est ici question, ce n'est pas seulement d'un enjeu politique, mais aussi d'un enjeu lié à la nature même de la loi dont nous sommes en train de débattre. Je rappelle qu'il s'agit d'une proposition de loi censée proposer des solutions pour faciliter l'accès au foncier : il serait anormal que, dans le cadre de ce texte, on ne fasse rien pour lutter contre la pwofitasyon, comme on dit chez nous, en l'occurrence contre la spéculation favorisée par la multiplication des résidences secondaires.
Vous avez indiqué, Monsieur le rapporteur, que la mesure proposée aurait vocation à être mise en oeuvre dans le cadre du PLU plutôt que dans celui du PADDUC, or ce n'est pas un problème dans la mesure où, comme l'a dit notre collègue Jean-Félix Acquaviva, le premier doit être compatible avec le second. De mon point de vue, il serait intéressant que, dans le cadre d'un PLU – et en lien avec le PLH mis en place au niveau de l'EPCI ou de la commune –, il soit possible de faire des choix en matière de typologie résidentielle. Il suffirait de sous-amender l'amendement CE9 afin de créer une cohérence entre PLU, PLH et PADDUC et de permettre ainsi la mise en place par le pouvoir politique de mesures de régulations destinées à lutter contre la spéculation. Grâce à une solution de ce type, les Corses pourraient combattre de manière saine et claire, sur le terrain réglementaire et pas seulement sur le terrain politique, contre les spéculations qui les privent d'une politique foncière sociale. Ce sous-amendement, il serait intéressant que vous le proposiez, Monsieur le rapporteur !
Depuis le début de l'examen de ce texte visant à lutter contre la spéculation, nous avons déjà débattu d'un certain nombre de mesures pouvant contribuer à cet objectif. Celle que propose M. Acquaviva avec son amendement CE9 est adaptée à la situation particulière de la Corse, et repose sur le principe de la spécification de l'objet de l'affectation des sols. Le critère du logement en lui-même étant insuffisant pour établir cette spécification, il est intéressant de retenir, comme il le fait, d'autres critères tels que l'accession sociale à la propriété ou le logement social. Il est d'ailleurs à noter que, grâce aux conventionnements qu'elle nécessite, l'accession sociale présente l'avantage d'écarter tout risque de détournement – ce que d'autres dispositifs ne peuvent faire. Comme notre collègue, j'estime qu'il serait bon que cette proposition puisse cheminer, car elle semble susceptible d'apporter une réponse à une problématique qui se pose de manière évidente en Corse, mais peut également se poser ailleurs.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CE16 de M. Dominique Potier.
Je veux remercier M. Lagleize d'avoir accepté l'amendement de Mme Battistel sur les DUP pour réserve foncière, car c'est une très bonne chose pour les maires.
Quand l'État veut céder un bien immobilier, il doit le proposer en priorité à la commune sur le territoire de laquelle il est situé ou aux EPCI titulaires du droit de préemption urbain. Avec notre amendement CE16, nous proposons d'aller un peu plus loin en accordant également le droit de priorité aux EPCI non titulaires du droit de préemption urbain, si l'objet de la priorité intervient dans le champ des compétences contenues dans leurs statuts – création d'une zone d'activité économique, d'une réserve de foncier pour assainissement ou d'un aménagement touristique – ou bien s'il revêt un caractère stratégique pour son territoire.
Cet amendement vise à accorder le droit de priorité aux EPCI non titulaires du droit de préemption urbain, et sa rédaction porte sur le dernier alinéa de l'article L.240-1 du code de l'urbanisme. Pour mémoire, cet alinéa prévoit que les EPCI à fiscalité propre, qu'ils aient ou non le droit de préemption, peuvent exercer le droit de priorité.
Je crains, si votre amendement était adopté, que l'on finisse par ne plus savoir qui a le droit de priorité et qui a le droit de préemption – étant précisé que le droit de préemption peut lui-même faire l'objet d'une délégation, notamment à un établissement public foncier local. La situation pourrait se brouiller au point que plusieurs organismes pourraient se retrouver à préempter en même temps, ce que ne souhaitent certainement pas les EPCI, les maires et les présidents d'intercommunalités.
Je me tiens à votre disposition pour voir avec vous ce qui pourrait être fait sur le point que vous évoquez mais, dans l'immédiat, je vous invite à retirer cet amendement, qui met en concurrence plusieurs droits.
J'entends vos réserves, qui me semblent inspirées par la sagesse, et je retire l'amendement CE16.
L'amendement est retiré.
Article 8 : Article de gage
La commission adopte l'article 8 sans modification.
Puis elle adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.
La commission a ensuite examiné la proposition de loi visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France (n° 2152), sur le rapport de Mme Aude Luquet.
Nous reprenons nos travaux avec l'examen d'une proposition de loi du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France, dont Mme Aude Luquet est la rapporteure.
Monsieur le président, Monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux commencer par rappeler que c'est mon collègue Jean-Noël Barrot qui est à l'initiative de cette proposition de loi dont j'ai l'honneur d'être aujourd'hui rapporteure.
Cette proposition de loi peut, au premier abord, paraître modeste et exclusivement technique – elle sera d'ailleurs examinée en procédure d'examen simplifiée en séance publique – mais, pour en saisir pleinement les enjeux, il faut la considérer dans un cadre plus global, celui d'une urgence écologique et d'un changement du regard porté sur la forêt. En effet, comme le souligne l'accord de Paris sur le climat, les forêts et les arbres jouent un rôle essentiel, agissant comme des puits de carbone et absorbant l'équivalent de 2 milliards de tonnes de dioxyde de carbone chaque année.
