Une semaine après la présentation de mon rapport au Gouvernement sur la maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction, nous voici réunis pour examiner la proposition de loi visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l'offre de logements accessibles aux Français.
Je m'exprimerai tout d'abord sur la situation à laquelle sont confrontés nos concitoyens s'agissant du coût du foncier et du logement. Comme je l'ai déjà dit devant cette commission, le prix du foncier a augmenté de 71 % en dix ans, pendant que le prix global de construction d'un logement augmentait de 24 %, occasionnant pour de nombreux Français des difficultés à se loger dignement et librement, notamment dans les zones tendues.
Le poids moyen du foncier dans le bilan d'une opération d'aménagement atteint régulièrement 30, 40, voire 50 % dans la capitale, la région parisienne, les grandes agglomérations, les zones transfrontalières mais aussi, plus largement, les villes et zones touristiques, particulièrement sur le littoral et en montagne, mais également outre-mer.
In fine, le coût du foncier grève le pouvoir d'achat des Français. La part des dépenses contraintes dans le revenu des ménages est passée de 12 % en 1960 à près de 30 % en 2017, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Parmi les dépenses contraintes, c'est surtout le logement qui plombe le pouvoir d'achat. Ces dépenses de logement n'ont quasiment jamais cessé de croître, du fait de la hausse des loyers, du prix du foncier et des logements, mais aussi du prix de l'électricité, du gaz et de l'ensemble des autres charges liées à l'habitation.
Or cette hausse des dépenses contraintes pèse sur les plus fragiles. Si l'on ajoute les dépenses incontournables en alimentation, transport, santé et éducation aux dépenses contraintes, le tout représente 87 % des revenus des plus modestes, contre 65 % pour les plus aisés selon l'observatoire des inégalités. Le reste à vivre est donc très inégal selon les ménages : de 80 euros par mois pour le dixième le plus pauvre à 1 474 euros pour le dixième le plus riche. Le coût du logement engendre un éloignement des classes moyennes des zones tendues et, en conséquence, une hausse importante des dépenses consacrées au transport, qui demeure souvent individuel.
Face à ces défis majeurs en termes d'aménagement du territoire et de pouvoir d'achat, le groupe du Mouvement démocrate et apparentés a souhaité reprendre plusieurs recommandations importantes de mon rapport dans une proposition de loi. Dans le droit fil de la démarche de consultation que j'avais adoptée lors de l'élaboration de mon rapport, j'ai souhaité auditionner les parties prenantes du secteur sur les sept articles de la proposition de loi. J'ai ainsi pu échanger avec les associations d'élus et de collectivités territoriales, les services de l'État, les établissements publics fonciers, les agences d'urbanisme, les bailleurs sociaux ou encore les professionnels de l'immobilier. J'en profite pour les remercier chaleureusement et sincèrement pour leur mobilisation dans des délais contraints, ainsi que tous les collègues qui se sont joints à ces auditions.
Quel défi entend relever cette proposition de loi ? Il s'agit de réduire le coût du foncier et d'augmenter l'offre de logements accessibles aux Français. Les dispositifs qu'elle contient ont été pensés dans leur globalité pour replacer les élus locaux au coeur de l'acte de construire la ville, en leur donnant des outils et des pouvoirs nouveaux et complémentaires.
Je remercie l'ensemble des groupes politiques de l'Assemblée nationale qui ont répondu favorablement à ma proposition de coconstruction des amendements nécessaires à l'ajustement des articles.
L'article 1er vise à limiter le recours à l'adjudication pour la cession de biens fonciers et immobiliers relevant du domaine privé de l'État et des collectivités territoriales. L'adjudication n'est qu'une des modalités de cession de foncier, l'autre étant les cessions à l'amiable. Celles-ci s'effectuent soit de gré à gré, soit avec publicité et mise en concurrence, sur appel d'offres pour les grands projets ou encore dans le cadre de ventes notariales interactives.
Les ventes par adjudication ne représentent qu'une faible proportion du nombre de cessions : 9 % pour les cessions de biens relevant du domaine privé de l'État, contre 72 % pour le gré à gré et 16 % pour les appels d'offres. Malgré tout, si la proportion des ventes par adjudication de biens de l'État et des collectivités territoriales est relativement limitée sur l'ensemble du territoire, elles ont un impact significatif sur la formation des nouveaux prix de référence, engendrant des références à la hausse dans des quartiers entiers.
