Nous sentons que vous avez une expérience de terrain plus grande que les personnes que nous avons auditionnées jusque-là. D'une certaine manière, vous partagez notre souci. Bien évidemment, il n'y a pas de camp dans cette affaire, mais je tiens à souligner que vous vous êtes posé les mêmes questions que nous.
Vous avez dit que la précision de la loi pouvait elle-même provoquer une « surprécision » du pouvoir réglementaire et un alourdissement du dispositif normatif : c'est un point important. Vous avez évoqué aussi le fait que l'élite de la nation, la haute fonction publique, travaille sans grand souci de l'application et vit un peu dans le monde idéalisé du droit tel qu'il pourrait être appliqué.
Nous sommes constamment en contact avec des acteurs de la société civile qui savent très bien ce qui « coince ». Tout à l'heure, j'ai rencontré le président de la Chambre des notaires, ces derniers étant des pédagogues de la loi et des officiers d'état-civil. Il est navrant de se dire qu'un notaire peut se trouver en présence d'un citoyen et lui dire en haussant les épaules, que « la loi est moche et mal bâtie » et que c'est ainsi. Cela ne donne pas une bonne impression du travail du législateur et de l'État. Cela est vrai aussi de fédérations professionnelles d'entreprise, de syndicats, de chambres consulaires. Lorsque nous leur demandons si, quand ils font remonter le fait que telle disposition est complexe et qu'elle pourrait être simplifiée de telle ou telle manière, ils ont un écho et si, en dehors de leur ministère de tutelle, ils ont des interlocuteurs dans l'administration soucieux de prendre en compte leur avis, la réponse est « non ».
Je l'ai constaté depuis deux ans et demi, un député lambda peut prendre des rendez-vous, il peut écrire des courriers mais il faut qu'il soit président de ceci ou rapporteur de cela pour que les portes s'ouvrent. Dans la Constitution ou peut-être dans le Règlement de l'Assemblée nationale, ne faudrait-il pas prévoir de donner une autorité au député, qu'il n'a pas aujourd'hui, dans le contrôle de l'application de la loi ? Nous sommes comme cela en France : il faut tout mettre par écrit ! Cela graverait dans le marbre le fait que le député est légitime pour regarder de quelle manière le droit est appliqué et lui conférerait une autorité.
Il faudrait que tous les acteurs de la société, qui sont confrontés à des incohérences, à des absurdités et à des choses qui ont été mal pensées au moment de l'écriture de la loi par un Parlement qui parfois, en votant un amendement, manifeste un défaut de connaissance de ce que cela va impliquer pour des acteurs économiques, soient capables de dire sans remettre en cause la volonté du législateur : « voilà concrètement ce que telle disposition représente en termes coût, de complexité, d'incohérence, de difficultés, voilà ce que nous vous suggérons d'écrire pour atteindre autrement le même objectif ». Il faudrait instaurer une culture de ce type, faire vivre la loi, quitte éventuellement à modifier le règlement sans toucher à la loi, pour que le droit soit un peu plus malléable et qu'il « colle » mieux à la réalité de terrain.