Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du jeudi 7 novembre 2019 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Jeudi 7 novembre 2019

- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office –

La réunion est ouverte à 9 h 40.

Examen de la note scientifique sur neurosciences et responsabilité de l'enfant

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

– Le premier point inscrit à l'ordre du jour de l'Office est l'examen de la note scientifique sur neurosciences et responsabilité de l'enfant. Cette note, la 20e de l'Office, nous permet d'aborder le thème des neurosciences, un sujet encore très peu traité par l'Office, même si nous le faisons à travers un aspect particulier ce matin. Cette note devrait contribuer à éclairer les travaux de nos collègues des commissions des lois sur la question de la responsabilité pénale des mineurs.

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Michel Amiel, sénateur, rapporteur

– Les neurosciences sont l'un des domaines les plus féconds de la science actuelle. Elles permettent de porter un regard renouvelé sur un certain nombre de problèmes éthiques et juridiques, notamment ceux liés à une meilleure compréhension des comportements de l'adolescent, en particulier de l'adolescent délinquant. Leurs progrès ont permis de mieux comprendre les caractéristiques du cerveau de l'enfant, de décrire et d'expliquer comment il se transforme et comment les capacités cognitives et psycho-sociales se développent en fonction de l'âge.

Cet éclairage des neurosciences est important au moment où le gouvernement a décidé de réformer la justice des mineurs, régie par la fameuse ordonnance de février 1945 déjà tant de fois remaniée. Rappelons-en les principes dans le contexte de l'époque, tel qu'il ressort du préambule de ce texte : « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l'enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l'enfance traduite en justice. La France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. La guerre et les bouleversements d'ordre matériel et moral qu'elle a provoqués ont accru dans des proportions inquiétantes la délinquance juvénile. La question de l'enfance coupable est une des plus urgentes de l'époque présente. Ce projet d'ordonnance atteste que le gouvernement provisoire de la République française entend protéger efficacement les mineurs, et plus particulièrement les mineurs délinquants ».

Cette philosophie inspire les trois grands principes de l'ordonnance de février 1945, à savoir la spécialisation de la justice des mineurs, avec un personnage clé de voûte, le juge des enfants, la primauté de l'éducatif sur le répressif et l'excuse de minorité.

Depuis les années 1970, la prise en charge des mineurs délinquants selon ces trois principes est cependant régulièrement interrogée. Le processus tend à s'accélérer depuis les années 2000 avec la création des centres éducatifs fermés. Il se dessine une tendance à rapprocher le traitement de la délinquance des mineurs de celle des majeurs et à recentrer les missions du juge des enfants et de la protection judiciaire de la jeunesse sur le volet pénal.

En 2008, une instance pluridisciplinaire a été mise en place avec pour mission de réfléchir à « une véritable refondation de la justice des mineurs » autour de différents axes : la place de l'éducatif et de la sanction ; l'âge de la responsabilité pénale ; la définition de la procédure et du régime pénal applicable aux mineurs.

La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a récemment présenté un projet de réforme de la justice pénale des mineurs. Elle vise en premier lieu à raccourcir les procédures, en l'occurrence à ramener à 3 mois le délai entre l'interpellation et le jugement sur la culpabilité et l'indemnisation ; et à ramener de 6 à 4 mois le délai entre le jugement sur la culpabilité et le jugement sur la sanction. Rappelons qu'il faut aujourd'hui 18 mois en moyenne pour qu'un jeune soit jugé. Disons que ces dispositions ne font que reprendre la procédure de la « césure » aujourd'hui facultative.

Dans son article 1er, ce projet de réforme prévoit par ailleurs que les mineurs de moins de 13 ans sont présumés ne pas être capables de discernement. Il s'agit d'une présomption simple. Le juge des enfants pourra en décider autrement. À noter que plusieurs conventions internationales exigent que soit retenu un âge plancher et que de nombreux pays en fixent déjà un : 10 ans en Angleterre, 14 ans en Allemagne, 18 ans en Belgique. La notion de responsabilité pénale est donc au coeur de cette réforme, même si cette dernière déçoit les professionnels.

Les connaissances neuroscientifiques permettent d'affiner cette question faisant ainsi de la réforme de l'ordonnance de 1945 aussi une question de santé publique. Trois points intéressent particulièrement le champ de la santé des jeunes. D'abord, l'approche globale. L'ordonnance de 1945 avait centré l'intervention judiciaire sur la personne, le jeune ; et non sur l'acte, l'infraction. Ensuite, la responsabilité et la notion d'âge. C'est sur ce point que ma note s'est focalisée en essayant d'établir des liens entre le caractère non synchrone de la maturation de certaines zones cérébrales et l'agir adolescent marqué par la sensibilité accrue aux récompenses immédiates ou à l'influence des pairs, l'engagement plus marqué dans les activités à risque ou une moindre capacité à contrôler pulsions et émotions. Enfin, la prévention. Les données épidémiologiques sur les populations prises en charge par la protection judiciaire de la jeunesse montrent que les jeunes sont, la plupart du temps, issus de milieux défavorisés, que leur vécu est fortement marqué par la violence agie mais aussi subie, par les tentatives de suicide et par les consommations de stupéfiants. Il ne s'agit point d'excuser mais de prévenir par des actions en faveur des familles en situation de précarité :

– par la nécessité de ne pas dissocier protection des mineurs et prise en charge des mineurs délinquants ;

– par une articulationdes missions des différents partenaires ;

– par le repérage, le diagnostic et la prise en charge des adolescents en difficulté sans tomber dans une espèce de néopositivisme qui, sous prétexte de dépistage, conduirait à mettre des enfants dans des cases dont ils seraient prisonniers. On se souvient à cet égard du rapport de l'INSERM de 2005, qui avait soulevé un tollé.

Dans le contexte sociétal et politique que je viens de rappeler, il me semble que les neurosciences apportent des éléments utiles au débat. Elles permettent en effet d'éclairer une notion qui est historiquement et doctrinalement au fondement de notre conception de la justice des mineurs : je veux parler de la notion d'immaturité de l'enfant. C'est bien en effet parce que l'enfant et l'adolescent sont considérés comme des êtres en développement que leur responsabilité pénale est appréciée et modulée en fonction de leur degré de maturité. Mais, jusqu'à récemment, que savait-on scientifiquement de cette immaturité de l'enfant ? En réalité, peu de chose. Historiquement, l'institution par la loi d'une justice spécialisée pour les enfants s'est passée de véritable justification scientifique pour se fonder seulement sur le sens commun et un constat que n'importe quel adulte peut faire, à savoir que la pleine acquisition des capacités de discernement et de contrôle de soi, nécessaires pour répondre de ses actes devant un tribunal, ne s'acquiert qu'avec l'âge.

Grâce aux neurosciences, on en sait désormais plus sur le développement de la maturité de l'enfant. Trois points sont à souligner.

En premier lieu, les neurosciences ont mis en évidence un processus de maturation cérébrale pendant l'adolescence. À partir de la puberté et jusqu'à la troisième décennie de l'existence, sous l'effet de mécanismes biologiques endogènes et d'interactions avec l'environnement social, il se produit un processus de maturation cérébrale qui aboutit à une profonde réorganisation structurelle et fonctionnelle du cerveau :

– il se produit une destruction massive de synapses au sein des différentes aires cérébrales, ce qui entraîne une forte réduction du volume de substance grise. Cet élagage synaptique n'est pas synchrone dans les différentes parties du cerveau. La région du cortex préfrontal, dont le fonctionnement est étroitement lié aux fonctions exécutives, connaît une maturation plus lente que le système limbique, qu'on appelle souvent le cerveau émotionnel ;

– on assiste également à un développement de la connectivité structurelle et fonctionnelle du cerveau. Tandis que la substance grise diminue, il se produit un fort développement de la substance blanche. L'imagerie par tenseur de diffusion permet de visualiser la structure des faisceaux d'axones myélinisés qui relient les différentes aires du cerveau. Elle révèle une profonde transformation du « câblage » du cerveau au cours de l'adolescence. Les liaisons « longue distance » se développent. Toutefois, là encore, le développement de la substance blanche est asynchrone. Les liaisons qui assurent l'intégration entre le cortex préfrontal, qui est responsable du contrôle et de l'inhibition, et le système limbique sont les plus tardives à se mettre en place.

L'analyse des données de neuroimagerie fonctionnelle à l'aide de la théorie des graphes montre par ailleurs que ce développement de la connectivité structurelle s'accompagne d'un renforcement sensible de la synergie de fonctionnement des aires cérébrales. Chez l'adulte, les zones cérébrales éloignées fonctionnent davantage ensemble que chez l'adolescent, notamment lors de l'exécution des tâches exécutives. L'adulte mobilise simultanément des régions cérébrales dispersées, là où l'adolescent mobilise des circuits cérébraux beaucoup plus localisés. C'est donc le fonctionnement global du cerveau qui est bouleversé en même temps que le « câblage » est réorganisé.

En deuxième lieu, on observe que la maturation cérébrale adolescente s'accompagne d'un fort développement cognitif et psychosocial. La psychologie expérimentale montre que les capacités cognitives impliquées dans le raisonnement logique progressent fortement à partir de 11 ans pour atteindre un niveau comparable à celui des adultes vers 15-16 ans. À cet âge, la plupart des individus sont capables de raisonner abstraitement, d'évaluer le sens et la conséquence des actes et en définitive de prendre des décisions de la même manière que des adultes, du moins en l'absence de tensions émotionnelles et d'influence des pairs.

Les capacités qui définissent la maturité psychosociale progressent quant à elles fortement à partir de 14-15 ans et leur développement se poursuit au-delà de l'adolescence, jusqu'à la trentaine. Des tests psychologiques mesurent l'attitude face au risque, la tendance à rechercher des sensations fortes, l'impulsivité, la résistance à l'influence des pairs et la capacité à intégrer des considérations de long terme dans la prise de décision. Ces tests montrent que, dans ces divers domaines, les jeunes sujets atteignent le niveau de performance médian des adultes seulement vers 22-23 ans. Les capacités de maîtrise de soi sont donc très différentes entre les adolescents et les jeunes adultes d'un côté, et des adultes plus mûrs de l'autre.

La maturation neurobiologique du cerveau et les changements psycho-cognitifs et comportementaux de l'adolescence sont vraisemblablement étroitement liés. L'hypothèse privilégiée par les neurosciences pour expliquer les spécificités comportementales des adolescents, notamment leur sensibilité accrue aux récompenses immédiates ou à l'influence des pairs, leur engagement plus marqué dans les activités à risque ou leur moindre capacité à contrôler pulsions et émotions, est que les structures corticales impliquées dans les processus décisionnels de haut niveau, qui sont situées principalement au sein du cortex préfrontal, connaissent une maturation et une intégration relativement lentes, ce qui les place sous une influence excessive du système limbique, ainsi que des systèmes de récompense et de punition. Ce décalage dans le temps entre la maturation des centres émotionnels et celle des systèmes supérieurs de contrôle revient en quelque sorte à « démarrer le moteur sans disposer d'un conducteur qualifié ».

On trouvera en page trois de la note les principales observations qui tendent à confirmer cette hypothèse. Je n'y reviens pas ici en détail, parce que cela obligerait à des développements très techniques. Vous pourrez vous y reporter. Je préfère insister sur ce qu'on peut tirer de ces différentes découvertes scientifiques pour nourrir la réflexion sur la justice des mineurs. La principale conclusion est que les neurosciences tendent à conforter les grands principes de la justice des mineurs. Laurence Steinberg, un des spécialistes américains de l'adolescence, souligne à cet égard que la force des arguments neuroscientifiques tient moins au fait qu'ils bouleversent nos représentations de l'adolescence qu'au fait que finalement leurs conclusions convergent avec le savoir commun. Les neurosciences conduisent ainsi à souligner la pertinence des grands principes historiques qui fondent la justice des mineurs. Cela peut paraître peu, mais c'est pourtant beaucoup étant donné que le débat sur la justice des mineurs est souvent passionné et un peu irrationnel. Que la science vienne au secours du bon sens n'est donc pas un luxe dans ce domaine !

