Madame la présidente, je vous rejoins : la loi sera en effet d'autant plus efficacement appliquée sur le terrain que ceux qui y travaillent participeront en amont à sa préparation. Nous tentons d'ailleurs, depuis un certain nombre d'années, d'aller dans ce sens.
Premier élément : nous avons tous conscience – et vous pouvez juger à juste titre qu'il en est souvent ainsi – que la préparation d'un décret d'application prend trop de temps. Le secrétaire général du Gouvernement a d'ailleurs dû revenir sur ce point. Mais – et ne voyez là aucune critique dans mon propos, c'est juste un constat – le débat parlementaire étant toujours très riche, il est difficile de prévoir le point d'atterrissage d'un projet de loi, sans parler de celui d'une proposition de loi. Et donc, pour l'administration centrale qui sera chargée de préparer les textes d'application, il est délicat d'anticiper leur contenu. Les débats ouvrent au fur et à mesure de leur déroulement de si nombreuses possibilités qu'un tel exercice est très complexe, sans parler de la saisine de nos services déconcentrés sur le terrain en vue d'envisager telle ou telle hypothèse. C'est la richesse du débat parlementaire mais elle peut nous faire prendre du retard dans la déclinaison de dispositions de niveau réglementaire.
Deuxième élément, qui répondra, je l'espère, de manière plus précise et concrète à vos interrogations : aujourd'hui, les services déconcentrés doivent être sollicités, comme c'est le cas s'agissant du ministère de l'Intérieur, en matière d'étude d'impact préalable dite « test ATE » prévue par la circulaire du Premier ministre du 28 octobre 2014 relative au protocole des relations entre les administrations centrales et les services déconcentrés. Cette circulaire a imposé de tels tests lorsqu'une disposition législative ou réglementaire aura un impact sur le fonctionnement de ces derniers. Le but n'est pas de les protéger, mais de s'assurer en amont qu'ils seront en mesure de répondre à la commande qui leur sera passée.
Dans le cadre d'un test ATE, on peut par exemple demander à un panel de préfets comment ils procéderaient si, demain, ils devaient examiner tous les permis de chasse. Compte tenu des moyens à leur disposition, sous quel délai et selon quel processus pourraient-ils exercer cette nouvelle mission ?
Chaque département ministériel doit, selon moi, s'approprier cette procédure et la décliner puisqu'elle permet de ne pas prendre l'administration déconcentrée au dépourvu. Elle enrichit aussi le travail du législateur comme des fonctionnaires qui l'utilisent dans le cadre de la préparation d'un décret d'application. Ma direction a la charge de centraliser ces demandes de tests ATE, et de proposer un panel de préfets.
J'en viens, monsieur le rapporteur, à vos questions : nous sommes encore en train d'analyser, puisque nous en avons reçu jusqu'à la semaine dernière, les propositions des préfets de région en matière d'organisation territoriale de l'État (OTE). Nous procédons à leur compilation avec la mission de coordination nationale pour la réforme de l'État, (MICORE), que pilote Claude Kupfer.
Comme vous le disiez, elles s'inscriront dans une perspective de mutualisation. Mais ce n'est pas forcément éloigné des préoccupations de nos concitoyens. Dans une période dans laquelle nous devons faire avec moins, ils attendent en effet de l'État qu'il se réorganise afin de continuer à fonctionner en consacrant moins de moyens à sa propre gestion pour en dégager plus au service de nos concitoyens.
Cela fait partie de la noblesse de notre mission : consacrer moins de moyens à ce que nous sommes, et plus à ce que nous faisons. Une telle évolution produira un effet vertueux en permettant de redéployer des moyens sur les fonctions-métiers des services déconcentrés.
La circulaire du Premier ministre du 2 août 2019 relative à la constitution de secrétariats généraux communs aux préfectures et aux directions départementales interministérielles prévoit d'ailleurs que la moitié des moyens économisés grâce à ces mutualisations devront précisément être réaffectés aux fonctions-métier, donc dans les services assurant l'application des textes – soutien aux collectivités locales, par exemple.
Par ailleurs, deux régions, Pays de la Loire et Bourgogne Franche-Comté, et, en dehors de celles-ci les deux départements d'Alsace, mais aussi la Creuse et le Lot, ainsi que Mayotte, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, sont aujourd'hui concernés par le droit à dérogation. Nombre de mes collègues m'interrogent pour savoir quand l'expérimentation sera généralisée. Cela ne dépend pas de moi : la décision revient au Gouvernement. J'ignore s'il décidera une telle généralisation. Une étape supplémentaire, plus ambitieuse, sera vraisemblablement prévue.
Cette expérimentation porte très concrètement ses fruits et elle « parle » à nos concitoyens. J'illustrerai mon propos par un exemple : le préfet de l'Yonne a été confronté à une demande d'extension formulée par une entreprise sur une zone dite bleu foncé dans le cadre du plan de prévention des risques inondations (PPRI), c'est-à-dire non constructible. Or le PPRI était en cours de révision, et la modélisation envisagée conduisait à classer ladite zone en bleu clair, c'est-à-dire dans une zone où la construction peut être autorisée sous certaines conditions, notamment d'élévation du bâtiment. Après avoir consulté, le préfet a décidé d'autoriser l'extension en question et donc d'anticiper de trois mois la révision du PPRI. Lorsque sa révision sera effective, les travaux de l'entreprise auront déjà commencé.
Il y avait en l'espèce un enjeu économique, puisque des emplois étaient à la clé. Une telle démarche « parle » très concrètement à nos concitoyens qui apprécient que l'administration essaie dans un tel cas, au lieu de s'arc-bouter sur une décision négative, de trouver une solution.
D'après ce que j'en ai vu, les contributions des collègues préfets tournent d'ailleurs beaucoup autour de cette possibilité de pouvoir déroger à certaines dispositions réglementaires et d'adapter la réglementation au plus près des contraintes locales.