J'entends les arguments avancés. Certains collègues ont évoqué la proposition de loi de M. Jérôme Durain au Sénat qui aurait mérité certains des reproches que vous nous avez adressés, notamment pour ce qui concerne le flou de sa définition. La qualification de « grave » avait ainsi suscité plusieurs questions des sénateurs. La définition que je vous propose, inspirée par les commentaires d'éminents juristes spécialisés dans le domaine de l'environnement, est, au contraire, très restrictive. Elle ne porte pas atteinte à l'aquarium de M. Savignat. (Sourires) Elle mentionne précisément l'intentionnalité de l'action et le caractère étendu, spatialement et temporellement, irréversible et irréparable de l'atteinte. Aucune confusion, aucun flou n'est possible !
Vous avez également évoqué un défaut de clarté. En ce qui concerne le droit de l'environnement, on est confronté à une difficulté que vous avez eu la pertinence de rappeler : trouver des éléments concernant les atteintes portées à l'environnement dans de nombreux codes – le code rural, le code de l'urbanisme, le code des collectivités territoriales, le code de l'environnement ou encore le code pénal. Par ailleurs, selon le professeur Laurent Neyret, le manque de visibilité et de lisibilité, voire d'efficacité et d'effectivité du droit pénal de l'environnement, trouve souvent sa source, assez paradoxalement, dans un excès de précision et de technicité. Dans le code pénal, le vol est défini comme « la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui ». Ma définition de l'écocide ne me paraît pas d'une telle imprécision.
Vous avez développé l'argument selon lequel nous serions incapables de définir l'écocide. Or, nous l'avons fait dans le code civil, à l'article 1247, en définissant le préjudice écologique. De la même façon, vous avez avancé que nous disposerions d'un arsenal juridique robuste, ce qui n'est pas le cas. Nombre d'amendes prévues pour des atteintes gravissimes ne sont pas à la hauteur des enjeux ; elles sont très peu dissuasives. Pour Vinci, qui a reconnu avoir déversé de l'eau bétonnée dans la Seine, l'amende de 375 000 euros n'avait rien de dissuasif. Reconnaître l'écocide permettrait de respecter la gradation des peines, mais aussi de dissuader de commettre des actes irréversibles, irréparables et étendus. Notre définition est extrêmement restrictive, ce qui justifie la rigueur du dispositif des peines.
Je vous entends également lorsque vous avancez qu'il faudrait agir au niveau international. La France, au sein des cénacles internationaux, ne se cache pas de porter l'étendard environnemental. On se souvient des échanges de l'été avec le Brésil autour de la forêt amazonienne, la France rappelant qu'elle était un pays amazonien et que nous étions directement concernés. On ne peut pas vouloir donner des leçons à la terre entière et refuser d'introduire dans notre code pénal une définition de l'écocide, qui tienne compte des débats actuels en droit de l'environnement.
On me dit d'attendre les conclusions des travaux en cours avant d'essayer de rendre le droit pénal de l'environnement cohérent. En vérité, nous avons déjà la matière pour cela. Ce qui manque, c'est le courage politique de l'inscrire dans notre droit. Soit on décide de tout attendre des juristes, soit on assume la responsabilité du législateur. Notre collègue Dominique Potier l'a rappelé : si l'on avait manqué de courage politique pour inscrire dans la loi le devoir de vigilance, on en serait encore à se donner des rendez-vous autour de belles formules.
Il ne s'agit pas d'une forme d'écologie punitive. Il y a une différence fondamentale entre ce que l'on a appelé ainsi et le fait de punir les actes les plus odieux contre la nature. Nous sommes légitimes à le faire. Dans le préambule de la Charte de l'environnement, qui a valeur constitutionnelle, il est précisé que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation.
Par ailleurs, évitons les faux procès. Il ne s'agit pas, bien évidemment, de mettre en parallèle l'Holocauste et l'écocide. Le quantum de peine est volontairement différent : vingt ans de réclusion d'un côté et la perpétuité de l'autre. Je vous invite tous à la prudence sur la question sémantique. Alors que nous sortons des états généraux sur le féminicide, il ne faudrait pas utiliser « écocide » pour le crime le plus élevé contre l'environnement ? Bien loin de moi l'idée de comparer l'écocide, le génocide et le féminicide ; néanmoins, cela n'empêche pas d'apporter, pour chacun de ces sujets, une réponse à la hauteur. Notre texte propose une définition restrictive : elle fait l'articulation entre une approche par le dommage ou par l'intention et elle tient compte d'un ensemble de débats actuels.
Ne faisons pas mine de découvrir la question de l'écocide, qui a été discutée récemment encore au niveau de la Cour pénale internationale. Un argument solide a été souligné par M. Stéphane Peu : ce qui est condamné en temps de guerre ne l'est pas en temps de paix. Les atteintes que connaît l'environnement de manière gravissime ont bien lieu en temps de paix. Il existe une attente très forte, non seulement dans l'opinion publique, mais aussi de la part de ceux qui considèrent que, pour enrayer les phénomènes que nous connaissons dans le domaine climatique et contenir une criminalité environnementale en pleine expansion, la France doit avoir le courage politique de se doter d'un texte de cette nature.
Pour conclure, je propose aux collègues qui sont intervenus pour indiquer qu'il fallait corriger le texte de le faire par voie d'amendement. Une proposition de loi n'est pas à prendre ou à laisser.