Dans ce cadre international brossé à grands traits, la forêt française se présente comme la troisième d'Europe, occupant 30 % du territoire national et captant chaque année près de 70 millions de tonnes de CO2. Avec près de 140 variétés d'arbres différentes, elle compte parmi les plus diversifiées d'Europe.
Changeons encore d'échelle pour descendre au niveau régional, celui qui nous intéresse aujourd'hui : à bien des égards, la situation des forêts franciliennes, fortes de leurs 260 000 hectares, distingue l'Île-de-France des autres régions. Comment ne pas voir une menace spécifique dans la pression foncière qu'une agglomération de plus de 12 millions d'habitants fait peser sur les espaces naturels qui l'environnent ? Comment ne pas penser qu'une région qui représente 2,2 % du territoire métropolitain et concentre 19 % de sa population, soit 1 006 habitants au kilomètre carré, nécessite la mise en oeuvre d'outils spécifiques pour garantir la préservation de ses forêts ? Une forêt qui, par ailleurs, se caractérise par des usages plus variés que sur le reste du territoire, puisqu'elle est un espace de production et de protection de la biodiversité, mais également un indispensable espace de loisirs pour une population urbaine. Une forêt, enfin, trois fois plus morcelée qu'à l'échelle nationale, avec un compte de propriété moyen s'y élevant à un hectare.
L'ensemble de ces éléments de contexte explique le phénomène de mitage particulièrement fort qui pèse sur les forêts de la région Île-de-France. Comme vous le savez, le mitage consiste en la vente de parcelles de petite taille à des particuliers, souvent à des prix très élevés, en vue de donner aux biens acquis un usage non conforme à leur vocation naturelle ou à leur classement dans les documents d'urbanisme locaux.
Face à ce phénomène, les collectivités territoriales étaient jusqu'à présent impuissantes. Pour remédier à cette situation et offrir une solution préventive, l'article 46 de la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain, codifié à l'article L. 143-2-1 du code rural et de la pêche maritime, a ouvert à titre expérimental, pour une durée de trois ans et dans le cadre de la région Île-de-France, la possibilité pour la société d'aménagement foncier et d'établisssement rural (SAFER) de l'Île-de-France de préempter les ventes de biens boisés dès lors que leur superficie est inférieure à trois hectares et que les communes sont dotées d'un document d'urbanisme. Ces préemptions sont motivées par un nouvel objectif, celui de la protection et de la mise en valeur de la forêt.
Les résultats de cette expérimentation sont très positifs : 198 préemptions de la SAFER ont été motivées notamment par l'objectif nouvellement créé, et dans 107 cas il s'agissait du principal objectif invoqué. En d'autres termes, en l'absence de ce dispositif, dans 107 cas, les collectivités et la SAFER se seraient trouvées impuissantes face à une vente contribuant à accroître le mitage.
J'ai pu constater, au cours des auditions que j'ai menées, que dispositif était salué par l'ensemble des acteurs et des observateurs : collectivités territoriales, SAFER, propriétaires privés, préfecture et associations environnementales.
Tous sont donc favorables à la pérennisation d'un outil qui a fait ses preuves, ce qui constitue l'objet de la présente proposition de loi. Le dispositif de celle-ci prévoit une pérennisation dans des conditions légèrement différentes de celles de l'expérimentation, puisqu'elle supprime la condition de zonage qui limitait l'action de la SAFER au territoire des communes dotées d'un document d'urbanisme. Dans les faits, cette condition n'entrave nullement l'efficacité de la SAFER, puisque cette restriction concerne à peine une trentaine de communes. Il me semble plus conforme à l'esprit de l'expérimentation de pérenniser le dispositif dans les conditions de celle-ci, afin d'éviter tout effet de bord que nous n'aurions pas eu l'opportunité d'identifier. Je vous proposerai un amendement en ce sens.
Une seconde question a fait l'objet de toute notre attention : pérenniser le dispositif pour la seule région Île-de-France ne risquait-il pas de constituer, aux yeux du Conseil constitutionnel, une rupture d'égalité devant la loi ? La situation particulière de l'Île-de-France, sur laquelle j'ai insisté en introduction, a justifié, par le passé, la mise en place de dispositifs spécifiques pour l'aménagement de son territoire et la protection des espaces les plus fragiles – je pense par exemple au schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) ou à l'agence des espaces verts (AEV), qui est un établissement public régional et non une association. L'Île-de-France est, par ailleurs, la seule région dans laquelle la SAFER a mis en place, depuis 2000, des conventions de surveillance et d'intervention foncière avec les collectivités locales.
Dans une décision du 29 décembre 1989, Le Conseil constitutionnel a considéré que l'instauration d'une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux ne constituait pas une violation du principe d'égalité du « fait que ce dispositif soit propre à la région Île-de-France » dans la mesure où « [s'y] posent avec une acuité particulière des difficultés spécifiques », ce qui semble pouvoir être transposé, par analogie, à la situation des forêts franciliennes.
Le Conseil d'État a par ailleurs indiqué, dans un arrêt du 6 novembre dernier, que la pérennisation locale d'une expérimentation n'était pas incompatible avec le droit en vigueur « dans l'hypothèse où les dérogations sont expérimentées en raison d'une différence de situation propre à la portion de territoire ou aux catégories de personnes objet de l'expérimentation et n'ont, de ce fait, pas nécessairement vocation à être généralisées au-delà de son champ d'application », ce qui va dans le même sens.
Cette proposition de loi, au dispositif modeste mais essentiel, technique mais opérationnel, est l'occasion pour la commission des affaires économiques d'entamer un cycle de réflexion sur les grands enjeux forestiers, qui sera poursuivi le 11 décembre prochain lorsque la commission sera consultée, en vertu de l'article 13 de notre Constitution, sur la nomination à la tête de l'Office national des forêts de M. Bertrand Munch.
