La séance est ouverte à 18 heures 10.
Présidence de Mme Cécile Untermaier, présidente
La mission d'information sur la concrétisation des lois entend M. Alain Lespinasse, directeur de la modernisation et de l'administration territoriale.
Messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je remercie M. Alain Espinasse, directeur de la modernisation et de l'administration territoriale au ministère de l'Intérieur, d'être parmi nous ce soir.
Dans le cadre de ce cycle d'auditions générales sur la mise en oeuvre des lois sur le terrain, nous avons commencé à aborder le rôle des services déconcentrés à l'occasion de deux auditions précédentes : celle de M. Thomas Cazenave, directeur interministériel de la transformation publique, le 22 octobre dernier, qui nous a indiqué que la réforme en cours donnerait aux préfets de région une plus grande liberté dans l'organisation des services déconcentrés et renforcerait le niveau départemental ; et celle du préfet M. Claude Kupfer, coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés de l'État, le 29 octobre, qui nous a indiqué attendre, dans les jours à venir, les propositions des préfets de région quant à la réorganisation de leurs services déconcentrés.
Parallèlement aux perspectives d'évolution, nous voudrions comprendre plus précisément ce qui se passe au niveau des services déconcentrés lorsqu'ils doivent appliquer une loi nouvellement votée. À quels types de difficultés peuvent-ils se heurter ? Comment les blocages sont-ils corrigés ? Comment le respect de la volonté du législateur est-il contrôlé ?
Je précise que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale, et qu'elle fera également l'objet d'un compte rendu.
Avant d'en venir aux questions de mes collègues, je vous propose, monsieur Espinasse, de prendre la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes.
J'essaierai également à travers ce propos de répondre aux questions que vous avez bien voulu me transmettre avant cette audition.
Parler de services déconcentrés revient sans doute, au premier chef, à évoquer les préfets : il me paraît donc important de rappeler que l'action de ceux-ci, du point de vue de l'application des lois, est précisée au dernier alinéa de l'article 72 de la Constitution. Celui-ci dispose en effet que « Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'État, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. »
C'est donc ce principe primordial qui guide l'action des services déconcentrés de l'État, sous l'autorité des préfets. Au-delà du cadre dans lequel ces services agissent, ce principe résume une éthique professionnelle : nous sommes là pour appliquer les lois votées par le Parlement ainsi que les règlements déclinant ces lois.
Pour le représentant de l'État et pour ses services, appliquer les lois sur le terrain revient à s'assurer de leurs effets concrets.
La concrétisation de la loi passe d'abord par les décrets d'application. Je ne m'attarderai pas sur cet aspect que Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, a dû assez largement traiter. Elle passe ensuite par la pédagogie dont font preuve le représentant de l'État et les services déconcentrés auprès de nos concitoyens, des usagers de l'administration et de nos partenaires pour faciliter la mise en oeuvre de la loi. En effet, rédiger un projet de loi ou une proposition de loi, en discuter et l'adopter est une chose, l'appliquer concrètement sur le terrain en est une autre. Il faut la rendre à la fois lisible et intelligible pour nos concitoyens qui peuvent parfois, et c'est normal, n'être concernés que par un aspect très précis du texte.
Mon propos se situe à deux niveaux : en effet, si le préfet représente tous les ministres, c'est-à-dire qu'il a la charge de l'application de l'ensemble des lois relevant de l'ensemble des départements ministériels, il est lui-même porteur de textes, au titre du ministère de l'Intérieur.
À cet égard, s'agissant de la XIVème législature, 98 % des décrets d'application ont été pris – soit 204 décrets sur 208 –, déclinant ainsi 45 lois. Pour la législature en cours, 96 % des décrets ont d'ores et déjà été publiés, soit 74 décrets sur 77. Le ministère de l'Intérieur s'efforce, et c'est normal, d'être irréprochable dans la rédaction des décrets d'application d'une loi dont il a la responsabilité.
Ce ministère est par ailleurs extrêmement déconcentré au niveau départemental, par l'intermédiaire des préfectures et des sous-préfectures. Il lui revient donc d'appliquer les lois au plus près de nos concitoyens, alors que d'autres ministères ne disposent en dernier niveau d'application que de services de niveau régional. Cette organisation oblige le ministère de l'Intérieur et lui confère une spécificité, voire des facilités particulières, dans les discussions visant à mettre en oeuvre les textes.
En tant que parlementaires, vous êtes bien placés pour le savoir, la mise en oeuvre des lois peut se heurter à un certain nombre de difficultés. J'en citerai trois : la complexité du texte à appliquer, une contradiction – cas assez classique – entre deux textes, soit entre deux articles de loi, soit entre deux dispositions réglementaires, enfin, et même s'ils paraissent triviaux ils ont leur importance, les problèmes tenant aux moyens et à l'organisation des services de l'État.
Le rôle du préfet s'avère déterminant en cas de blocage tenant à la complexité d'un texte ou à la contradiction entre deux textes, voire à une difficulté née de l'absence de précision suffisante du texte à appliquer. Il lui appartient alors d'apprécier la loi et le texte réglementaire qui la décline, dans un souci de sécurité juridique. Il devra interpréter, concilier et appliquer.