Plus précisément, les apports des neurosciences à la réflexion sur la responsabilité pénale des enfants sont au nombre de cinq.

Premièrement, les neurosciences confirment que le discernement et le contrôle des actes, qui sont deux conditions nécessaires de la responsabilité pénale, sont bien liés à des facultés qui ne s'acquièrent qu'au terme d'un long processus de maturation neurobiologique et de développement psycho-cognitif. Présumer qu'un enfant ou un adolescent possède ces capacités de la même façon qu'un adulte est clairement en contradiction avec ce que révèlent les neurosciences développementales. Même si c'est avec de très fortes différences interindividuelles, en moyenne, les capacités de réflexion logique nécessaires au discernement n'atteignent le niveau de performance d'un adulte standard que vers 15-16 ans. Quant aux capacités de contrôle et d'inhibition, elles arrivent à maturité encore plus tard, au début de l'âge adulte, là encore avec de fortes variations d'un individu à l'autre. Ces faits confortent l'autonomie du droit pénal des mineurs par rapport au droit pénal général.

Deuxièmement, les neurosciences montrent que, sur un plan neurobiologique et cognitif, discernement et capacité de contrôle des actes sont clairement des aptitudes distinctes. Elles reposent sur des circuits neuronaux distincts et se développent selon des rythmes spécifiques. Un adolescent peut donc être doté de discernement et, pour autant, être incapable d'adopter la bonne attitude dans une situation réelle où il subit l'influence des pairs ou des émotions fortes. Ce résultat plaide pour le maintien de deux âges-pivot dans la justice des mineurs : celui de la responsabilité pénale, qui correspond à l'âge d'accès au discernement, et celui plus tardif jusqu'auquel peut être invoquée une excuse de minorité correspondant à l'immaturité des fonctions de contrôle.

Troisièmement, les neurosciences apportent des éléments qui contribuent à expliquer le caractère fréquemment transitoire de la délinquance juvénile. Les études épidémiologiques ont établi depuis longtemps que la fréquence des conduites délinquantes ou des comportements à risque suit une courbe en forme de U inversé, appelée « courbe du crime ». Cette courbe croît rapidement au cours de l'adolescence, atteint un maximum autour de 18-20 ans, puis diminue rapidement et fortement à l'âge adulte. Une telle observation statistique suggère que la dangerosité des mineurs délinquants doit s'analyser, dans un certain nombre de cas, non pas comme un caractère intrinsèque des individus concernés, mais plutôt comme un désordre momentané et réversible de leur comportement. Grâce aux neurosciences, on comprend désormais un peu mieux les raisons de ce pic dans la fréquence des conduites à risque et des comportements délinquants au cours de l'adolescence : il correspond précisément à la période de la vie où les capacités exécutives de contrôle se mettent en place et sont donc encore immatures. La fin des bouleversements favorise souvent un retour à des logiques comportementales plus stables et rationnelles du point de vue adulte.

Quatrièmement, la composante transitoire de la délinquance juvénile contribue à légitimer la prééminence des mesures d'éducation et de protection des mineurs dans la justice des mineurs. En effet, si la délinquance juvénile est, pour une part importante, transitoire, puisque liée à des désordres comportementaux qui tendent à disparaître quand l'enfant devient adulte, la justice ne peut se contenter de punir et de prendre des mesures de protection de la société : elle doit aussi veiller à préparer l'avenir en n'hypothéquant pas le retour à la normale de l'enfant délinquant. C'est bien là la finalité des mesures de protection et d'éducation.

L'attention qui doit être portée à la protection et à l'éducation est d'autant plus importante que les neurosciences ont démontré l'extrême plasticité du cerveau et du psychisme adolescents. Contrairement à ce qu'on a longtemps pensé, tout ne se joue pas au stade foetal et pendant la petite enfance. Créer un environnement affectif, social et culturel favorable est particulièrement important pendant l'adolescence parce que le futur adulte y est en gestation. Placer un mineur délinquant dans un milieu carcéral fermé, où il va se construire au seul contact d'autres délinquants, c'est créer les conditions qui risquent d'en faire un délinquant plus endurci. De même, ne pas soustraire un mineur à l'influence d'un milieu affectif, familial ou social délétère qui le pousse vers la délinquance, c'est l'enfermer dans un destin délinquant. On peut désormais s'appuyer sur des arguments neuroscientifiques pour défendre ces idées.

Cinquièmement, les neurosciences posent la question du statut pénal du jeune adulte. Dans la mesure où la maturation neurobiologique des circuits impliqués dans les fonctions exécutives se poursuit bien après l'âge de la majorité actuelle, il peut être opportun de permettre l'application à de jeunes adultes de certaines dispositions de la justice des mineurs, de manière à éviter un passage brutal, à l'âge de 18 ans, au régime pénal des adultes. C'est déjà le cas dans plusieurs pays européens. En Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Espagne, le juge peut appliquer le droit des mineurs à des jeunes entre 18 et 21 ans.

Si l'apport des neurosciences à une réflexion sur la responsabilité de l'enfant est intéressant, il ne faut cependant pas en exagérer la portée. Deux limites méritent en particulier d'être soulignées.

En premier lieu, les neurosciences ne permettent pas de formuler des préconisations sur un sujet essentiel de la justice des mineurs, à savoir la définition de seuils d'âge. La forte variabilité interindividuelle des processus de maturation cérébrale, cognitive et psychologique, qui reflète à la fois les spécificités natives de chaque individu mais également – et de façon tout aussi cruciale – les différences de contextes affectif, culturel et social dans lesquels cet individu interagit et se construit, ne permettent pas de décrire un chemin ni un calendrier uniques de maturation et donc de définir des seuils d'âge applicables à tous.

En second lieu, les neurosciences ne constituent pas un outil d'expertise judicaire fiable pour établir la responsabilité d'une personne ou évaluer sa dangerosité. Les neurosciences permettent en effet de décrire le fonctionnement du cerveau humain, mais seulement à partir du traitement statistique de nombreuses observations individuelles. Ces résultats de nature probabiliste ne sont donc pas pertinents pour aider la justice à juger ou anticiper un comportement individuel.

Vous l'aurez compris, cette note est une très modeste contribution à une meilleure prise en charge des adolescents. La délinquance juvénile, forme ultime de la transgression, « normale » à l'adolescence, n'étant qu'une des facettes de l'adolescence.

Si les neurosciences permettent de mieux comprendre les comportements à l'adolescence, elles ne sauraient en aucun cas être ni un outil absolu de l'expertise, ni une justification à la délinquance. Elles permettent en revanche de confirmer que l'enfant n'est pas un adulte en miniature, en particulier pour ce qui est de son cerveau soumis au concept fondamental de neuroplasticité, lié à celui d'élagage synaptique, lui-même étroitement lié à la phase d'apprentissage et au développement neurocognitif de l'enfant. Elles confirment la nécessité de laisser le temps au temps, la maturation définitive n'étant acquise qu'aux environs de 25 ans, ce qui d'ailleurs ne signifie pas que tout est joué à cet âge, une certaine neuroplasticité chez les adultes ayant également été récemment découverte.

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Florence Lassarade, sénatrice

– En tant que pédiatre, je trouve cette note très éclairante. Qu'en est-il des différences entre garçons et filles dans les processus de développement que vous décrivez ? Sont-ils corrélés à l'âge pubertaire – dont on sait qu'il est variable d'un individu à l'autre ? La note souligne par ailleurs un fort développement des capacités de raison à partir de 11 ans. C'est en effet une période d'apprentissages rapides. N'est-ce pas un sujet qui mérite qu'on s'y penche ? Enfin, je trouve très intéressants les développements sur le fonctionnement dopaminergique. Ce dernier intervient à de nombreuses étapes de la vie : dans la période de maturation de l'adolescence, comme le souligne la note, mais aussi dans des troubles neuro-développementaux comme la maladie de Parkinson.

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Michel Amiel, sénateur, rapporteur

– De fait, les noyaux impliqués dans la maladie de Parkinson sont liés au système dopaminergique et les traitements actuels contre cette maladie, qui reposent essentiellement sur la lévodopa, génèrent des effets secondaires tels que des levées d'inhibition dans le domaine du jeu et du sexe. On voit donc bien que le fonctionnement du système de la récompense est au coeur des modifications de comportements. Toutefois, les interactions entre hormones et neuro-hormones sont d'une grande complexité et imparfaitement connues. On progresse très rapidement dans leur compréhension et, pour l'anecdote, quand je relis mes cours de neurophysiologie d'étudiant, j'ai l'impression de lire Ambroise Paré ! On peut donc s'attendre à des progrès considérables dans les années à venir dans ce domaine.

Je signale dans ma note, sans développer ce point, que la maturation cérébrale n'est pas identique entre garçons et filles. Cela est cohérent avec un constat qui est flagrant sur un plan épidémiologique : la délinquance des jeunes filles est plus rare que celle des jeunes hommes.

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– Félicitations pour cette note, aussi bien sur la forme que sur le fond. Les graphiques sont particulièrement éclairants et les notes de renvoi extrêmement bien rédigées. Je relève, en lien avec la question qui vient d'être posée, que la note de renvoi numéro 3 indique que le droit romain faisait une différence entre les filles et les garçons sur le plan de l'âge de la responsabilité.

De façon générale, à travers le monde, en fonction des régimes législatifs, comment varie l'âge de la responsabilité ? Y a-t-il partout cette distinction entre l'âge du discernement et l'âge de la pleine responsabilité ? Certaines données objectives, mesurables, vont dans le sens d'une justification de la distinction faite par le droit entre différents âges de la responsabilité. D'un autre côté, quand on fait du droit, on doit donner des règles relativement simples et uniformes. Où se situe l'équilibre entre ces deux exigences : disposer de règles universelles et prendre en compte les particularités et les différences entre les individus du point de vue du développement ?

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Michel Amiel, sénateur, rapporteur

– L'aspect de droit comparé est tout à fait intéressant. Il y a de fortes différences d'un pays à l'autre, y compris entre des pays pourtant très proches. Je l'ai indiqué : l'âge du discernement est 10 ans en Angleterre, 14 ans en Allemagne et 18 ans en Belgique ; en France, il n'est pas déterminé par la loi. La définition législative de ce seuil dépend à la fois de facteurs historiques et culturels, mais aussi, hélas, de la sensibilité à l'actualité. Il suffit qu'il se produise un acte criminel horrible mettant en cause un mineur pour que des demandes s'élèvent en vue de durcir le droit et d'abaisser le seuil.

Il importe de bien préciser de quel seuil on parle. L'âge du discernement et celui de la pleine responsabilité doivent être distingués. Un adolescent de 12 ans peut comprendre ce qu'il fait : ce n'est pas pour cela qu'il peut maîtriser ses actes. Dès lors qu'il y a discernement, la responsabilité pénale peut être engagée. Mais peut-elle l'être pleinement, au même titre qu'un adulte, dès lors que le jeune n'a pas encore développé les capacités nécessaires à la maîtrise de ses actes ? Responsabilité pénale ne veut pas dire majorité pénale : cette dernière est fixée par la loi en France ; elle correspond à la maturité des capacités de discernement et de maîtrise des actes. Lorsqu'on atteint cet âge, on passe donc de la justice des mineurs à celle des adultes.

Certains d'entre vous ont sans doute visité le milieu carcéral. Les établissements pénitentiaires pour mineurs me laissent un sentiment mitigé. Je connais bien celui de Marseille, La Valentine. Sur le plan de l'architecture, de l'hôtellerie, ce n'est pas si mal. Mais enfin… Remettre un enfant sur les rails de la loi en le plaçant dans des lieux de non-loi, est-ce la bonne approche ? Car enfin, le milieu carcéral est un milieu très particulier. 80 % des mineurs incarcérés le sont au titre de la préventive, pour une durée moyenne de 4 mois. Cela peut paraître peu de choses, mais c'est un temps assez long pour faire basculer définitivement un enfant délinquant qui était déjà fragile. Je pense qu'il faut recréer une osmose entre protection de l'enfance et protection judiciaire de la jeunesse. Un enfant en danger ne sera pas forcément dangereux, mais un enfant dangereux est toujours en danger. Tous les cas de mineurs délinquants que j'ai pu connaître étaient des enfants qui avaient vécu des choses épouvantables. Les traumatismes vécus n'excusent pas la délinquance, mais pour les rattraper, il faut beaucoup de temps et de travail, du doigté, du professionnalisme. La prise en charge des enfants est sans doute celle où il faudrait, passez-moi l'expression, mettre le paquet. De Gaulle l'avait compris avec cette fameuse ordonnance de février 1945 sur l'enfance délinquante.

