COMMISSION ÉLARGIE
(Application de l'article 120 du Règlement)
Lundi 30 octobre 2017
Présidence de M. Laurent Saint-Martin, vice-président de la commission des finances, de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois et de Mme Marielle de Sarnez, présidente de la commission des affaires étrangères
La réunion de la commission élargie commence à seize heures vingt.
projet de loi de finances pour 2018
Immigration, asile et intégration
Monsieur le ministre d'État, nous sommes heureux de vous accueillir en commission élargie afin de vous entendre sur les crédits du projet de loi de finances pour 2018 consacrés à la mission « Immigration, asile et intégration ».
La commission des affaires étrangères a consacré beaucoup de temps à débattre d'immigration, d'asile et d'intégration, questions essentielles pour la France mais qui ne peuvent être traitées sans tenir compte du niveau européen. Notre pays accuse un grand retard dans l'harmonisation de ses procédures d'asile. Or, tant qu'il y aura en la matière une différence très importante entre l'Allemagne et les pays scandinaves, d'une part, et la France, d'autre part, les déboutés du système d'asile de ces pays viendront en France et les procédures d'examen de leurs demandes recommenceront ad vitam aeternam. Au-delà du spectre européen, il faut travailler avec les pays d'origine et de transit, ce qui soulève les questions de notre politique de développement, de nos relations bilatérales et de celles de l'Union européenne avec les pays tiers. Cela amène aussi à s'interroger sur notre politique de visas et sur le traitement de la migration économique. Comment organiser le retour et la réinstallation des migrants économiques ? Comment organiser des voies d'accès légal ? C'est bien d'une stratégie globale que nous avons besoin. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères est heureuse d'être saisie pour avis de l'examen des crédits de cette mission.
La mission « Immigration, asile et intégration » est très importante pour la commission des lois puisqu'elle regroupe l'ensemble des crédits dédiés à la maîtrise des flux migratoires, à l'intégration des immigrés en situation régulière et à la garantie du droit d'asile. Notre commission sera saisie dans les mois qui viennent d'un projet de loi relatif à ces questions, auxquelles nous serons donc particulièrement attentifs.
La rapporteure pour avis de notre commission, Mme Élodie Jacquier-Laforge s'est beaucoup impliquée en la matière : nous nous sommes rendues ensemble un après-midi au centre d'accueil de La Chapelle où nous avons pu longuement échanger avec les nombreux bénévoles d'Emmaüs solidarité. Je salue d'ailleurs tous ces bénévoles qui accueillent les migrants en situation régulière ou irrégulière et qui font un travail remarquable au quotidien, dans des situations parfois très compliquées.
Nous abordons avec cette mission un sujet sensible qui revêt un aspect humain et qui implique d'avoir une vision très large de la situation, prenant en compte les relations de la France et de l'Europe avec d'autres continents, en particulier avec le continent africain, dont les habitants soit trouveront les moyens de se développer chez eux, soit continueront à venir en Europe.
Les crédits de cette mission augmentent fortement – de 26 %. Ainsi, puisque le programme 303 sera doté d'un milliard d'euros et le programme 104 de 283 millions. Pourquoi cette évolution ?
Tout d'abord, la dynamique soutenue des flux migratoires conduit mécaniquement à une hausse des dépenses. En 2016, 85 726 demandes d'asile ont été enregistrées, en hausse de 6,6 %. Au cours des six premiers mois de l'année 2017, le nombre de demandeurs d'asile a augmenté de 10 %, 40 % de ces demandeurs ayant déjà introduit une procédure dans un autre pays et en ayant été déboutés.
L'Italie a dû faire face à une arrivée croissante de migrants en provenance de Libye au cours des deux dernières années. En 2016, 180 000 personnes sont arrivées depuis les côtes libyennes, et 91 000 personnes supplémentaires depuis le début de cette année. Des mesures drastiques ont donc été prises qui se sont traduites par une baisse des flux en Italie, de 56 % en juillet et de 70 % en août. Maintenant, de nombreux migrants arrivés en Europe au cours des deux ou trois dernières années tentent de venir en France. À la frontière italienne, ce sont chaque semaine 1 000 à 1 400 migrants qui, non admis en Italie, pourraient gagner notre territoire.
Il y a eu en Allemagne 850 000 demandeurs d'asile en 2015 et 450 000 en 2016. Si 400 000 à 500 000 d'entre eux ont été déboutés, seuls 80 000 ont reconduits. De nombreux déboutés du droit d'asile en Allemagne cherchent donc à aller dans d'autres pays. Dans l'espace Schengen, environ 450 000 à 500 000 déboutés essaient d'aller de frontière en frontière. D'où la nécessité d'harmoniser nos procédures.
Alors qu'il n'y avait pratiquement plus d'éloignements au cours des dernières années, nous nous sommes efforcés de reprendre ces actions en 2017, en particulier dans le cadre de la procédure prévue par le règlement de Dublin. Les éloignements ont augmenté de 6,5 % au cours des neuf premiers mois de l'année et de 123 % pour les « Dublinés ». Mais un récent arrêt de la Cour de cassation va nous poser des difficultés et nous serons sans doute obligés de prendre une disposition législative en conséquence.
La croissance du nombre de demandes de ressortissants des pays considérés comme sûrs, tels que l'Albanie, est exponentielle : on compte 4 200 pour le seul premier semestre 2017, contre 4 400 pour toute l'année 2016 à personnes. Les autorités albanaises, avec lesquelles nous avons dialogué, sont prêtes à reprendre les personnes venues en France de manière indue, c'est-à-dire qui arrivent chez nous sans visa et demandent immédiatement l'asile. Les Albanais occupent 20 % du dispositif national d'asile, au prix d'une embolie de l'ensemble de nos structures.
Nous voulons à la fois mener une politique de fermeté indispensable et accueillir les personnes qui attendent le traitement de leur demande. C'est pourquoi nous vous présenterons un projet de loi sur l'asile et l'immigration.
Pour faire face à l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile, nous créerons en 2018 4 000 places d'hébergement, dont 1 500 en centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) et 2 500 en centre d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile (HUDA). Ambitieux, le plan du Gouvernement répond aux besoins.
Nous voulons accueillir mais aussi mieux intégrer ces demandeurs. Les crédits des actions d'intégration augmentent donc de 44 %, ce qui représente un effort de 8 millions d'euros. Les crédits du programme « Intégration et accès à la nationalité française » augmenteront de 18 % pour atteindre 283 millions. À moyen terme, la croissance des dépenses des programmes « Immigration et asile », de 242 millions, et du programme « Intégration et accès à la nationalité française », de 43 millions, devrait pouvoir être stabilisée – à tout le moins pour le premier.
Nous mettons aussi à disposition des moyens humains pour mieux traiter les problèmes. Nous allons créer quinze équivalents temps plein (ETP) à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et trente-cinq à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).
Le Gouvernement veut vous présenter un budget sincère, ce qui n'a pas toujours été le cas puisqu'en 2016, par exemple, il avait fallu ouvrir 101 millions d'euros de crédits en fin d'année, parce que la dépense avait été sous-estimée au départ. Cela avait conduit la Cour des comptes à dire dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances que les dépenses de ce programme étaient sous-budgétisées. Entre la loi de finances initiale et son exécution, l'écart devrait être moins grand en 2018 qu'en 2017. Cela nous semble essentiel pour que ces lois ne soient pas de pur affichage.
Enfin, dans quelques semaines nous solderons, en loi de finances rectificative, les dette de notre programme. En effet, jusqu'à une période récente, c'était Pôle Emploi qui versait l'allocation ayant préexisté à la création de l'aide aux demandeurs d'asile (ADA). Cette dette s'élève à 150 millions d'euros, ce qui explique en partie l'augmentation des crédits.
J'associe à mon propos Stanislas Guerini, co-rapporteur spécial de cette mission. Le budget de la mission « Immigration, asile et intégration » s'élève à près de 1,4 milliard d'euros. Les autorisations d'engagement progressent de 10 % et les crédits de paiement de 26 %.
Cette évolution traduit la volonté du Gouvernement d'améliorer ses prévisions, en tenant compte des corrections budgétaires des années précédentes, pour rendre le budget plus sincère, conformément aux recommandations de la Cour des comptes. Nous saluons la décision, que vous venez d'annoncer, de rembourser la dette de Pôle emploi. Ce budget traduit aussi les engagements pris dès juillet par le Président de la République en faveur du logement des demandeurs d'asile et de l'intégration des réfugiés.
Le développement des conflits en Afrique subsaharienne et au Proche-Orient ont accéléré les flux migratoires, exerçant une pression inédite sur les dispositifs d'asile et d'hébergement. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité, dans notre rapport, nous concentrer sur ces dispositifs, développés dans l'urgence.
L'une des difficultés d'analyse de ces crédits réside dans le manque de prévisibilité des flux et dans le chevauchement des politiques publiques sur des programmes extérieurs à la mission, comme le programme 177 qui finance également la politique migratoire, pour un montant non évalué.