De même, face à une nouvelle disposition législative, il devra affecter les moyens, et, le cas échéant, réorganiser ses services en fonction des contraintes découlant du nouveau cadre législatif ainsi créé, ou d'une nouvelle mission naissant de celui-ci.
S'agissant des innovations, je ne citerai que le droit de dérogation des préfets. En effet, le décret du 29 décembre 2017 relatif à l'expérimentation territoriale d'un droit de dérogation reconnu au préfet permet à celui-ci de déroger, en matière réglementaire, à un certain nombre de dispositions. Nous arrivons au terme de cette expérimentation prévue sur deux ans : nous avons établi des éléments de bilan que nous devons partager avec l'ensemble de la communauté interministérielle. Un rapport sera ensuite remis au Parlement.
Le bilan de cette expérimentation est extrêmement positif, tout d'abord parce que des arrêtés de dérogation ont été pris dans de nombreux domaines, et dans un cadre juridique qui semble sécurisé puisque, saisi d'un recours contre le décret, le Conseil d'État a débouté le requérant. En outre, aucun des 140 arrêtés pris n'a fait l'objet d'un recours auprès du tribunal administratif. J'y vois en partie le résultat du travail de pédagogie mené par les préfets et leurs services.
Les réformes organisationnelles participent également de la bonne application de la loi, tout simplement parce qu'elles doivent permettre de dégager les moyens nécessaires à l'amélioration de celle-ci. Lorsque, par exemple, on met en place des dispositifs de mutualisation de fonctions support, on dégage des moyens qui, certes, contribuent aux économies budgétaires que nous devons réaliser – nous ne sommes pas naïfs – mais qui peuvent être aussi réaffectés à des fonctions-métier. Or ce sont précisément celles-ci qui tendent très concrètement à mettre en oeuvre les dispositions législatives et réglementaires.
Trois éléments pour terminer. Le premier a trait à l'organisation administrative elle-même. L'organisation déconcentrée de l'État repose sur deux niveaux : régional et départemental, le premier étant le niveau d'animation et de coordination des politiques publiques, le second étant consacré à leur mise en oeuvre.
Le choix qui a été fait en 2010 de renforcer le niveau régional au détriment du niveau départemental est aujourd'hui – Claude Kupfer a sûrement eu l'occasion de le dire – plus que questionné. En effet, le niveau régional, qui a bien évidemment son importance, ne doit pas devenir un niveau d'administration supplémentaire éloigné de l'usager. Il faut veiller à ne pas créer une sorte d'échelon supplémentaire qui rajouterait de la complexité à la complexité et encadrerait l'action de l'État au-delà de l'esprit de la loi, laissant nos concitoyens au mieux dans une forme de doute, au pire dans une forme d'inquiétude. L'administration doit se montrer vigilante : le niveau régional ne doit pas rendre plus complexe l'application de la loi.
Le deuxième élément porte sur la dimension managériale, qui irrigue les différents niveaux.
Elle prend sa source dans des réunions qui ont lieu toutes les six semaines : les ministres y expliquent aux préfets ce qu'ils font, les projets de loi en discussion ou le contenu d'une loi qui vient d'être promulguée, ainsi que leurs attentes.
Les ministres, ou les chefs de service d'administration centrale, déclinent le même discours auprès des responsables de services déconcentrés.
Enfin, il appartient aux préfets, en tant que chefs de service au niveau local, de réunir les responsables locaux, que ce soit au niveau régional ou départemental, pour leur expliquer, de manière managériale, comment un texte de loi, une réglementation ou une circulaire d'application doivent être très concrètement appliqués.
Une fois que la loi a été promulguée et que les textes d'application ont été pris, les préfets peuvent malgré tout se retrouver confrontés à un certain nombre de difficultés, que l'on essaie alors de contourner. Je réponds ainsi à l'une de vos questions, madame la présidente : l'administration centrale peut-elle, dans ce cas, jouer le rôle de recours ?
Une circulaire d'application d'un texte peut alors être signée. J'ai évoqué le droit de dérogation : la circulaire du Premier ministre du 9 avril 2018 prévoit que les préfets rencontrant des difficultés peuvent frapper à la porte de la direction de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT), qui saisira l'ensemble des ministères concernés. Nous sommes là pour leur faciliter le travail : nous procèderons à la concertation nécessaire et nous apporterons les éléments de réponse.
À défaut d'instruction, les services déconcentrés savent en règle générale quelle direction d'administration centrale saisir. Ils peuvent également interroger le Pôle interrégional d'appui au contrôle de légalité (PIACL) de Lyon qui est un service délocalisé de la direction générale des collectivités locales (DGCL). Il a essayé de se doter, depuis quelques années, d'un certain nombre de moyens supplémentaires. Il a notamment créé un service dit des dossiers compliqués. Nous nous sommes en effet rendu compte que les préfets, d'ailleurs davantage dans leur fonction de conseil que dans leur fonction de contrôle, étaient souvent saisis de dossiers compliqués, notamment en matière de marchés publics.
Dernier élément, le Gouvernement a souhaité – nous allons procéder dans les semaines qui viennent aux premières auditions – que chaque préfet de région soit entendu une fois par an sur la mise en oeuvre très concrète des politiques publiques. Il viendra donc présenter au Premier ministre ou à son directeur de cabinet l'action qu'il conduit en région.