Sur la question de l'équilibre entre règles universelles et cas particulier, il me semble que ce doit être le travail du juge. Le juge des enfants est la clé de voûte de la justice des mineurs. Il est compétent au civil comme au pénal. Il a le pouvoir d'initier la procédure, de l'instruire, de juger l'affaire et de suivre l'application de ses décisions. Dans la hiérarchie du prestige de la magistrature, le juge des enfants n'est certes pas situé très haut et pourtant ces juges exercent un métier extraordinaire malgré un manque évident de moyens.

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– Ma question porte sur l'âge juridique du discernement. Aujourd'hui, en droit français, la loi ne fixe pas un âge du discernement. Elle laisse le juge l'apprécier. Selon la jurisprudence, cet âge se situe vers 7-8 ans. Ce qui signifie que, dès cet âge, la responsabilité pénale peut être engagée. À la lecture de cette note, je me demande si un plancher si bas est bien raisonnable.

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Michel Amiel, sénateur, rapporteur

– L'articulation entre discernement et responsabilité est complexe. L'enfant peut être conscient qu'il fait mal et le faire quand même. Avec la réforme envisagée de la justice des mineurs, il est question de fixer l'âge de la responsabilité pénale à treize ans. Ce serait une présomption simple, le juge des enfants ayant le pouvoir d'abaisser ce seuil. Je pense qu'il est bon de distinguer discernement et responsabilité et que cette évolution n'est pas une mauvaise chose. Fixer un seuil correspond d'ailleurs à un engagement international de la France.

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– En lisant cette note, j'ai repensé à la discussion que nous avons eue, au moment de l'examen du projet de loi relatif à la bioéthique, concernant l'accès aux origines. Qu'est-ce qui justifie de fixer à dix-huit ans l'âge d'accès aux origines ? Est-ce que les travaux sur le développement cognitif et la maturité psychosociale ne justifieraient pas un âge inférieur, par exemple de quinze ans, pour autoriser le droit d'accès aux origines ?

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Michel Amiel, sénateur, rapporteur

– La convention européenne des droits de l'homme considère qu'il y a un droit à connaître ses origines, mais reste floue sur la détermination précise de l'âge auquel on acquiert ce droit. Le sujet est ouvert.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

– Cette note est passionnante, mais va susciter le débat dans la mesure où elle met en évidence un écart, qui surprend le béotien, entre le développement intellectuel et la maturité psychosociale, entre la capacité de discernement et le comportement. Je pense aussi qu'elle devrait être adressée à tous les parents et à tous les éducateurs. Bien sûr, elle traite strictement du sujet indiqué dans son titre, à savoir les liens entre neurosciences et responsabilité. Toutefois, en apportant un éclairage sur la complexité du processus de développement de l'enfant et de l'adolescent, elle a aussi des implications qui vont bien au-delà de la justice et du droit pénal.

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Michel Amiel, sénateur, rapporteur

– Le sujet « Neurosciences et éducation » est un sujet passionnant. On sent bien qu'une partie des développements que j'introduits dans ma note seraient pertinents pour aborder les questions de pédagogie. J'ai d'ailleurs auditionné Olivier Houdé, qui est l'un des grands spécialistes dans ce domaine.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

– Le thème « neurosciences et pédagogie » pourrait en effet faire l'objet d'une prochaine note scientifique de l'Office.

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Angèle Préville, sénatrice

– Ne faudrait-il pas repousser l'âge de la majorité pénale ? À la lecture de cette note, je me le demande.

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Michel Amiel, sénateur, rapporteur

– Quand la majorité a été abaissée à dix-huit ans en France, je m'en suis réjoui. Ceci étant, à la lumière de ce qui a été dit ce matin, je pense que, d'un point de vue pénal, l'âge pertinent pour la majorité se situe à vingt-et-un ans plutôt qu'à dix-huit.

L'Office autorise, à l'unanimité, la publication de la note scientifique « Neurosciences et responsabilité de l'enfant ».

Examen de la note scientifique sur les enjeux sanitaires du cannabis

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La note que je vais vous présenter maintenant est, vous l'avez compris, en lien avec la première qui a été examinée ce matin, et qui a présenté les bases du fonctionnement du cerveau. Celle que nous abordons maintenant sur les enjeux sanitaires du cannabis se place dans le contexte d'une actualité est assez prégnante, qui justifie pleinement que l'OPECST se soit saisie du sujet.

Le statut du cannabis a récemment évolué dans de nombreux pays, et en France, son usage pourrait être autorisé à des fins médicales pour deux ans, à titre expérimental. C'est dans ce contexte que l'Office s'est saisi du sujet, jugeant utile d'examiner l'ensemble des enjeux sanitaires du cannabis : à la fois effets bénéfiques dans le soulagement de symptômes et effets négatifs, plutôt associés à une consommation dite « récréative ».

Nous avons auditionné des médecins, des chercheurs, des représentants des Académies de médecine et de pharmacie, l'Observatoire français des drogues et toxicomanies, l'Agence nationale de sécurité du médicament, la Direction générale de la santé, des représentants des patients et des acteurs industriels.

Ces auditions et les recherches que nous avons faites en parallèle ont montré qu'il existe un niveau de preuve suffisant pour légitimer l'utilisation de cannabis ou de dérivés du cannabis en médecine, pour traiter certains symptômes réfractaires aux thérapies disponibles. Il s'agit de la douleur, de la spasticité dans la sclérose en plaques, de certaines épilepsies rares et des symptômes associés à la chimiothérapie, comme les douleurs et les nausées.

Compte tenu des potentialités du cannabis en médecine, la législation avait déjà évolué en France en 2013, afin de permettre la commercialisation de médicaments à base de dérivés du cannabis. Depuis, le Sativex® n'a pourtant pas été commercialisé et des patients en impasse thérapeutique pratiquent l'automédication, en achetant du cannabis dans la rue ou en pratiquant l'auto-culture. Ces pratiques sont dangereuses car sans contrôle de la qualité des produits et sans contrôle médical de l'adéquation de cette consommation avec leurs symptômes.

Face à cette situation, l'Agence nationale de la sécurité du médicament a étudié la pertinence et la faisabilité de la mise en place d'un accès au cannabis à usage médical en France, à titre expérimental, et a rendu un avis favorable. La mise en oeuvre de cet essai est à l'étude et un amendement au PLFSS 2020 devrait permettre l'expérimentation, sous réserve de la discussion qui aura lieu en séance publique au Sénat la semaine prochaine. Si la disposition est maintenue, l'expérimentation devrait commencer en début d'année prochaine.

Cette expérimentation est assez semblable à l'usage médical du cannabis qui est fait en Allemagne. Elle prévoit cependant un encadrement plus avancé, notamment en ce qui concerne les indications médicales retenues et la formation des médecins. Les indications médicales retenues sont en adéquation avec les connaissances scientifiques, l'expérimentation concernera donc les symptômes précités.

Différents types de cannabis seront utilisés. Ils seront indiqués dans le traitement de tel ou tel symptôme, selon leur composition. Les variétés présenteront des taux variables de THC – tétrahydrocannabinnol – et de cannabidiol – le CBD, qui sont les molécules d'intérêt médical de la plante. Le CBD est notamment utile pour les cas d'épilepsies rares, alors que l'atténuation des douleurs en soins palliatifs requiert un haut taux de THC. Notons que le THC est considéré comme la molécule psychotrope parmi les constituants du cannabis.

Seuls les médecins ayant reçu une formation spécifique pourront prescrire du cannabis. Et la première prescription ne pourra être faite que par un praticien exerçant dans une structure hospitalière. De plus, l'efficacité et la tolérance du traitement sera évaluée par l'intermédiaire d'un registre. C'est le financement du registre et de la formation des médecins qui sont au coeur de l'amendement adopté au PLFSS 2020.

Le seul bémol que nous relevons est le fait que le cannabis à usage médical n'a pas démontré son efficacité et son innocuité par les procédures habituelles, qui conditionnent l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché, contrairement aux médicaments à base de cannabis (Sativex®, Epidyolex®).

En conclusion de la note, nous recommandons que la recherche poursuive l'étude des mécanismes biologiques à l'origine des effets thérapeutiques du cannabis et souhaitons que l'accès des chercheurs à des molécules provenant du cannabis soit simplifié : aujourd'hui, il faut 6 à 9 mois à un chercheur pour en obtenir.

Dans le cas où l'expérimentation de cannabis médical serait pérennisée, nous recommandons de développer une filière bénéficiant de l'excellence de la recherche française en agronomie. En effet, cette culture est très différente de la culture du chanvre industriel, qui est la seule variété de chanvre autorisée en France. Le contrôle continu de multiples paramètres, qui vise à obtenir des plants comprenant des concentrations très homogènes de cannabinoïdes, est un prérequis pour une utilisation médicale du cannabis. De plus, une sélection variétale est nécessaire pour obtenir des ratios de cannabinoïdes correspondant au mieux aux symptômes à soulager.

Nos auditions ont permis de mettre en évidence la prévalence de la consommation de cannabis en France, malgré son interdiction, pour un usage souvent qualifié de « récréatif » : la France est le pays où les jeunes consomment le plus de cannabis, en Europe. La raison principale en est que l'accès y est très facile en France, et son coût relativement peu élevé.

Malgré une légère baisse de la consommation ces dernières années, la normalisation de son usage, par rapport à une dé-normalisation de l'usage du tabac, suscite l'inquiétude. En effet, le cannabis a des effets délétères sur le cerveau en développement. La note scientifique du sénateur Michel Amiel sur les neurosciences et la responsabilité des mineurs rappelle que le cerveau est en développement jusqu'à 25 ans. Ce point est mentionné dans ma note, mais cela fait peut-être doublon avec la note précitée, centrée sur ce sujet.

En l'espèce, les constituants du cannabis, principalement le THC, interagissent avec le système endocannabinoïde dans le cerveau, et l'empêchent d'assurer ses fonctions. Ce système, découvert relativement récemment, est impliqué dans de nombreux processus. Cette perturbation pourrait être à l'origine des effets du cannabis, sans que les mécanismes en soient parfaitement compris à ce jour. Sont observés, sur le plan cognitif, des problèmes de mémoire et d'attention, pouvant mener au décrochage scolaire, et sur le plan psychiatrique, une possible anxiété, et un risque de développer des symptômes psychotiques, voire d'accélérer l'apparition d'une schizophrénie.

Ces risques concernant les individus dont le cerveau est en développement, c'est-à-dire jusqu'à 25 ans, il nous paraît très important de renforcer la prévention à destination des jeunes et des femmes enceintes. Cette prévention devrait être axée sur les effets du cannabis sur la santé et non sur le caractère illégal de sa consommation, puisque cela n'a manifestement montré que peu d'effets.

L'appellation « usage récréatif » cache d'autres usages, moins connus, notamment son utilisation en quelque sorte auto-thérapeutique, pour soulager une anxiété, un mal-être, un stress, ou faciliter l'endormissement. Typiquement, cela peut être le cas d'un jeune qui a commencé à consommer du cannabis dans un usage récréatif, en groupe, et qui a continué sa consommation, solitaire, pour les raisons précitées. L'usage de cannabis est cependant une mauvaise réponse à ces problèmes : en effet, le risque de développer une addiction et des symptômes cognitifs ou psychiatriques est réel. Nous recommandons donc une meilleure information de la jeunesse quant aux problèmes psychiatriques en général.