Avant d'entrer dans le détail, je tiens à saluer le travail des bénévoles, des associations et des personnels de l'OFII et de l'OFPRA qui accompagnent les demandeurs d'asile tout au long de leur parcours. Ils sont le visage que la France présente au reste du monde et oeuvrent à leur mission avec humanité et responsabilité.
Nous axerons notre propos sur les trois points que nous avons soulevés dans notre rapport : délais d'instruction, hébergement et intégration.
Durant nos auditions, nous avons pu constater que l'objectif, fixé par le Gouvernement, de traitement des demandes d'asile en six mois pouvait se heurter à deux difficultés. En premier lieu, le délai de deux mois, prévu pour l'OFPRA, ne pourra être tenu que si les demandeurs d'asile reçoivent à temps leur convocation à l'entretien d'examen de leur situation, ce qui risque d'être difficile pour les personnes qui ne sont pas hébergées ou en cas de besoin d'interprétariat très spécifique. Quelles mesures seront-elles prises pour adapter en conséquence le fonctionnement des structures de premier accueil des demandeurs d'asile ? En second lieu, les recrutements qui permettront à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) de réduire ses délais de procédure dépendent de la mise à disposition de locaux adaptés. Pourriez-vous préciser, même si cela n'est pas directement de votre ressort, le calendrier prévu en la matière ?
Concernant l'hébergement des demandeurs d'asile et des réfugiés, nous nous félicitons de l'ouverture, dès 2018, de 4 000 places dans le dispositif national d'accueil et de 3 000 places en centre provisoire d'hébergement. À ce sujet, nous avons relevé trois éléments. Tout d'abord, les places de CADA sont plus onéreuses que certaines places en HUDA. Mais à terme, les meilleures conditions d'accueil et d'accompagnement en CADA pourraient permettre à l'État de faire des économies, en ce qu'elles favoriseront l'insertion des réfugiés. Ne devrait-on pas convertir davantage de places de HUDA en places de CADA ? Quelles mesures seront-elles prises pour atteindre les objectifs ambitieux de relèvement du taux d'hébergement envisagé d'ici à 2020 ?
Ensuite, nos auditions nous ont confirmé que les guichets uniques étaient engorgés. Au vu de l'exemple allemand, il semblerait vertueux de rapprocher l'hébergement de l'examen de la situation administrative et de l'ouverture des droits par l'OFII. Les centres d'accueil et d'évaluation des situations (CAES) semblent apporter une partie de la solution : souhaitez-vous étendre cette expérimentation au reste du territoire ?
Enfin, les associations nous ont rappelé l'importance pour elles du principe d'inconditionnalité de l'accueil qui pourrait entrer en contradiction avec la spécialisation des centres d'hébergement en fonction de la situation administrative des demandeurs d'asile. Comment comptez-vous les rassurer ?
Nous nous félicitons du renforcement des formations linguistiques et du déploiement de nouvelles actions en faveur de l'intégration des réfugiés prévues dans le projet de loi de finances. Nos auditions ont mis en évidence le besoin d'accompagner les personnes de manière à la fois plus globale, en intervenant conjointement par tous moyens susceptibles d'accélérer leur intégration, et plus individualisée. Sur ce point, les initiatives des associations donnent de très bons résultats : quelles mesures peut-on prendre pour les diffuser à plus large échelle ?
Je conclurai mon propos par les deux articles rattachés. L'article 56 vise à adapter le contrat d'intégration républicaine (CIR) à la situation de Mayotte. Nous regrettons que les conditions d'application de ce contrat ne soient pas encore réunies dans l'île et espérons que des solutions adaptées et concertées se dégageront des assises des outremer. L'article 57 vise, quant à lui, à rationaliser la distribution de l'ADA. Nous vous proposerons un amendement pour mettre en cohérence, pour les déboutés du droit d'asile, le délai de sortie de l'ADA avec leur sortie des CADA.
Comme l'ensemble de ses partenaires européens, la France est le point d'arrivée de flux migratoires sans précédent. Si les entrées irrégulières en Europe ont diminué, la pression migratoire demeure très élevée en France, en raison notamment des importants flux secondaires intra-européens entraînés par les entrées sur le territoire européen au cours de l'année 2015. Avec 85 000 demandes d'asile déposées en 2016, soit 40 % de plus qu'en 2012, la France se classe désormais au troisième rang des pays d'accueil de demandeurs au sein de l'Union européenne, derrière l'Allemagne et l'Italie, qui ont reçu respectivement 720 000 et 120 000demandes.
Face à cette situation, le Gouvernement s'est engagé dans une démarche résolue dans le cadre du plan intitulé « Garantir le droit d'asile, mieux maîtriser les flux migratoires », présenté le 12 juillet 2017, dont le Président de la République a résumé l'esprit à Orléans cet été : « loger tout le monde dignement » et instituer « partout, dès la première minute, un traitement administratif ». Accueillir les demandeurs, les orienter et traiter leurs demandes supposent des moyens supplémentaires. C'est précisément ce que prévoit le projet de loi de finances pour 2018, première étape de ce plan, en augmentant les crédits dédiés à l'asile de 33 % par rapport à 2017.
Ces crédits permettront notamment de poursuivre la mise à niveau de notre parc d'hébergement dédié aux demandeurs d'asile et de renforcer les effectifs de l'OFPRA et de la CNDA afin de réduire les délais de traitement des demandes d'asile.
Des moyens supplémentaires sont également alloués à l'OFII pour financer les formations linguistiques dispensées aux étrangers munis d'un titre de séjour – dont font partie les personnes à qui on vient d'accorder l'asile – et faciliter leur intégration dans la société française.
Dans mon rapport, je me suis intéressée plus particulièrement à la gestion territoriale des flux de demandes d'asile.
Le système français d'asile repose sur un dispositif déconcentré : le demandeur est libre de déposer son dossier au sein d'un des trente-trois points d'accueil présents sur le territoire national. D'autres pays ont fait des choix différents : les Pays-Bas disposent par exemple d'un point d'entrée unique, qui traite ensuite l'ensemble des demandes alors que l'Allemagne prévoit un point d'entrée unique mais répartit ensuite, selon une clé de répartition préalablement définie, les demandeurs au sein des différents Länder.
On assiste depuis deux ans à une très forte polarisation des demandes – à hauteur de 40 % environ – dans la région parisienne. Elles viennent pour une large part de personnes ayant déjà déposé une demande dans un autre pays européen et relevant de la procédure de Dublin, qui représentent désormais près de 80 % des accueils au centre de premier accueil de la porte de La Chapelle. Pour « desserrer » la pression qui pèse sur l'Île-de-France, éviter l'installation de campements illégaux sur la voie publique et répondre au besoin urgent d'hébergement, le dispositif des centres d'accueil et d'orientation (CAO), créés initialement pour désengorger le Calaisis, est très fortement sollicité. Quel bilan faites-vous de leur activité ? Les migrants franciliens orientés vers les différentes régions font-ils l'objet d'un suivi ? La région parisienne exerce, vous le savez, un fort pouvoir d'attraction et les migrants orientés vers les CAO de région n'ont pas forcément envie de s'y installer : comment les accompagner plus efficacement dans cette démarche ?
Par ailleurs, les structures chargées de l'accueil des demandeurs sont engorgées : les délais de prise de rendez-vous dans les plateformes d'accueil dépassent par exemple une semaine en Seine-Saint-Denis. Pour les guichets uniques, la situation est très contrastée : alors que le délai légal est de trois jours, dans les faits, il est de dix jours à Orléans, de quinze jours à Lyon et de vingt-sept jours en moyenne en région parisienne. Cette disparité entraîne chez les demandeurs un certain « nomadisme administratif » qui conduit à multiplier les prises de rendez-vous et à accroître d'autant l'activité des services chargés de l'enregistrement des demandes. Quels moyens supplémentaires seront-ils accordés aux guichets uniques pour répondre à cet afflux de demandes ? Comment mieux prendre en compte les comportements des demandeurs dans l'affectation des ressources aux différents points des territoires ? Comment harmoniser le traitement des demandes par les associations chargées du premier accueil dans les différentes plateformes ?
Enfin, le pilotage régional de l'hébergement pour demandeurs d'asile instauré par la loi du 29 juillet 2015 a permis de corriger, sans les effacer totalement, trois effets non désirés de la régionalisation de l'admission au séjour instituée en 2010 : la concentration des flux dans les chefs-lieux de région, la multiplication des interlocuteurs et l'allongement des distances pour les demandeurs d'asile. L'organisation territoriale des services chargés de l'asile demeure en effet encore problématique dans les territoires les plus éloignés des grandes métropoles, obligeant les demandeurs à multiplier les déplacements, ce qui peut entraîner des coûts importants pour eux et pour les associations qui les accompagnent, et, parfois, une certaine déperdition au cours de la procédure. Comment mieux prendre en compte la situation de ces publics afin de leur garantir un accès plus équitable à la demande d'asile ?