Si un certain nombre de figures seront imposées, comme les contrats de plan État-région ou l'organisation territoriale de l'État, il pourra aussi, au regard des spécificités de sa région, évoquer un certain nombre de sujets qui permettront de mesurer très concrètement l'application réussie ou non des textes, ainsi que de comprendre les facteurs de succès et d'échec et les blocages rencontrés. Cela débouchera, le cas échéant, sur des décisions in situ puisque ces présentations auront lieu dans un cénacle interministériel. Il s'agit de faire progresser les choses en confrontant le pouvoir exécutif au niveau central à ceux qui appliquent les textes au niveau local, c'est-à-dire aux préfets de région.
Avant de passer la parole à nos deux rapporteurs et à nos autres collègues, je vous rappelle que notre principale préoccupation réside dans l'« atterrissage » de la loi sur le terrain.
Les difficultés que peuvent rencontrer les préfets comme les moyens de recours à leur disposition sont moins importants à nos yeux, notre objectif étant d'éviter au maximum qu'ils soient confrontés à de telles situations.
Je m'explique : la concrétisation de la loi sera d'autant meilleure que la fabrication de celle-ci aura été faite en concertation avec le terrain. Il me semble que le préfet du XXIème siècle ne peut plus se contenter d'appliquer les décrets tels qu'ils sont publiés ou de recourir à une autre instance s'ils ne conviennent pas : il doit participer à leur élaboration.
Sur ce point, je souhaite qu'au fil des échanges, vous nous donniez votre sentiment sur une autre méthode de travail qui peut-être doit s'imposer.
Je vous remercie, monsieur le directeur, pour ce propos liminaire. J'ai trois questions, que je veux très concrètes.
Par sa circulaire du 12 juin 2019 relative à la mise en oeuvre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État, le Premier ministre a sollicité les préfets de région sur la réorganisation des services déconcentrés. Ils avaient jusqu'au 31 octobre dernier pour formuler leurs propositions : pouvez-vous nous communiquer des exemples de propositions qui vous paraissent intéressants ?
Oui ou non le travail mené autour de cette circulaire a-t-il vocation à rendre plus efficace l'application des lois ? N'est-il question que de mutualisation de services support – démarche positive et probablement nécessaire ? Ou s'agit-il aussi de trouver un moyen, au sein des services déconcentrés de l'État, grâce à l'action du préfet, d'améliorer le ressenti par la population à l'égard des dispositions votées au Parlement ? Dans l'affirmative, pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?
J'en viens au rôle du parlementaire. Nous ne pourrons achever les travaux de cette mission d'information sans réinventer le parlementaire, ou a minima le député, du XXIème siècle.
Le préfet du XXIème siècle évoqué par madame la présidente se conçoit dans son action avec le député du XXIème siècle. Aujourd'hui, le député ne cumule plus son mandat avec celui d'un exécutif local : il doit donc devenir un applicateur de réformes au niveau local. Or une telle évolution ne peut avoir lieu qu'avec l'aide de vos services, des préfets et de l'État déconcentré. J'en suis convaincu : il faut inventer, de façon institutionnalisée, une méthode de travail commune, avec une mise en commun des efforts.
Députés de la majorité ou de l'opposition, nous avons tous intérêt à ce que la loi votée au Parlement fonctionne et soit utile aux citoyens, aux entreprises, bref à tous ceux auxquels elle est destinée. Peut-on très concrètement imaginer, demain, joindre nos efforts à ceux des préfets sur le terrain ou jugez-vous une telle évolution non conforme à votre vision de l'État dans les territoires ?
Dernière question : suite au premier comité interministériel de la transformation publique, des plans de transformation ministériels ont été mis en place. La DMAT est-elle concernée par le plan de transformation du ministère de l'Intérieur ? Dans l'affirmative, pouvez-vous nous indiquez dans quels domaines ? Comporte-il des éléments visant l'amélioration de l'application des lois ou ne visent-ils qu'à renforcer l'efficacité purement interne de votre administration ?
Madame la présidente, je vous rejoins : la loi sera en effet d'autant plus efficacement appliquée sur le terrain que ceux qui y travaillent participeront en amont à sa préparation. Nous tentons d'ailleurs, depuis un certain nombre d'années, d'aller dans ce sens.
Premier élément : nous avons tous conscience – et vous pouvez juger à juste titre qu'il en est souvent ainsi – que la préparation d'un décret d'application prend trop de temps. Le secrétaire général du Gouvernement a d'ailleurs dû revenir sur ce point. Mais – et ne voyez là aucune critique dans mon propos, c'est juste un constat – le débat parlementaire étant toujours très riche, il est difficile de prévoir le point d'atterrissage d'un projet de loi, sans parler de celui d'une proposition de loi. Et donc, pour l'administration centrale qui sera chargée de préparer les textes d'application, il est délicat d'anticiper leur contenu. Les débats ouvrent au fur et à mesure de leur déroulement de si nombreuses possibilités qu'un tel exercice est très complexe, sans parler de la saisine de nos services déconcentrés sur le terrain en vue d'envisager telle ou telle hypothèse. C'est la richesse du débat parlementaire mais elle peut nous faire prendre du retard dans la déclinaison de dispositions de niveau réglementaire.