Je souligne, pour conclure, que nous avons joint un tableau à la note, en pages 5 et 6, qui récapitule l'état de la connaissance en 2017 sur les effets positifs du cannabis en usage médical, et sur les effets négatifs du cannabis, en usage non-médical. Cela nous a paru intéressant de montrer les résultats de cette méta-analyse réalisée par les Académies américaines des sciences, d'ingénierie et de médecine car sur ce sujet vivement débattu, il existe beaucoup de travaux scientifiques, mais pas toujours de très bonne qualité. À ce propos, nous avons tenu à rappeler dans la note qu'il n'existe pas, en l'état actuel de la science, de vertu curative du cannabis : s'il soulage par exemple les douleurs associées à la sclérose en plaques, il ne guérit pas la maladie.

Je remercie le secrétariat de l'Office de son aide pour la préparation de cette note.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

Je vous remercie de cette présentation. Je comprends que vous recommandez de poursuivre la recherche, faute d'être en mesure de trancher semble-t-il de manière définitive sur l'usage médical. Quant à l'usage non-médical, vous êtes réaliste, sans être non plus définitive. Comment faut-il interpréter votre position ?

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Avez-vous des explications sur le paradoxe français, qui apparaît dès le début de la note, d'une réglementation parmi les plus conservatrices pour une consommation pourtant parmi les plus importantes ?

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

Premiers consommateurs en volume ou en proportion ? Je pense notamment à la comparaison avec les Pays-Bas, où la commercialisation est libre et où les consommateurs lorrains vont facilement s'approvisionner, notamment sur le « marché » de Maastricht.

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Il faut comprendre premier consommateur en consommation illégale. C'est vrai que, en principe, des produits interdits par la loi ne devraient pas engendrer une consommation importante, mais, d'une part, c'est le propre de la jeunesse d'aimer braver l'interdit et de chercher à savoir l'effet que fait ce produit interdit, d'autre part, il y a aussi un effet d'imitation au sein de la jeunesse. Par ailleurs, s'agissant d'un produit interdit, il y a peu d'information destinée à la jeunesse sur les dangers de sa consommation. S'agissant de la recherche, compte tenu notamment de la difficulté à s'approvisionner en produit puisqu'il est interdit, les travaux sont peu nombreux, et surtout réalisés par les firmes qui produisent le cannabis à des fins médicales. Les patients qui ont des douleurs résistantes mais connaissent l'effet antidouleur du cannabis l'utilisent pour leur part sans savoir la concentration en THC et TBD de ce qu'ils achètent. Je crois que, globalement, il y a un effort d'information et de prévention générale à faire, dans toutes les catégories sociales et tranches d'âge.

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Michel Amiel, sénateur

Il est précisé, dans la note, que, à ce jour, le cannabis est dépourvu de propriété curative. Mais en tout état de cause, ce n'est pas ce qui en est attendu. Le cannabis peut être mis sur le même plan que la morphine, je ne comprends pas le tollé autour de l'idée d'un usage thérapeutique. La légalisation est un tout autre débat, mais si le cannabis est efficace contre certains symptômes très douloureux, comme pour la sclérose en plaque ou certains cancers, pourquoi s'en priver, alors que l'on peut se féliciter que l'on prescrive maintenant fréquemment la morphine comme antidouleur puissant.

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Je ne suis pas spécialiste du sujet, mais il me semble que c'est précisément à cause de l'importance de la consommation illégale qu'il y a autant de préventions contre le développement de son usage thérapeutique.

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Michel Amiel, sénateur

Mais c'est la même chose pour la morphine, précurseur de l'héroïne…

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À la différence près que la morphine est un produit brut, qui ne se consomme pas tel quel. Le cannabis, comme la morphine, soulage la douleur mais ne traite pas la pathologie, alors que, dans l'opinion publique, il peut y avoir une confusion entre les deux.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

La morphine est particulièrement bienvenue en traitement palliatif de malades en phase terminale.

Je donne maintenant la parole à notre collègue Annie Delmont-Koropoulis, dont le département est très actif dans le commerce du cannabis.

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Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice

La note de Michel Amiel m'a particulièrement intéressée, pour plusieurs raisons. Le sujet de l'autisme notamment m'a rappelé mon internat en neurologie. Plus directement en rapport avec le sujet de cette première note, les prisons près de chez moi sont remplies de jeunes qui n'ont pas le même niveau de développement intellectuel et psychosocial. S'agissant du cannabis, il faut bien avoir à l'esprit que la morphine est un antidouleur puissant, mais qui présente des effets secondaires graves, notamment sur la respiration ou sur l'état de conscience : si le cannabis permet de les éviter, ce serait une avancée.

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Florence Lassarade, sénatrice

La morphine engendre également des troubles digestifs.

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Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice

Tout à fait. Je souhaiterais par ailleurs poser la question d'un éventuel lien entre la consommation de cannabis pendant la grossesse et l'autisme chez l'enfant.

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On peut utiliser le cannabis dans le cas de certains autismes grave. Nos auditions n'ont pas mis en évidence de lien entre la consommation du cannabis et telle maladie, mais, dans la mesure où le cannabis peut avoir un effet sur le cerveau en développement jusqu'à 25 ans, il n'est pas impossible qu'il existe une corrélation entre consommation de cannabis et pathologies psychiatriques, par exemple la schizophrénie, pour laquelle une relation causale est établie.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

Les conclusions de la note me semblent très responsables et de bon sens, en préconisant notamment de soutenir les efforts de la recherche médicale et industrielle, ou de réaliser des essais thérapeutiques rigoureux. Si le cannabis a des vertus antidouleurs permettant d'envisager de le substituer à la morphine avec des dommages collatéraux moindres, cela paraît intéressant. De même il paraît de bon sens de préconiser d'étudier avec rigueur les conséquences biologiques et comportementales qui découlent d'un usage non médical, c'est-à-dire essentiellement récréatif, car je fais partie de ceux qui pensent qu'il peut y avoir des effets durables sur le cerveau. S'agissant de la recommandation de permettre aux chercheurs de disposer d'une voie d'approvisionnement, certains pourront toujours craindre un détournement au profit d'un usage non médical, mais cela ne paraît pas constituer un problème insurmontable. L'évasion par Maastricht est beaucoup plus simple…

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Concernant l'usage récréatif, il y a deux molécules aux effets différents. Le CBD, qui n'a pas d'effets psychotropes, et le THC, qui a des effets psychotropes d'autant plus puissants qu'il est concentré. Sur le marché illégal, on trouve des produits ayant jusqu'à 25 % de THC, alors que le consommateur ne peut pas connaître la concentration simplement au vu du produit qu'il achète.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

Il n'y a pas de traçabilité !

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C'est pourquoi nous proposons d'organiser la possibilité d'un approvisionnement contrôlé en cannabis brut pour les chercheurs, plus représentatif de l'exposition réelle des jeunes.

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Dans les recommandations qui nous sont proposées, je ne perçois pas parfaitement la justification d'une incitation au développement d'une filière française. On pourrait imaginer aujourd'hui, même si la consommation reste interdite, une production sous contrôle douanier pour l'exportation. Il existe par ailleurs des pays qui produisent déjà du cannabis à des fins thérapeutiques, notamment le Canada, en quantité peut-être suffisante pour satisfaire la demande mondiale. Il faut prendre garde au fait que si, aujourd'hui, on soutient la production à des fins thérapeutiques, les acteurs économiques concernés seront intéressés à développer une production aussi à des fins récréatives. J'incite donc à la prudence sur ce point.

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Il faut savoir que dans la mesure où la recherche publique officielle ne s'est pas saisie du sujet du cannabis pendant longtemps, ce sont essentiellement les producteurs illégaux et les entreprises étrangères, dont le premier débouché est celui du cannabis dit récréatif, qui ont travaillé sur la génétique des semences. Cette situation n'est pas satisfaisante, et il me semble que, si l'on souhaite expérimenter l'usage médical, il est pertinent de proposer de développer une filière agricole nationale parfaitement contrôlée. La production du cannabis médical exige plus de précautions que celle du chanvre : il faut que les cultures soient préservées de tout pesticide, et également protégées pour éviter que certains viennent s'y servir pour leur usage personnel. Certes, beaucoup de médicaments utilisés en France sont importés. L'expérimentation prévue sur deux ans sera dans ce cas, mais ce pourrait être l'occasion de mobiliser nos compétences agronomiques pour développer une production en France. Nous n'avons auditionné que des laboratoires privés, intéressés au sujet, mais l'INRA pourrait intervenir dans la recherche sur l'optimisation de la plante.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

Je propose pour tenir compte des arguments exprimés de supprimer dans les recommandations la mention portant sur la création d'une filière, en indiquant en revanche qu'il conviendra de mobiliser les organisations publiques compétentes, sans aller plus loin.

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Le terme même de « filière » n'est peut-être pas le plus adapté au cas de figure.

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L'expérimentation prévue par l'ANSM nécessitera de maîtriser la concentration en principes actifs du cannabis produit, et à cette fin, il faudra maîtriser la génétique de la plante.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

Écrivons alors que l'ANSM contrôlera l'approvisionnement. Je crains les retombées médiatiques si nous préconisons la création d'une filière de production du cannabis.

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À usage médical uniquement. Mais on peut effectivement modifier la rédaction dans le sens proposé pour plus de clarté.

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Angèle Préville, sénatrice

Dans le cadre des travaux de la mission d'information sur l'herboristerie l'an dernier, dont j'étais membre, nous avons auditionné au moins un laboratoire qui était prêt à développer la production de cannabis à usage médical. Comme nous serons l'un des derniers pays à autoriser l'usage médical, nous serons en retard sur cette production, alors que nous serions parfaitement en mesure de produire le cannabis médical en France. Par ailleurs, pour avoir vécu personnellement une chimiothérapie, qui s'accompagne d'une douleur intense généralisée dans tout le corps, je peux dire que des produits comme le Tramadol, dérivé de l'opium très puissant pour faire disparaître la douleur, sont prescrits seulement à doses très limitées, à cause des effets secondaires lourds, que l'on a quand même d'ailleurs, et à cause du risque d'accoutumance, et que disposer de médicaments efficaces mais moins forts serait vraiment une bonne chose.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

Je propose que nous autorisions la publication de la note une fois introduites les quelques modifications évoquées précédemment.

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Aujourd'hui on sait que le cannabis peut soulager certains cancers, mais pas les soigner. Il peut éventuellement exister des interactions entre l'usage du cannabis et certains traitements du cancer, mais les données manquent pour être plus précis.

S'agissant de la rédaction, je propose de distinguer clairement en deux phrases séparées les propriétés antidouleurs et l'absence de vertu curative, comme dans le résumé.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

Il est vrai qu'il ne faut pas laisser croire, comme certains charlatans, que le cannabis pourrait guérir des maladies graves. Je partage également l'idée qu'il faut mettre en exergue les propriétés de soulagement de la douleur du cannabis, le témoignage de notre collègue Angèle Préville étant d'ailleurs particulièrement marquant sur ce point.

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La proposition consistant à bien séparer les deux idées en deux phrases distinctes paraît pertinente.

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La décision d'autoriser l'expérimentation sur 3 000 patients vise à démontrer, au-delà de l'intuition des médecins, le bilan positif de la balance bénéfices sur le soulagement de la douleur - coûts en termes d'effets secondaires de l'utilisation médicale. Les résultats de cette expérimentation pourront eux-mêmes nourrir les travaux ultérieurs de l'Office.

La publication de la note relative aux enjeux sanitaires du cannabis est autorisée, sous réserve de l'introduction des modifications évoquées.

Point sur les suites de la note scientifique n° 15 sur la reconnaissance faciale

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- Vous avez sans doute remarqué que la note scientifique sur la reconnaissance faciale, présentée le 18 juillet 2019, a suscité énormément d'intérêt. Il ne se passe pas une journée sans un article dans la presse sur le sujet, et je mets l'Office systématiquement au coeur des réflexions afin de valoriser son travail. J'ai souhaité faire aujourd'hui un point sur la situation actuelle et les étapes franchies.

Tout d'abord, suite à la publication de la note, une connexion immédiate s'est assez naturellement établie avec la Commission européenne. En effet, comme vous l'avez certainement noté, sa nouvelle présidente a inscrit dans les priorités de l'agenda des cent premiers jours de la nouvelle commission le sujet de l'intelligence artificielle, en mentionnant le cadre opérationnel de la reconnaissance faciale comme l'un des usages existant dans la vie quotidienne nécessitant des recommandations, sachant que ces cent jours devaient commencer au premier novembre et à présent peut-être au premier décembre.