Je me réjouis que les problématiques relatives à la politique migratoire et à l'asile fassent l'objet d'un large débat. J'estime pour ma part que ce dernier doit être le plus ouvert possible et que nous devons nous abstenir de tout manichéisme pour examiner froidement où se situe l'intérêt de la France et des Français. Je m'exprimerai avec une double casquette : celle de rapporteur pour avis mais aussi celle d'élu du Calaisis qui connaît concrètement les effets que peuvent avoir les désordres du monde sur le territoire de la République française.
Je prends note de l'effort continu de la France depuis quelques années pour étoffer et améliorer son système d'accueil des demandeurs d'asile alors que la pression migratoire à nos frontières s'est fortement accrue. Les efforts accomplis pour rationaliser les procédures et permettre la montée en puissance de l'OFPRA me semblent tout à fait essentiels. La réduction des délais d'examen des demandes d'asile est en effet une clef pour prévenir l'enracinement d'étrangers non éligibles à la protection.
Je juge également très favorablement la tradition d'accueil de la France à l'égard des réfugiés. Notre pays est assez impliqué dans la réinstallation de réfugiés depuis le Liban, la Jordanie, la Turquie et bientôt le Tchad et le Niger, en partenariat avec le Haut-commissariat aux réfugiés (UNHCR). Ces efforts nous font honneur. Mais tous nos interlocuteurs nous ont dit combien l'intégration des réfugiés était compliquée. Nous devons donc absolument mettre l'accent sur le deuxième volet de notre politique d'accueil – j'espère que votre futur projet de loi, monsieur le ministre d'État, traduira une réelle ambition à ce sujet.
Enfin, nous ne parviendrons pas à maîtriser le phénomène migratoire sur notre territoire à moins de mettre fin au cabotage à grande échelle entre les systèmes d'asile que l'on observe au sein de l'Union européenne. Il est donc absolument impératif que l'on s'accorde sur des règles communes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile.
J'en viens à la question qui me préoccupe plus particulièrement : l'analyse des flux migratoires et les conséquences que l'on peut en tirer pour la France. Lorsque vous êtes venu devant notre commission il y a deux semaines, monsieur le ministre d'État, vous nous avez décrit une inflexion très nette des flux migratoires à destination de l'Europe depuis le pic de 2015, année où 1,2 million de migrants avaient franchi les frontières maritimes de l'Union. En 2016, ils n'étaient plus de 380 000 et, à la mi-octobre, on recensait environ 145 000 franchissements illégaux des frontières maritimes pour l'année 2017. Vous nous avez présenté les ressorts de cette évolution, dont certains sont bien connus : l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, tout d'abord, conclu en mars 2016, qui a drastiquement réduit les arrivées en Grèce ; la baisse des flux via la Libye, ensuite, d'où provenait depuis lors l'essentiel des arrivées. Actuellement, on dénombrerait environ 5 000 arrivées par mois en Italie contre 15 000 en 2016. Vous avez cité plusieurs facteurs concourant à cette inflexion tels que la formation des garde-côtes libyens et l'action volontariste des Italiens. Les auditions que j'ai menées ont également fait apparaître une baisse des arrivées de migrants en Libye, sans doute parce que les pays d'origine sont mieux informés des conditions de vie délétères dans ce pays, mais aussi parce ses frontières méridionales et occidentales seraient mieux gardées.
La question qui nous importe, évidemment, est de savoir si ces évolutions peuvent être considérées comme pérennes. Or, à l'examen approfondi des facteurs susmentionnés, le constat qui domine est celui d'une grande fragilité : fragilité apparente de l'accord UE-Turquie dans un contexte où nos relations avec ce pays sont quelque peu tourmentées, fragilité aussi des facteurs libyens, qui dépendent de la situation politique encore loin d'être stabilisée, fragilité enfin de toute politique axée sur le verrouillage des principales voies, dans un contexte où la pression migratoire est forte et durable. Elle l'est en effet : la composition des flux migratoires en est un bon indicateur. Nous savons que les migrants qui arrivent actuellement en Italie sont en majorité des migrants « économiques ». Le réchauffement climatique et le manque d'emploi pour une jeunesse nombreuse dont la proportion va s'accroître encore au cours des prochaines décennies figurent parmi les facteurs qui les poussent à tenter l'aventure migratoire.
Ces causes sont appelées à s'amplifier. La France ne peut donc se contenter d'applaudir la baisse actuelle des flux, d'autant qu'elle risque d'être très concernée par les flux à venir. Les nationalités les plus représentées parmi les migrants arrivant actuellement en Italie sont soit anglophones soit francophones – ces derniers provenant principalement de Côte d'Ivoire, de Guinée, du Sénégal, du Maroc et du Mali. Tous ces migrants ont de bonnes raisons de vouloir venir en France, soit parce que d'importantes communautés auxquelles ils appartiennent y sont déjà implantées, soit parce qu'ils aspirent in fine à rejoindre le Royaume-Uni.
Dans ces conditions, nous ne pouvons pas considérer que le problème migratoire du Calaisis a été résolu avec le démantèlement de la « jungle », il y a un an. Il est vrai que, depuis, cette région est quelque peu sortie du radar médiatique mais cette relative accalmie ne doit pas laisser penser que tout va bien aujourd'hui. Au contraire, les responsables locaux signalent que les migrants ont recommencé à affluer dans la ville et ses alentours ; ils seraient déjà près de mille. La réponse du Gouvernement consiste à les empêcher de se fixer pour éviter la naissance d'une nouvelle jungle, comme tant de fois par le passé. Le problème de fond, cependant, n'a pas été traité. En réalité, les migrants de Calais passent complètement entre les mailles de notre dispositif. La plupart d'entre eux ne souhaitent pas demander l'asile en France, puisqu'ils veulent rejoindre le Royaume-Uni, et leur présence ne peut être sanctionnée puisque le délit de séjour illégal a été supprimé.
Avec une telle pression migratoire, la dégradation, dans les années à venir, de la situation du Calaisis semble donc inéluctable. Ériger des barrières ne changera pas fondamentalement la donne mais ne fera que reporter un peu la pression vers d'autres ports de la Manche, comme c'est déjà le cas aujourd'hui à Dunkerque, à Dieppe et à Ouistreham. Je crois donc qu'il serait de bonne politique que le Gouvernement n'attende pas qu'il y ait cinq à dix mille migrants à Calais pour apporter une solution de fond à cette problématique : la géographie restera ce qu'elle est.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous dire en quoi le projet de loi sur l'immigration et l'asile que vous présenterez bientôt apportera des solutions durables à ces régions du nord ? Il semble évident que ces solutions devront passer par des discussions avec nos amis britanniques pour mieux répartir la charge des migrants de Calais. À l'heure actuelle, la réponse du Royaume-Uni est exclusivement sécuritaire – barrières, barbelés, éclairages sur l'autoroute – mais pas un euro ne va au territoire du Calaisis. Lors du démantèlement de Sangatte, en 2002, les Britanniques avaient accueilli 80 % des migrants présents dans le camp. Ne peut-on pas imaginer un système d'échange du même type ?
Enfin, avec le Brexit, la frontière nord de la France va devenir une frontière extérieure de l'Union. À ce titre, elle pourrait bénéficier d'un soutien financier renforcé de la part des institutions européennes et de Frontex. Avez-vous ouvert des discussions au sein de l'Union européenne à ce sujet ?
Le projet de loi que nous vous présenterons, monsieur Barrot, vise précisément à réduire les délais de traitement des demandes d'asile. Le Président de la République a évoqué un délai de six mois, afin d'apporter une réponse aussi rapidement que possible à celles et ceux qui viennent demander l'asile en France. Dans la situation actuelle, en effet, les délais sont exceptionnellement longs, en raison des voies de recours notamment ; de ce fait, certains demandeurs d'asile restent plusieurs années en France et y ont des enfants, ce qui complique beaucoup la possibilité de les éloigner du territoire. En six mois, nous devons pouvoir déterminer qui sont les réfugiés et qui sont les migrants économiques provenant de pays sûrs, dont les problèmes doivent être résolus par le développement de leurs pays. L'Union européenne prend aujourd'hui cette question en main. Nous avons ouvert de nouveaux centres d'accueil et d'orientation (CAO) dans le Nord et dans le Pas-de-Calais, qui nous permettront, tout en accueillant les demandeurs, de déterminer assez vite qui peut bénéficier du droit d'asile et qui ne le peut pas, afin de traiter les problèmes dans les meilleurs délais.
