Je tiens tout d'abord à saluer l'initiative prise par les auteurs de la proposition de loi. Elle a permis à l'Assemblée de discuter des questions soulevées lors du Grenelle contre les violences conjugales et d'aboutir, à l'issue du Grenelle, au présent texte. L'approche transpartisane qui a caractérisé son examen tient beaucoup à la capacité de dialogue et d'écoute du rapporteur, issu du groupe Les Républicains. Je tiens à l'en remercier.
Nous nous réjouissons que la CMP ait maintenu quasi à l'identique les dispositions initiales importantes de la proposition de loi. Celles qui visent à faciliter le recours à l'ordonnance de protection, à en faire un dispositif connu de tous et dissuasif, en constituent le coeur ; elles sont essentielles. Elles s'inspirent de la politique efficace mise en place par des pays voisins, en particulier l'Espagne – je n'y reviens pas.
La généralisation du bracelet électronique dans les procédures pénales, tant au stade de la comparution immédiate et du contrôle judiciaire que de la condamnation pour violences conjugales, était attendue par la quasi-totalité des acteurs confrontés à ces situations aussi graves que complexes. C'est désormais chose faite, et c'est un point majeur de la loi.
La précision selon laquelle il n'est pas nécessaire de déposer une plainte avant de solliciter une ordonnance de protection est bienvenue, car cette démarche est souvent ignorée dans les tribunaux, au profit de la voie pénale.
La CMP a ajouté une disposition relative au retrait de l'autorité parentale au conjoint violent. Si nous ne pouvons que nous satisfaire, sur le fond, d'une telle mesure, nous pouvons toutefois regretter, en tant que législateur, qu'elle ait été introduite en CMP, ce qui nous prive d'un débat sur ce point.
Par ailleurs, je tiens à exprimer deux regrets minimes concernant ce texte.
D'une part, l'acquisition et la détention d'armes seront interdites aux personnes à l'encontre desquelles une ordonnance de protection a été prononcée si et seulement si le juge aux affaires familiales le décide, et non pas automatiquement. Selon moi, nous aurions pu nous simplifier la vie à ce sujet.
D'autre part, l'article 1er B, qui prévoyait que l'inscription au registre de main courante ne pouvait se substituer au dépôt de plainte en cas de violences conjugales, n'a pas été retenu. L'argument selon lequel la main courante n'a aucune existence procédurale ne me paraît pas refléter la réalité. Les mains courantes existent bel et bien, et les personnes victimes de violences conjugales en usent régulièrement en lieu et place d'une plainte.
Le présent texte est utile, mais une réforme globale organisant la lutte contre les violences intrafamiliales, tant son volet préventif que son volet répressif, et traitant l'aspect financier demeure attendue. Peut-être la deuxième proposition de loi, que vous avez évoquée, madame la ministre, permettra-t-elle de compléter le dispositif.
Je tiens à faire trois remarques, en me fondant sur le constat dressé, sur le terrain, par les acteurs locaux et les victimes.
Premièrement, l'organisation précise des acteurs sur le territoire et leurs rôles respectifs mériteraient d'être discutés ici.
Deuxièmement, le dépôt de plainte est douloureux et dangereux. Il est donc nécessaire de prévoir un accompagnement des victimes que l'officier de police ou de gendarmerie n'est pas en mesure de fournir, compte tenu de sa charge de travail et des priorités multiples qui s'imposent à lui. Dès lors, ce sont les intervenants sociaux placés auprès des groupements de gendarmerie ou des commissariats qui ont vocation à permettre une prise en charge immédiate face à des situations dont l'appréhension nécessite du temps. Le Premier ministre a annoncé la création de quatre-vingts postes d'ici à 2021, et c'est une très bonne chose. Toutefois, il nous apparaît difficile d'attendre autant si nous voulons donner dès à présent toute son efficacité à la lutte contre les violences faites aux femmes.
Par ailleurs, bien que la lutte contre la précarité sociale entre dans le champ des compétences obligatoires des conseils départementaux, seuls quelques-uns d'entre eux ont accepté de participer au financement de tels postes. Selon moi, il serait utile de généraliser le dispositif avec le soutien de l'État.
Troisièmement, le parcours judiciaire des victimes de violences conjugales est d'une complexité et d'un coût tels que celles-ci subissent une double peine – j'ai évoqué hier cette question avec vous, madame la ministre. Nous voulons éviter la forme la plus grave de ces violences, le meurtre, et cela justifie que nous prenions sans délai des mesures à effet immédiat. Cependant, au-delà du deuil à affronter, la famille se trouve démunie face à la procédure judiciaire et aux frais de justice importants qu'elle induit.
Par conséquent, une information substantielle doit être délivrée par le service public de la justice, par tout moyen. En outre, le montant de l'aide juridictionnelle est trop faible pour permettre à la famille de la victime de recourir à l'avocat de son choix. Nous devons transformer ce dispositif en une avance forfaitaire recouvrable lorsque l'auteur du crime est solvable et faire en sorte que le service public de la justice veille à informer chacun de ses droits.
Le présent texte constitue une avancée indéniable. Nous le voterons sans réserve et nous observerons tous, ici et dans les territoires, la manière dont il se concrétise.
Plus de 220 000 femmes sont victimes de violences conjugales chaque année ; depuis le 1er janvier dernier, 142 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint. Dans ce contexte, nous devons poursuivre nos efforts et compléter ces dispositions législatives par des mesures budgétaires et d'autres mesures concrètes, notamment celles que je viens de vous exposer, qui correspondent à l'attente des victimes, en réelle souffrance.
Le groupe Socialistes et apparentés votera la proposition de loi.