Aussi, lors d'une récente rencontre à Bruxelles avec la DG Connect (Directorate-General for Communications Networks, Content and Technology), en charge des aspects numériques au sein de la commission, et avec la direction générale des droits humains, nos interlocuteurs se sont-ils montrés très intéressés par nos recommandations, ainsi que par la méthodologie que je propose. Celle-ci comprend deux axes : d'une part, la création d'un cadre d'expérimentation avec des industriels, des scientifiques et des politiques, pour déterminer si, en France et en Europe, la reconnaissance faciale dispose bien des bons algorithmes, à même de traiter des données françaises et européennes, d'autre part, une consultation citoyenne effective.

Nous avons rappelé qu'existe déjà une méthodologie éprouvée pour cette dernière, avec l'expérience récente de la procédure de révision des lois de bioéthique. Pour la consultation citoyenne que j'évoquais, nous pouvons recommander de suivre la même démarche que pour la préparation de la révision de la loi de bioéthique de 2011, avec un dispositif de type « entonnoir », comprenant une consultation en ligne, des réunions physiques – le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et les comités éthiques régionaux ont organisé 250 réunions physiques – et le tirage au sort de vingt-cinq personnes qui, pendant quelques week-ends, ont été formées par des spécialistes pour apprendre tout ce qu'elles ignoraient du sujet. Ensuite, le résultat de ces consultations serait adressé à l'Office, qui formulerait des recommandations.

Le secrétariat d'État au numérique a également montré un intérêt assez fort pour cette double démarche d'expérimentation et de consultation, complétée par la proposition issue du rapport de Cédric Villani sur l'intelligence artificielle, mentionnée dans ma note, de créer un comité d'audit constitué de spécialistes en capacité d'auditer les algorithmes de reconnaissance faciale pour vérifier le respect des critères de transparence et d'éthique. Il s'agit d'un enjeu important. Dans la presse, tous les jours les activistes véhiculent des informations parfois imprécises sur la reconnaissance faciale ou nos recommandations. Il est donc important de créer ce comité d'experts qui inclurait aussi la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Je vous encourage à faire preuve de pédagogie sur ce sujet, les médias ayant tendance à mettre tous les pays sur le même plan que les États-Unis et la Chine. Aux États-Unis, en l'absence de l'équivalent de notre règlement général sur la protection des données (RGPD), l'État fédéral peut capter la photographie d'une personne de quinze ans passant son permis de conduire sans demander son autorisation. En France, la même chose ne peut arriver. Il faut donc toujours rappeler qu'en France existe un cadre protégeant les libertés individuelles. On s'est battu pour le mettre en place, avec la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, ou par la suite avec le RGPD. Le cadre français n'est pas le même qu'aux États-Unis où en Chine, il faut y insister. Il est évidemment facile d'évoquer une surveillance généralisée, mais aujourd'hui personne n'a recommandé de tels usages de la reconnaissance faciale en France.

Par ailleurs, nous avons également rencontré à Bruxelles nos collègues du STOA (Science and Technology Options Assessment), équivalant de l'Office au sein du Parlement européen, qui est une véritable mine d'informations.

En parallèle, j'ai intégré un groupe de travail sur la reconnaissance faciale créé à l'origine par le World Economic Forum et le Conseil national du numérique (CNNum). Dans ce cadre, nous souhaitons montrer la possibilité de travailler sur un tel sujet avec des représentants des mondes politique, industriel, et universitaire. Conformément aux recommandations de la note de l'Office, nous avons défini trois cas d'usage à expérimenter pour avancer sur la reconnaissance faciale.

Le premier, la sécurité, le plus connu avec des applications telles que Paraphe, s'avère essentiel, parce qu'il touche très directement les collectivités territoriales. Expérimenter de manière beaucoup plus encadrée permettrait à celles-ci de ne pas devoir agir seules, comme cela a été le cas pour la ville de Nice, avec laquelle j'ai longuement échangé et qui s'est montrée très ouverte au dialogue, ce dont je lui suis reconnaissant, ou pour deux lycées de Marseille. Cette dernière expérimentation vient d'ailleurs d'être invalidée par la CNIL. De fait, expérimenter sans cadre prédéfini et sans la participation de scientifiques, conduit à faire des erreurs de méthode, donc à s'exposer aux détracteurs.

La gestion de flux de personnes constitue un deuxième cas d'usage, avec le sujet spécifique des Jeux olympiques, exemple d'application qui va se concrétiser rapidement. En effet, le Japon va utiliser dès 2020 la reconnaissance faciale pour la gestion des flux, afin que les sportifs et leurs accompagnateurs accèdent plus vite aux installations. Bien entendu, pour les Jeux olympiques de 2024 à Paris, il convient de se demander si la France disposera du même niveau technologique, ou sera en-deçà de ce qui aura été mis en oeuvre à Tokyo. Il ne s'agit pas d'un jugement de valeur, mais il faut qu'une expérimentation permette de tester cet usage en France.

Le troisième cas, probablement le plus discutable pour l'opinion publique, concerne les usages commerciaux, par exemple si une personne un peu âgée se voit, sans l'avoir sollicité, proposer une crème antirides en entrant dans un magasin de cosmétiques, ou une personne un peu en surpoids un menu XXL plutôt que standard en entrant dans un établissement de restauration rapide. Si lors des auditions nous avons constaté que les industriels y sont tout à fait préparés, il faudra s'assurer dans la consultation citoyenne que la maturité permet une compréhension de ce qu'il faut ou pas autoriser. Je souhaite que le travail réalisé par l'Office puisse déboucher sur la mise en oeuvre de ses recommandations, peut-être via une loi d'expérimentation, objet de la discussion en cours avec le cabinet de Cédric Ô, secrétaire d numérique.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

Je remercie Didier Baichère d'assurer le suivi d'une étude que nous avions naturellement soutenue et qui est au coeur de l'actualité sociétale. Pour avoir été récemment rapporteur d'une commission d'enquête du Sénat sur la souveraineté numérique de la France, je confirme qu'il existe des cadres différents suivant les pays. Nous avons introduit en Europe, en grande partie à l'initiative des gouvernements français successifs, des considérations d'ordre éthique et de respect de la personne, finalement adoptées par nos partenaires européens, ce qui distingue sans doute l'espace européen en la matière. Évidemment, de ce fait, on ne peut pas contrôler informatiquement pas tous nos compatriotes, ce dont il y a lieu de se féliciter. C'est une bonne chose que l'Office soit, au travers de ses rapporteurs, au coeur de cette mobilisation intellectuelle

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- Je suis tout à fait d'accord. Je pense d'ailleurs que notre collègue Valéria Faure-Muntian, qui souhaitait déposer un amendement proposant un cadre pour la reconnaissance faciale à l'occasion de la discussion du projet de loi bioéthique, serait intéressée à être associée à cette démarche.

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Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office

Est-ce que le mécanisme permettant de déverrouiller certains téléphones entre dans le périmètre des réflexions sur la reconnaissance faciale ?

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En abordant ce sujet à travers les usages, nous avons pu constater que ceux-ci existent déjà, puisqu'on peut déjà déverrouiller son téléphone ou payer avec sa carte bancaire en utilisant la reconnaissance faciale. Il est facile d'expliquer que l'État ne doit pas tout permettre en ce domaine, alors que, individuellement, nous avons pourtant pu accepter d'utiliser la reconnaissance faciale pour nous-mêmes. Il faut engager un débat scientifique et sensé sur la transparence et l'éthique qui doivent demeurer au coeur de la décision sur l'évolution de cette technologie. J'estime important de faire entendre cette voix française pour des algorithmes éthiques et transparents. Notre démarche de prise en compte des libertés individuelles, très enviée à l'étranger, doit être préservée.

- Examen des conclusions de l'audition publique du 29 octobre sur les enjeux du conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne (ESA) les 27 et 28 novembre 2019 à Séville

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

– La parole est à Jean-Luc Fugit pour présenter les conclusions aux noms des trois rapporteurs : Catherine Procaccia, lui-même et moi-même.

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– L'audition publique organisée par l'Office le 29 octobre 2019 dernier a permis de réunir des acteurs majeurs de la politique spatiale européenne : le président du Centre national d'études spatiales (CNES), le directeur général de l'Agence spatiale européenne (ESA), les responsables des grands groupes industriels ArianeGroup, Airbus Defence & Space (ADS) et Thales Alenia Space (TAS), et de deux PME françaises, i-Sea, spécialisée dans la surveillance des milieux aquatiques et littoraux, et SpaceAble, spécialisée dans la connaissance de la situation spatiale (Space Situational Awareness – SSA). Une cinquantaine de personnes impliquées dans le domaine spatial étaient présentes dans la salle Lamartine et ont pu participer aux débats.

À l'initiative de son président Gérard Longuet, l'Office avait souhaité organiser cette audition publique en amont du conseil ministériel de l'ESA (« Space19+ »), qui se tiendra les 27 et 28 novembre prochains en Espagne à Séville, et qui est appelé à prendre des décisions cruciales pour la décennie à venir. Trois notes scientifiques récentes de l'Office ont précédé cette audition publique : une note présentée par Catherine Procaccia sur « L'exploration de Mars » 1 en décembre 2018 et deux par Jean-Luc Fugit sur « Les lanceurs réutilisables »2 en janvier 2019 puis sur « Les satellites et leurs applications »3 en octobre dernier.

Il ressort des différentes interventions initiales et du débat approfondi qui a suivi les éléments suivants.

L'espace connaît une période de mutations sans précédent, avec la conjonction du « New Space » et de l'irruption du numérique dans l'économie. Les ruptures technologiques se succèdent à un rythme soutenu : réutilisabilité des lanceurs, propulsion électrique, satellites reconfigurables, standardisation et production en série, constellations de satellites à bas coût en orbite basse ou moyenne, miniaturisation des composants, augmentation des capacités de traitement embarquées… Les données massives (Big Data) et l'intelligence artificielle (IA) permettent de tirer parti des informations recueillies dans l'espace, et les applications au service des collectivités publiques, des entreprises et des citoyens se multiplient. La concurrence est mondiale, le nombre d'acteurs publics et privés augmente, mais aucune position n'est acquise : les géants du numérique (GAFA, BATX) et les start-up bousculent les grands maîtres d'oeuvre industriels comme Airbus Defence & Space (ADS) ou Thales Alenia Space (TAS). On assiste à une verticalisation des activités avec, pour certains grands acteurs, une intégration de toute la chaîne de valeur allant des lanceurs aux applications en passant par les satellites et les données.

Tous les participants se sont prononcés pour une politique spatiale européenne ambitieuse au bénéfice des citoyens. Il s'agit aussi de maintenir le leadership scientifique et industriel, français et européen, sur toute la chaîne : lanceurs, satellites et services. Le projet de budget triennal de l'ESA (2020-2022) qui sera discuté à Séville s'élève à 12,5 milliards d'euros, bien supérieur aux 16 milliards d'euros proposés par la Commission européenne pour le prochain cadre financier pluriannuel sur sept ans (2021-2027). La France s'oriente vers une contribution à hauteur de 2,5 milliards d'euros pour le budget triennal de l'ESA (2020-2022), niveau intermédiaire entre les hypothèses haute et basse qui avaient été définies par le COSPACE au printemps 2019. Pour permettre à la France de maintenir son leadership en Europe et son ambition spatiale de premier plan, il convient de considérer cette contribution de 2,5 milliards d'euros comme un minimum.

Le conseil Space19+ doit consolider l'autonomie européenne d'accès à l'espace, avec la réussite des programmes Ariane 6 et Vega C, initiés en 2014, qui devraient diviser les coûts des lanceurs par deux et gagner en flexibilité, notamment pour le lancement de grappes de petits satellites à propulsion électrique (avec un volume d'emport adapté dans la coiffe du lanceur et un étage supérieur réallumable). Le vol inaugural d'Ariane 6 est prévu en 2020. La réunion Space19+ doit aussi préparer le futur, notamment avec le nouveau moteur Prometheus et le démonstrateur Thémis, pour décider, en 2022, soit d'une évolution d'Ariane 6, soit de la conception d'un nouveau lanceur réutilisable. Des travaux concernent aussi les petits lanceurs et une navette sans pilote (« Space Rider ») à des fins de recherche sur la microgravité.