Vous le savez, notre système d'asile est devenu un empilement extraordinaire de dispositifs, depuis les CADA et les HUDA jusqu'aux CAO et aux programmes d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile (PRAHDA), avec des modes de financement différents. Nous avons donc empilé les structures au fur et à mesure des problèmes : les CAO, par exemple, ont été établis en urgence afin de créer massivement des centres en province suite au démantèlement de la « jungle » de Calais. De même, le marché des PRAHDA passés l'an dernier avec Adoma a permis de racheter un certain nombre d'hôtels Formule 1 pour les transformer en centres d'hébergement de demandeurs d'asile ; ce n'est pas ainsi que l'on réglera les problèmes. Nous devons nous donner l'ambition de les résoudre de manière approfondie plutôt que de superposer les mesures année après année. Le nombre de places de demandeurs d'asile a été multiplié par 2,5 ces dernières années : nous pourrions continuer ainsi à l'infini.
Le problème de l'inconditionnalité se posera. Je vous répondrai en toute transparence : nous aurons une discussion assez difficile avec les associations qui s'occupent de l'hébergement d'urgence. À examiner qui occupe les places, on constate en effet que beaucoup sont des déboutés du droit d'asile. Selon les associations, il ne leur appartient pas de régler ce problème et je me comprends, mais le Gouvernement et le ministère de l'intérieur, eux, le doivent. Nous devrons donc leur expliquer qu'il n'est pas possible que des personnes sorties du système national de l'asile puissent bénéficier de nouveau de l'hébergement d'urgence à titre permanent. L'inconditionnalité porte sur une situation immédiate, et non sur une situation se substituant aux dispositions prévues dans le cadre du droit d'asile.
Le problème qui se pose à Mayotte, qu'abordera la loi sur l'outre-mer visant à adapter le droit national aux différents territoires, tient à la difficulté d'appliquer le contrat d'intégration républicaine (CIR) parce que 60 % des personnes concernées ne parlent pas français. C'est pourquoi nous en avons reporté l'entrée en vigueur d'un an dans ce territoire ; nous examinerons cette question avec la ministre des outre-mer.
L'article 57 du projet de loi de finances réduit à un mois, pour les déboutés, le délai au terme duquel intervient la cessation du versement de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA). Les délais actuels ont plutôt tendance à encourager les déboutés à rester dans les lieux d'hébergement où ils se trouvent. Nous réaliserons grâce à cette mesure une économie de 30 millions d'euros, somme que nous pourrions réaffecter à la solution de problèmes d'intégration en prenant des mesures pour la lecture, l'insertion sociale et professionnelle ou encore le logement.
Mme Jacquier-Laforge a rappelé que la France est au troisième rang européen pour le nombre de demandes d'asile et a souligné à raison qu'il faut tout à la fois garantir le droit d'asile, qui est un droit imprescriptible pour tous les réfugiés en provenance de théâtres de guerre ou pour des raisons politiques – raison pour laquelle le Gouvernement s'est engagé auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés à accueillir 10 000 réfugiés remplissant les critères relatifs au statut international de réfugié – mais aussi maîtriser les flux de migrants économiques. Encore une fois, nous souhaitons travailler avec les pays d'émigration, en particulier le Niger, pour que la ville d'Agadez, qui était le point de départ de la plupart des flux migratoires, devienne un verrou mieux sécurisé afin d'empêcher des départs qui, pour beaucoup, trouvaient ces dernières années une issue fatale dans le désert ou dans la Méditerranée.
Quoi qu'il en soit, nous allons transformer plusieurs dispositifs en centres d'accueil et d'examen des situations administratives (CAES) : quatre ont ouvert dans le Nord et dans le Pas-de-Calais, un autre à Cergy-Pontoise. Nous voulons y faire à la fois de l'accueil et de l'orientation afin de déterminer si les intéressés relèvent ou non du droit d'asile.
C'est pour fluidifier les processus que nous consacrons des moyens à l'OFII et à l'OFPRA. Nous ajoutons par ailleurs 150 postes aux effectifs des préfectures, ce qui permettra de désengorger les services destinés aux étrangers, en particulier les guichets uniques des demandeurs d'asile (GUDA), car le temps d'attente entre la prise en charge par les associations et le traitement des dossiers au GUDA est infini, ce qui ralentit les procédures.
Pour mieux prendre en compte les territoires les plus éloignés, il convient que chaque préfecture se dote d'un dispositif minimal fonctionnel. Cela étant, l'arrivée de migrants se concentre davantage dans les grandes villes que dans les zones moins urbanisées. C'est d'ailleurs l'un des problèmes que nous connaissons à la frontière de Vintimille : les migrants qui parviennent à entrer en France se rendent à la préfecture pour demander le titre auquel ils pourraient prétendre lors de leur future visite au GUDA, mais ils ne font jamais cette visite ! Dans 80 % voire 90 % des cas, en effet, les rendez-vous ne sont pas honorés, les intéressés étant attirés par Paris et le centre de la porte de la Chapelle, qui concentre de ce fait une immigration considérable dans des conditions terribles. Mon sentiment profond est le suivant : il faut revoir ce dispositif qui ne fonctionne pas et qui crée un appel d'air en direction de la région parisienne, l'embolie récurrente du processus nous obligeant à répartir les personnes concernées dans les centres d'hébergement d'urgence pour migrants (CHUM) de la petite couronne ou dans les CAO des régions.
M. Dumont évoque un problème particulier. Si nous ne déployions pas les forces que nous déployons aujourd'hui, la jungle se reconstituerait à coup sûr à Calais, au point d'accueillir très vite sept mille, voire dix mille personnes, ce qui serait insupportable. C'est pourquoi nous avons refusé que se reconstitue une jungle à Grande-Synthe comme à Calais, au prix d'un travail quotidien. Dans ces quelques cas que sont les Alpes-Maritimes, Calais et la région parisienne, je demande un rapport hebdomadaire aux préfets afin de suivre le processus en temps réel. Je suis donc conscient des difficultés.
Les autorités britanniques ont accepté de financer un certain nombre d'infrastructures à hauteur de 150 millions d'euros, ce qui n'est pas complètement négligeable. Je dois rencontrer mon homologue britannique le 16 novembre, et nous évoquerons alors les sujets que vous soulevez, monsieur le député, car ils sont importants.
Il est vrai que le Brexit changera quelque peu la donne, puisque votre région deviendra une frontière extérieure de l'Union européenne. Nous pourrons ainsi déployer une force de Frontex, ce qui réorientera la discussion avec nos amis britanniques qui s'aperçoivent désormais que le Brexit n'est pas aussi confortable qu'ils ne l'avaient cru. Je pense à notre propre frontière, mais aussi à leur frontière avec l'Irlande, où les difficultés seront nombreuses.
Vous l'avez dit : la pauvreté dans un certain nombre de pays est un facteur d'émigration et nous devons parvenir à développer l'Afrique et à faire face aux problèmes de réchauffement climatique – car la désertification des terres exerce une pression sur les zones moins arides où naissent des conflits locaux qui exportent à leur tour des difficultés dans l'Europe entière. Vous parlez de fragilité : croyez-moi, je suis conscient de toutes les fragilités qui existent, et nous menons une lutte quotidienne sur tous les terrains, y compris le terrain diplomatique.
Dans son discours aux forces de sécurité intérieure du 18 octobre, le Président de la République affirmait que nous devions mieux accueillir et intégrer ceux qui ont vocation à rester sur notre territoire. À cet égard, le groupe de La République en marche salue le budget que vous nous avez présenté pour l'effort consenti en faveur de la réduction des délais des procédures d'asile afin de garantir une instruction rapide des demandes. Ce budget, à mettre en regard du plan d'action que vous avez présenté en conseil des ministres le 12 juillet, permet en effet une augmentation significative des effectifs de l'OFPRA, de l'OFII pour les tâches effectuées en guichet unique et, vous venez de le rappeler, des préfectures. Je m'associe toutefois à l'observation formulée par les deux co-rapporteurs spéciaux de la commission des finances : il faut aussi prêter une attention particulière aux structures de premier accueil.
D'autre part, nous savons combien la pauvreté, le désoeuvrement voire la délinquance peuvent résulter de la non-intégration. De ce point de vue, l'augmentation du budget comme les conditions prévues par votre plan d'action, en mettant davantage l'accent sur l'apprentissage de la langue, sont tout à fait essentielles.
Ma question porte plus précisément sur l'intégration par l'emploi. Une activité professionnelle est en effet fondamentale pour s'intégrer en société et pour accéder à l'autonomie et à l'émancipation. En outre, une personne dans l'emploi n'a pas besoin des dispositifs financés par l'État et, au contraire, participe à la création de richesse. Actuellement, un demandeur d'asile peut travailler à partir du neuvième mois après le dépôt de sa demande d'asile. Ne jugez-vous pas opportun, monsieur le ministre d'État, de ramener à six mois ce délai pendant lequel un demandeur d'asile n'est pas autorisé à travailler ? Si oui, quels moyens utiliser via l'OFII ou d'autres mécanismes à imaginer ou à valoriser ? Ne faudrait-il pas donner davantage la priorité aux CADA qui, en même temps que l'hébergement, proposent un accompagnement à l'emploi ? Ainsi, nous nous doterions non seulement d'une procédure de demande d'asile plus efficace et plus humaine, mais aussi d'un accompagnement à l'emploi lui aussi plus humain et plus efficace qui, de surcroît, serait source d'économies.