Je vous propose donc de pérenniser le droit de préemption de la SAFER d'Île-de-France, dont la mise en oeuvre expérimentale, depuis bientôt trois ans, a permis d'intervenir sur une surface totale d'environ 105 hectares de foncier forestier. Ce chiffre peut paraître modeste, mais il faut replacer cet outil dans un ensemble plus large de politiques publiques et de démarches privées destinées à la préservation de la forêt et souligner que la vente des petites parcelles constitue un enjeu important pour l'avenir des massifs. À l'heure où les enjeux climatiques et environnementaux sont devenus primordiaux, et dans un contexte régional où 98,8 % du territoire correspond à une aire urbaine, je pense sincèrement que chaque hectare compte et que cette proposition de loi constitue une réponse adaptée au mitage des forêts franciliennes.
Je voudrais d'abord remercier le groupe MODEM, en particulier M. Jean-Noël Barrot et Mme Aude Luquet, d'avoir présenté cette proposition de loi importante et attendue, à laquelle je vous indique d'ores et déjà que le Gouvernement donnera un avis favorable.
Je ne reviens pas sur l'enjeu que représente la forêt française, qui pour nous constitue un formidable puits de carbone. Il va falloir continuer à réfléchir à son organisation : comme vous le savez, l'État a d'ores et déjà pris un certain nombre de décisions. J'ai réuni le Conseil supérieur de la forêt et du bois (CSFB) il y a quelques semaines. J'ai demandé à la profession de s'organiser et de me rendre un rapport en mars prochain. Parallèlement, le Gouvernement a décidé de mettre 16 millions d'euros sur la table pour répondre immédiatement à l'urgence. Le Premier ministre a proposé la candidature de M. Munch pour diriger l'Office national des forêts, qui reste un organisme public. Nous allons pouvoir reprendre le cours des choses sereinement avec ce nouveau directeur général.
Madame la rapporteure, votre proposition de loi est essentielle, car elle vise à pérenniser une expérimentation en cours. L'intérêt de votre texte réside précisément dans cette pérennisation, qui revêt une importance particulière pour le Gouvernement. La SAFER d'Île-de-France a transmis en fin de semaine dernière des éléments d'évaluation qui n'évolueront pas ou peu d'ici à la fin 2020, échéance prévue par la loi.
On peut légitimement s'interroger sur l'opportunité de légiférer avant la fin de l'expérimentation. C'est une interrogation que plusieurs parlementaires ont soulevée et que vous avez peut-être entendue lors de vos auditions, Madame la rapporteure. C'est pourquoi j'aimerais revenir rapidement sur l'historique de cette mesure.
Jusqu'en 2017, la SAFER d'Île-de-France, comme ses homologues, ne pouvait intervenir que sur des parcelles agricoles ou naturelles. La plupart des parcelles boisées étaient exclues du champ d'application de son droit de préemption, à l'exception de quelques cas très limités. Les élus d'Île-de-France demandaient depuis longtemps que la SAFER soit autorisée à étendre sa protection aux espaces boisés, car ces derniers sont autant concernés par le phénomène de mitage que les espaces agricoles : c'est un constat que tout un chacun a pu dresser. Il est en effet fréquent de voir de petites parcelles boisées défrichées et construites illégalement dès qu'elles sont vendues. L'extrême morcellement de la forêt francilienne contribue à sa dégradation et freine sa mise en valeur. Or c'est précisément l'inverse qu'il faut faire : il faut impérativement l'améliorer et la mettre en valeur autant que possible.
Ce sujet avait été débattu, à l'Assemblée nationale, à l'occasion de l'examen de la loi sur le statut de Paris et l'aménagement métropolitain, promulguée le 28 février 2017. Ainsi, une expérimentation de trois ans a été lancée afin de donner à la SAFER d'Île-de-France la possibilité de préempter des parcelles forestières, à trois conditions : qu'elles soient d'une surface de moins de trois hectares ; qu'elles soient situées dans une zone agricole ou une zone naturelle et forestière délimitée par un document d'urbanisme ; que son objectif soit la protection et la mise en valeur de la forêt. Ce droit de préemption inhabituel pour une SAFER ne peut primer les droits de préemption et de préférence prévus par le code forestier. La SAFER a ainsi la possibilité d'intervenir sur une grande partie des ventes qui menacent les terrains boisés et de lutter contre l'extension de l'urbanisation sur les bois périurbains. Elle concourt également à la restructuration parcellaire.
Deux ans après le lancement de cette expérimentation, nous pouvons dresser un bilan positif de cette mesure. Depuis février 2017, la SAFER d'Île-de-France a exercé son droit de préemption à 510 reprises ; 198 préemptions, soit 39 % d'entre elles, ont été notamment motivées par l'objectif de protection et de mise en valeur de la forêt, ce qui va totalement dans le sens de votre proposition de loi. Les 198 ventes sur lesquelles la SAFER est intervenue représentent une surface totale d'environ 105 hectares de foncier forestier. Ce chiffre, comme celui de la surface moyenne d'intervention – 5 289 mètres carrés par vente – témoigne du type de biens visé par les préemptions, à savoir des parcelles de très petite taille. Les préemptions à la demande des collectivités publiques – communes et leurs groupements, départements, régions – sont, et de loin, les plus nombreuses. Ainsi, 180 préemptions demandées par des collectivités ont été réalisées par la SAFER d'Île-de-France dans un but de protection des espaces boisés. La surface moyenne est de 3 140 mètres carrés par vente. Les interventions à la demande de propriétaires sont peu nombreuses – on a recensé seulement 18. Cela montre que le travail mené avec les propriétaires forestiers reste à étoffer. Il convient de communiquer à ce sujet avec la SAFER et les représentants des forestiers. Le centre régional de la propriété forestière (CRPF) ou le syndicat des propriétaires forestiers d'Île-de-France sont systématiquement consultés dans le cas de préemptions à la demande de forestiers.
