Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du jeudi 26 octobre 2017 à 15h00
Commission élargie : finances - affaires économiques - affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Ce qui me frappe, dans ce que vous dites tous les cinq, c'est le constat que, malgré un budget modeste, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères mène une action forte, à l'honneur de ses personnels. « Petit budget, grande action », disait Mme Genetet. Nous sommes les bons élèves, c'est vrai. Mais comme l'a dit M. Ledoux, arrive un moment où l'on ne peut plus… Nous sommes à l'extrême limite de l'équilibre. Ce budget est en augmentation de 2 %, ce qui n'est pas très considérable mais représente néanmoins une forme de reconnaissance de l'ampleur de l'action demandée aux effectifs du ministère. Nous ne sommes pas en rupture, mais tout de même au bord…

En 2018, la réduction globale des effectifs de l'État est de 1 400 ; le ministère des affaires étrangères y contribuera à hauteur de 100. Autrement dit, alors que nous représentons 0,7 % des effectifs, nous payons 6 %, et après avoir déjà beaucoup versé ! C'est une alerte que je lance. Sinon, nous changeons de format, ce que ni vous ni le Gouvernement ne souhaitent. Nous n'aurions plus une diplomatie universelle et ce serait le début du déclin de notre influence. S'arc-bouter sur une diplomatie universelle, cela ne signifie pas que les choses restent figées : il est normal que certaines représentations deviennent des postes de présence diplomatique (PPD), plutôt que des ambassades, dans des États moins significatifs, quand nous renforçons nos dispositifs dans d'autres États émergents, mais il faut garder ce principe de l'universalité, essentiel pour la diplomatie française et qui nous donne une force considérable. Nous sommes membres du Conseil de sécurité, mais nous avons aussi un des principaux réseaux d'influence dans le monde.

Nous avons aujourd'hui six postes communs avec l'Allemagne, dont trois ambassades, à Koweït, à Dacca et, encore en projet, à Khartoum. J'observe au passage que le coût de la partie allemande est nettement plus important que celui de la partie française ; cela montre à quel point notre modèle est rigoureux. Ce mouvement va se poursuivre. Cela ne nuit en rien à notre autonomie diplomatique mais c'est utile en termes d'immobilier.

Les recettes de l'immobilier attendues en 2018 sont d'environ 40 millions d'euros, avec un principe de base : nous avons obtenu que l'ensemble des ventes immobilières reviennent directement au ministère des affaires étrangères, sans ponction par un ministère de transit. Le ministère compte 1 600 emprises immobilières dans le monde ; il faut adopter une attitude souple, vendre ici, là reconstruire, là-bas racheter… Le CAS immobilier peut le permettre, à condition qu'il soit réaffecté au fonctionnement du ministère des affaires étrangères.

Cela n'empêche pas non plus de renforcer nos moyens d'action dans le domaine de l'entretien lourd : les crédits affectés à cet égard sont en augmentation, notamment ceux liés à la sécurité dans les endroits sensibles. L'ambassade de France à Kaboul, détruite en partie par un attentat, a été reconstruite avec des normes de sécurité très strictes : je m'y suis rendu il y a quelques jours pour m'en assurer. De même pour l'ambassade de France à Bagdad : nos fonctionnaires et diplomates vivent depuis des années dans un bunker. Mais la sécurité est une priorité partout et je m'informe des normes de sécurité dans chaque poste où je me rends.

Il y a en effet, monsieur Ledoux, un problème s'agissant des postes de détachement. Certaines vocations ne peuvent aboutir en raison d'un blocage de la part des autorités rectorales, pour des raisons qui peuvent être très légitimes, mais qui empêchent que les souhaits d'affectation soient réalisés. Le ministre de l'éducation nationale a une vision très internationale de sa mission et je pense que nous pourrons aboutir à un dispositif plus sain et éviter que des demandes de détachement soient refusées, comme à Bamako.

Il importe que nous fassions un effort significatif pour l'accueil d'étudiants étrangers en France. C'est un point essentiel de notre diplomatie d'influence. Je ne parle pas seulement des boursiers que j'ai déjà évoqués dans mon propos introductif, mais des étudiants en général, car l'effet de retour à cinq ou dix ans est considérable, pour l'image de la France mais aussi notre action économique. Nous avons perdu une place dans le classement et sommes passés à la quatrième. Il faut faire le nécessaire, entre autres par le biais de Campus France, pour que l'attractivité des universités, des grandes écoles, du système de formation français soit toujours meilleure. Vous avez relevé les efforts de la Chine, de la Turquie, de l'Arabie saoudite, en particulier en Afrique ; nous avons de l'avance, mais nous devons préserver nos dispositifs. C'est une de nos priorités.