Permettez-moi, au nom du groupe Les Républicains, de vous poser quatre questions, monsieur le ministre d'État, pour vous inviter à préciser les objectifs de votre politique. La première a trait à l'immigration légale : le Gouvernement souhaite-t-il augmenter, diminuer ou stabiliser le nombre de visas et de cartes de séjour qui sont délivrés chaque année ?
S'agissant de la régularisation des étrangers en situation irrégulière, ensuite, maintenez-vous les instructions données par vos prédécesseurs des divers gouvernements Hollande ? Je rappelle que sous l'effet de la circulaire Valls de 2012, 151 000 clandestins ont été régularisés au cours des quatre dernières années. Entendez-vous abroger cette circulaire ?
Troisièmement, toujours au sujet de l'immigration illégale, avez-vous fixé un objectif quantitatif d'éloignements ? Le document budgétaire dont nous sommes saisis ne comporte aucun objectif chiffré en la matière pour 2018. Y a-t-il un objectif national ou préfectoral ? Quels sont les indicateurs qui nous permettront, le moment venu, d'évaluer la politique que vous conduisez ?
Ma dernière question porte sur un sujet rarement évoqué qui relève pourtant du domaine de compétences du ministre chargé de l'immigration : celui des naturalisations et, plus généralement, de l'accès à la nationalité française. Là encore, le Président de la République et son Gouvernement ont-ils des objectifs d'augmentation, de diminution ou de stabilisation du nombre de ressortissants étrangers qui sont appelés à rejoindre la communauté nationale par les diverses voies d'accès à la nationalité française ?
Nous sommes en début de législature mais, au-delà des questions d'intendance budgétaire qui sont tout à fait importantes, il convient également d'avoir les idées claires sur les objectifs de fond qui seront poursuivis ; c'est le sens de mes questions.
Permettez-moi de commencer par souligner l'importance du travail accompli par le rapporteur spécial, Jean-Noël Barrot, et la rapporteure pour avis, Élodie Jacquier-Laforge, qui ont effectué de nombreux déplacements et auditions afin de nous présenter deux rapports très complets.
La répartition des crédits budgétaires attribués à cette mission reflète à mon sens une volonté de continuité et d'équilibre. Une volonté de continuité, tout d'abord, car cette mission reprend les axes principaux du plan d'action gouvernemental du 12 juillet 2017 : ainsi les trois exigences – dignité, efficacité et solidarité – figurant dans ce plan sont replacées au coeur de la politique française d'immigration et d'intégration. Une volonté d'équilibre, ensuite, dans la répartition des crédits entre les différents acteurs qui travaillent chaque jour aux côtés des demandeurs d'asile. J'en citerai quelques exemples très significatifs : le budget de l'OFPRA, qui est chargé de recevoir et de traiter les demandes d'asile, augmentera de 8,6 % par rapport à l'an dernier ; l'Office sera également en mesure de mieux gérer l'accueil des réfugiés en situation régulière puisque ses dépenses de fonctionnement seront augmentées de 10 %. D'autre part, les crédits affectés au soutien à l'accès au logement et à l'emploi des réfugiés augmenteront considérablement, de 45 % environ.
Ce sont autant de signaux positifs qui correspondent aux valeurs du groupe du Mouvement démocrate et apparentés et nous nous félicitons de cette répartition. Nous appelons toutefois votre attention sur le nécessaire accompagnement des départements vers l'uniformisation des procédures d'identification et de prise en charge des mineurs isolés, car il existe encore trop de disparités selon les départements dont certains, comme le Pas-de-Calais et les Hautes-Alpes, font face à un afflux important de situations d'extrême urgence. De même, il faut soutenir l'installation du guichet unique en Île-de-France, compte tenu de la situation de cette région.
Le groupe les Constructifs souligne l'augmentation des crédits, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, qui permettra de financer une grande partie du plan d'action que vous souhaitez engager, en faveur notamment d'un exercice du droit d'asile mieux assuré, d'un meilleur suivi et d'un renforcement des structures d'hébergement pour les demandeurs.
L'action 3, qui concerne la lutte contre l'immigration irrégulière, accuse toutefois une baisse de 7 % en crédits de paiement. Pourriez-vous préciser quelles actions seront affectées par cette diminution ?
Vous avez axé ce budget sur l'accompagnement et le droit d'asile, alors que la priorité devrait à notre sens aller à la gestion aux frontières et au travail à mener au niveau européen pour harmoniser les fichiers et les procédures d'accueil. J'ai le sentiment que nous tâchons de combler en aval des lacunes récurrentes en amont. Je souhaiterais donc des précisions quant à votre politique, notamment au regard de ce qu'a annoncé le Président de la République au sujet des nouveaux moyens européens, qu'il s'agisse de l'académie européenne du renseignement, de l'harmonisation des bases de données comme Eurodac ou de la gestion des frontières communes.
Un mot enfin de Mayotte et de la Guyane, qui accueillent 10 % des demandes pour 3 % des habitants seulement : il est utile, surtout dans la situation qui prévaut cette semaine, que vous précisiez également les actions prioritaires que vous mènerez en outre-mer.
Les députés du groupe Nouvelle Gauche constatent que les crédits de cette mission sont en hausse, ce qui traduit les engagements pris par la France pour l'accueil des réfugiés politiques, y compris pendant la précédente législature : les crédits de paiement de l'action 2 du programme 303, qui concerne la garantie du droit d'asile, augmentent ainsi de 33 %, passant à un peu plus d'un milliard d'euros. Les crédits de paiement de l'action 3, relative à la lutte contre l'immigration irrégulière, sont en revanche en baisse de 7 %, sans que les documents budgétaires apportent d'explication claire sur ce point.
Les crédits demandés pour 2018 correspondent-ils à des objectifs conformes aux engagements de la France ? Ces derniers consistent notamment à relocaliser 30 000 personnes avant la fin de l'année 2017. Or, seules 4 278 d'entre elles étaient déjà arrivées au début du mois de septembre – 330 en provenance d'Italie et 3 948 venant de Grèce. Dans son dernier rapport sur la relocalisation et la réinstallation, la Commission européenne a classé la France dans le groupe de pays qui devraient de toute urgence accélérer les transferts.
Les crédits prévus pour l'intégration des migrants permettront-ils d'assurer un accompagnement fort, en particulier pendant les 24 premiers mois ? Quand on rapporte les montants financiers au nombre de personnes, le résultat paraît encore faible. Si l'on prend pour référence le nombre de demandeurs d'asile en France, qui était d'environ 80 000 en 2016, contre 700 000 en Allemagne, et sachant qu'à peine 40 % voient leurs demandes aboutir, on arrive à 32 000 personnes par an, hors relocalisation, ce qui signifie environ 500 euros par personne.
Ma dernière question concerne. Nous nourrissons enfin quelque inquiétude pour les migrants venant des pays tiers dits « sûrs » : quels sont les critères de définition de ces pays ?
Je voudrais d'abord interpeller le ministre sur le risque d'insincérité de ce budget. Nous sommes particulièrement surpris et désolés, au groupe La France insoumise, de l'insuffisance de l'effort au regard des besoins. Vous annoncez une hausse de 25 % des crédits, mais cela ne tient pas compte des annulations de cet été, à hauteur de 40,5 millions d'euros, ni des ouvertures de crédits, de 205 millions d'euros : en réalité, le budget n'augmente que de 6,2 %, ce qui est inférieur à la hausse presque automatique des besoins auxquels la loi et les règlements européens obligent à pourvoir en ce qui concerne les demandeurs d'asile – cette hausse est estimée à environ 10 %. Vous avez vous-même rappelé que le précédent budget se caractérisait par une sous-budgétisation : nous craignons que ce ne soit également le cas de cette loi de finances. La hausse des effectifs annoncée pour l'OFPRA – 15 personnes – est par ailleurs en deçà des besoins.
Nous reprenons à notre compte l'interpellation de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) sur les conditions d'accueil, en particulier le harcèlement policier dont sont victimes à la fois les migrants et les organisations qui les aident, ONG et collectifs, dans la vallée de la Roya, à Calais ou en région parisienne, dans ma circonscription.
En ce qui concerne l'aide publique au développement, nous sommes d'accord pour qu'il y ait une approche globale, mais les moyens annoncés paraissent également insuffisants : on est très loin de l'objectif de 0,7 % de la richesse nationale, en faveur duquel le président Macron s'est pourtant engagé.