D'une manière générale, les interventions en préemption menées par la SAFER en forêt ont été bien accueillies par les acteurs du territoire, que ce soient les collectivités locales, les propriétaires forestiers, les syndicats agricoles et forestiers ou les associations environnementales. L'utilité de ce dispositif expérimental a été largement reconnue puisqu'il a permis, de toute évidence, d'éviter des défrichements illégaux et des artificialisations. Cette reconnaissance suppose des contacts systématiques avec les représentants de la forêt privée lors des enquêtes de préemption et au stade de la rétrocession des biens. La représentation des instances forestières au sein des comités techniques départementaux de la SAFER est bienvenue.
Compte tenu des aspects positifs de l'expérimentation, de l'accord des représentants de la forêt privée et du Centre national de la propriété forestière (CNPF), qui sont les premiers concernés, je suis favorable à la proposition de pérennisation de la mesure en Île-de-France dans les conditions qui ont été fixées lors de l'expérimentation. Cette pérennisation ne concerne que l'Île-de-France, en raison de son fort caractère périurbain et de la pression foncière que l'agglomération de 12 millions d'habitants fait peser sur les espaces naturels les plus fragiles, situation objective qu'on ne trouve pas ailleurs. Son extension au-delà de l'Île-de-France n'est, à ce stade, pas envisagée.
Madame la rapporteure, permettez-moi de saluer votre travail, les auditions que vous avez menées, ainsi que de remercier M. Barrot pour cette proposition de loi présentée par le groupe MODEM, que le Gouvernement appuiera.
Je voudrais faire part de mes réserves et interrogations au sujet de ce texte. J'ai bien noté, Madame la rapporteure, que 107 préemptions sur 198 n'auraient pu avoir lieu en l'absence de l'expérimentation, et que deux tiers d'entre elles se sont traduites par une absence de vente – autrement dit, concrètement, par un gel des mutations, ce qui ne me semble pas satisfaisant. D'une certaine manière, ce dispositif ne protège pas tant les forêts que les conditions d'urbanisation dans des zones très densément peuplées. On pourrait donner l'impression que l'on se satisfait de cette mesure, largement approuvée, au demeurant, par les représentants de l'État, la région et les opérateurs. Il y a de réelles raisons de voter ce texte, mais je regrette qu'on nous le soumette avant la fin de l'expérimentation. J'y vois une forme de précipitation alors même que nous avons tendance à surlégiférer.
De surcroît, cela ne nous permet pas de nous interroger sur les conditions de la valorisation des espaces boisés, dont la propriété reste morcelée. De nombreux petits propriétaires sont découragés de vendre du fait du droit de préemption de la SAFER, mais qu'advient-il de ces espaces, comment sont-ils valorisés ? La filière de la forêt, en France, valorise mal la matière première. Le secteur aval est particulièrement éclaté : le nombre de métiers du bois est bien trop élevé, la partie construction et la partie ameublement ne se parlent pas. Mal unifiée par sa partie aval, la filière ne sait pas valoriser ses espaces boisés – ce n'est pas le rôle de la SAFER de gérer l'espace consolidé. On n'a pas de solution pour valoriser les espaces : on bloque, en quelque sorte, les conditions dans lesquelles la pression foncière peut s'exercer sur les forêts, mais on maintient un grand nombre de petits propriétaires et une filière, à mon sens, mal consolidée.
Personne n'ignore les propriétés et les atouts de notre patrimoine forestier, dont les enjeux transcendent nos frontières. Moins connu mais tout aussi essentiel, le patrimoine forestier francilien se distingue par un usage multifonctionnel, allant du loisir à l'exploitation économique, tout en étant un espace de préservation et de promotion de la biodiversité. Il constitue un bien à protéger, mais aussi à valoriser, d'autant plus qu'à l'heure où nous parlons, certaines régions du monde sont dévastées par la déforestation, tandis que les forêts produisent près de la moitié de l'oxygène que nous respirons. Véritable écosystème dans lequel une pluralité d'acteurs et de filières interagissent au quotidien, il est encadré par le droit forestier, qui a vocation à pérenniser nos ressources sylvestres. Parmi ces acteurs, je citerai bien sûr l'Office national des forêts (ONF), pour lequel notre commission auditionnera prochainement M. Bertrand Munch, dont la nomination est proposée par le Président de la République. J'aurai plaisir à m'exprimer à cette occasion en tant que rapporteur. Parler de notre patrimoine forestier, c'est également souligner le rôle essentiel de la Fédération nationale des communes forestières, du Centre national de la propriété forestière, de l'Institut pour le développement forestier, de l'Union de la coopération forestière française ou encore de la Fédération nationale des entrepreneurs des territoires.
