Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur spécial, madame et monsieur les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, ainsi que plusieurs orateurs l'ont rappelé, la France est le mauvais élève européen en matière de budget et d'effectifs de la justice. Selon les dernières statistiques du Conseil de l'Europe, notre pays consacre environ 0,2 % de son PIB à la justice contre 0,33 % en moyenne à l'échelle européenne, se plaçant ainsi à la trente-septième place sur quarante-cinq, et il compte 10 juges professionnels pour 100 000 habitants, soit deux fois que la moyenne au niveau européen.
Le Gouvernement avait annoncé que la justice serait l'une de ses priorités, mais, quand on met en regard les annonces et les actes, le gouffre est béant. C'est d'autant plus problématique qu'il s'agit d'un domaine éminemment régalien, la justice restant le principal contre-pouvoir à l'arbitraire possible de l'exécutif.
Les chiffres que vous nous avez annoncés, madame la ministre, sont trompeurs, car ils ne concernent pas le budget actuel. Ils seraient justes à périmètre constant par rapport à 2017, si n'avaient pas été transférés à la Sécurité sociale des crédits correspondant aux dépenses de santé des détenus. En réalité, l'augmentation du budget de la justice ne serait que de 1,9 %, soit une hausse de 123 millions d'euros par rapport à 2017. C'est bien trop peu, d'autant que 160 millions d'euros ont été annulés cet été, un montant bien supérieur à l'augmentation prévue.
J'en viens à l'analyse programme par programme. Concernant le programme « Justice judiciaire », vous avez prévu le recrutement de 147 magistrats seulement pour 2018, alors qu'il y avait, à la fin de 2016, 1 000 postes vacants, selon l'Union syndicale des magistrats. Il manque donc dans ce budget, a minima, près d'un magistrat sur dix.
S'agissant du programme « Administration pénitentiaire », vous annoncez 15 000 places de prison sur le quinquennat, et le projet de loi de finances prévoit d'allouer 26 millions d'euros à l'ouverture de trois nouveaux établissements, ainsi qu'à la réouverture de la maison d'arrêt de la Santé, à Paris. C'est gravement insuffisant. Les établissements pénitentiaires souffrent d'une surpopulation chronique, qui affecte principalement les maisons d'arrêt, où la densité carcérale s'établit, en moyenne, entre 130 % et 140 %.
Il en va de même du manque d'effectifs du personnel pénitentiaire : l'insuffisance des recrutements a causé une explosion des heures supplémentaires, avec plus de 4,3 millions d'heures supplémentaires chaque année. Les 732 recrutements annoncés ne sont donc pas à la hauteur.
Plus fondamentalement, il faut repenser la politique carcérale actuelle. En janvier 2016, la France atteignait un taux de détention inégalé depuis le XIXe siècle. Or l'évolution de la population détenue est sans corrélation avec celle de la délinquance. Comme le rappelait le précédent Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue : « Il convient de se défaire résolument de l'idée commune selon laquelle les effectifs de personnes emprisonnées sont liés à l'état de délinquance du pays ».
L'augmentation de la population détenue est ainsi surtout liée à des orientations de politique pénale. Parmi les facteurs ayant contribué à l'inflation carcérale en France, on peut noter : la pénalisation d'un nombre de plus en plus important de comportements ; le développement de procédures de jugement rapide, comme la comparution immédiate, qui aboutissent à un taux plus important de condamnation à de l'emprisonnement ferme ; l'allongement de la durée des peines ; l'augmentation récente du recours à la détention provisoire. Il faut sortir de cette philosophie politique – voire cette idéologie – du « tout carcéral » dans laquelle la justice est enferrée depuis trop d'années, en se tournant, par exemple, vers une véritable stratégie de développement des peines alternatives à l'emprisonnement.
Concernant le programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse », vous proposez de créer seulement quarante emplois d'éducateurs pour les moyens du milieu ouvert, ce qui est bien peu, car c'est bien dans ce domaine qu'il faudrait augmenter de manière significative les effectifs. Il faudrait renforcer la justice des enfants et des adolescents, ainsi que la protection judiciaire de la jeunesse, dans leur mission fondamentale de suivi éducatif en milieu ouvert ou en foyer. Il faudrait remettre à plat la prise en charge des enfants en difficulté, revaloriser la prévention spécialisée et rendre plus efficients les liens de celle-ci avec la PJJ.
S'agissant du programme 101 « Accès au droit et à la justice », il est incompréhensible que le Gouvernement ait diminué de 180 000 euros les crédits du développement de l'accès au droit et du réseau judiciaire de proximité. Là encore, une autre politique serait possible en assurant, par exemple, le développement de l'accès au droit par la création de nouveaux points d'accès à travers des structures municipales ou étatiques telles les maisons de justice et du droit. Il conviendrait également de revaloriser le budget accordé par l'État aux conseils départementaux de l'accès au droit et de soutenir les associations. De même, les avocats intervenant à titre bénévole dans les structures publiques devraient être rémunérés pour le service rendu. Enfin, il faudrait revaloriser immédiatement l'aide juridictionnelle, dont l'accès doit être simplifié.
Le budget de la mission « Justice » n'est donc actuellement pas du tout à la hauteur des valeurs républicaines que nous défendons. Nous proposons ainsi des amendements, pour faire la lumière sur le manque de crédits et aider la justice de ce pays à faire plier cet autre verrou de Bercy, qui nous empêche aujourd'hui de mener une politique digne de nos principes.