Intervention de Jean-Luc Fugit

Réunion du jeudi 7 novembre 2019 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Fugit, député, rapporteur :

– L'audition publique organisée par l'Office le 29 octobre 2019 dernier a permis de réunir des acteurs majeurs de la politique spatiale européenne : le président du Centre national d'études spatiales (CNES), le directeur général de l'Agence spatiale européenne (ESA), les responsables des grands groupes industriels ArianeGroup, Airbus Defence & Space (ADS) et Thales Alenia Space (TAS), et de deux PME françaises, i-Sea, spécialisée dans la surveillance des milieux aquatiques et littoraux, et SpaceAble, spécialisée dans la connaissance de la situation spatiale (Space Situational Awareness – SSA). Une cinquantaine de personnes impliquées dans le domaine spatial étaient présentes dans la salle Lamartine et ont pu participer aux débats.

À l'initiative de son président Gérard Longuet, l'Office avait souhaité organiser cette audition publique en amont du conseil ministériel de l'ESA (« Space19+ »), qui se tiendra les 27 et 28 novembre prochains en Espagne à Séville, et qui est appelé à prendre des décisions cruciales pour la décennie à venir. Trois notes scientifiques récentes de l'Office ont précédé cette audition publique : une note présentée par Catherine Procaccia sur « L'exploration de Mars » 1 en décembre 2018 et deux par Jean-Luc Fugit sur « Les lanceurs réutilisables »2 en janvier 2019 puis sur « Les satellites et leurs applications »3 en octobre dernier.

Il ressort des différentes interventions initiales et du débat approfondi qui a suivi les éléments suivants.

L'espace connaît une période de mutations sans précédent, avec la conjonction du « New Space » et de l'irruption du numérique dans l'économie. Les ruptures technologiques se succèdent à un rythme soutenu : réutilisabilité des lanceurs, propulsion électrique, satellites reconfigurables, standardisation et production en série, constellations de satellites à bas coût en orbite basse ou moyenne, miniaturisation des composants, augmentation des capacités de traitement embarquées… Les données massives (Big Data) et l'intelligence artificielle (IA) permettent de tirer parti des informations recueillies dans l'espace, et les applications au service des collectivités publiques, des entreprises et des citoyens se multiplient. La concurrence est mondiale, le nombre d'acteurs publics et privés augmente, mais aucune position n'est acquise : les géants du numérique (GAFA, BATX) et les start-up bousculent les grands maîtres d'oeuvre industriels comme Airbus Defence & Space (ADS) ou Thales Alenia Space (TAS). On assiste à une verticalisation des activités avec, pour certains grands acteurs, une intégration de toute la chaîne de valeur allant des lanceurs aux applications en passant par les satellites et les données.

Tous les participants se sont prononcés pour une politique spatiale européenne ambitieuse au bénéfice des citoyens. Il s'agit aussi de maintenir le leadership scientifique et industriel, français et européen, sur toute la chaîne : lanceurs, satellites et services. Le projet de budget triennal de l'ESA (2020-2022) qui sera discuté à Séville s'élève à 12,5 milliards d'euros, bien supérieur aux 16 milliards d'euros proposés par la Commission européenne pour le prochain cadre financier pluriannuel sur sept ans (2021-2027). La France s'oriente vers une contribution à hauteur de 2,5 milliards d'euros pour le budget triennal de l'ESA (2020-2022), niveau intermédiaire entre les hypothèses haute et basse qui avaient été définies par le COSPACE au printemps 2019. Pour permettre à la France de maintenir son leadership en Europe et son ambition spatiale de premier plan, il convient de considérer cette contribution de 2,5 milliards d'euros comme un minimum.

Le conseil Space19+ doit consolider l'autonomie européenne d'accès à l'espace, avec la réussite des programmes Ariane 6 et Vega C, initiés en 2014, qui devraient diviser les coûts des lanceurs par deux et gagner en flexibilité, notamment pour le lancement de grappes de petits satellites à propulsion électrique (avec un volume d'emport adapté dans la coiffe du lanceur et un étage supérieur réallumable). Le vol inaugural d'Ariane 6 est prévu en 2020. La réunion Space19+ doit aussi préparer le futur, notamment avec le nouveau moteur Prometheus et le démonstrateur Thémis, pour décider, en 2022, soit d'une évolution d'Ariane 6, soit de la conception d'un nouveau lanceur réutilisable. Des travaux concernent aussi les petits lanceurs et une navette sans pilote (« Space Rider ») à des fins de recherche sur la microgravité.

Le conseil Space19+ doit maintenir l'effort sur la recherche scientifique et l'exploration, avec notamment la participation à la station spatiale internationale et les futurs programmes Athena (télescope à rayons X), Lisa (observation des ondes gravitationnelles), Euclid (étude de la matière noire), Mars Sample Return (projet de mission martienne en coopération avec la NASA) ou Lunar Gateway (station en orbite lunaire). Nos concitoyens sont sensibles aux observations spatiales. En particulier, celles-ci font rêver et démultiplient l'attrait du secteur spatial français pour les jeunes scientifiques issus de l'enseignement supérieur français.