Nous le voyons, nos espaces forestiers représentent un potentiel environnemental et économique considérable. Il importe donc que nous prenions ensemble les mesures nécessaires pour les préserver. C'est tout le sens de la proposition de loi du groupe MODEM que nous examinons aujourd'hui, qui vise à lutter contre le phénomène de fragmentation des parcelles forestières en Île-de-France. Le mitage forestier résulte de la multiplication des ventes de parcelles de taille réduite, qui trouve elle-même son origine dans la forte pression foncière que subit la région avec, in fine, un détournement de l'utilisation naturelle des sols. La forêt francilienne, caractérisée par un morcellement trois fois plus élevé qu'à l'échelle nationale, doit recevoir une attention spécifique. Elle a déjà fait l'objet de plusieurs mesures spécifiques ; je pense notamment à la stratégie régionale adoptée fin 2017 pour valoriser le potentiel de la filière de la forêt et du bois en Île-de-France avec, notamment, le lancement, il y a deux ans, du plan vert d'Île-de-France, qui ambitionne de créer 500 hectares de nouveaux espaces verts et boisés d'ici à 2021.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui représente donc une avancée majeure pour la région la plus peuplée de France, qui peut compter sur 261 000 hectares de forêts et un taux de boisement de 21 % de sa superficie. C'est pourquoi la solution consistant à pérenniser, dès le 1er mars 2020, l'expérimentation permettant à la SAFER d'Île-de-France de préempter les parcelles de moins de trois hectares est un choix que le groupe MODEM et apparentés soutient sans aucune réserve. Au vu des résultats concluants des deux premières années d'expérimentation, il apparaît essentiel que la SAFER puisse, dans les conditions limitatives existantes, acquérir des parcelles boisées de taille réduite par préférence à tout autre acquéreur possible. Le principal apport de ce mécanisme a trait à sa dimension préventive car, une fois la parcelle vendue, illégalement défrichée et artificialisée, il est extrêmement difficile pour les communes d'intervenir. L'importance de la pérennisation du dispositif est d'autant plus forte que les objectifs poursuivis sont la protection, la mise en valeur de la forêt francilienne et la lutte contre la très forte artificialisation des sols dans cette région.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, il me semble que la proposition de loi fait écho au texte que nous venons d'examiner sur le foncier en zone urbaine non tendue. En effet, le foncier, qu'il soit constitué de champs, de forêts ou de zones urbanisées, devient un enjeu public que nous devons protéger de l'accaparement au profit d'une gestion au service de l'intérêt général. Je crois que ces deux textes préfigurent l'attention particulière que nous devons porter au foncier, et je me réjouis qu'on débatte de ce sujet. Monsieur le ministre, vous avez affirmé qu'il n'était pas envisagé, pour l'instant, d'étendre le dispositif, mais, au-delà du mitage forestier, d'autres enjeux se posent, qui ont été évoqués par M. Frédéric Descrozaille, comme celui du morcellement. Il faudra réfléchir à la gestion du foncier en milieu forestier.
Je remercie M. Jean-Noël Barrot et Mme Aude Luquet de cette proposition de loi, qui me semble en effet importante, et que le groupe La France insoumise votera. En effet, en Île-de-France, l'artificialisation des sols est un sujet très préoccupant à l'heure de l'urgence écologique. Toutefois, il ne faut pas prendre le sujet de la forêt française uniquement par le petit bout de la lorgnette.
Je mène une « commission d'enquête » parlementaire et citoyenne sur cette question, et je constate – vous le savez tout comme moi, Monsieur le ministre – que notre forêt se trouve à un carrefour, tout comme l'agriculture l'a été à une certaine période. Nous devons lui porter de l'attention et exprimer, par un choix démocratique, ce que nous voulons en faire. La forêt est l'objet d'un mouvement d'industrialisation aux conséquences dramatiques. Alors que la surface boisée augmente dans notre pays, c'est la question de la malforestation qui se pose de plus en plus désormais.
L'industrialisation rampante emporte trois séries de conséquences. Premièrement, la monoculture se développe, qui porte essentiellement sur les pins de Douglas. Deuxièmement, les monocultures exigent un recours accru et régulier aux pesticides, selon le modèle de l'agriculture industrielle. Troisièmement, cela soulève un problème majeur quant au stockage du carbone. Dans les forêts françaises, la grande majorité du carbone est stockée dans le sol. Lorsqu'une monoculture fait l'objet d'une coupe rase, tout le carbone contenu dans le sol est libéré, ce qui a des conséquences très préjudiciables. Les forêts sont un puits de carbone que nous devons impérativement préserver.
Il faut également évoquer les enjeux économiques. L'économie du bois est, à l'heure actuelle, en souffrance. On dénombrait 15 000 scieries en 1960 et 5 000 en 1980 ; on n'en compte plus que 1 500 aujourd'hui. Les acteurs sont d'une taille croissante et présentent un caractère industriel toujours plus marqué, tandis que le nombre d'emplois en France ne cesse de décroître. À cela s'ajoute le fait que le bois est envoyé extrêmement loin, ce qui est, là encore, dramatique en termes de bilan carbone. Bien souvent, la première transformation ne se fait plus sur le territoire, ce qui nous fait perdre des savoir-faire.
La question des forêts a également une dimension sociale. Monsieur le ministre, vous le savez, un bûcheron a une espérance de vie de soixante-deux ans et demi, soit vingt ans de moins que la moyenne française, et une espérance de vie en bonne santé – ce qui est extrêmement inquiétant – de cinquante-deux ans. L'enjeu social est donc essentiel pour les hommes et les femmes qui travaillent aujourd'hui en forêt ; il est important d'en parler et de décider collectivement. S'agissant de l'agriculture, nous n'avons pas décidé ensemble des évolutions de notre modèle ; mais pour les forêts, nous pouvons encore le faire. Je pense, en particulier, à l'enrésinement : à l'heure du changement climatique, la question est de savoir si nous voulons garder des forêts diversifiées, avec une part accrue de feuillus. Si les forêts étaient restées majoritairement composées de feuillus, elles auraient stocké 10 % de carbone en plus. Nous serons de plus en plus souvent confrontés à ce problème.
Pour faire face au changement climatique, il ne faut pas tout raser et planter une seule espèce, dont on pense qu'elle sera plus adaptée, au risque d'exposer les forêts à des maladies sans cesse plus meurtrières, mais, tout au contraire, avoir une forêt diversifiée, en futaies régulières, comportant des essences et des âges différents. Cela nous assurerait que les forêts françaises pourraient s'adapter au changement climatique, qui va se manifester de manière croissante.