Je me réjouis des annonces faites par le Président de la République à Cayenne, vendredi dernier. Il s'est engagé à ce que le versement de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) soit rapidement réduit à deux mois pour la Guyane, à ce que l'on simplifie les procédures d'expulsion des ressortissants étrangers qui utilisent le droit d'asile pour échapper à des mesures d'éloignement et à ce que le revenu de solidarité active (RSA) soit conditionné à quinze ans de présence dans le territoire, à l'instar de ce qui existe déjà à Mayotte. Ces mesures, qui étaient demandées de longue date par les élus de Guyane, vont dans le bon sens. J'avais moi-même tenté de les faire adopter par voie d'amendement en 2015, lors de la réforme du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), mais je m'étais heurté à l'éternel refus d'adapter la loi à nos réalités amazoniennes. Néanmoins, il n'est jamais trop tard pour bien faire. J'espère que nous aurons à discuter rapidement de ces modifications législatives, afin d'enrayer le flux de personnes arrivant illégalement dans le territoire guyanais : nous ne sommes plus capables de les accueillir dans des conditions humainement dignes.
Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » sont en légère baisse pour ce qui concerne la Guyane. Le déménagement à Cayenne de l'antenne de l'OFPRA Antilles-Guyane aurait logiquement dû s'accompagner de transferts de crédits, ce qui n'est manifestement pas le cas. C'est d'autant plus surprenant que le nombre de demandeurs d'asile enregistrés à Cayenne est en augmentation exponentielle, après une année 2016 où tous les records ont déjà été battus. Ramené à la population, le nombre de demandeurs est d'un pour mille en France métropolitaine et de 80 pour mille en Guyane, soit un rapport de 1 à 8.
Vous comprendrez que je ne puisse pas être favorable à ce budget, en l'état. Je précise que mes collègues du groupe Gauche démocrate et républicaine s'inquiètent beaucoup, pour leur part, de la trajectoire que le Gouvernement imprime à sa politique à l'égard des migrants. Par ailleurs, je m'exprime sans préjudice des propositions extrêmement positives que vous ne manquerez pas de présenter pour la Guyane, monsieur le ministre, et dont je vous remercie.
Mme Fajgeles a salué l'effort du Gouvernement et je veux l'en remercier. Elle a appelé l'attention sur les structures de premier accueil des demandeurs d'asile (SPADA). En effet, le travail réalisé dans ce cadre est tout à fait nécessaire car il faut orienter le plus rapidement possible. Le plan sur l'asile et l'immigration que nous vous proposerons prévoira une réduction du temps de prise en charge dans les SPADA, les guichets uniques des demandeurs d'asile (GUDA) permettant une orientation plus rapide.
Des dérapages dus à la délinquance peuvent en effet se produire : à Paris, on a affaire à un certain nombre de jeunes particulièrement violents que l'on n'arrive pas à prendre en charge avec les services sociaux. C'est un véritable problème, auquel nous réfléchissons.
Nous voulons réduire à six mois le délais d'examen des demandes d'asile. Dès lors, la question du droit de travailler à compter de neuf mois ne se posera pas. Nous allons plutôt essayer d'apporter cette réponse de fond.
Nous avons dit, monsieur Larrivé, que nous adapterons la politique des visas aux réponses à nos demandes de laissez-passer consulaires. Nous délivrons parfois des visas en assez grand nombre à des ressortissants de pays qui nous répondent relativement peu de leur côté. Nous considérerons la situation pays par pays.
Nous n'avons donné aucune consigne pour les régularisations. Notre objectif est la loi sur l'asile et l'immigration.
Les préfectures ont en revanche eu des consignes assez strictes pour les éloignements et je constate qu'elles sont suivies. Alors que les centres de rétention administrative étaient précédemment occupés à 61 %, ils sont aujourd'hui pleins. Depuis l'attentat de Marseille, une attention particulière est portée à l'éloignement d'étrangers qui ont pu commettre des actes graves. Nous avons rappelé que les préfets doivent être totalement concentrés sur cette question.
Nous trouvons positif qu'un certain nombre de naturalisations aient lieu. J'ai ainsi assisté à une cérémonie organisée pour des personnes qui avaient fait des efforts en vue de s'intégrer à la société française et vous savez que le Président de la République a déclaré à plusieurs reprises qu'il souhaitait attirer les talents en France.
Je partage entièrement l'avis de Mme Florennes : les questions qu'elle a évoquées doivent être au coeur de la politique suivie.
Nous sommes passés de 5 000 à 9 000 mineurs isolés étrangers en trois ans et ce chiffre augmentera sans doute dans les prochains mois. Après examen, on s'aperçoit que 70 % sont en réalité majeurs. Cela montre l'ampleur des difficultés. L'examen des situations ayant lieu département par département, on peut retenter sa chance dans celui d'à côté. Le Gouvernement a déclaré qu'il prendrait des mesures pour aider les départements à traiter cette question particulièrement complexe.
La baisse des crédits alloués à la lutte contre l'immigration irrégulière n'est qu'apparente, madame Sage. Les dépenses à Calais et à Grande-Synthe, qui étaient jusque-là prises en charge, n'existent plus. Il n'y a donc pas de baisse de 6,4 millions d'euros du budget pour cette politique, mais une hausse de 4 millions.
Parmi les grandes lignes fixées par le Président de la République, il y a la nécessité d'arriver à des droits assez proches entre les pays européens, afin d'éviter que l'on se renvoie des migrants d'un pays à l'autre. Dans le cadre de la future loi sur l'immigration et l'asile, nous allons essayer de nous rapprocher le plus possible de l'Allemagne, compte tenu de l'ampleur des « dublinés » que j'évoquais tout à l'heure.
Je rappelle que 170 agents français travaillent auprès de Frontex. C'est une agence que nous devons renforcer dans les années qui viennent.
Un quart de la population de Mayotte est constitué d'étrangers en situation irrégulière, soit 50 000 personnes, ce qui pose évidemment quelques problèmes. En 2016, 22 000 mesures d'éloignement ont été exécutées, soit 20 % du total. Il faut s'organiser : une cellule de coordination zonale a été créée sous l'autorité du préfet, un nouveau centres de rétention administrative (CRA) de 136 places est entré en service en septembre 2015 et une modernisation des radars de surveillance maritime est en cours afin d'améliorer les capacités de détection des embarcations qui vont jusqu'à Mayotte.
En Guyane, 18 % de la population est étrangère – dont 38 % de Haïtiens, 22 % de Brésiliens et 21 % de Surinamiens. En 2016, 4 935 mesures d'éloignement ont été exécutées. La difficulté est liée à notre droit d'asile : de plus en plus de demandeurs arrivent. On a ainsi constaté une augmentation de 104 % en 2016. L'OFPRA va travailler à Cayenne de manière à résoudre ces difficultés qui sont extrêmement importantes. Les mesures annoncées par le Président de la République, notamment en ce qui concerne l'ADA, vont permettre de régler un certain nombre de ces problèmes.
Lors de la commission élargie sur la mission « administration générale et territoriale de l'État », vous avez annoncé le recrutement de 150 équivalents temps plein dans les préfectures pour renforcer les pôles « éloignement » et « traitement des demandes d'asile ». On touche là aux difficultés de suivi du programme 303 : il est lié à d'autres missions de l'État, que nous n'avons pas nécessairement dans le viseur en même temps. Dans le cadre de la présente mission, nous suivons 1,4 milliard d'euros sur 5,3 milliards si l'on prend en compte l'ensemble des politiques transversales. Ces créations de postes seront un élément clef, car l'embolie du système a lieu en réalité très tôt, dès le premier accueil et jusqu'à l'accès aux guichets uniques, comme l'a rappelé tout à l'heure Élodie Jacquier-Laforge. Pouvez-vous confirmer la création de ces postes et nous donner davantage de détails sur les missions concernées ainsi que sur la répartition ?
En tant que rapporteur de la mission « Aide publique au développement », je me suis interrogé sur la relation entre cette politique, qui a déjà fait l'objet d'une question de Danièle Obono, et l'immigration. Il faut traiter le problème à la racine, mais les recherches effectuées montrent qu'il est plus compliqué qu'il n'y paraît. La fondation Jean Jaurès vient de publier une étude établissant que le renforcement de l'aide publique au développement dans les pays d'origine ne limite pas nécessairement l'immigration.
Je ne veux pas dire qu'il ne faut pas augmenter notre aide au développement – c'est d'abord un devoir de solidarité –, mais la réalité est un peu plus compliquée. Si les différentiels de revenu expliquent l'immigration, réduire la pauvreté dans les pays d'origine ne va pas forcément limiter ce phénomène : cela peut même l'augmenter à court terme. Dans les pays connaissant à la fois la pauvreté, la guerre et l'absence de démocratie, une légère hausse du revenu moyen peut encourager la migration. C'est moins une question qu'une réflexion que je livre à l'ensemble de mes collègues, mais je voudrais avoir votre sentiment sur ce sujet, monsieur le ministre.