Deuxième élément, qui répondra, je l'espère, de manière plus précise et concrète à vos interrogations : aujourd'hui, les services déconcentrés doivent être sollicités, comme c'est le cas s'agissant du ministère de l'Intérieur, en matière d'étude d'impact préalable dite « test ATE » prévue par la circulaire du Premier ministre du 28 octobre 2014 relative au protocole des relations entre les administrations centrales et les services déconcentrés. Cette circulaire a imposé de tels tests lorsqu'une disposition législative ou réglementaire aura un impact sur le fonctionnement de ces derniers. Le but n'est pas de les protéger, mais de s'assurer en amont qu'ils seront en mesure de répondre à la commande qui leur sera passée.
Dans le cadre d'un test ATE, on peut par exemple demander à un panel de préfets comment ils procéderaient si, demain, ils devaient examiner tous les permis de chasse. Compte tenu des moyens à leur disposition, sous quel délai et selon quel processus pourraient-ils exercer cette nouvelle mission ?
Chaque département ministériel doit, selon moi, s'approprier cette procédure et la décliner puisqu'elle permet de ne pas prendre l'administration déconcentrée au dépourvu. Elle enrichit aussi le travail du législateur comme des fonctionnaires qui l'utilisent dans le cadre de la préparation d'un décret d'application. Ma direction a la charge de centraliser ces demandes de tests ATE, et de proposer un panel de préfets.
J'en viens, monsieur le rapporteur, à vos questions : nous sommes encore en train d'analyser, puisque nous en avons reçu jusqu'à la semaine dernière, les propositions des préfets de région en matière d'organisation territoriale de l'État (OTE). Nous procédons à leur compilation avec la mission de coordination nationale pour la réforme de l'État, (MICORE), que pilote Claude Kupfer.
Comme vous le disiez, elles s'inscriront dans une perspective de mutualisation. Mais ce n'est pas forcément éloigné des préoccupations de nos concitoyens. Dans une période dans laquelle nous devons faire avec moins, ils attendent en effet de l'État qu'il se réorganise afin de continuer à fonctionner en consacrant moins de moyens à sa propre gestion pour en dégager plus au service de nos concitoyens.
Cela fait partie de la noblesse de notre mission : consacrer moins de moyens à ce que nous sommes, et plus à ce que nous faisons. Une telle évolution produira un effet vertueux en permettant de redéployer des moyens sur les fonctions-métiers des services déconcentrés.
La circulaire du Premier ministre du 2 août 2019 relative à la constitution de secrétariats généraux communs aux préfectures et aux directions départementales interministérielles prévoit d'ailleurs que la moitié des moyens économisés grâce à ces mutualisations devront précisément être réaffectés aux fonctions-métier, donc dans les services assurant l'application des textes – soutien aux collectivités locales, par exemple.
Par ailleurs, deux régions, Pays de la Loire et Bourgogne Franche-Comté, et, en dehors de celles-ci les deux départements d'Alsace, mais aussi la Creuse et le Lot, ainsi que Mayotte, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, sont aujourd'hui concernés par le droit à dérogation. Nombre de mes collègues m'interrogent pour savoir quand l'expérimentation sera généralisée. Cela ne dépend pas de moi : la décision revient au Gouvernement. J'ignore s'il décidera une telle généralisation. Une étape supplémentaire, plus ambitieuse, sera vraisemblablement prévue.
Cette expérimentation porte très concrètement ses fruits et elle « parle » à nos concitoyens. J'illustrerai mon propos par un exemple : le préfet de l'Yonne a été confronté à une demande d'extension formulée par une entreprise sur une zone dite bleu foncé dans le cadre du plan de prévention des risques inondations (PPRI), c'est-à-dire non constructible. Or le PPRI était en cours de révision, et la modélisation envisagée conduisait à classer ladite zone en bleu clair, c'est-à-dire dans une zone où la construction peut être autorisée sous certaines conditions, notamment d'élévation du bâtiment. Après avoir consulté, le préfet a décidé d'autoriser l'extension en question et donc d'anticiper de trois mois la révision du PPRI. Lorsque sa révision sera effective, les travaux de l'entreprise auront déjà commencé.
Il y avait en l'espèce un enjeu économique, puisque des emplois étaient à la clé. Une telle démarche « parle » très concrètement à nos concitoyens qui apprécient que l'administration essaie dans un tel cas, au lieu de s'arc-bouter sur une décision négative, de trouver une solution.
D'après ce que j'en ai vu, les contributions des collègues préfets tournent d'ailleurs beaucoup autour de cette possibilité de pouvoir déroger à certaines dispositions réglementaires et d'adapter la réglementation au plus près des contraintes locales.
Je voudrais juste dire que les dérogations ne doivent pas toujours aller dans le sens d'un assouplissement des règles, qui peuvent être tout à fait nécessaires. On connaît les risques et les dégâts auxquels conduit un excès d'urbanisation.
Vous avez raison, madame la présidente.