Enfin, la forêt subit une forme de prédation. À titre d'exemple, le principal producteur de pellets, en France, est Total. Il ne faut pas surexploiter les forêts françaises. Ce qui se passe à l'ONF est la conséquence directe d'une souffrance sociale, due notamment à la volonté de surexploiter nos forêts, ce qui est extrêmement grave : en trente ans, l'Office aura perdu 47 % de ses effectifs. Il est confronté à une souffrance extrêmement forte. Nous pouvons et devons faire autrement pour relever les enjeux, notamment écologiques.
Je voudrais, en premier lieu, répondre aux réserves de M. Frédéric Descrozaille.
Pour commencer, cher collègue, vous regrettez que l'on souhaite pérenniser le dispositif avant la fin de l'expérimentation. Je vous répondrai que nous ne sommes qu'en première lecture ; nous serons amenés à voter définitivement cette proposition de loi après le 28 février 2020. Entamer le processus aujourd'hui nous permet d'anticiper la fin de l'expérimentation. La loi de 2017 n'avait pas prévu de période d'évaluation, afin d'éviter que le droit de préemption cesse de s'appliquer après la fin de l'expérimentation. Nous avons pour objectif d'être prêts, au 1er mars prochain, à pérenniser le dispositif, ce qui suppose qu'on ait déjà procédé à une évaluation. J'entends donc votre réserve, mais le vote de la loi interviendra finalement après la fin de l'expérimentation, ce qui paraît tout à fait logique.
J'en viens à votre deuxième réserve, relative au gel des mutations. L'enjeu est important, M. le ministre l'a reconnu. Nous sommes à peu près tous d'accord pour dire qu'il faut préserver la forêt, en partant du constat que cela n'a pas été fait suffisamment en amont. Nous sommes amenés à agir sur des forêts très dégradées. Peut-être faudrait-il mettre en balance le poids financier des mutations pour les collectivités territoriales et l'enjeu de la préservation de la forêt. Je suis une élue du sud de la Seine-et-Marne, qui comporte une surface considérable de forêts et où de nombreuses parcelles sont utilisées à des fins d'installation illégale. Les élus des communes rurales demandent instamment l'institution de dispositifs permettant d'empêcher des dépôts sauvages ou des installations illégales. Je sais qu'il est très difficile, pour les élus locaux, de trouver des solutions.
Monsieur Turquois, je vous remercie de soutenir notre proposition de loi.
C'est une chance… (Sourires.)
Comme vous dites, Monsieur le ministre !
Madame Panot, je vous remercie également du soutien du groupe La France insoumise.
Vous avez tous trois appelé à une réflexion globale, à l'instar du ministre. Nous devons changer notre façon de voir les choses et travailler, sur la base des éléments que vous nous avez apportés, avec l'ensemble des parties prenantes – ONF, propriétaires privés, associations, collectivités – afin d'avoir une vision globale de la forêt, et pas forcément dans la seule Île-de-France.
Je voudrais saluer la qualité des interventions des représentants des groupes, qui connaissent très bien les sujets en question. C'est important, car, comme vous l'avez rappelé, l'enjeu de la forêt devient essentiel.
Monsieur Descrozaille, vous avez raison d'être interrogatif. Comme je l'ai dit dans mon intervention liminaire, l'examen de la proposition de loi peut paraître prématuré. Toutefois, à y regarder de près, on s'aperçoit que son adoption rapide est indispensable, dans la mesure où elle va pérenniser l'expérimentation. Je suis aussi d'accord avec vous sur la nécessité d'organiser la filière – nous n'avons pas eu suffisamment l'occasion d'en discuter au dernier comité stratégique de la filière bois.
À ce propos, je commenterai les propos de Mme Panot, qui est aussi une spécialiste du sujet. L'organisation de la filière est un enjeu primordial. Si on n'arrive pas à avoir une filière plus unifiée, plus intégrée de l'amont à l'aval, on restera dans la situation actuelle. Comme Mme Panot le disait tout à l'heure, la première transformation ne se fait plus chez nous : les petites scieries disparaissent, l'aménagement du territoire est mis à mal. Notre forêt se trouve en effet à un carrefour, pour reprendre le mot de Mme Panot – c'est un constat que chacun de vous a dressé. On a encore des feuillus et des résineux, mais il faut engager une réflexion à ce sujet. Le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) estime que la forêt française devrait être un puits de carbone exceptionnel ; or elle ne l'est pas assez. Nous devons réfléchir ensemble à ce que doit devenir, demain, la forêt française, qui ne ressemblera peut-être pas à celle d'aujourd'hui.
Le Président de la République a proposé la candidature du préfet Munch pour diriger l'ONF afin que cet établissement public conserve son importance et sa capacité à orienter le cours des choses. L'Office est actuellement en souffrance de gouvernance et connaît des difficultés sur le terrain ; nous devons veiller à son devenir. Le Gouvernement s'est battu pour que l'ONF demeure un office public ; c'est absolument indispensable. Il aura aussi, demain, un rôle de coordination, de structuration, aux côtés des propriétaires privés, des associations et des communes forestières : tous ces acteurs doivent impérativement travailler main dans la main. Quand ce sera le cas, les maillons de la filière, dans leur ensemble, de l'amont à l'aval, devront davantage agir ensemble.
Monsieur Descrozaille, je comprends que vous vous interrogiez sur le gel des mutations. C'est une conséquence possible du dispositif, qui me semble toutefois positive compte tenu du constat que nous avons dressé.
Monsieur Turquois, vous avez affirmé que la proposition de loi représentait une « avancée majeure ». Je partage votre point de vue. C'est un texte important, qui en appellera sûrement d'autres. Cela étant, si nous pouvons réfléchir à la suite, le Gouvernement est totalement opposé à l'extension du dispositif au-delà de l'Île-de-France. Si une expérimentation y a été conduite, c'est à cause de la forte pression d'une agglomération de 12 millions d'habitants, et du morcellement en petites parcelles. Je ne souhaite pas, pour ma part, qu'on agisse en dehors de cette région – même si le Parlement pourra, naturellement, lancer les initiatives qu'il juge opportunes.