Les groupes La République en Marche et MODEM proposeront un amendement visant à améliorer la rédaction de l'article 1er, tout en conservant ses objectifs. Il s'agit d'assurer l'exemplarité des acteurs publics dans la cession de leur foncier en limitant les cessions de biens relevant des domaines privés de l'État et des collectivités territoriales aux seules ventes amiables. Ces dernières permettront de valoriser des critères qualitatifs et limiteront les risques d'augmentation excessive du prix du foncier dans les quartiers sous tension.
Afin de permettre à l'État et aux collectivités territoriales de disposer d'un temps d'adaptation suffisant, l'amendement prévoit une entrée en vigueur au 1er janvier 2021.
Sur le modèle des organismes de foncier solidaire (OFS), l'article 2 vise à la création d'organismes de foncier libre (OFL) qui favoriseront les projets d'acquisition de logements fondés sur la dissociation de la propriété du foncier et du bâti. Ce troisième droit de propriété complétera les deux premiers, que sont la pleine propriété classique et le démembrement du droit de propriété, qui le partage entre l'usufruitier et le nu-propriétaire.
Comme je vous l'ai expliqué la semaine dernière, cette disposition vise à généraliser la dissociation entre le foncier et le bâti au-delà de l'accession sociale à la propriété proposé par les organismes de foncier solidaire instaurés par la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite « ALUR ». La mission d'OFS est actuellement assurée par les seuls organismes sans but lucratif et les organismes d'habitations à loyer modéré, ainsi que par les sociétés d'économie mixte (SEM) de construction et de gestion de logements sociaux. Les OFS ont connu un véritable essor au cours des dernières années : on recense une vingtaine d'organismes agréés.
Face à l'intérêt de nos concitoyens, l'article 2 vise à créer, sur le même principe, des organismes de foncier libre qui permettront de massifier cette dissociation en faveur du logement intermédiaire, du logement libre, ou encore pour des usages commerciaux ou de services.
Afin de prévenir tout risque spéculatif dans la durée, il convient de garantir que cette activité sera assumée par des sociétés à capitaux publics ou majoritairement publics. Avec le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), nous proposons de limiter les organismes éligibles aux seules sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA) et, sous réserve que leur capital soit majoritairement public, aux SEM.
L'article 3 propose la création d'observatoires de l'habitat et du foncier, qui permettront aux collectivités territoriales de disposer des informations et des capacités d'analyse nécessaires au pilotage de leur politique foncière. Il vise à accroître la transparence au profit des élus locaux et des citoyens et à objectiver les évolutions du prix du foncier. La mise en place de stratégies de maîtrise des prix du foncier par les collectivités territoriales suppose qu'elles disposent de données fiables en la matière, actualisées et consolidées à l'échelle du bassin de vie.
Plusieurs dispositifs existent actuellement, mais ils ne sont pas parvenus à offrir systématiquement aux élus locaux la capacité d'information et d'expertise dont ils ont besoin. Avec le groupe Libertés et territoires, nous proposons de réécrire l'article afin de rattacher ces observatoires au programme local de l'habitat (PLH), en le rénovant et en renforçant le périmètre et la finalité de cette mission d'observation foncière. Nous souhaitons que ces observatoires puissent étudier les évolutions foncières de leur territoire et recenser les espaces en friche, ainsi que les surfaces potentiellement réalisables par surélévation des constructions existantes. Les agences d'urbanisme et les différents établissements publics fonciers (EPF) pourront bien entendu déployer leurs expertises au profit de ces observatoires.
L'article 4 vise à créer un Fonds national pour la dépollution des friches urbaines et industrielles. De trop nombreuses friches existent dans des zones à forte demande foncière et immobilière. Les projets de reconversion font face à des obstacles juridiques et économiques. La réaffectation de ces friches se heurte au coût de la dépollution qui gèle inutilement d'importants gisements fonciers dans des zones pourtant tendues. En outre, notre droit se fonde sur le principe dit du pollueur-payeur. Mais il ne suffit pas, comme de nombreux exemples peuvent en témoigner dans nos circonscriptions respectives.
Un Fonds national pour la dépollution des friches urbaines simplifierait l'accès aux financements en agissant comme un guichet unique et aurait pour objet d'amorcer les projets de dépollution, en particulier pour le foncier en friche de l'État et pour les sites dits orphelins. Le cadre fixé par l'article 40 de la Constitution nous a contraints de désigner le groupe Action Logement comme gestionnaire de ce fonds, mais je suis pleinement conscient de la nécessité de revoir les conditions de portage, de financement et de fonctionnement de ce dernier.