Un des enjeux principaux du conseil Space19+ réside dans le soutien aux industries satellitaires et aux applications qu'ils permettent.

Avec les transformations en cours des satellites de télécommunications, tant pour les technologies que pour les usages, le leadership français et européen est menacé. ADS et TAS sont les deux leaders mondiaux de la construction des satellites de télécommunications, Eutelsat est le troisième opérateur mondial de satellites de télécommunications. Ces résultats ont été obtenus grâce à l'investissement de la France dans le programme ARTES – qui reste cependant inférieur à celui du Royaume-Uni – et grâce à l'autofinancement industriel de TAS et ADS. Pourtant les défis sont grands. D'après la Commission européenne en 2018, 17 % des foyers européens n'étaient pas connectés à l'internet à 30 mégaoctets, cette proportion atteignant 47 % de ceux habitant en zone rurale. L'internet satellitaire contribuera à résorber la fracture numérique, notamment pour les zones rurales. L'internet à très haut débit sera disponible pour tous, grâce à la constellation KONNECT VHTS qui sera opérationnelle en 2022, avec un prix et une qualité équivalents à ceux de la fibre optique. Le coût de la couverture satellitaire sera au moins dix fois plus faible pour les collectivités publiques que celui de la couverture terrestre. TAS estime opportun pour l'Europe de lancer un programme public ambitieux de télécommunications spatiales. Le développement de technologies quantiques permettra par ailleurs de rendre ces télécommunications très sécurisées4.

L'observation de la Terre par satellites est indispensable pour la surveillance des catastrophes naturelles (tsunamis, tornades…) et des variables essentielles aux prévisions météorologiques et à la mesure des changements climatiques. Le spatial a un rôle fondamental à jouer dans la transition écologique et solidaire qui s'impose à tous. Avec le développement continu du programme Copernicus, de futures missions se préparent pour mesurer de façon plus précise les concentrations en gaz à effet de serre sur toute la planète, la biomasse, la vitesse des vents ou des courants marins, la déforestation ou encore la qualité de l'eau. Il s'agit notamment de pouvoir mesurer et vérifier de manière indépendante l'application des engagements internationaux en matière de limitation des émissions. La météorologie atteint un très haut niveau de fiabilité avec l'utilisation des satellites d'Eumetsat. L'agriculture ne peut plus se passer des applications satellitaires. La directrice générale d'I-Sea lance l'idée de construire des satellites européens de très haute résolution intégrés à Copernicus.

Le nouveau système européen de navigation Galileo est maintenant en fonctionnement. Il sera utile pour de nombreuses applications de transport terrestre (dont ferroviaire), maritime et aérien. Au-delà, l'ESA ambitionne déjà de développer un système de navigation encore plus précis à travers son programme Navigation Innovation and Support Programme (NAVISP), qui s'appuiera sur des nouvelles technologies et de l'IA.

Les enjeux de sécurité, de sûreté et de souveraineté sont considérables. La défense ne peut plus se passer des infrastructures satellitaires de renseignement, d'observation et de communications sécurisées. Elles sont la condition nécessaire pour décider de manière autonome sur la base d'informations fiables et accessibles à tout moment. Avec la création en France de l'armée de l'air et de l'espace et du grand commandement de l'espace, le Président de la République Emmanuel Macron et la ministre des armées Florence Parly ont admis que l'espace est maintenant devenu un lieu de conflit. Pour financer ces nouvelles capacités, 700 millions d'euros supplémentaires ont été inscrits dans la loi de programmation militaire. Le satellite de reconnaissance militaire CSO-1, coconstruit par ADS et TAS, montre la synergie de ces technologies duales. Enfin, résilience et cybersécurité sont ici comme ailleurs indispensables.

La question des débris spatiaux devient cruciale. Quelque 1 500 satellites et 750 000 objets de toutes tailles sont maintenant en orbite autour de la Terre. Le degré de fiabilité très variable des satellites existants et la multiplication des projets de mégaconstellations de petits satellites, dont la fiabilité reste également à démontrer, présentent un risque d'accroissement des débris. Aujourd'hui, la seule règle permettant de limiter ces débris spatiaux est celle qui impose une durée maximale de présence en orbite de 25 ans pour un satellite en orbite. Mais cela ne suffit plus : le directeur général de l'ESA propose pour sa part de prévoir pour tout satellite : soit un système propre de désorbitation, soit l'appel à un service tiers d'aide à la désorbitation, soit enfin le dépôt d'une caution auprès d'une agence de confiance qui serait chargée de financer la désorbitation.

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