Madame Panot, vous avez raison de souligner que la forêt française se trouve à un carrefour. Je sais que votre groupe, et vous-même en particulier, réalise un travail considérable à ce sujet. Nous devons étudier cette question sereinement, en regardant les difficultés sans détours, en parlant avec l'ensemble des représentants. Le modèle doit évoluer. Vous avez estimé que l'agriculture n'avait pas muté, et qu'il ne fallait pas rater la mutation de la forêt. Je pense, pour ma part, que l'agriculture a évolué : la transition agroécologique est désormais prise en compte par l'ensemble des filières. Peut-être les choses n'évoluent-elles pas à la vitesse que certains souhaiteraient, mais la mutation de l'agriculture a bel et bien lieu. La forêt doit à son tour évoluer. Il faudra notamment réfléchir aux moyens de communiquer avec nos concitoyens, de les interpeller. J'en discute avec mes interlocuteurs du monde forestier : sitôt qu'on coupe un arbre, certains ont l'impression qu'on détruit la forêt. Des gens aux alentours, parfois des associations, protestent et trouvent que ce n'est pas normal de couper des arbres. Il faut réfléchir à l'utilisation de la forêt, au fait de sortir les petits bois, à la mise en place d'une filière de première transformation. Aujourd'hui, des arbres partent à l'étranger et reviennent sous la forme de meubles. Nous devons travailler pour y remédier. Nous devons aussi nous organiser pour faire en sorte que la forêt française capte, demain, plus de carbone qu'aujourd'hui.
Même s'ils ne font pas vraiment partie du champ de cette proposition de loi, je veux rappeler deux sujets très inquiétants qu'il nous faudra affronter : celui, conjoncturel, des scolytes qui menacent nos arbres, et celui, plus structurel, du réchauffement climatique, que vous avez tous évoqué. Aujourd'hui, la forêt française est en souffrance à cause du dérèglement climatique.
J'ai évoqué la nomination de M. Bertrand Munch à la tête de l'ONF ; j'espère que vous ne vous y opposerez pas, car nous avons besoin d'avancer. Le Président de la République et le Premier ministre ont par ailleurs décidé, à l'issue du dernier conseil de défense écologique, de confier à Mme la députée Anne-Laure Cattelot une mission de six mois sur l'ensemble de ces sujets. De mon côté, j'ai demandé à la filière bois et forêt de me rendre un rapport au printemps. Sur la base de ces deux rapports, nous pourrons réfléchir à la manière de réorienter la gestion économique et environnementale de nos forêts et d'en diversifier les usages.
Madame la rapporteure, je vous remercie d'avoir donné des précisions sur le calendrier retenu pour l'examen de cette proposition de loi : je comprends parfaitement que le Parlement doive anticiper les choses pour qu'il n'y ait pas de blanc.
Il faut absolument organiser la filière : nous sommes d'accord là-dessus. Mais ce n'est pas évident, parce qu'il faut prendre en compte les propriétaires – c'est d'ailleurs la même chose pour la filière des chevaux. On ne peut pas réfléchir à la valorisation de la forêt sans impliquer les propriétaires, publics et privés.
Cette proposition de loi vise à lutter contre le mitage, et l'expérimentation qui est en cours a montré son efficacité. Mais il faut aller plus loin, réunir les propriétaires et les collectivités concernées et réfléchir à la valorisation de ces espaces. Cette proposition de loi permet de préserver ces espaces, mais ce n'est pas suffisant : il faut réfléchir aux modes de mise en valeur, pour le loisir et l'exploitation. Le morcellement actuel est problématique : avec un compte de propriété moyen à 1 hectare, on ne peut rien faire de ces espaces.
On peut pérenniser l'expérimentation en cours, mais cette proposition de loi ne remédiera pas au morcellement de la propriété. Le droit de préemption, qui bloque deux tiers des transactions possibles, est efficace, mais cela ne suffit pas.
Monsieur le ministre, je ne parlais pas de l'agriculture d'aujourd'hui : heureusement que nous sommes en train de changer ce modèle mortifère ! Je parlais de la manière dont l'agriculture a évolué au cours des dernières décennies. J'ai l'habitude de dire de façon un peu provocatrice, mais je le pense sincèrement, que personne n'a jamais décidé, au sein du peuple français, que Monsanto avait le droit de nous empoisonner. Personne n'a décidé d'aller vers un modèle d'agriculture sans agriculteurs. Pour la forêt, c'est la même chose : nous devons choisir démocratiquement ce que nous voulons pour les forêts françaises. Un débat doit avoir lieu sur ce sujet.
Aujourd'hui, les forêts françaises sont obligées de s'adapter aux besoins des gros industriels, alors que le changement climatique devrait nous amener à privilégier l'intérêt écologique par rapport à l'intérêt économique. Cette méthode, du reste, est tout aussi rentable : à de nombreux endroits, la futaie irrégulière est plus rentable économiquement que les coupes rases à répétition.
Je tiens à préciser que je n'ai pas le syndrome d'« Idéfix », car c'est souvent de cette manière qu'on caricature les écologistes, y compris ceux qui travaillent avec nous. Nous n'avons rien contre le fait de couper du bois, si c'est pour que des arbres poussent mieux. Nous n'avons rien non plus contre la valorisation économique de la forêt. Ce qui nous pose un problème, c'est la surexploitation et les coupes rases. Lorsqu'on fait une ou deux coupes rases, le sol est encore nourri, à ceci près que les aiguilles des pins de Douglas mettent cinq à dix ans pour se décomposer dans le sol. Concrètement, le sol finit par ne plus être nourri, il faut utiliser des pesticides, les sols s'érodent et on perd en biodiversité. C'est une catastrophe.