Le conseil Space19+ doit maintenir l'effort sur la recherche scientifique et l'exploration, avec notamment la participation à la station spatiale internationale et les futurs programmes Athena (télescope à rayons X), Lisa (observation des ondes gravitationnelles), Euclid (étude de la matière noire), Mars Sample Return (projet de mission martienne en coopération avec la NASA) ou Lunar Gateway (station en orbite lunaire). Nos concitoyens sont sensibles aux observations spatiales. En particulier, celles-ci font rêver et démultiplient l'attrait du secteur spatial français pour les jeunes scientifiques issus de l'enseignement supérieur français.

Un des enjeux principaux du conseil Space19+ réside dans le soutien aux industries satellitaires et aux applications qu'ils permettent.

Avec les transformations en cours des satellites de télécommunications, tant pour les technologies que pour les usages, le leadership français et européen est menacé. ADS et TAS sont les deux leaders mondiaux de la construction des satellites de télécommunications, Eutelsat est le troisième opérateur mondial de satellites de télécommunications. Ces résultats ont été obtenus grâce à l'investissement de la France dans le programme ARTES – qui reste cependant inférieur à celui du Royaume-Uni – et grâce à l'autofinancement industriel de TAS et ADS. Pourtant les défis sont grands. D'après la Commission européenne en 2018, 17 % des foyers européens n'étaient pas connectés à l'internet à 30 mégaoctets, cette proportion atteignant 47 % de ceux habitant en zone rurale. L'internet satellitaire contribuera à résorber la fracture numérique, notamment pour les zones rurales. L'internet à très haut débit sera disponible pour tous, grâce à la constellation KONNECT VHTS qui sera opérationnelle en 2022, avec un prix et une qualité équivalents à ceux de la fibre optique. Le coût de la couverture satellitaire sera au moins dix fois plus faible pour les collectivités publiques que celui de la couverture terrestre. TAS estime opportun pour l'Europe de lancer un programme public ambitieux de télécommunications spatiales. Le développement de technologies quantiques permettra par ailleurs de rendre ces télécommunications très sécurisées4.

L'observation de la Terre par satellites est indispensable pour la surveillance des catastrophes naturelles (tsunamis, tornades…) et des variables essentielles aux prévisions météorologiques et à la mesure des changements climatiques. Le spatial a un rôle fondamental à jouer dans la transition écologique et solidaire qui s'impose à tous. Avec le développement continu du programme Copernicus, de futures missions se préparent pour mesurer de façon plus précise les concentrations en gaz à effet de serre sur toute la planète, la biomasse, la vitesse des vents ou des courants marins, la déforestation ou encore la qualité de l'eau. Il s'agit notamment de pouvoir mesurer et vérifier de manière indépendante l'application des engagements internationaux en matière de limitation des émissions. La météorologie atteint un très haut niveau de fiabilité avec l'utilisation des satellites d'Eumetsat. L'agriculture ne peut plus se passer des applications satellitaires. La directrice générale d'I-Sea lance l'idée de construire des satellites européens de très haute résolution intégrés à Copernicus.

Le nouveau système européen de navigation Galileo est maintenant en fonctionnement. Il sera utile pour de nombreuses applications de transport terrestre (dont ferroviaire), maritime et aérien. Au-delà, l'ESA ambitionne déjà de développer un système de navigation encore plus précis à travers son programme Navigation Innovation and Support Programme (NAVISP), qui s'appuiera sur des nouvelles technologies et de l'IA.

Les enjeux de sécurité, de sûreté et de souveraineté sont considérables. La défense ne peut plus se passer des infrastructures satellitaires de renseignement, d'observation et de communications sécurisées. Elles sont la condition nécessaire pour décider de manière autonome sur la base d'informations fiables et accessibles à tout moment. Avec la création en France de l'armée de l'air et de l'espace et du grand commandement de l'espace, le Président de la République Emmanuel Macron et la ministre des armées Florence Parly ont admis que l'espace est maintenant devenu un lieu de conflit. Pour financer ces nouvelles capacités, 700 millions d'euros supplémentaires ont été inscrits dans la loi de programmation militaire. Le satellite de reconnaissance militaire CSO-1, coconstruit par ADS et TAS, montre la synergie de ces technologies duales. Enfin, résilience et cybersécurité sont ici comme ailleurs indispensables.

La question des débris spatiaux devient cruciale. Quelque 1 500 satellites et 750 000 objets de toutes tailles sont maintenant en orbite autour de la Terre. Le degré de fiabilité très variable des satellites existants et la multiplication des projets de mégaconstellations de petits satellites, dont la fiabilité reste également à démontrer, présentent un risque d'accroissement des débris. Aujourd'hui, la seule règle permettant de limiter ces débris spatiaux est celle qui impose une durée maximale de présence en orbite de 25 ans pour un satellite en orbite. Mais cela ne suffit plus : le directeur général de l'ESA propose pour sa part de prévoir pour tout satellite : soit un système propre de désorbitation, soit l'appel à un service tiers d'aide à la désorbitation, soit enfin le dépôt d'une caution auprès d'une agence de confiance qui serait chargée de financer la désorbitation.

À l'issue de ces débats, les rapporteurs proposent des conclusions par lesquelles l'Office :

– soutient une contribution forte de la France au budget de l'ESA (2020-2022), le montant de 2,5 milliards d'euros devant être considéré comme un plancher plutôt que comme un plafond. L'Europe doit maintenir un fort niveau d'investissement pour garder son leadership scientifique et industriel. Il s'agit, dans un contexte de ruptures technologiques et de concurrence mondiale, de faire face aux investissements et aux soutiens publics massifs des États-Unis et de la Chine ;

– souhaite que le prochain lanceur Ariane 6 surmonte les derniers obstacles, afin d'assurer de façon compétitive l'autonomie européenne d'accès à l'espace ;

– se réjouit de la multiplication des applications satellitaires dans tous les domaines, pour les collectivités publiques, les entreprises et les particuliers. Les indicateurs d'observations fournis par les satellites seront très utiles pour comprendre et accompagner la transition écologique et solidaire qui s'impose à tous ;

– juge essentiel le soutien à la compétitivité de l'écosystème spatial français et européen, fort du patrimoine technologique de nos territoires et des emplois industriels conséquents (environ 16 000 emplois en France et 40 000 en Europe). Nous avons certes les compétences scientifiques et les données, mais il convient d'accroître le soutien public à la recherche et technologie (R&T), qui est la clé du développement et de la réussite. Le besoin d'innovation est constant dans un monde de ruptures technologiques ;

– souligne le rôle fondamental que jouent les start-up spatiales européennes dans le processus d'innovation technologique. Face à la multiplication des start-up américaines, elles doivent pouvoir compter sur un soutien technologique et stratégique du CNES et de l'ESA. Force est cependant de constater l'insuffisance des guichets de financement spécifiques au secteur spatial et disponibles rapidement au moment de la prise de risque. Une plus grande agilité et une accélération des procédures sont nécessaires pour accompagner les mutations rapides. Il conviendrait de concevoir un modèle de coconstruction avec les start-up et les grands groupes spatiaux, dans une coopération mutuellement bénéfique ;

– demande la constitution d'un cloud souverain, dans la lignée des DIAS (Data and Information Access Services), plates-formes publiques européennes de stockage de données et de calculs ;

– souhaite la simplification de la gouvernance de la politique spatiale européenne pour la rendre plus efficace. Il s'agit d'unir les forces en France et en Europe pour jouer à armes égales avec nos compétiteurs. La préférence européenne devrait s'imposer pour les missions institutionnelles (lanceurs comme satellites) et l'accès aux données. La règle du retour géographique permet certes aux pays européens de plus petite taille de participer à l'aventure industrielle, mais son assouplissement s'avère nécessaire pour optimiser les compétences et pour que les équipementiers et les start-up en bénéficient autant que les grands maîtres d'oeuvre. Il convient également d'anticiper et de surmonter les difficultés qui apparaîtront en cas de Brexit ;

– encourage le développement des actions de communication auprès de nos concitoyens, afin de les informer des possibilités offertes par les technologies et applications spatiales et ainsi de justifier les efforts demandés dans les prélèvements obligatoires (en moyenne européenne seulement 8 euros par habitant et par an). Salue à cet égard l'exposition du CNES de 80 photographies exceptionnelles des grands programmes d'exploration spatiale sur les grilles du jardin du Luxembourg, du 2 septembre 2019 au 19 janvier 2020, et souhaiterait qu'elle soit déclinée à l'Assemblée nationale ;

– propose, enfin, d'organiser à intervalles réguliers des auditions consacrées à l'espace, avec notamment une audition publique annuelle, sous forme de table ronde, regroupant l'ensemble des acteurs de l'écosystème spatial français et européen.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, rapporteur

– Je remercie Jean-Luc Fugit pour ce compte rendu fidèle et complet. Après la note scientifique sur les lanceurs réutilisables, la note scientifique sur les satellites et leurs applications a bien montré l'utilité quotidienne des applications spatiales.

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Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteure

– Je suis d'accord avec ces conclusions sur le prochain conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne (ESA). Ma seule inquiétude concerne les conséquences de l'absence d'un commissaire européen français à ce conseil, pour, notamment, défendre les intérêts de la France dans le domaine spatial. Je rappelle que, quand Mme Sylvie Goulard était pressentie, le poste de commissaire réservé à la France devait comprendre dans son périmètre le secteur spatial.

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– Il s'agit d'une question majeure qui devra être résolue. Les enjeux de souveraineté et de sécurité sont importants, et il est évidemment souhaitable que ces questions de politique spatiale soient portées par des personnes qui en ont les compétences et la volonté. J'ai eu un échange sur ce sujet avec la ministre française de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, Mme Frédérique Vidal, qui co-présidera le conseil ministériel de l'ESA avec son homologue portugais, M. Manuel Heitor. Je suggère d'ailleurs que les conclusions de notre audition publique lui soient transmises par courrier de nos président et premier vice-président.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, rapporteur

– Je rappelle que le rapport portant compte rendu et conclusions de l'audition publique sera publié, avec un communiqué de presse. Par ailleurs, la ministre Frédérique Vidal sera auditionnée par la commission des affaires économiques et la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat le 19 novembre prochain, dans la perspective du conseil ministériel de l'ESA ; ce sera l'occasion pour nos collègues d'attirer son attention sur ce sujet.

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– Je m'interroge sur les choix de financements entre lanceurs, d'une part, et satellites et applications, d'autre part, dans un contexte d'économies budgétaires. Dans ce jeu d'influences, il convient d'apporter une réponse politique optimale. Les enjeux sont la souveraineté et le risque de décrochage scientifique et technologique. Je rappelle les déclarations de M. Julien Cantegreil, fondateur et P-DG de SpaceAble, lors de la réunion de travail de l'Office avec l'Académie des sciences et l'Académie nationale de médecine qui s'est tenue le 23 octobre dernier sur la recherche participative, par lesquelles il indiquait qu'au cours du congrès astronautique mondial des 21 à 25 octobre derniers à Washington, le mot France n'avait pas été prononcé une seule fois.