Je soutiens l'augmentation du budget de notre aide publique au développement, dont j'espère qu'elle atteindra l'objectif de 0,7 % que la France s'est engagée à respecter, comme toute la communauté internationale. Néanmoins, je le répète, le lien avec l'immigration n'est peut-être pas aussi simple qu'on pourrait le croire, même si la réduction des inégalités entre le Nord et le Sud réduira bien sûr les départs à long terme.
Vous nous avez dit que l'objet du projet de loi du printemps prochain sera de réduire la durée de traitement des demandes d'asile. Il a été question des SPADA et des GUDA, et de toute la chaîne de la demande d'asile, mais qu'en est-il des moyens alloués à la CNDA ? Elle aussi subit un engorgement qui se traduit par des délais extrêmement longs pour l'examen des recours contre les décisions de l'OFPRA. Je sais que cela relève d'une autre mission budgétaire, intitulée « Conseil et contrôle de l'État », mais c'est une question essentielle pour atteindre l'objectif fixé.
Ma deuxième question concerne l'immigration légale. La loi du 7 mars 2016 a créé un nouveau titre, la carte de séjour pluriannuelle, dont la durée peut aller jusqu'à quatre ans. Il s'agissait de donner plus de visibilité et de faire en sorte qu'il y ait un vrai parcours d'intégration républicaine. Un an et demi plus tard, quel bilan en tirez-vous ? Avez-vous des données chiffrées à nous communiquer sur la délivrance de ce nouveau titre ? Une autre disposition avait fait l'objet d'un vrai débat à l'époque, à savoir la possibilité donnée à l'autorité administrative, le préfet, de procéder à des vérifications, y compris sur place, et éventuellement de retirer la carte de séjour pluriannuelle avant son terme. De quels éléments disposez-vous à ce sujet ?
Avec le rapporteur pour avis, Pierre-Henri Dumont, qui appartient au groupe Les Républicains – il vient de l'autre rive mais du même côté de la mer du Nord, puisque je suis député de Grande-Synthe – nous avons évoqué en commission des affaires étrangères une question qui me semble intéressante pour l'année prochaine, sinon pour aujourd'hui : des territoires souffrent incontestablement en matière économique, institutionnelle – les forces de police sont extrêmement mobilisées, comme la justice – et humaine, la misère des migrants s'ajoutant souvent à celle des populations locales. En tant que républicains, nous avons une responsabilité philosophique et politique à exercer pour éviter un certain nombre de dérives, parfois xénophobes, d'une population susceptible d'être manipulée. Dans certains territoires, notre responsabilité peut être plus importante qu'ailleurs. Il serait intéressant de réfléchir à une manière de les identifier et de les aider plus spécifiquement, sur le plan interministériel. Ce serait d'un bon aloi républicain et humain.
J'ai bien entendu vos propos sur les accords du Touquet, et je vous en remercie. J'avais une divergence avec mon ami Bernard Cazeneuve à ce sujet – j'ai toujours été un peu frondeur… Il faudra profiter du Brexit pour rappeler à votre homologue britannique que nous avons repris Calais en 1558 et que Dunkerque a été racheté par Louis XIV un siècle plus tard. Il n'est pas nécessaire que nous nous occupions de tout pour le compte des Britanniques.
Dès le mois de juin 2017, le Président de la République a appelé à faire preuve de la plus grande humanité dans la gestion de la situation des migrants et des demandeurs d'asile tout en assurant une certaine fermeté. La nomination de Pascal Teixeira da Silva comme ambassadeur chargé des migrations a été un symbole fort de la volonté de travailler avec les autres pays et en coopération avec le HCR. La France a annoncé une augmentation de dix millions d'euros de ses concours au HCR et à l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Comment ces crédits seront-ils répartis en 2018 et, au-delà du soutien renouvelé de notre pays à ces deux organisations, quels sont les objectifs fixés par la France ?
Je voudrais revenir sur un amendement, jugé irrecevable, par lequel nous voulions modifier un objectif et un indicateur de performance de cette mission. Puisque l'on nous a opposé que cela relève du Gouvernement, je souhaite savoir ce qu'en pense le ministre.
Nous souhaitons remplacer l'objectif de performance du programme 303 qui consiste à réduire les délais de traitement des demandes d'asile par un autre objectif portant sur la qualité des décisions rendues. L'indicateur de performance actuel, à savoir le délai d'examen d'une demande d'asile par l'OFPRA, serait remplacé par le taux d'annulation ou de confirmation de la CNDA par rapport au nombre total de dossiers traités, en distinguant les premières demandes d'asile et les réexamens. Le délai doit naturellement être le plus rapide possible, pour tout le monde, mais s'agit-il vraiment d'un objectif en soi ? N'est-ce pas plutôt la qualité de la décision qui compte ? Quand on décide d'accepter un demandeur d'asile ou de le renvoyer, il faut que la décision soit bien prise : on doit éviter de tomber dans le travers consistant à prendre en permanence des décisions à la va-vite, au risque de porter préjudice aux personnes concernées.
Symptomatique des promesses que M. Macron ne tient pas, l'aide publique au développement ne suffit pas, d'autant que les guerres et le libre-échange font partie des causes profondes des migrations. Tout cela n'est pas sans lien avec ce que nous faisons de l'Union européenne et on voit bien que des changements politiques s'imposent.
Il y a eu cette année un très faible nombre d'éloignements d'étrangers en situation irrégulière. Cette situation, j'en conviens, n'est pas spécialement de votre fait : elle date notamment de la circulaire Valls et de décisions qui ont considérablement limité le placement en CRA. C'est pourtant le préalable à toute reconduite réussie. L'affaire tragique de la gare Saint-Charles a démontré, dans les conditions horribles que l'on sait, le manque de capacités en CRA. Vous avez annoncé la création de 200 places supplémentaires, qui figurent dans ce budget, mais c'est très largement insuffisant par rapport au nombre d'étrangers en situation irrégulière dans notre pays – sans doute autour de 100 000. Il faudrait beaucoup plus de places dans les CRA. C'est pourquoi nous avions déposé une proposition de loi d'orientation et de programmation qui aurait permis de créer 6 000 places à l'horizon 2022. Quelles conséquences tirez-vous, monsieur le ministre, de ce qui s'est passé à Lyon et à Marseille ? Irez-vous plus loin dans les objectifs que vous vous fixez avec ce budget ?
Mme Jacquier-Laforge l'a rappelé : en 2016, la France a reçu près de 85 000 demandes d'asile, soit 40 % de plus qu'en 2012, ce qui plaçait notre pays au 6e rang des pays d'accueil au sein de l'Union européenne.
Ces chiffres illustrent à l'envi les insuffisances de notre dispositif d'accueil, dont vous avez annoncé que vous souhaitiez l'améliorer ; de fait, le traitement des demandes d'asile est excessivement long. D'après le Comité de défense des demandeurs d'asile (CDDA), l'OFPRA doit traiter une demande d'asile dans un délai de six mois en procédure normale, et de quinze jours en procédure accélérée. Toutefois, et même s'il baisse depuis quelques années, le délai moyen de traitement de traitement des dossiers, incluant leur traitement pat l'OFPRA et la CNDA, avoisine treize mois.
À l'évidence, ces délais sont beaucoup trop longs, et les conséquences pour les demandeurs d'asile peuvent être désastreuses, que cela concerne l'attribution d'un logement ou d'un emploi, ou encore leur propre stabilité comme leur intégration dans notre pays.
Vous avez indiqué vouloir ramener à six mois en moyenne le délai de traitement des demandes d'asile. L'augmentation des crédits du programme 303 « Immigration et asile », qui s'inscrit dans cette perspective, mérite d'être saluée.
Pouvez-vous préciser les moyens concrets qui seront engagés pour accélérer le traitement des demandes tout en conservant leur qualité aux décisions rendues ?
Le nombre des migrations contraintes est inédit dans l'histoire de l'humanité ; il est indubitablement lié aux politiques de libre-échange, de guerre, etc. Ce phénomène mériterait une conférence annuelle de l'ONU, que nous appelons de nos voeux. En tout cas, ce problème ne sera pas résolu sans que ses causes soient traitées ; comment ne pas voir que les pays du Sud subissent bien davantage les conflits que ceux d'Europe ?
Nous devons réfléchir aux moyens dont nous disposons pour accueillir ceux qui se trouvent sur notre territoire, dont il serait vain d'imaginer que nous les renverrons à la mer. Ce budget n'est pas à la hauteur de la situation. Vous n'avez d'ailleurs pas répondu l'observation de Danièle Obono : faute d'avoir pris en compte la baisse des crédits intervenue en 2017, l'augmentation est cette année bien moins forte qu'affichée.
En 2017, l'OFPRA aura eu à traiter 101 156 nouvelles demandes d'asile ; le Gouvernement prévoyant une augmentation de 10 % entre 2017 et 2018, le total devrait être l'an prochain de 111 272. Même avec le renfort annoncé de quinze officiers de protection instructeurs (OPI) supplémentaire, cela ne fera pas moins 674 dossiers à traiter par agent, contre 460 dossiers à l'heure actuelle : à l'évidence, c'est en deçà des besoins.