Le droit de dérogation, tel qu'il s'applique depuis deux ans, ne consiste pas à donner la possibilité au préfet, dans un département concerné par l'expérimentation, d'inventer une sorte de réglementation ad hoc. Il y aurait ainsi, dans l'exemple que j'ai cité, une réglementation en matière de prévention du risque d'inondation dans la France entière et une autre réglementation qui s'appliquerait dans la Creuse. L'expérimentation, et c'est aussi pour cela qu'elle a été acceptée par le Conseil d'État, lorsqu'il a examiné le décret, a lieu au cas par cas. On ne crée pas une réglementation dérogatoire : on accorde simplement une dérogation dans un dossier précis, au vu des circonstances. Je pense que c'est un élément protecteur : on ne va pas à l'encontre de l'esprit de la loi et de sa déclinaison au niveau réglementaire.
L'esprit de l'expérimentation consiste à dire qu'il y a des cas où la réglementation est bonne – on peut espérer que c'est toujours vrai – ou plutôt où elle trouve à s'appliquer normalement, mais qu'il peut aussi y avoir des cas particuliers dans lesquels on a besoin de déroger, ici ou là, sans risque, comme dans l'exemple que j'ai donné.
Par ailleurs, l'application du droit de dérogation peut révéler que la réglementation est parfois mal rédigée. Ainsi, un effet de seuil que l'on pensait limité peut ne pas l'être du tout. L'application concrète sur le terrain conduit alors à envisager une évolution de la réglementation.
Le pouvoir exécutif, avec les préfets qui le représentent sur le terrain, est là pour appliquer les lois. Il assure la déclinaison de ce que le Parlement vote : il n'y a aucune espèce d'ambiguïté en la matière. C'est la noblesse de nos fonctions respectives.
Je ne verrais, personnellement, que des avantages à ce que les parlementaires puissent être associés davantage à la mise en oeuvre concrète des lois. Doit-on formaliser ou institutionnaliser cela davantage ? Je pense que cela pourrait être utile : on le voit régulièrement. Le Gouvernement a souhaité, pour un certain nombre de projets de loi emblématiques, que les préfets fassent oeuvre de pédagogie, qu'ils rassemblent les parlementaires en dehors de toute considération politique – qu'ils appartiennent à la majorité ou à l'opposition et qu'ils aient voté ou non les textes. Il est bon de rendre compte localement et d'expliquer, pour un certain nombre de lois, comment on procède. Le fait de discuter avec les parlementaires et de montrer concrètement les effets que produit la loi votée peut être une source d'enrichissement pour les services de l'État mais aussi pour les parlementaires, en vue de lois ultérieures. Je vous rejoins tout à fait sur ce point.
En quoi le plan de transformation ministériel (PTM) peut-il avoir un impact concret sur l'administration déconcentrée du ministère de l'Intérieur ? Sans entrer dans tous les détails du PTM, je voudrais souligner qu'il prévoit notamment la création d'une direction du numérique. Vous allez me dire que je parle encore des fonctions support, mais cela correspond à la mission du secrétariat général d'un ministère… On s'est rendu compte dans le cadre des discussions menées avec nos collègues de la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (DINSIC), qui est devenue la direction interministérielle du numérique, qu'il y avait un champ laissé en jachère depuis quelques années : celui de l'animation des services d'information et de communication sur le terrain.
Nous devons être meilleurs en ce qui concerne l'offre numérique, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, cela permet de réaliser des gains de personnel que l'on peut ensuite réaffecter. Ensuite, une partie de l'offre accessible numériquement doit être, le plus possible, pensée pour l'usager. Il n'y a pas de critique sur le fait que nous dématérialisons un certain nombre de demandes : les critiques se concentrent, à juste titre, sur l'accompagnement de certains de nos concitoyens, qui sont moins agiles que d'autres s'agissant de l'utilisation des outils numériques et de l'accès aux téléprocédures. L'animation de notre réseau doit être l'occasion de coller aux besoins. Enfin, pour ce qui est de l'application très concrète des textes, qu'ils soient législatifs ou réglementaires, nous devons avoir des outils permettant à nos concitoyens de savoir facilement ce qu'il y a dans une loi et quelle est son application localement, dans le département, par les services de l'État.
Nous en venons à une série de questions et de réponses rapides, afin que tout le monde puisse s'exprimer.
En ce qui concerne la bonne application des lois, je voudrais revenir sur les freins que vous avez évoqués. Je pense en particulier aux contradictions entre les textes et au manque de moyens. Pourriez-vous nous donner quelques illustrations ?
On voit assez régulièrement des contradictions entre des textes, par exemple entre un objectif de protection environnementale et un objectif de développement économique. J'ai cité tout à l'heure un cas où il y avait d'un côté un enjeu en matière d'emploi, à travers le développement et l'implantation d'une entreprise en zone potentiellement inondable, et d'un autre côté un enjeu environnemental et de sécurité. C'est un exemple très concret de cas où il faut assurer une bonne conciliation entre les objectifs.
Pour ce qui est des moyens alloués par la loi de finances, il s'agit de les attribuer au mieux. Le travail réalisé dans le cadre du plan Préfectures nouvelle génération a aussi été l'occasion de réaffecter des moyens à un certain nombre de missions prioritaires : il y a eu un redéploiement vers les missions de sécurité, de contrôle de légalité, de coordination des politiques publiques et d'accompagnement des projets.
Merci, monsieur le directeur, pour votre présence et vos réponses.