Contrairement à ce vous pensez, je soutiens que c'est une bonne chose qu'il n'y ait pas de ministre affecté au tourisme. Pourquoi ? L'initiative du Premier ministre de créer un comité interministériel du tourisme, où participent l'ensemble des membres du Gouvernement concernés, c'est de l'interministériel en actes, du décisionnel collectif que ne pourrait pas faire un ministre ou un secrétaire d'État au tourisme. Parce que le tourisme concerne beaucoup de secteurs. Un ministre ne peut tout simplement pas s'occuper tout à la fois des visas, de l'accueil par la police à Roissy, des destinations d'Air France, de l'hôtellerie, de la formation des cuisiniers… Nous avons choisi une autre méthode, qui peut se discuter mais qui me paraît pertinente : un comité interministériel, présidé par le Premier ministre, fait acter des décisions en présence de tous les ministres concernés, qui doivent les mettre en oeuvre. Il est doublé d'un comité intermédiaire, que je préside avec Jean-Baptiste Lemoyne, chargé de l'application des décisions prises. Nous avons déjà eu un comité interministériel et un comité de pilotage, et cela marche. Dans le comité de pilotage, nous prenons des décisions très concrètes. La représentation au sein de ce comité est large ; j'ai noté la demande du rapporteur pour avis d'y associer vos commissions et je verrai comment cela pourrait être possible, sans confondre les organismes législatifs et exécutifs.

Les 10 millions du fonds d'urgence étaient justifiés, par définition, en raison de l'urgence. Dès lors qu'il n'y a plus urgence, il n'y a plus de raison d'avoir un fonds d'urgence… À la fin de 2017, nous allons dépasser les 88 millions de visiteurs, contre 83 millions en 2016 – du fait des attentats –, 85 millions en 2015. Par rapport à une année normale, nous ne pouvons donc pas dire qu'il y a urgence puisque les chiffres progressent. Atout France, qui bénéficie d'autres financements que ceux de l'État, sera en mesure d'assurer la promotion touristique et ses missions.

À la demande d'un certain nombre d'acteurs professionnels, nous avons engagé il y a quinze jours une mission spécifique sur le financement de la promotion. Des acteurs se disent disponibles pour participer à un dispositif original de promotion. Un rapport doit être rendu d'ici à la fin de l'année ; il sera soumis au comité interministériel et appliqué ensuite par le comité de pilotage. Nous vous rendrons compte de ces orientations.

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères. Monsieur Ledoux, vous avez évoqué les refus de détachement de personnel. Cela a été un sujet de préoccupation. Fin août 2018, nous nous sommes mobilisés pour que la rentrée puisse avoir lieu dans de bonnes conditions. À défaut d'enseignants détachés, des solutions ont été trouvées au niveau local.

De manière plus pérenne, nous devons maintenant travailler à une palette de solutions. Il nous faut accompagner en formation les recrutés locaux et, parallèlement, engager une réflexion avec le ministère de l'Éducation nationale pour éviter que la période de stage ne coupe pendant deux ou trois ans les recrutés locaux récemment reçus à un concours du pays dont ils sont originaires. Si l'on considère que la métropole n'a pas assez de ressources humaines à projeter dans le monde, considérons du moins que les ressources humaines en provenance du vaste monde puissent y retourner, dès lors qu'elles ont fini leur formation, après la réussite à un concours.

S'agissant du codéveloppement économique et de la nécessité de territorialiser en quelque sorte une partie de la diplomatie des ambassadeurs ont été il y a quelques mois détachés auprès des préfets de région. Certains se sont interrogés sur le bien-fondé d'un tel dispositif : il s'agit de les employer pleinement, comme force de conseil auprès des préfets, mais aussi des collectivités locales : bon nombre de conseils régionaux jouent un rôle international, tout comme les municipalités et les conseils départementaux dans le cadre de la coopération décentralisée, que j'ai d'ailleurs pu voir à l'oeuvre. N'hésitez donc pas à les solliciter en tant que de besoin.

