Je vous remercie, tout d'abord, de m'accueillir à la commission des Lois pour y rapporter cette proposition de loi portant reconnaissance du crime d'écocide, que le groupe Socialistes et apparentés a choisi d'inscrire à l'ordre du jour de sa journée réservée.
Je commencerai mon propos en rappelant ce que vous savez déjà tous : nous sommes mal partis – nous, c'est l'humanité ! Si l'on en croit tous les rapports produits sur les sujets environnementaux, les choses ne se présentent pas bien. Sur le front du changement climatique, si nous ne réduisons pas notre consommation d'énergies fossiles, les scientifiques anticipent un réchauffement de 7° C par rapport à l'ère préindustrielle. Le pergélisol a commencé à fondre et on ne sait quel organisme piégé depuis des milliers d'années il pourrait libérer. En termes de biodiversité, nous serions entrés dans une extinction de masse. Quant à l'acidification des océans, elle tue les coraux et menace la vie sous-marine autant que l'alimentation des populations côtières.
Je ne veux pas m'étendre sur ce tableau peu réjouissant mais je dois compléter ce préambule en soulignant que nous dépassons, l'une après l'autre, les limites planétaires identifiées par les chercheurs. En malmenant notre environnement, c'est tout l'équilibre de la planète qui menace de s'effondrer.
C'est ce constat qui a mené des juristes de haut rang à promouvoir l'idée d'une incrimination pénale d'écocide, c'est-à-dire de mise en danger délibérée et massive de notre environnement. Ce concept existe déjà en droit international. Héritage des bombardements américains sur le Vietnam avec le fameux Agent orange, la destruction de l'environnement dans un but militaire est considérée par la Cour pénale internationale comme un crime de guerre. On ne peut donc pas dire qu'il s'agit d'une idée saugrenue.
Nous devrions pouvoir réprimer les mêmes agissements lorsqu'ils sont commis en temps de paix, que ce soit par des individus ou par des personnes morales. Nous devons pouvoir réprimer le fait de dégrader volontairement les biens communs de l'humanité, y compris ceux sur lesquels ne s'exerce aucune souveraineté étatique – c'est le cas notamment de la haute mer, de la haute atmosphère et des pôles.
Bien sûr, je sais ce qui me sera répondu : il faudrait pour cela un traité international. Ce serait l'idéal, en effet, l'instrument parfait pour poursuivre un crime contre toutes les nations, comme le dit classiquement le droit de la mer à propos de la piraterie. Nous devons néanmoins nous rendre à l'évidence : l'échec des tentatives d'inscription de l'écocide dans le Statut de Rome, qui régit la Cour pénale internationale, montre que des intérêts puissants sont à l'oeuvre pour l'empêcher. Ce sont les mêmes forces qui tentent aujourd'hui de démembrer l'accord de Paris sur le climat, et nous les connaissons bien.
Qu'on ne nous dise pas non plus que nous devons agir sur le plan européen. D'abord, parce que nous le faisons déjà : des représentants français à Strasbourg livrent le même combat face aux mêmes adversaires. Ensuite et surtout, parce que nos voisins européens ne courent pas les mêmes risques que la France : l'orpaillage illégal, c'est en France et pas sur le continent européen ; le risque de forages offshore dans le Canal du Mozambique est encouru par nos compatriotes de Mayotte et pas par les Européens ; les coraux de Polynésie et de Nouvelle-Calédonie, gravement menacés par l'acidification, c'est encore en France. Ne faisons pas ici de l'Europe, comme trop souvent ailleurs, l'alibi de nos renoncements !
Je défends devant vous cette proposition de loi pour agir au niveau français, à travers notre droit pénal de l'environnement, notoirement complexe et mal maîtrisé par les magistrats. Les juristes y voient une raison simple : les incriminations ne figurent pas dans le code pénal. Je gage que, depuis le début de cette législature, à l'été 2017, la commission des Lois, qui est compétente pour le droit pénal, a peu modifié le code de l'environnement.
Ma proposition de loi a pour objet de renforcer le droit de l'environnement en durcissant les sanctions encourues pour certaines pollutions, mais aussi et surtout en définissant de nouvelles infractions véritablement dissuasives. Je reprends à mon compte les propos que m'a confiés en audition la spécialiste Valérie Cabanes : l'objectif n'est pas de mettre des gens en prison, mais de créer une sanction pénale efficace et crédible qui puisse être factorisée dans l'analyse économique. Quand des actionnaires demandent des rendements toujours plus élevés, la tentation est grande de leur donner satisfaction si l'on ne risque que quelques dizaines de milliers d'euros d'amende et quelques mois de sursis. Je suis convaincu que les réflexions seront plus mesurées quand le risque sera le jury populaire de la cour d'assises, la réclusion criminelle pour le dirigeant et une amende de 20 % du chiffre d'affaires mondial sur les comptes consolidés.
Nous avons conçu le dispositif précisément pour qu'il soit à la hauteur des enjeux, qui sont globaux. Nous défendons l'imprescriptibilité et la compétence universelle des juridictions françaises. Nous voulons que chacun sache, avant de commettre son forfait, qu'il n'échappera pas à la sanction par une pirouette juridique.
Enfin, qu'est-ce que l'écocide, dont nous entendons punir la commission, la provocation et l'association afin de le commettre ? Nous avons volontairement retenu une définition très restrictive de l'infraction. Je me répète : je ne souhaite pas incriminer un accident, un acte involontaire même déraisonnable, une négligence même coupable ; nous avons déjà des instruments juridiques pour cela. L'objectif est de frapper fort pour les actes les plus odieux, les plus délibérés, les plus destructeurs, ceux dont les conséquences sont massives et irréparables à l'échelle de la vie humaine. C'est parce que le périmètre de l'infraction est volontairement très réduit que je vous propose de le réprimer par des peines aussi lourdes et par des moyens aussi exceptionnels.
Chers collègues, un dernier élément juridique pour vous convaincre : aujourd'hui, un kilogramme de corne de rhinocéros se négocie plus cher qu'un kilogramme de cocaïne. Trafiquer des espèces protégées, c'est trois ans d'emprisonnement au sens du code de l'environnement, sept ans dans le cadre d'une bande organisée. Trafiquer des stupéfiants en bande organisée, au sens du code pénal, c'est la réclusion criminelle à perpétuité. Je ne dis pas qu'il faille protéger l'environnement, la faune et la flore autant que la vie humaine ; les peines que je vous propose d'instaurer en répression de l'écocide sont volontairement inférieures à celles prévues pour un meurtre. Néanmoins, chacun doit comprendre que, à se contenter de bonnes paroles, nous ne parviendrons à rien. C'est ce que ce texte vous propose de changer aujourd'hui, pour que la France se montre à l'avant-garde dans ce combat, pour qu'elle entraîne avec elles les nations qui travaillent sur ce fléau. C'est la condition même pour que nos enfants connaissent un monde vivable et un environnement préservé.
Le génocide et le crime contre l'humanité ont marqué le XXe siècle. L'écocide est le combat du XXIe siècle.