Je voudrais d'abord remercier le groupe MODEM, en particulier M. Jean-Noël Barrot et Mme Aude Luquet, d'avoir présenté cette proposition de loi importante et attendue, à laquelle je vous indique d'ores et déjà que le Gouvernement donnera un avis favorable.
Je ne reviens pas sur l'enjeu que représente la forêt française, qui pour nous constitue un formidable puits de carbone. Il va falloir continuer à réfléchir à son organisation : comme vous le savez, l'État a d'ores et déjà pris un certain nombre de décisions. J'ai réuni le Conseil supérieur de la forêt et du bois (CSFB) il y a quelques semaines. J'ai demandé à la profession de s'organiser et de me rendre un rapport en mars prochain. Parallèlement, le Gouvernement a décidé de mettre 16 millions d'euros sur la table pour répondre immédiatement à l'urgence. Le Premier ministre a proposé la candidature de M. Munch pour diriger l'Office national des forêts, qui reste un organisme public. Nous allons pouvoir reprendre le cours des choses sereinement avec ce nouveau directeur général.
Madame la rapporteure, votre proposition de loi est essentielle, car elle vise à pérenniser une expérimentation en cours. L'intérêt de votre texte réside précisément dans cette pérennisation, qui revêt une importance particulière pour le Gouvernement. La SAFER d'Île-de-France a transmis en fin de semaine dernière des éléments d'évaluation qui n'évolueront pas ou peu d'ici à la fin 2020, échéance prévue par la loi.
On peut légitimement s'interroger sur l'opportunité de légiférer avant la fin de l'expérimentation. C'est une interrogation que plusieurs parlementaires ont soulevée et que vous avez peut-être entendue lors de vos auditions, Madame la rapporteure. C'est pourquoi j'aimerais revenir rapidement sur l'historique de cette mesure.
Jusqu'en 2017, la SAFER d'Île-de-France, comme ses homologues, ne pouvait intervenir que sur des parcelles agricoles ou naturelles. La plupart des parcelles boisées étaient exclues du champ d'application de son droit de préemption, à l'exception de quelques cas très limités. Les élus d'Île-de-France demandaient depuis longtemps que la SAFER soit autorisée à étendre sa protection aux espaces boisés, car ces derniers sont autant concernés par le phénomène de mitage que les espaces agricoles : c'est un constat que tout un chacun a pu dresser. Il est en effet fréquent de voir de petites parcelles boisées défrichées et construites illégalement dès qu'elles sont vendues. L'extrême morcellement de la forêt francilienne contribue à sa dégradation et freine sa mise en valeur. Or c'est précisément l'inverse qu'il faut faire : il faut impérativement l'améliorer et la mettre en valeur autant que possible.
Ce sujet avait été débattu, à l'Assemblée nationale, à l'occasion de l'examen de la loi sur le statut de Paris et l'aménagement métropolitain, promulguée le 28 février 2017. Ainsi, une expérimentation de trois ans a été lancée afin de donner à la SAFER d'Île-de-France la possibilité de préempter des parcelles forestières, à trois conditions : qu'elles soient d'une surface de moins de trois hectares ; qu'elles soient situées dans une zone agricole ou une zone naturelle et forestière délimitée par un document d'urbanisme ; que son objectif soit la protection et la mise en valeur de la forêt. Ce droit de préemption inhabituel pour une SAFER ne peut primer les droits de préemption et de préférence prévus par le code forestier. La SAFER a ainsi la possibilité d'intervenir sur une grande partie des ventes qui menacent les terrains boisés et de lutter contre l'extension de l'urbanisation sur les bois périurbains. Elle concourt également à la restructuration parcellaire.
Deux ans après le lancement de cette expérimentation, nous pouvons dresser un bilan positif de cette mesure. Depuis février 2017, la SAFER d'Île-de-France a exercé son droit de préemption à 510 reprises ; 198 préemptions, soit 39 % d'entre elles, ont été notamment motivées par l'objectif de protection et de mise en valeur de la forêt, ce qui va totalement dans le sens de votre proposition de loi. Les 198 ventes sur lesquelles la SAFER est intervenue représentent une surface totale d'environ 105 hectares de foncier forestier. Ce chiffre, comme celui de la surface moyenne d'intervention – 5 289 mètres carrés par vente – témoigne du type de biens visé par les préemptions, à savoir des parcelles de très petite taille. Les préemptions à la demande des collectivités publiques – communes et leurs groupements, départements, régions – sont, et de loin, les plus nombreuses. Ainsi, 180 préemptions demandées par des collectivités ont été réalisées par la SAFER d'Île-de-France dans un but de protection des espaces boisés. La surface moyenne est de 3 140 mètres carrés par vente. Les interventions à la demande de propriétaires sont peu nombreuses – on a recensé seulement 18. Cela montre que le travail mené avec les propriétaires forestiers reste à étoffer. Il convient de communiquer à ce sujet avec la SAFER et les représentants des forestiers. Le centre régional de la propriété forestière (CRPF) ou le syndicat des propriétaires forestiers d'Île-de-France sont systématiquement consultés dans le cas de préemptions à la demande de forestiers.
D'une manière générale, les interventions en préemption menées par la SAFER en forêt ont été bien accueillies par les acteurs du territoire, que ce soient les collectivités locales, les propriétaires forestiers, les syndicats agricoles et forestiers ou les associations environnementales. L'utilité de ce dispositif expérimental a été largement reconnue puisqu'il a permis, de toute évidence, d'éviter des défrichements illégaux et des artificialisations. Cette reconnaissance suppose des contacts systématiques avec les représentants de la forêt privée lors des enquêtes de préemption et au stade de la rétrocession des biens. La représentation des instances forestières au sein des comités techniques départementaux de la SAFER est bienvenue.
Compte tenu des aspects positifs de l'expérimentation, de l'accord des représentants de la forêt privée et du Centre national de la propriété forestière (CNPF), qui sont les premiers concernés, je suis favorable à la proposition de pérennisation de la mesure en Île-de-France dans les conditions qui ont été fixées lors de l'expérimentation. Cette pérennisation ne concerne que l'Île-de-France, en raison de son fort caractère périurbain et de la pression foncière que l'agglomération de 12 millions d'habitants fait peser sur les espaces naturels les plus fragiles, situation objective qu'on ne trouve pas ailleurs. Son extension au-delà de l'Île-de-France n'est, à ce stade, pas envisagée.
Madame la rapporteure, permettez-moi de saluer votre travail, les auditions que vous avez menées, ainsi que de remercier M. Barrot pour cette proposition de loi présentée par le groupe MODEM, que le Gouvernement appuiera.