Je voudrais revenir sur les contradictions entre textes. Vous avez dit que le préfet interprète, conseille et applique. J'aimerais savoir qui – l'administration centrale ou le préfet – a autorité sur quels services. En ce qui concerne le droit de la concurrence dans le domaine de l'agriculture, il y a une contradiction dans l'interprétation de la loi – et non dans la loi elle-même, je tiens beaucoup à cette précision. L'administration centrale du ministère de l'agriculture applique ce qu'elle sait du droit communautaire : celui-ci autorise certaines concertations prix-volume, par exemple au niveau d'une union de coopératives. Or un autre service, déconcentré, qui relève de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), peut avoir une autre interprétation, plus stricte : il peut « retoquer » une politique qualité d'une union de coopératives au motif qu'il s'agirait d'une entente.
Selon mon expérience, cela ne relève pas du préfet mais de l'administration centrale. Je sais bien que l'administration est censée être une et indivisible, mais c'est plus ou moins vrai selon les cas. Un député, même s'il connaît l'esprit de la loi et le sujet, ne peut pas dire avec le préfet, ou à ses côtés – je crois, en tout cas, qu'on ne peut pas agir au niveau local, sous l'autorité du préfet – comment s'applique la loi : on ne peut pas dire à tel service déconcentré comment il doit agir. La question « remonte » : elle se joue au niveau des administrations centrales. C'est donc beaucoup plus compliqué, beaucoup moins lisible sur le terrain pour les acteurs concernés : on ne sait pas quel jeu d'influence va avoir lieu à Paris, et cela donne l'image d'un pouvoir trop concentré, éloigné des réalités. Dans ce type de cas, pouvez-vous nous dire concrètement ce qui se passe ?
C'est une question difficile. Il faudrait m'indiquer un cas très précis pour que je puisse faire une réponse précise. Je pense qu'il y a, de toute manière, la volonté d'appliquer au mieux la réglementation localement.
La question que vous posez est de savoir si, lorsque l'application, la traduction ou l'interprétation qui est faite de la réglementation par un service de la DGCCRF ne correspond pas à ce que la collectivité ou l'entreprise souhaiterait, le préfet peut être saisi d'un défaut d'interprétation.
On peut être dans un champ qui échappe totalement au préfet. C'est le cas pour certaines actions menées par la DGCCRF, notamment en matière de contrôle, ou pour certaines compétences de l'inspection du travail et des services vétérinaires – tout ce qui relève de la police, notamment. Si on n'est pas dans ce type de cas, il faut saisir le préfet pour qu'il saisisse ensuite son administration centrale – je ne peux pas vous faire de meilleure réponse. Nous pouvons voir avec les collègues concernés comment on peut faire bouger les lignes. Il est clair que si le dialogue se déroule entre la DGCCRF et le ministère de l'agriculture et que l'on ne sort pas de ce cercle, il sera difficile pour le préfet d'avoir connaissance du sujet et d'intervenir. Le plus simple est de faire remonter la question au préfet.
Le ministère de l'Intérieur n'est pas omniscient et il n'a pas compétence pour appliquer des textes qui relèvent d'autres ministères, mais il peut jouer un rôle de coordination, en tant que responsable des préfets. Le ministère peut, et il le fait assez régulièrement, pointer des incohérences d'interprétation des textes entre deux niveaux – le niveau central et le niveau local. Je ne sais pas si je réponds complètement à votre question, mais voilà le modus operandi que je peux vous indiquer.
Merci pour la sincérité de votre réponse. Il y a des cas, effectivement, qui ne relèvent pas de l'autorité du préfet. J'aimerais bien avoir une liste, car je pense que cela pose une question en soi : le préfet est le représentant de l'État au plus petit échelon territorial, mais il y a des dispositions très contraignantes, ayant un impact très direct sur la vie quotidienne des Français, qui ne relèvent pas de son autorité.
S'agissant de la mise en cohérence, j'ai un second exemple en tête, qui est la fiscalité appliquée aux bâtiments de stockage et logistiques. Il n'y a pas eu de doctrine fiscale pendant des années : grosso modo, les services fiscaux ont fait un peu n'importe quoi, chacun dans son coin, et cela a entraîné de la grogne un peu partout. Dans ce type de cas, le ministère de l'Intérieur peut-il faire remonter la question au niveau interministériel, en soulignant l'urgence à faire quelque chose ? On doit au moins, à défaut d'avoir une loi, établir une doctrine.
Je peux vous donner quelques exemples très concrets de champs dans lesquels le préfet n'a pas d'autorité. C'est notamment vrai pour tout ce qui est fiscal : cela relève localement du directeur départemental des finances publiques (DDFIP). Il y a aussi le cas des polices exercées sous le contrôle de l'autorité judiciaire, comme les contrôles des services vétérinaires, avec des contraventions à la clef. Ces sujets échappent au préfet en application de deux grands principes : celui de la séparation entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire et celui de la séparation entre l'ordonnateur et le comptable – ce qui concerne tous les services fiscaux.
