Intervention de Pierre-Henri Dumont

Réunion du lundi 30 octobre 2017 à 16h20
Commission élargie : finances - lois constitutionnelles - affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Henri Dumont, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères :

Je me réjouis que les problématiques relatives à la politique migratoire et à l'asile fassent l'objet d'un large débat. J'estime pour ma part que ce dernier doit être le plus ouvert possible et que nous devons nous abstenir de tout manichéisme pour examiner froidement où se situe l'intérêt de la France et des Français. Je m'exprimerai avec une double casquette : celle de rapporteur pour avis mais aussi celle d'élu du Calaisis qui connaît concrètement les effets que peuvent avoir les désordres du monde sur le territoire de la République française.

Je prends note de l'effort continu de la France depuis quelques années pour étoffer et améliorer son système d'accueil des demandeurs d'asile alors que la pression migratoire à nos frontières s'est fortement accrue. Les efforts accomplis pour rationaliser les procédures et permettre la montée en puissance de l'OFPRA me semblent tout à fait essentiels. La réduction des délais d'examen des demandes d'asile est en effet une clef pour prévenir l'enracinement d'étrangers non éligibles à la protection.

Je juge également très favorablement la tradition d'accueil de la France à l'égard des réfugiés. Notre pays est assez impliqué dans la réinstallation de réfugiés depuis le Liban, la Jordanie, la Turquie et bientôt le Tchad et le Niger, en partenariat avec le Haut-commissariat aux réfugiés (UNHCR). Ces efforts nous font honneur. Mais tous nos interlocuteurs nous ont dit combien l'intégration des réfugiés était compliquée. Nous devons donc absolument mettre l'accent sur le deuxième volet de notre politique d'accueil – j'espère que votre futur projet de loi, monsieur le ministre d'État, traduira une réelle ambition à ce sujet.

Enfin, nous ne parviendrons pas à maîtriser le phénomène migratoire sur notre territoire à moins de mettre fin au cabotage à grande échelle entre les systèmes d'asile que l'on observe au sein de l'Union européenne. Il est donc absolument impératif que l'on s'accorde sur des règles communes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile.

J'en viens à la question qui me préoccupe plus particulièrement : l'analyse des flux migratoires et les conséquences que l'on peut en tirer pour la France. Lorsque vous êtes venu devant notre commission il y a deux semaines, monsieur le ministre d'État, vous nous avez décrit une inflexion très nette des flux migratoires à destination de l'Europe depuis le pic de 2015, année où 1,2 million de migrants avaient franchi les frontières maritimes de l'Union. En 2016, ils n'étaient plus de 380 000 et, à la mi-octobre, on recensait environ 145 000 franchissements illégaux des frontières maritimes pour l'année 2017. Vous nous avez présenté les ressorts de cette évolution, dont certains sont bien connus : l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, tout d'abord, conclu en mars 2016, qui a drastiquement réduit les arrivées en Grèce ; la baisse des flux via la Libye, ensuite, d'où provenait depuis lors l'essentiel des arrivées. Actuellement, on dénombrerait environ 5 000 arrivées par mois en Italie contre 15 000 en 2016. Vous avez cité plusieurs facteurs concourant à cette inflexion tels que la formation des garde-côtes libyens et l'action volontariste des Italiens. Les auditions que j'ai menées ont également fait apparaître une baisse des arrivées de migrants en Libye, sans doute parce que les pays d'origine sont mieux informés des conditions de vie délétères dans ce pays, mais aussi parce ses frontières méridionales et occidentales seraient mieux gardées.

La question qui nous importe, évidemment, est de savoir si ces évolutions peuvent être considérées comme pérennes. Or, à l'examen approfondi des facteurs susmentionnés, le constat qui domine est celui d'une grande fragilité : fragilité apparente de l'accord UE-Turquie dans un contexte où nos relations avec ce pays sont quelque peu tourmentées, fragilité aussi des facteurs libyens, qui dépendent de la situation politique encore loin d'être stabilisée, fragilité enfin de toute politique axée sur le verrouillage des principales voies, dans un contexte où la pression migratoire est forte et durable. Elle l'est en effet : la composition des flux migratoires en est un bon indicateur. Nous savons que les migrants qui arrivent actuellement en Italie sont en majorité des migrants « économiques ». Le réchauffement climatique et le manque d'emploi pour une jeunesse nombreuse dont la proportion va s'accroître encore au cours des prochaines décennies figurent parmi les facteurs qui les poussent à tenter l'aventure migratoire.

Ces causes sont appelées à s'amplifier. La France ne peut donc se contenter d'applaudir la baisse actuelle des flux, d'autant qu'elle risque d'être très concernée par les flux à venir. Les nationalités les plus représentées parmi les migrants arrivant actuellement en Italie sont soit anglophones soit francophones – ces derniers provenant principalement de Côte d'Ivoire, de Guinée, du Sénégal, du Maroc et du Mali. Tous ces migrants ont de bonnes raisons de vouloir venir en France, soit parce que d'importantes communautés auxquelles ils appartiennent y sont déjà implantées, soit parce qu'ils aspirent in fine à rejoindre le Royaume-Uni.

Dans ces conditions, nous ne pouvons pas considérer que le problème migratoire du Calaisis a été résolu avec le démantèlement de la « jungle », il y a un an. Il est vrai que, depuis, cette région est quelque peu sortie du radar médiatique mais cette relative accalmie ne doit pas laisser penser que tout va bien aujourd'hui. Au contraire, les responsables locaux signalent que les migrants ont recommencé à affluer dans la ville et ses alentours ; ils seraient déjà près de mille. La réponse du Gouvernement consiste à les empêcher de se fixer pour éviter la naissance d'une nouvelle jungle, comme tant de fois par le passé. Le problème de fond, cependant, n'a pas été traité. En réalité, les migrants de Calais passent complètement entre les mailles de notre dispositif. La plupart d'entre eux ne souhaitent pas demander l'asile en France, puisqu'ils veulent rejoindre le Royaume-Uni, et leur présence ne peut être sanctionnée puisque le délit de séjour illégal a été supprimé.

Avec une telle pression migratoire, la dégradation, dans les années à venir, de la situation du Calaisis semble donc inéluctable. Ériger des barrières ne changera pas fondamentalement la donne mais ne fera que reporter un peu la pression vers d'autres ports de la Manche, comme c'est déjà le cas aujourd'hui à Dunkerque, à Dieppe et à Ouistreham. Je crois donc qu'il serait de bonne politique que le Gouvernement n'attende pas qu'il y ait cinq à dix mille migrants à Calais pour apporter une solution de fond à cette problématique : la géographie restera ce qu'elle est.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous dire en quoi le projet de loi sur l'immigration et l'asile que vous présenterez bientôt apportera des solutions durables à ces régions du nord ? Il semble évident que ces solutions devront passer par des discussions avec nos amis britanniques pour mieux répartir la charge des migrants de Calais. À l'heure actuelle, la réponse du Royaume-Uni est exclusivement sécuritaire – barrières, barbelés, éclairages sur l'autoroute – mais pas un euro ne va au territoire du Calaisis. Lors du démantèlement de Sangatte, en 2002, les Britanniques avaient accueilli 80 % des migrants présents dans le camp. Ne peut-on pas imaginer un système d'échange du même type ?

Enfin, avec le Brexit, la frontière nord de la France va devenir une frontière extérieure de l'Union. À ce titre, elle pourrait bénéficier d'un soutien financier renforcé de la part des institutions européennes et de Frontex. Avez-vous ouvert des discussions au sein de l'Union européenne à ce sujet ?

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