Dans le TGV qui me conduisait vers Paris, j'ai cherché tout à l'heure, pour ne pas me tromper, la définition du mot « amertume ». Comme je le pensais, nous utilisons bien le même mot pour désigner deux notions différentes : une saveur – celle du céleri, de la bière ou d'autres produits que nous évoquerons certainement en examinant la proposition de loi – et un sentiment, mêlé de déception et de colère. Un même mot, donc, pour deux définitions.
Quant à moi, le sentiment d'amertume qui m'habite n'est pas tant fait de colère – le temps qui a passé a fini par l'apaiser – que de déception. Or, avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés, nous n'avons pas trouvé d'autre moyen qu'une motion de rejet préalable pour exprimer notre déception, à la hauteur de la qualité des débats et des échanges que nous avons eus au sein de la commission des affaires économiques, par-delà nos différences, sur un sujet qui nous rassemble.
Dès la sanction prononcée par le Conseil constitutionnel au titre de l'article 45 de la Constitution – pas moins de vingt-trois articles de la loi EGALIM ont été censurés – , nous avions proposé, dans un esprit de collégialité, que l'ensemble des propositions qui avaient été débattues et adoptées par les députés, très souvent à l'unanimité et avec l'appui du Gouvernement, soient présentées de nouveau à l'Assemblée, quel que soit le groupe qui en était à l'initiative, au moyen d'un véhicule législatif qui restait à déterminer.
Nous aurions bien sûr admis que le groupe majoritaire prenne la liberté, sur consigne ou sur avis du Gouvernement, de sanctionner quelques-unes de ces dispositions au nom de l'air du temps ou d'une expertise technique établie a posteriori.
Cette proposition, nous l'avons présentée de nouveau au sein du bureau et à nos collègues responsables de groupe, dont ceux qui travaillaient au présent texte. Chaque fois, on nous a dit : « On va regarder ; ayez confiance, on va y arriver. » Et puis, un jour, la proposition de loi est inscrite à notre ordre du jour sans même qu'un mot d'excuse ait été proféré, ce qui aurait été la moindre des civilités.
Notre déception vient de loin. Car la loi EGALIM résulte d'un long combat pour ceux qui y ont oeuvré, de journées et de nuits entières de travail.
D'abord, j'aime à le rappeler, il y a eu la confiance que Nicolas Hulot et Stéphane Travert ont accordée à des députés comme Guillaume Garot et moi-même, ou à Johanna Rolland, pour animer des ateliers. À cette époque, au tout début du quinquennat, un état d'esprit régnait en effet, celui qui a présidé aux états généraux de l'alimentation – EGA – , qui consistait à aller chercher tantôt chez Les Républicains, tantôt chez les socialistes, des collègues susceptibles d'animer les discussions, de chercher un consensus, d'élever le débat. Avec Guillaume Garot, avec Johanna Rolland, avec d'autres, qui n'étaient pas membres, eux non plus, de la majorité actuelle, nous avons assuré la présence et le rôle d'animation attendus de nous, pendant des dizaines d'heures. L'atelier 11 que j'ai animé, sur les modes de production, comme celui confié à Guillaume Garot et consacré à la lutte contre le gaspillage alimentaire ont produit, s'agissant de sujets très délicats, des conclusions approuvées par la quasi-unanimité des participants.
Après cela, quel immense gâchis que cette loi catalogue rétrécie par le Gouvernement ! Le décalage entre les débats des EGA et ceux tenus dans notre hémicycle sur des sujets souvent périphériques a parfois été abyssal. Nous avions pourtant l'espoir que vous reconnaîtriez au moins le travail que Guillaume Garot et moi-même avions accompli dans le cadre des EGA. Tous peuvent en attester, malgré nos différences de vue, les socialistes ont été constructifs lors de l'examen de la loi EGALIM : jusqu'au bout, nous avons tenté d'y croire, d'améliorer le texte, d'expliquer que celui-ci devait être le prolongement de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt et un complément utile à la loi dite Sapin 2.
Lorsqu'est survenue la censure purement technique de ceux de ses articles jugés non conformes à la Constitution, il nous semblait évident que notre demande parfaitement démocratique que les dispositions que nous avions votées soient reprises dans un nouveau véhicule serait entendue. Vous avez agi autrement, et pas un seul d'entre vous n'a su s'en expliquer. L'invocation de la censure gouvernementale ne tient pas une minute ; j'ai pu le vérifier. Personne n'a même été capable de s'excuser. Pourquoi cet échec ?