Néanmoins, le préfet représente l'ensemble des membres du Gouvernement. À ce titre, il peut se faire l'écho auprès du ministre de l'Action et des comptes publics – ou du ministre en charge de la fiscalité – d'un certain nombre de problèmes d'interprétation qui peuvent se produire localement. Le préfet a un avantage par rapport au DDFIP – et ce n'est pas un jugement de valeur : il a un champ d'intervention beaucoup plus transversal.
Merci pour votre présence et pour vos réponses.
Ce que je vais dire sera peut-être un peu plus polémique et politique. Le pouvoir des préfets est grand. Nous leur faisons confiance, mais on voit très clairement que ce n'est pas toujours le cas au sein de la population. On l'a notamment constaté lorsqu'on a adopté une loi qui encadre les manifestations : il y a une très grande défiance chez beaucoup de gens, y compris les politiques, à l'égard des préfets. Ils sont responsables de la bonne application de la loi dans leur territoire, ce qui n'est pas une petite responsabilité.
Vous nous dites que le préfet est le représentant de tous les membres du Gouvernement. Il se trouve que le contrôle de l'exécutif fait partie de la mission des députés. Je me demande vraiment si on n'aurait pas intérêt, pour rebâtir la confiance, y compris chez certains politiques, et pour exercer notre contrôle, à trouver une façon de travailler – je parle des élus nationaux – avec le corps préfectoral. Je ne sais pas ce que cela vous inspire à brûle-pourpoint, mais je pense qu'il serait assez intéressant d'envisager les choses sous cet angle.
C'est-à-dire celui du contrôle de l'action du Gouvernement. Longtemps les députés ne se sont pas préoccupés de cette question, mais ils s'en emparent de plus en plus.
Vous avez parlé des services déconcentrés de l'État, en soulignant qu'il faut faire attention à ce que le niveau régional n'encadre pas davantage la loi qu'elle ne l'est déjà – il ne faut pas qu'il y ait un doublon. Ma question est simple : quelle serait la manière la plus adéquate, lorsqu'on est député, de vérifier le travail réalisé en matière d'application de la loi dans les régions et les départements ? Il faut être très clair : lorsqu'on n'est pas du même bord politique, on n'a aucun accès à la région ou au département. Je peux vous assurer que c'est extrêmement complexe. J'aimerais que vous m'en disiez un peu plus sur cette difficulté : on veut accéder à des services, mais on, se heurte en quelque sorte à une fin de non-recevoir.
Je ne sais pas si la population ne fait pas confiance aux préfets. J'ai passé l'essentiel de ma carrière sur le terrain – pas en administration centrale, mais dans des postes dans des régions ou des départements. Je pense qu'il y a globalement une défiance à l'égard de la fonction publique, quelle qu'elle soit – c'est-à-dire à l'égard de toutes les fonctions publiques.
Le préfet a, depuis l'origine, une double fonction : il représente l'État et le Gouvernement. Il représente la pérennité mais aussi un temps court qui correspond à la majorité en place à un moment donné. On attend du préfet qu'il joue ces deux rôles. J'ai le sentiment, globalement, que mes collègues le font en toute loyauté. De toute façon, la fonction de préfet est un contrat à durée déterminée, d'une semaine, reconductible d'un mercredi à l'autre ! Si un représentant de l'État ne fait pas bien son travail, il est remercié le mercredi suivant. Cela fait partie des risques du métier. Je pense qu'il faut le rappeler aux gens qui peuvent considérer, peut-être légitimement, que nous ne sommes pas exposés.
Je voudrais souligner que l'État n'est pas seul en charge, localement, de la bonne application des lois. Un certain nombre de dispositions législatives, voire une partie considérable d'entre elles, doivent être appliquées par les collectivités territoriales et les particuliers. Le rôle du préfet n'est pas de mettre en oeuvre la loi dans tous les domaines : il y a des sujets pour lesquels il doit contrôler que c'est bien fait – qu'une collectivité, par exemple, applique bien ce que le législateur a demandé. L'État, localement, n'est pas comptable de l'application de toutes les lois : il est comptable de l'application des lois quand elle relève de lui ou de son contrôle de la mise en oeuvre, par exemple par les collectivités.
La question du contrôle de l'action de l'exécutif par le Parlement est importante, mais je ne sais pas s'il m'appartient d'y répondre – c'est au Gouvernement de le faire. Quelle limite souhaite-t-il mettre à son action ? Cela relève clairement d'un choix politique.
Je suis responsable de plusieurs programmes budgétaires : je les présente devant des rapporteurs, dont certains se rendent sur le terrain pour faire très concrètement un contrôle d'application, soit avant que je les rencontre, soit après, parfois même sans m'en parler au préalable – ils n'ont d'ailleurs pas à le faire. Ils vont regarder régulièrement, en tant que députés, les moyens attribués aux préfectures pour faire fonctionner le service des étrangers ou celui du contrôle de légalité. Ce sont des parlementaires de la majorité comme de l'opposition, et il est bien qu'il en soit ainsi. Lorsque nous en sommes informés, nous prévenons les collègues et nous leur donnons les éléments que nous avons présentés, au cas où cela pourrait être utile. Les parlementaires sont reçus : les portes leur sont ouvertes. Je connais des parlementaires – des députés et des sénateurs – qui font ces démarches sur le terrain. S'il y a des cas où les portes sont fermées, ce n'est pas normal. Le Parlement est aussi dans son rôle quand il va voir comment la loi de finances, par exemple, est appliquée.