Madame Bonnivard, vous avez évoqué la possibilité d'élaborer un programme budgétaire dédié au tourisme. Plutôt qu'un programme dédié, nous pouvons peut-être réfléchir à une autre forme disponible dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), à savoir le jaune ou document de politique transversale (DPT), qui a précisément pour vocation de réunir, pour une politique identifiée, des éléments budgétaires, parfois interministériels, et des indicateurs. On garderait ainsi la maquette LOLF existante, le jaune venant en surplus pour consolider des informations complètes sur la politique touristique.

Pour ce qui est du fonds d'urgence, la mission promotion pourra vous répondre. Elle est composée de Christian Mantei, directeur général d'Atout France, d'un représentant de la confédération des acteurs du tourisme, ainsi que d'une personnalité issue de l'économie numérique. Cette diversité en termes de ressources humaines va permettre de faire des propositions utiles, sachant que l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) a mis sur la table l'idée d'une sorte de « CNC du tourisme », c'est-à-dire la mise en place de contributions des acteurs prêts à mutualiser eux-mêmes les forces de promotion en vue d'une efficacité accrue. Votre proposition relative au financement via le reversement d'une part fixe sur les visas sera soumise à son expertise ; vous avez bien fait de nous la présenter.

Mme Genetet a fait allusion aux fonctionnaires spécialisés, dont bon nombre passent par Expertise France, qui gère désormais un certain nombre d'experts internationaux. À croire certains retours de terrain, le fait qu'un organisme tiers intervienne en gestion administrative entraînerait une certaine lourdeur. Il y a donc sûrement des voies de progrès à trouver de ce côté-là.

Vous avez également appelé, madame, à faire évoluer les indicateurs pour mieux rendre compte de la performance et des activités. Chaque année, une conférence se tient au niveau de l'État, à laquelle participe le ministère chargé du budget. Elle fait le point sur toute la batterie d'indicateurs utilisés dans les projets annuels de performance (PAP). Nous pourrions utilement y soumettre vos propositions pour aller vers ce que vous souhaitez en citant le dispositif SMART. Je suis vraiment très preneur de vos suggestions, pour les soumettre à cette conférence.

M. Petit s'est intéressé au budget de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Le Président de la République a réaffirmé devant l'assemblée des Français de l'étranger que 2018 et 2019 verraient le budget maintenu, sachant que nous devons d'ores et déjà prendre aussi en compte la régulation budgétaire du mois de juillet dernier : le siège va devoir se serrer la ceinture, puisque ses frais de fonctionnement baisseront de 10 %, en plus de la contribution exceptionnelle qui sera demandée en 2018 afin de pouvoir passer ce cap.

Il est vrai que la concurrence devient vive en matière de diplomatie d'influence, effectivement : on dénombre d'ores et déjà, me semble-t-il, 1 000 établissements Confucius installés dans le monde. À côté de nos dispositifs traditionnels, tels que les écoles françaises ou les instituts français, il nous faut encourager un certain nombre d'acteurs privés qui souhaitent s'investir dans le domaine de l'éducation : non seulement il y a de la place pour tout le monde, mais les demandes qui évoluent. Notre offre n'est peut-être pas encore tout à fait complète pour répondre aux besoins d'une éducation bilingue, par exemple. Dès lors que l'enseignement de langue française est également présent, cela peut être intéressant. Par ailleurs, un certain nombre d'écoles à l'étranger sont en train d'être cédées : peut-être le bâti ainsi rendu disponible pourrait intéresser des intervenants privés désireux de développer une offre française et francophone : on le voit en ce moment notamment au Maghreb et en Afrique de l'Ouest.

S'agissant de l'association des parlementaires au contrat d'objectifs et de moyens (COM) en amont, j'ai noté comme vous le souci d'ouverture du ministre : peut-être pourrait-on imaginer qu'un temps de réflexion soit organisé avec la commission compétente, dès lors qu'un nouveau COM doit être engagé, à l'image de ce qui se fera pour les mandats de politique commerciale européenne. Ce serait l'occasion de faire ensemble un arrêt sur image avant d'engager les travaux sur le nouveau COM, de faire un point sur la manière dont s'est déroulé le dernier COM, et d'entendre vos suggestions au vu des enjeux globaux. Cela alimenterait ensuite les travaux interministériels, qui doivent cependant rester interministériels. Les commissions compétentes étant appelées à donner un avis au bout de six semaines, il serait encore possible de prendre en compte d'autres éléments.

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