Par ailleurs, cet article fait écho à de nombreux travaux en cours ou qui vont être lancés sous peu : mission d'information de notre commission sur la revalorisation des friches industrielles, groupe de travail sur la réhabilitation des friches lancées par la secrétaire d'État Emmanuelle Wargon ou groupe de travail pour la lutte contre l'artificialisation des sols, piloté par M. Julien Denormandie et Mme Emmanuelle Wargon. Je vous propose donc d'échanger plus en détail sur ces points avec le Gouvernement lors de la séance publique.
L'article 5 permet aux collectivités territoriales de recourir à l'avis d'experts privés, en substitution des services de l'État de, dans le cadre de leurs opérations de cessions et d'acquisitions immobilières. Aujourd'hui, avant toute entente amiable, les projets immobiliers des collectivités territoriales sont conditionnés à une demande d'avis préalable du service compétent de l'État, c'est-à-dire du service de la direction de l'immobilier de l'État, auparavant appelé service des Domaines. Mais l'adaptation des méthodes d'évaluation des services de l'État à la situation réelle du marché est parfois remise en cause par les élus locaux : du fait de retours relativement hétérogènes sur le territoire, cette procédure ne tiendrait suffisamment compte des évolutions récentes des marchés et ne pondérerait pas suffisamment la valeur d'usage des biens.
La disposition proposée fait suite aux demandes de nombreux élus et collectivités qui souhaitent disposer d'un droit d'option ; je l'ai présentée hier au congrès des maires, où elle a rencontré un beau succès. Cet article autorisera les collectivités à choisir entre le recours à l'avis des services de la direction de l'immobilier de l'État et une expertise privée indépendante et agréée.
Dans un esprit de simplification et de lisibilité, un amendement déposé conjointement avec le groupe Socialistes et apparentés proposera de permettre aux collectivités de recourir non pas à un corps d'experts qu'il conviendrait de créer de toutes pièces, mais aux experts immobiliers agréés auprès des tribunaux et cours d'appel.
L'article 6 propose d'inverser le principe de la règle et de l'exception dans l'application des règles du plan local d'urbanisme (PLU) pour certaines opérations de construction et d'aménagement en zones tendues. Si cet article envoie un signal très favorable aux communes, sa rédaction soulève d'importantes difficultés : en généralisant les régimes de dérogation, elle pourrait contredire la force obligatoire de nombreuses dispositions du plan local d'urbanisme.
Or, au cours des auditions, j'ai pu constater que les possibilités juridiques d'accompagnement et de soutien aux projets de densification sont déjà trop peu utilisées. Il faudrait donc avant tout favoriser une véritable sensibilisation des élus locaux à ces possibilités, en diffusant plus largement une véritable culture du foncier. À cet égard, le développement des observatoires de l'habitat et du foncier, prévu à l'article 3, participera à l'amélioration de la connaissance des élus locaux sur ces enjeux.
Pour ces raisons, je proposerai la suppression de l'article 6 dans l'attente d'une meilleure sensibilisation des élus locaux aux problématiques foncières.
L'article 7 renforce les mesures de transparence en matière de construction de logements dans le cadre du suivi de la mise en oeuvre des programmes locaux de l'habitat. Nous observons trop souvent une inadéquation entre les objectifs fixés par le PLH et les logements effectivement construits dans la collectivité.
Dans un souci de transparence, cet article prévoit de renforcer les obligations liées à la délibération annuelle sur l'état de réalisation du PLH. Elle devra prendre en compte son adaptation à l'évolution de la situation sociale ou démographique, mais également les analyses des observatoires de l'habitat et du foncier. Afin de renforcer cette démarche, avec le groupe UDI-Agir et indépendants, nous avons également prévu un compte rendu annuel en conseil municipal et en conseil communautaire, présentant les écarts entre les objectifs annualisés du PLH et le nombre de logements effectivement livrés au cours de l'exercice écoulé.
Cet article vise donc à mieux articuler la politique locale du logement avec les projets d'aménagement du territoire et à permettre aux élus d'anticiper davantage les contraintes et finalités des projets de construction ou d'aménagement.
Tels sont, mes chers collègues, les tenants et les aboutissants de cette proposition de loi. Avant de conclure, je tenais à saluer l'implication de l'ensemble des groupes politiques sur ce texte et le travail de coconstruction que nous avons mené ensemble ces derniers jours. Ce travail en commun est une nécessité sur ce sujet ô combien transpartisan.