Je voudrais poser deux questions très brèves.
S'agissant de l'administration territoriale de l'État, les services ne souffrent-ils pas depuis la fin des années 2000 ? Après la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE), qui ont été des processus longs à mettre en place, il y a aujourd'hui les nouvelles circulaires du Premier ministre. On assiste finalement à une sorte de réorganisation permanente qui se fait un peu au détriment de la continuité des services de l'État.
Je vais prendre un exemple que je connais bien : celui des services de la jeunesse et des sports, qui ont été ballottés. Ces services, qui avaient des missions extrêmement importantes, ont d'abord été intégrés au sein des directions départementales de la cohésion sociale et des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, avec les services sanitaires et ceux en charge de l'hébergement d'urgence, et ils vont désormais se retrouver du côté de l'éducation nationale. Cette réorganisation permanente n'est-elle pas un facteur de difficultés si on veut maintenir un minimum de stabilité dans les services déconcentrés ?
Vous avez dit que les préfets de région sont chargés de faire des propositions pour la réorganisation de leurs services. Cela veut-il dire qu'il pourrait y avoir une organisation très différente des services de l'État d'une région à l'autre ?
Y a-t-il une réorganisation permanente ? Elle est assez continuelle, en tout cas, vous n'avez pas tort. On est confronté, en effet, à deux phénomènes.
Tout d'abord, les schémas d'emplois successifs, année après année, nous obligent à nous réorganiser. Les effectifs de l'ATE (administration territoriale de l'État) au niveau des préfectures se sont réduits de 5 000 postes entre 2010 et 2019 – on est passé de 30 000 à 25 000. Si on ne réorganise pas, on n'arrive plus à assurer le service. La baisse des effectifs est comprise, en moyenne, entre 400 et 500 postes par an – 471 dans le projet de loi de finances 2020. Peut-on ne pas se réorganiser ? Parfois on pourrait aimer faire une pause. Il n'en demeure pas moins qu'avec une baisse des effectifs de ce niveau, l'administration est obligée de se réorganiser pour continuer à assurer le service.
Par ailleurs, les choses changent à une vitesse folle. Je ne vais pas vous raconter ma vie, mais je suis entré dans le monde préfectoral il y a 17 ans : la situation était sans commune mesure avec la façon dont on fonctionne actuellement. Internet n'était pas au niveau que l'on connaît aujourd'hui, et nos concitoyens n'admettent plus, de la part de l'administration, des modes de fonctionnement qu'ils considèrent comme totalement obsolètes, voire comme des blocages compte tenu de leurs attentes. On doit aussi se réorganiser de ce point de vue.
En ce qui concerne le transfert des services de la jeunesse, des sports et de la vie associative vers les recteurs et les directeurs académiques des services de l'éducation nationale (DASEN), au niveau départemental, l'arbitrage a été rendu par Matignon. Il nous appartient de le mettre en oeuvre de la manière la plus intelligente possible. Nous sommes payés pour cela, et nous allons nous efforcer de le faire.
Va-t-on avoir une administration totalement différente d'une région à l'autre ? Non, car nous ne sommes pas un État fédéral. L'État est le même en Île-de-France et en Occitanie, ou dans le Val-de-Marne et en Lozère. Cela n'exclut pas qu'il y ait des ajustements ici ou là, les moyens et les enjeux étant différents. Il y aura forcément des mutualisations plus englobantes dans un petit département que dans un grand département, par exemple.
Enfin, si je peux émettre un jugement plus personnel, tous les agents qui sont sur le terrain ont fait le choix de servir l'intérêt général et nos concitoyens. L'intérêt général est déterminé par le Parlement et décliné par le pouvoir exécutif, chacun dans le cadre de ses compétences. Je le dis parce que cela me tient à coeur. On peut servir l'État par hasard, mais on ne demeure pas à son service par hasard pendant des années. On ne reste certainement pas par confort, ni pour faire fortune, mais parce qu'on a le sentiment de servir quelque chose qui nous dépasse, qui est très noble et très beau. C'est ce que j'ai toujours senti, aussi bien chez les préfets que chez les agents aux guichets des services des étrangers. Il m'est arrivé de demander à mes collaborateurs pourquoi ils étaient là – je savais, en effet, quelles étaient les situations : ils rencontrent bien souvent des problèmes pour boucler leurs fins de mois. La réponse était : nous sommes là parce qu'il y a des gens qui ont plus de difficultés que nous, c'est notre mission d'être là.
Nous vous remercions d'être venu jusqu'à nous et de nous avoir apporté vos réponses. Nous avons bien noté que vous considérez que le contrôle de l'action du Gouvernement par les parlementaires est tout à fait légitime et bienvenu dans les territoires. Il nous reste à trouver les bonnes voies d'action.
La séance est levée à 19 heures 10
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Noël Barrot, M. Frédéric Descrozaille, M. Fabien Gouttefarde, M. Régis Juanico, M. Michel Lauzzana, Mme Cendra Motin, M. Laurent Saint-Martin, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Vincent Thiébaut, Mme Cécile Untermaier, Mme Alexandra Valetta Ardisson, Mme Corinne Vignon
Excusé. - M. Charles de la Verpillière