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– S'agissant du New Space, vu d'Amérique ou d'Asie, l'Europe est plus visible que la France. Airbus Defence & Space (ADS) et Thales Alenia Space (TAS) sont deux grands groupes européens et majoritairement français. En ce qui concerne les investissements budgétaires pour l'ensemble de la filière (lanceurs, satellites, applications), l'équilibre est difficile à trouver. Les lanceurs sont nécessaires pour envoyer les satellites dans l'espace, et les satellites eux-mêmes sont nécessaires pour développer les applications. Il convient de réfléchir à notre politique spatiale en termes d'applications permises par les satellites. Ce besoin d'applications prescrit alors les activités dans l'amont de la filière. On limite souvent les satellites aux télécommunications, mais ils impactent aussi les mobilités avec la géolocalisation. La SNCF indique ainsi qu'elle pourrait opérer 20 % de trains supplémentaires sur ses lignes ferroviaires à infrastructure inchangée. L'espace est porteur d'évolutions pour l'agriculture, avec par exemple une moindre utilisation de produits phytosanitaires, l'adaptation à la sécheresse et les assurances paramétriques. Les futurs véhicules autonomes seront guidés à partir de l'espace. Les objets connectés et l'observation de la Terre verront se multiplier les applications satellitaires. L'organisation par l'Office d'une table ronde annuelle permettrait à cet égard de suivre dans la durée l'équilibre des investissements entre lanceurs, satellites et applications. Si pendant longtemps les efforts français ont été concentrés sur les lanceurs, il faut maintenant veiller à ne pas négliger les satellites et leurs applications. Il faut notamment porter une attention particulière à la gestion des données spatiales, pour ne pas être dépendants des autres pays.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, rapporteur

– Pour répondre à notre premier vice-président, j'ajouterai qu'il s'agit d'un problème politique majeur : soit la France existe face aux États-Unis en se fondant dans l'Europe, soit nous satisfaisons notre amour propre national mais au prix d'une marginalisation internationale. Je suis convaincu que les domaines scientifiques et militaires doivent être traités au niveau européen. La France doit suivre la voie étroite qui chemine entre agacement de certains de nos partenaires européens envers notre souci d'indépendance et critiques d'une certaine partie de l'opinion publique française sur la « dilution » de la France dans l'Europe. Nous prenons alors des coups en provenance des deux côtés du Rhin. La France n'est jamais aussi forte que quand elle réussit à entraîner l'Europe dans un projet. Je pense qu'il faut suivre ce chemin critique.

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– Je m'interroge sur l'action de l'Europe contre les débris spatiaux.

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– Il s'agit d'un problème mondial plus qu'européen. Nous avons besoin d'investir dans le champ réglementaire, par exemple avec un traité international établissant des règles. En France, la loi de 2008 relative aux opérations spatiales (LOS), qui devrait être modifiée l'an prochain, oblige à limiter au maximum la production de débris spatiaux. Mais la détection des débris spatiaux reste problématique et repose sur des capacités militaires françaises et américaines. Il s'agit d'un sujet de vigilance qui est appelé à croître en importance.

L'Office adopte les conclusions présentées et autorise à l'unanimité la publication du rapport comprenant le compte rendu et les conclusions de l'audition publique du 29 octobre 2019 sur les enjeux du conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne (ESA) prévu les 27 et 28 novembre 2019 à Séville.

- Examen de la note de méthodologie sur l'étude sur la pollution plastique

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

– Nous en venons maintenant à la présentation de la note de méthodologie sur l'étude de la pollution plastique.

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Angèle Préville, sénatrice, rapporteure

– Je vais d'abord présenter quelques éléments de contexte, notamment l'explosion de l'usage des plastiques.

Le plastique est une invention relativement nouvelle. Si les premiers plastiques synthétiques sont apparus au début du XXe siècle – le nylon a été inventé dans les années 30 –, il faut attendre les années 50 pour que le plastique se généralise dans de nombreux objets de la vie quotidienne (textiles, jouets, emballages, etc.).

Il a connu un essor considérable, puisque sa production mondiale, qui atteignait deux millions de tonnes au début des années 50, s'élevait à 359 millions de tonnes en 2018. Il est désormais le troisième matériau le plus fabriqué au monde, après le ciment et l'acier. En raison de son coût faible de production, de sa légèreté, de sa stabilité, il s'est imposé face aux autres matériaux (verre, bois, carton, papier, métaux, etc.).

La production de plastiques n'a cependant littéralement explosé que depuis les quinze dernières années. Ainsi, on estime que sur les 7,8 milliards de tonnes produites entre 1950 et 2015, 3,9 milliards de tonnes, soit la moitié, ont été produites depuis 2002.

Cette forte croissance de la production plastique est tirée par l'exubérance du secteur de l'emballage, qui constitue le premier débouché des plastiques et par l'industrie textile, conditionnant notre dépendance à ce matériau.

Pourtant, l'utilisation du plastique pour l'emballage est un non-sens écologique : c'est un matériau à durée de vie très longue - certains plastiques pourraient perdurer pendant plusieurs centaines d'années - pour une utilisation de quelques heures à moins d'un an.

La pollution plastique a d'abord été détectée dans les océans et a été fortement médiatisée. En effet, c'est la pollution la plus visible ; tout le monde a vu des images de tortues, de grands mammifères marins et d'oiseaux morts, soit étranglés par des plastiques, soit parce qu'ils en avaient ingéré. Les déchets ménagers ne sont pas toujours triés, donc sont peu recyclés voire abandonnés au bord des routes, dans les rues ou dans la nature : ils sont à l'origine de la pollution qu'on connaît sur terre. Ces déchets, transportés par les vents, entraînés par les pluies, empruntent le chemin des égouts, des rivières et des fleuves, pour finir dans les océans. Les quantités croissantes de déchets, les comportements inadaptés et un système imparfait de gestion des déchets sont les principales causes de cette pollution, accentuée par les catastrophes naturelles comme les crues et les tsunamis.

Les chiffres d'un rapport récent du World Wildlife Fund (WWF) sur le plastique en Méditerranée sont éloquents : en 2018, la production de plastiques par les pays du pourtour de la Méditerranée s'est élevée à 37,8 millions de tonnes, dont 24 millions de tonnes - soit plus de 63 % - sont devenus des déchets.

Au niveau mondial, 9 % des déchets de plastique sont recyclés, 12 % sont incinérés et le reste se retrouve dans la nature, dont la moitié dans les mers et les océans. Cette mauvaise gestion des déchets conduit à un rejet massif des plastiques dans l'environnement et entraîne une pollution croissante des sols, des rivières, des mers et de l'atmosphère. À l'occasion des 80 ans du CNRS, j'ai rencontré des chercheurs au pic du Midi qui, même à cette altitude, détectaient des plastiques dans l'air.

Les déchets plastiques ont également une origine marine : pêche (professionnelle et, dans une moindre mesure, de loisir), conchyliculture, activités nautiques de plaisance, activités portuaires, transport maritime génèrent tous des déchets plastiques.

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– Certaines images sont associées à la pollution plastique dans l'océan. Il s'agit d'abord des cinq gyres, également appelés 7e continent, dont le premier a été découvert en 1997 au milieu du Pacifique Nord. Dans ces zones, les débris de diverses tailles (macro, micro, nano-plastiques) s'accumulent en un seul point sous l'effet des courants circulaires et constituent une « soupe plastique ».

La deuxième image liée à la pollution des océans est celle qu'a rappelée notre collègue Angèle Préville, à savoir celle de mammifères marins emprisonnés dans des filets ou de tortues asphyxiées par des sacs plastiques. La diffusion de ces images chocs a un avantage, celui de sensibiliser l'opinion publique à l'impact des déchets plastique sur la faune. Mais elle a un inconvénient, en réduisant la pollution plastique aux macro-déchets que sont les filets de pêche et les sacs plastiques, alors que la pollution plastique se manifeste également, et dans des proportions qu'il nous faudra définir au cours de notre étude, par la présence de micro-déchets et par le relargage dans l'océan d'additifs contenus dans les polymères. Cette pollution contamine la chaîne trophique et a un impact sur les animaux et sur la santé humaine que l'étude s'efforcera d'évaluer.

Par ailleurs, il nous est apparu important de nous intéresser à l'état de l'opinion française sur le sujet de la pollution plastique. Depuis le mois de mars dernier, quatre enquêtes d'opinion ont été publiées : en mars 2019, l'institut français d'opinion publique (IFOP) a révélé que 88 % des répondants adhéraient à la suppression des sacs plastiques à usage unique ; en juin 2019, l'enquête IPSOS commandée par Vinci autoroutes a souligné la bonne assimilation par les Français des consignes de tri, et ce même en vacances. Malheureusement, les médias ont brouillé ce message positif en se focalisant sur le fait que 79 % des Français estimaient que leurs voisins jetaient des déchets par la fenêtre lors de leurs déplacements ; en août 2019, une enquête ELABE a montré que les Français établissaient un lien entre le dérèglement climatique et la pollution plastique ; enfin, en octobre 2019, un sondage BVA a mis en avant que les Français considèrent le plastique comme un élément de gaspillage.

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Angèle Préville, sénatrice, rapporteure

– Je tiens à citer également la pétition lancée en février dernier par le WWF sur la pollution dans les océans et qui aurait collecté 1,4 million de signatures.

Pour réaliser la note de méthodologie que nous vous présentons ce matin, nous avons auditionné 81 personnes à l'occasion de 10 tables rondes et de deux auditions individuelles. Nous avons ainsi constaté les multiples enjeux soulevés par la pollution plastique.

Les enjeux sont d'abord environnementaux : les atteintes aux écosystèmes – on peut citer le « plasticroûte » sur l'île de Madère - sont avérés. Il y a également des enjeux sanitaires liés à la découverte des micro-plastiques et des nano-plastiques omniprésents sur terre, dans l'air, dans les glaces, dans les sols, dans les océans et dans les fleuves ainsi que la présence des additifs (anti-UV, retardateurs de flamme, antichocs, etc.). Enfin il ne faut pas sous-estimer les enjeux économiques : le programme des Nations Unies pour l'environnement estime l'impact économique de la pollution plastique sur les océans à 8 milliards de dollars par an. Dans la mesure où la pollution plastique serait quatre fois plus présente sur terre que dans les océans, l'impact économique total serait en réalité beaucoup plus important. En outre, la pollution plastique entrave certaines activités économiques, telles que la pêche ou la conchyliculture.

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– Nous avons constaté que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) ne s'était jamais saisi du sujet de la pollution plastique. Le rapport de notre collègue Roland Courteau sur la pollution de la Méditerranée n'évoquait que très rapidement ce type de pollution. De même, le rapport de notre ancien collègue Gilbert Barbier sur les perturbateurs endocriniens mentionnait le fait que certains perturbateurs endocriniens se trouvaient dans des plastiques, mais ne s'intéressait pas au rôle spécifique des plastiques dans l'exposition de l'homme aux perturbateurs endocriniens. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de la saisine de l'OPECST sur ce sujet par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.

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Angèle Préville, sénatrice, rapporteure

– Depuis cinq ans, la question de la pollution plastique mobilise la communauté scientifique et le nombre des publications a fortement augmenté.

Certains scientifiques s'intéressent de longue date à la pollution plastique, notamment les océanographes et les biologistes marins. Ainsi, dès 1972 et pour la première fois, deux scientifiques alertaient sur la présence de plastiques à la surface de la mer des Sargasses. Désormais, des chercheurs de très nombreuses disciplines scientifiques se saisissent de ce sujet, qu'il s'agisse de chimistes, de géographes, d'économistes, mais également de chercheurs en sciences humaines.

Parce que la pollution plastique est un objet de recherche récent, l'état des connaissances est en pleine évolution, que ce soit sur la quantification de la pollution plastique, son origine, sa nature, ou encore les risques sanitaires liés à l'exposition aux plastiques.

Les données sont encore parcellaires. L'exemple suivant prouve la difficulté d'évaluation et vos rapporteurs devront faire preuve de rigueur et de vigilance. Très récemment, plusieurs études ont été publiées établissant la responsabilité des grands fleuves asiatiques et, dans une moindre mesure, africains, en matière de pollution plastique. Néanmoins, les ordres de grandeur varient considérablement selon les études scientifiques.

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– C'est un sujet très important car il porte sur la capacité de la communauté scientifique à quantifier la pollution plastique. Par exemple, deux études ont cherché à évaluer la quantité annuelle de déchets plastiques transportée vers les océans par le fleuve Yang-Tsé. La première arrive à un résultat de 1,5 million de tonnes par an, la seconde évalue ce chiffre à 300 000 tonnes, soit un facteur 5 entre les deux. Hier, nous étions sur la goélette Tara pour assister à des mesures de concentration de déchets plastiques dans l'eau, c'est-à-dire la masse de plastiques par volume d'eau. Toutefois, celle-ci varie selon les lieux d'échantillonnage. Concrètement, la concentration de plastiques est moins élevée au milieu de la Garonne, où le flux est important et entraîne les déchets plastiques, qu'aux abords des rives, où l'eau est quasiment stationnaire en raison d'un courant beaucoup moins fort. Par conséquent, nous devrons regarder très attentivement les protocoles ainsi que les modèles de dispersion utilisés pour définir les quantités et les types de plastiques présents dans l'océan. En effet, les données doivent être fiables pour pouvoir déboucher sur des préconisations efficaces.