Nous devons laisser vieillir les forêts françaises et avoir une vision sur le long terme. Or les industriels sont en train de nous enfermer dans une vision à court terme.
Si nous voulons vraiment être à la hauteur, pourquoi sommes-nous en train de filialiser l'ONF ? Tous les syndicalistes sont vent debout contre cette décision et on en est au trente-quatrième suicide à l'ONF depuis 2005 ! Des fonctions entières de la forêt ont été abandonnées : je pense en particulier à la fonction sociale des agents de l'ONF. Autrefois, ils accueillaient, lors de classes vertes, les enfants des centres sociaux et ils leur faisaient découvrir la forêt. On nous prive peu à peu de cette culture de la forêt : c'est très grave et l'action du Gouvernement ne fera qu'aggraver les choses.
Par ailleurs, j'étais ce week-end dans le Morvan, et je peux vous dire que les 550 personnes qui s'opposent aux coupes rases n'ont pas plus que moi le syndrome d'Idéfix : ils ne supportent simplement plus de voir leurs forêts coupées à ras, puis replantées pour être de nouveau coupées à ras. Ce n'est pas un modèle durable. Le parc naturel régional du Morvan a essayé de réglementer ces coupes rases et on le menace à présent de lui retirer ses subventions. Ce n'est pas acceptable ! Il faut réglementer les choses. Certains Länder allemands l'ont fait, la Suisse aussi : nous pouvons faire la même chose, afin de protéger les forêts françaises.
Sauf erreur de ma part, cette proposition de loi ne concerne pas la filière bois : elle vise seulement à protéger la forêt francilienne de la pression foncière et je pense que nous devrions nous en tenir à ce sujet.
Monsieur le ministre, j'ai une question à vous poser. Lorsqu'une parcelle forestière est mise en vente, les propriétaires des parcelles limitrophes doivent normalement être les premiers à en être informés : cette règle a justement vocation à limiter le morcellement. Comment cette disposition s'articule-t-elle avec le droit de préemption de la SAFER ?
S'agissant de l'organisation de la filière, le Gouvernement envisage-t-il d'utiliser le droit de préemption de la SAFER comme un levier pour repenser la gestion de la forêt d'Île-de-France ?
Monsieur Descrozaille, je rappelle que sur les 198 préemptions, 180 ont été décidées à la demande des collectivités territoriales et 18 à la demande des propriétaires privés. Dans la mesure où il s'agissait d'une expérimentation, il y a eu peu d'information en direction des propriétaires privés : c'est ce qui explique qu'ils aient été si peu nombreux à demander l'intervention de la SAFER. Lorsque nous avons auditionné les représentants de la SAFER, ils nous ont dit que, lorsque le dispositif sera pérennisé, il conviendra d'échanger avec l'ensemble des acteurs de la filière, afin de mieux informer les propriétaires privés. Sachez en tout cas, Monsieur Turquois, que le droit de préférence des voisins est conservé.
Je laisserai le ministre répondre à Mme Panot.
Je confirme que le droit de préférence des voisins prime sur le droit de préemption des SAFER. Madame Panot, nous aurons d'autres occasions de débattre, mais sachez que je suis d'accord avec vous sur bien des points : nous sommes effectivement à un tournant.
Je répète que le rapport de Mme Anne-Laure Cattelot et le travail de l'ONF seront une base solide pour réfléchir à l'avenir de notre forêt. Même si nous avons de la chance qu'elle ne soit pas constituée d'une seule et même essence, j'ai été interpellé par les rapports du GIEC et nous devrons absolument agir ensemble. Le Gouvernement ne cherche en aucun cas à détruire la forêt, ni à la laisser entre les mains des industriels ; avec les parlementaires, les élus et les propriétaires forestiers, il entend au contraire rappeler que c'est la forêt qui nous sauvera du dérèglement climatique, car c'est un puits infini de carbone. Il faut faire évoluer les pratiques qui ne conviennent pas : je n'ai aucun état d'âme à ce sujet. Mais quand on donne un coup de barre, il faut un peu de temps au bateau pour tourner.
La commission en vient à l'examen des articles.
Article 1er (article L. 143-2-1 du code rural et de la pêche maritime)
La commission est saisie de l'amendement CE1 de la rapporteure.
Cet amendement, en partie rédactionnel, permet de pérenniser le dispositif dans les conditions de l'expérimentation menée depuis février 2017 par la SAFER de l'Île-de-France en rétablissant le critère de zonage que l'actuelle rédaction supprimait.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'article 1er modifié.
Article 2
La commission adopte l'article 2 sans modification.
Puis elle adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 20 novembre 2019 à 15 h 10
Présents. - Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, Mme Barbara Bessot Ballot, Mme Pascale Boyer, M. Sébastien Cazenove, M. Dino Cinieri, Mme Typhanie Degois, M. Rémi Delatte, M. Michel Delpon, Mme Marguerite Deprez-Audebert, M. Frédéric Descrozaille, Mme Christine Hennion, M. Guillaume Kasbarian, M. Jean-Luc Lagleize, Mme Marie Lebec, M. Serge Letchimy, Mme Aude Luquet, M. Max Mathiasin, Mme Graziella Melchior, M. Jean-Baptiste Moreau, M. Mickaël Nogal, Mme Anne-Laurence Petel, M. Stéphane Peu, Mme Sylvia Pinel, M. Dominique Potier, M. Nicolas Turquois, M. Jean-Pierre Vigier
Excusés. - Mme Anne Blanc, M. Bruno Bonnell, M. Alain Bruneel, Mme Anne-France Brunet, Mme Laure de La Raudière, M. Roland Lescure
Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Félix Acquaviva, M. Thibault Bazin, M. Alexis Corbière, Mme Isabelle Florennes, Mme Mathilde Panot