Enfin, je suis surpris que certains collègues citent en exemple le centre d'accueil de La Chapelle : pour quiconque connaît le problème, il est largement sous-proportionné au regard du nombre des personnes à héberger. Dans la plupart des cas c'est un accueil à la journée qui est offert, tandis que des associations se substituent à l'État à l'extérieur du centre. Je pense notamment à mes amis de l'association Solidarite-migrants-Wilson qui donnent à manger comme ils le peuvent à des centaines de personnes. C'est la question des centres d'accueil dans la région parisienne qui se trouve posée : alors qu'il faudrait enfin ouvrir des structures de type Grande-Synthe, c'est la volonté d'occulter la question des migrants qui prévaut.
Monsieur le ministre d'État, vous avez indiqué à Mme Sage qu'au sein du programme 303, les crédits de l'action 3 « Lutte contre l'immigration irrégulière » augmentaient de 4 millions d'euros. Pourtant, les documents budgétaires montrent une baisse de ces crédits. Et que dire des moyens dévolus à Mayotte : 60 à 70 millions d'euros pour reconduire 22 000 personnes à la frontière ! Comment mènerait-on correctement cette action ?
Mesurez-vous, mes chers collègues, à quel point les conséquences de l'immigration clandestine sont dévastatrices.
Outre que, comme vient de le dire le ministre, plus de 40 % de la population de Mayotte est en situation irrégulière, aujourd'hui les Mahorais – des Français ! – sont chassés de la préfecture, des services fiscaux, de l'école, de l'hôpital, de la justice : dans tous les grands services publics, les Mahorais sont invités à laisser la place aux immigrés.
Ne pensez surtout Mayotte est loin, que vous n'êtes pas concernés Qu'en sera-t-il lorsque cela vous arrivera ? Cette situation se produit aujourd'hui à Mayotte, Le phénomène remonte vers le nord et vous serez touchés demain, dans vos propres circonscriptions !
Monsieur le ministre d'État, quel plan comptez-vous adopter pour régler ce problème ? Mesdames et Monsieur les présidents de commissions réunies, je vous invite à soutenir la demande que Mme Ramlati Ali et moi-même avons faite que soit de constitué une mission d'information sur l'efficacité de la politique de lutte contre l'immigration clandestine conduite dans notre île. Pour ma part, je la juge inefficace car dépourvue de moyens suffisants.
Je confirme à M. Guerini que nous recruterons 150 agents, dont 30 seront affectées à l'éloignement des clandestins tandis que les 120 autres seront mis à la disposition des préfets, avec qui nous sommes en discussion afin d'évaluer leurs besoins et de judicieusement répartir ces nouveaux fonctionnaires.
M. Hubert Julien-Laferriere a conclu son propos en considérant que la relation existant entre l'aide extérieure au développement et la diminution de l'émigration n'était pas évidente à établir. Si les problèmes sont complexes, il ne faut pas désespérer de trouver des éléments de solution. Doté de trois milliards d'euros, le Fonds fiduciaire pour l'Afrique mène ainsi des actions permettant d'aider des populations à se développer dans leur pays.
Certes, la question du développement économique et de la nature des régimes politiques demeure posée, mais il me semble que nous pouvons participer à la réussite des Gouvernements africains les plus démocratiques. En dépit de ses problèmes l'Afrique ; en revanche ce continent dispose du plus fort taux de croissance potentiel pour les quinze ou vingt années à venir.
Monsieur Boudié, nous allons créer 50 nouveaux postes au CNDA, administration pour laquelle nous allons louer des locaux mieux adaptés à ses missions.
Par ailleurs, la carte de séjour attribuée pour quatre ans simplifie la tâche de nos agents, qui ne sont pas obligés de renouveler ce document tous les ans.
Oui, Monsieur Hutin, ce sont bien quatre millions de plus qui seront consacrés à l'éloignement des immigrants en situation irrégulière. En effet, la baisse des crédits de l'action 3 n'est qu'apparente puisque nous récupérons les dix millions dévolus au centre de rétention administrative (CRA) de Calais, qui a été fermé.
Je partage votre point de vue : il faut veiller à ne pas ajouter de la misère à la misère. Certains territoires sont en très grande difficulté, ce qui fait le lit d'une xénophobie non dissimulée. Il est donc de notre devoir de ne pas désespérer davantage les populations concernées, et de traiter de façon responsable ces problèmes, complexes, d'asile et d'immigration.
Toute fuite en avant ne ferait qu'ajouter des problèmes aux problèmes, et la situation de certains territoires, tel le vôtre, mais aussi ceux de la petite couronne parisienne, deviendrait ingérable, car on y concentrerait les gens les plus en difficulté, au risque d'une déstabilisation totale ; alors que nous voulons tout au contraire, que l'on puisse vivre ensemble dans notre un pays.
Madame Saint-Paul, je vous confirme que le Président de la République et le Premier ministre ont désigné un ambassadeur des migrations afin qu'il entretienne un dialogue avec les pays sûrs qui ne nous accordent que peu de laisser-passer consulaires, alors que nous sommes susceptibles de leur fournir une aide économique considérable.
Les sommes consacrées par la France au HCR relèvent du ministère des affaires étrangères, auquel je laisse le soin de répondre. J'indique toutefois que la France va prendre en charge 3 000 personnes au titre des missions de protection avancées de l'OFPRA au Niger et au Tchad et 7 000 venant de pays comme la Jordanie, le Liban, la Turquie. Nous montrerons de la sorte que nous voulons limiter l'immigration clandestine, mais que nous ne sommes pas pour autant indifférents au sort du monde.
Je rappelle à M. Bernalicis que le CNDA suit 80 % des avis délivrés par l'OFPRA, et que ce taux demeure stable au fil des années ; ce qui montre que l'indicateur de performance est pertinent aux plans qualitatif comme quantitatif.
Monsieur Ciotti, le taux d'éloignement des étrangers en situation irrégulière a augmenté de 6,5 % au cours des neuf premiers mois de l'année, ce qui est modeste mais traduit un effort. L'éloignement des « dublinés » progresse de 127 %, mais un arrêt récent de la Cour de cassation nous empêche hélas de poursuivre. Nous allons proposer une forme juridique plus conforme au règlement de Dublin.
Depuis ma prise de fonctions, nous cherchons à augmenter le nombre de places disponibles dans les CRA. J'ai donné des consignes afin que ces derniers soient mieux remplis ; si davantage de places étaient nécessaires, nous en créerions de nouvelles. L'action que nous avons demandée aux préfets est indispensable, pour éviter que surviennent d'autres drames comme celui que nous avons connu à Marseille. J'ai d'ailleurs demandé aux services d'établir la liste des dysfonctionnements relevés au fil du temps, dont cet attentat a malheureusement été le révélateur.
Je partage avec Mme Naïma Moutchou le constat que nous sommes au-delà de toutes les normes de délai de traitement des dossiers de demandeurs d'asile, et qu'il nous appartient d'y remédier.
Ce budget traduit notre préoccupation de stabiliser et d'intégrer les réfugiés. J'ai toujours considéré qu'il fallait être exigeant dans le domaine de l'accueil, et que les intéressés devaient être reçus de façon à pouvoir s'intégrer dans la société française. Le pire serait d'accueillir très largement des migrants sans les intégrer : nous irions au-devant de catastrophes.
Si les gens venus trouver un Eldorado chez nous se trouvaient marginalisés, nombreux seraient ceux qui leur feraient remarquer qu'ils ne sont que des citoyens de deuxième zone, et qui en tireraient des conclusions néfastes pour notre pays.
Contrairement à M. Coquerel, je considère que ce budget est à la hauteur de la situation ; j'ai d'ailleurs indiqué que nous rouvrirons en loi de finances rectificatives des crédits propres à couvrir ce qui avait été oublié. Je vous assure que les crédits présentés pour l'année prochaine sont sincères : bien que débutant dans cet exercice, je m'attacherai à ce que ce soit toujours le cas. L'État se laissait parfois aller à des effets d'affichage alors que les collectivités territoriales ne le font jamais puisque le compte administratif est souvent plus discuté que le budget primitif, et que les élus procèdent à de minutieuses vérifications. Il me semble qu'il y a là quelques conséquences à tirer pour le fonctionnement de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Monsieur Kamardine, les crédits destinés à Mayotte ne sont pas imputés à mon seul ministère, par exemple lorsque notre marine se déploie pour empêcher des arrivées massives d'immigrants.
Au demeurant, votre description de la situation est réaliste ; je ne conteste pas qu'en quelques années nous avons laissé les choses dériver. Nous devons en tirer les conclusions, c'est en tout cas ce que je ferai.
La réunion de la commission élargie s'achève à dix-huit heures dix.
Le Directeur du service des comptes rendus des commissions,
Nicolas VÉRON© Assemblée nationale