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Angèle Préville, sénatrice, rapporteure

– Comme il a été rappelé précédemment, la question de la pollution plastique est très vaste et peut être abordée sous de nombreux aspects : environnementaux, sanitaires, et économiques.

Compte tenu de l'orientation scientifique de l'OPECST, nous avons retenu quatre axes d'investigation : dresser un état des lieux des connaissances scientifiques sur la pollution plastique afin de mieux comprendre son ampleur, sa nature et son origine ; examiner l'avancement des découvertes sur les impacts de la pollution plastique sur l'environnement, la chaîne alimentaire et la santé humaine ; inventorier l'évolution des pratiques dans l'utilisation et le recyclage des plastiques ; formuler des préconisations, dans le respect de la répartition des compétences, entre l'Office et les commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.

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– Nous allons vous présenter brièvement notre calendrier prévisionnel.

L'OPECST a été saisi le 30 avril 2019 par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. Les premières auditions ont débuté le 11 septembre dernier et nous avons déjà entendu 81 personnes. Il nous reste des auditions à mener auprès des chercheurs et des industriels. Nous souhaitons également poursuivre nos investigations sur le terrain. D'abord, ces déplacements manifestent notre intérêt pour les interlocuteurs que nous rencontrons. Ensuite, ils nous permettent de rencontrer les personnes réellement compétentes sur le sujet qui ne sont pas toujours les personnes les plus haut placées hiérarchiquement, alors que celles-ci sont nos interlocuteurs privilégiés lors des auditions à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Enfin, les auditions que nous organisons dans les locaux du Parlement ont tendance à « figer » nos interlocuteurs. Ces derniers parlent plus librement lorsqu'ils sont dans leur environnement. Nous souhaitons nous déplacer sur les façades atlantique et méditerranéenne car ce ne sont pas les mêmes problématiques. Nous irons également au Mans et à Clermont-Ferrand pour découvrir des matériaux innovants.

Nous sommes résolus à nous rendre dans nos territoires respectifs afin de faire le lien avec les industriels et les collectivités territoriales.

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Angèle Préville, sénatrice, rapporteure

– Enfin, trois visites à l'étranger apparaissent nécessaires. Un déplacement à Bruxelles semble incontournable, notamment pour rencontrer des représentants de plusieurs directions générales de la Commission européenne.

Par ailleurs, Nestlé a ouvert récemment un très grand centre de recherche sur les matériaux plastiques à Lausanne qui mériterait d'être visité.

Enfin, un déplacement en Allemagne semble judicieux à plusieurs titres. D'abord, l'Allemagne est, avec le Royaume-Uni, l'un des pays les plus engagés au niveau européen en matière de recherche sur la pollution plastique. Ensuite, alors que le système allemand de gestion et de recyclage des déchets est souvent cité en exemple, son analyse précise permettra de porter un jugement objectif à la fois sur son fonctionnement et son impact en matière de production de déchets. En effet, certaines études mettent en exergue le fait que plus le système de recyclage des déchets est performant, plus les pays concernés accumulent de déchets.

En ce qui concerne le calendrier, vos rapporteurs ont conscience qu'il serait souhaitable de pouvoir présenter l'étude aux membres de l'OPECST avant la suspension des travaux qui interviendra en juillet 2020. Concrètement, cela exige de réaliser l'ensemble des auditions et des déplacements avant avril 2020. À ce stade de l'étude, il est difficile de garantir que ce délai pourra être respecté. En cas d'impossibilité, vos rapporteurs présenteront leur étude en octobre 2020, après les élections sénatoriales et le renouvellement des membres sénateurs de l'OPECST.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

– Je souhaiterais remercier les deux rapporteurs pour leur travail passionnant qui montre le rôle de l'OPECST au service de l'action publique. Votre mission est d'autant plus passionnante que vous vous intéressez à un défi environnemental dont on peut identifier les responsables et désigner ceux qui devront prendre les mesures correctives au prorata de leur responsabilité. Je comprends votre calendrier même s'il serait opportun d'avoir un rapport d'étape avant la suspension estivale afin de sensibiliser l'opinion publique sur la pollution des mers, lieux de villégiature privilégiés à cette époque de l'année.

Par rapport à d'autres sujets pour lesquels notre marge de manoeuvre est plus limitée, nous avons une réelle capacité d'action pour réduire la pollution plastique en France et en Europe. Nous pouvons mener des actions concrètes qui permettront de distinguer entre ceux qui s'impliquent réellement dans la lutte contre ce fléau et ceux qui sont plus désinvoltes. Contrairement aux thématiques du réchauffement climatique ou de la pollution aérienne, il est possible, en matière de lutte contre la pollution plastique, de mobiliser des partenaires sur des projets concrets.

Il me paraît également important de prendre du temps pour développer une approche régionalisée. Il ne s'agit pas de désigner des mauvais élèves, mais de mettre en avant des régions plus fragiles, qui sont peut-être moins sensibilisées, qui disposent de moins de moyens, mais qui sont également capables – et c'est le cas de la Chine – d'évoluer très rapidement. Tous les niveaux de responsabilité publique – locaux, nationaux, régionaux, mondiaux – doivent être mobilisés et c'est une dimension qui devra être mise en avant dans votre étude. Par ailleurs, il me paraît important de vérifier si la pollution plastique est corrélée avec la taille de la population et le produit intérieur brut des pays ou si, au contraire, les pays les plus défavorisés et les moins peuplés sont proportionnellement les pays les plus pollueurs afin d'organiser, le cas échéant, la solidarité à l'échelle internationale pour lutter contre cette pollution. À notre niveau, l'absence de mesures fortes dans la Méditerranée et la mer du Nord nous ôterait toute crédibilité auprès des autres régions du monde.

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Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office

– Il me paraît important de souligner la responsabilité des autres zones géographiques dans la pollution plastique. Pourtant, la lecture de votre étude de faisabilité laisse penser que vous souhaitez vous concentrer sur la pollution plastique en France et en Europe. Ne faut-il pas alors le mentionner dans l'intitulé de la note ? Par ailleurs, vos déplacements se limitent à l'Europe. Pourtant, vous avez mentionné la responsabilité écrasante des fleuves d'Asie et notamment de la Chine en matière de transport des déchets plastiques vers les océans. Les îles du Pacifique, et j'ai pu le constater concrètement il y a deux ans dans les îles Salomon, sont envahies par les bouteilles plastiques. Vous donnez l'impression de l'oublier. Par ailleurs, ne faut-il pas s'intéresser aux départements et territoires d'outre-mer qui ont des problématiques bien spécifiques ?

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

– Jérôme Bignon va revenir bientôt des Terres Australes. Il pourra nous faire part de ce qu'il aura vu là-bas.

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Catherine Procaccia, sénateur

– Mais il ne travaille pas sur ce sujet ! Il me paraît également important, dans le cadre de vos rencontres avec les chercheurs, de vous intéresser aux technologies innovantes, et notamment au développement de procédés enzymatiques en vue d'une biodégradation des matières plastiques.

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– Vous avez évoqué la question de la pollution de l'air. Je vous conseille d'entendre le conseil national de l'air, Atmo France et l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS). En ce qui concerne le sujet du recyclage chimique des plastiques, l'Institut français du pétrole énergies nouvelles (IFPEN) mène des recherches poussées dans ce domaine. Enfin, il me paraît intéressant d'analyser dans quelle mesure le ministère de l'Éducation nationale est impliqué dans la sensibilisation des enfants à la pollution plastique.

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Angèle Préville, sénatrice, rapporteure

– Nous avions invité l'INERIS à participer à une audition mais ils ont décliné l'invitation. Les potentialités du recyclage chimique ont déjà été évoquées à l'occasion de plusieurs auditions et nous avons l'intention d'explorer cette piste. Sinon, il me paraît tout à fait envisageable de faire un point en juin sur ce que nous aurons déjà appris. Quant à l'organisation d'un déplacement à l'extérieur de l'Europe, il nous paraîtrait en effet très opportun.

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Catherine Procaccia, sénateur

– Je suis membre de l'Office depuis 2005. Auparavant, les déplacements à l'extérieur de l'Europe étaient courants.

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Angèle Préville, sénatrice, rapporteure

– Je suis partante !

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Catherine Procaccia, sénateur

– Ces déplacements étaient bien entendu liés au sujet traité. Lorsque vous vous intéressez à la pollution de la Méditerranée, vous n'avez pas besoin de sortir de l'Europe.

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Angèle Préville, sénatrice, rapporteure

– Je suis très favorable à un tel déplacement, et notamment d'aller voir ce qui se passe dans les départements et territoires d'outre-mer. Lorsque j'ai été affectée en tant que professeur à la Guadeloupe en 1981, il y avait déjà des affiches sur lesquelles on pouvait lire : « La Guadeloupe est belle, n'en faites pas une poubelle ». Cela montre le niveau de pollution qui existait déjà à cette époque sur cette île. Je ne sais pas où on en est aujourd'hui.

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

– J'insiste de nouveau sur l'importance d'un point d'étape avant les vacances estivales.

- Désignation de quatre membres de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2)

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

– Nous devons à présent désigner quatre membres pour siéger au sein de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs, la CNE2.

C'est une commission qui fonctionne bien, constituée de personnes plutôt âgées mais très sérieuses, qui nous rendent de grands services sur des sujets éminemment complexes.

Nous devons procéder cette année à la désignation de quatre membres, trois au titre du Sénat et un au titre de l'Assemblée nationale.

En accord avec Cédric Villani, je vous propose de désigner, pour l'Assemblée nationale, en remplacement de M. Claes Thegerstrom, Mme Saida Laarouchi-Engström qui a exercé de nombreuses responsabilités dans le domaine de la sûreté nucléaire et de la gestion du combustible et des déchets nucléaires en Suède. Pour le Sénat, je vous propose les candidatures de M. Christophe Fournier, en remplacement du président actuel de la commission M. Jean-Claude Duplessy, dont l'expertise en matière de gestion des grands projets nucléaires et sur le sujet des bitumes sera très précieuse ; de M. Jean-Paul Minon, en remplacement de M. Franck Deconinck, au titre notamment de son ancienne fonction de directeur général de l'organisme de gestion des déchets radioactifs en Belgique ; et de M. Philippe Gaillochet, en remplacement de M. Maurice Laurent, dont la candidature nous est vivement recommandée par notre ancien collègue Claude Birraux qui a beaucoup travaillé avec ce dernier, par ailleurs ingénieur et docteur en sciences physiques, lorsque celui-ci travaillait au secrétariat de l'Office à l'Assemblée nationale.

L'Office désigne M. Christophe Fournier, M. Jean-Paul Minon et M. Philippe Gaillochet pour le Sénat, et Mme Saida Laarouchi-Engström pour l'Assemblée nationale, pour siéger au sein de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2).

- Questions diverses

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Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office

– Avant de clore notre réunion, je voudrais vous faire part d'une demande du président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), M. Jean-François Delfraissy, qui a été chargé par le Premier ministre de mettre en place un comité pilote d'éthique du numérique, traduisant ainsi l'une des nombreuses et importantes propositions du rapport de Cédric Villani sur l'intelligence artificielle.

Il souhaiterait que l'Office puisse être représenté au sein de ce comité. En accord avec Cédric Villani, nous avons pensé à notre collègue Valéria Faure-Muntian, bien au fait de ces questions.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 12 h 45.

Membres présents ou excusés

Députés

Présents. - M. Didier Baichère, M. Philippe Bolo, M. Jean-Luc Fugit, M. Patrick Hetzel, Mme Huguette Tiegna, M. Cédric Villani

Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Jean-François Eliaou, Mme Valéria Faure-Muntian, M. Claude de Ganay, Mme Anne Genetet, M. Antoine Herth, M. Jean-Paul Lecoq

Sénateurs