Madame la députée, nous avions cet après-midi une conversation pour savoir si le droit devait être écrit en langage courant, parce qu'il concerne tous les Français, tous les citoyens dans tous les pays du monde. Effectivement, le vocabulaire et le langage du droit sont très spécialisés. Chaque mot a déjà tellement été précisé par la jurisprudence, qu'il est totalement impossible de traduire le droit en langage commun. C'est assez triste de le constater, mais quand nous allons chez le médecin, nous ne comprenons pas toujours ce qu'il nous explique. Il faut s'accommoder de la spécialisation du vocabulaire, mais il ne faut pas renoncer à ce que la Représentation nationale exerce ses pouvoirs de contrôle. J'insiste, car pour moi un parlementaire est d'abord un contrôleur.
Je reviens à la nécessité de travailler par écrit pour que la question posée à une administration soit précisément détaillée et que la réponse soit également exigeante. Il ne faut pas « lâcher le morceau », si je peux m'exprimer ainsi, si la réponse est évasive. Il faut continuer à demander un certain nombre de précisions. Vous pouvez vous appuyer sur la commission à laquelle vous appartenez et il y a des rapporteurs spéciaux qui peuvent vous aider. Si vous n'obtenez pas de réponses, vous avez la possibilité de dire à vos interlocuteurs que vous allez demander au rapporteur spécial de faire un contrôle sur pièces et sur place. Vous verrez, ils comprennent très vite ce que cela veut dire.
Vous avez pris l'exemple des administrations sociales : je n'ai rien contre le social, mais j'ai des doutes sur le droit social, car il est incompréhensible. S'agissant des caisses d'allocations familiales, en tant que président de conseil départemental pendant dix ans, je n'ai jamais pu avoir avec le directeur général de mon département une conversation autre qu'aimable, puisque tout remontait à la direction générale centrale. Ne vous sentez pas diminuée dans votre département : dans ce domaine, tout se joue à Paris. Encore une fois, appuyez-vous sur votre commission et sur votre rapporteur spécial. N'ayez pas de complexe parce que vous n'êtes pas juriste. En effet, si le Parlement était composé uniquement de juristes, il faudrait confier à l'université le soin de faire le droit.
Sur les sujets de simplification, il nous reste beaucoup de travail. Régis Juanico m'a posé une question qui est redoutable, parce que je ne voudrais pas me fâcher avec Marc Guillaume, le secrétaire général du Gouvernement. Lui trouve que le « un sur deux » ou le « deux sur un » a produit beaucoup d'effets ; comme je l'apprécie et que j'ai une grande confiance en lui, je le crois. Au CNEN, il est vrai que nous sommes un peu myopes, mais nous n'avons pas vraiment vu de changement ! Évidemment, nous ne pouvons pas voir ce qui ne nous parvient pas. Au titre du « un sur deux » ou du « deux sur un », il a probablement obtenu des simplifications, mais cela n'est pas à la hauteur de l'enjeu.
J'ai dit beaucoup de bien des administrations centrales, mais il faut reconnaître qu'elles sont extrêmement conservatrices, c'est-à-dire qu'elles ne croient qu'aux textes dont elles sont à l'origine. Nous avons mené avec Jean-Claude Boulard des combats pendant très longtemps. Il a été conseiller d'État et savait de quoi il parlait. Lorsque nous voulions faire évoluer une rédaction, nous nous heurtions à des réponses du type : « Ce que vous nous dites est intéressant et probablement assez près de la réalité, mais ce n'est pas notre rédaction ». Nous étions devant une situation absurde : est-ce que la rédaction telle qu'académiquement conçue est plus importante que la manière dont les Français vivent ?
Je crois que c'est un combat légitime du Parlement. Sinon, ce sont les peuples qui deviendront populistes. Il faut que le Parlement dise : « Nous ne comprenons pas ce que vous nous demandez. Si cela est votre vision des choses, écrivez-la dans le règlement, nous vérifierons et nous contrôlerons ce que vous dites. En effet, nous ne l'introduirons pas dans la loi, parce que nous ne comprenons pas et nous ne pouvons pas l'expliquer ».
J'ai la conviction que nous ne sauverons notre démocratie qu'en faisant jouer ses acteurs. J'ai été dans les deux situations, j'ai été longtemps parlementaire et j'ai été membre du gouvernement, je crois que le fait majoritaire de la Vème République est largement préférable à l'instabilité de la IVème République. Cependant, cela doit s'appliquer pour les choses importantes, telles que les orientations budgétaires, les grandes lois, mais pas quand nous sommes dans le détail de la vie. Nous sommes dans un pays où les Présidents de la République, quels qu'ils soient, sont menacés parce qu'ils ne peuvent même plus dire que la loi est le fruit du travail du Parlement. Nous laissons penser que la loi n'est que la transcription de ce qui a été décidé au plus haut niveau. Ce combat est légitime. Je pense que vous participez hautement à la démocratie en disant : « Nous ne comprenons pas, nous ne pensons pas que cela produira un droit qui permettra à notre société de mieux fonctionner ».