Au printemps dernier, le Sénat a débattu d'une proposition de loi portant reconnaissance du crime d'écocide, qui avait été déposée par M. Jérôme Durain. Le Gouvernement, représenté par Brune Poirson, secrétaire d'Etat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, a fait observer alors les limites juridiques s'attachant à la reconnaissance du crime d'écocide, tout en soulignant l'impérieuse nécessité d'adapter notre arsenal législatif aux enjeux environnementaux. Je défendrai cette même position aujourd'hui, pour des raisons identiques.
Dans une tribune publiée il y a deux jours, des responsables politiques et intellectuels s'interrogeaient : « Une dizaine de pays ont déjà reconnu l'écocide, comme le Vietnam qui l'a inscrit en 1990 de manière pionnière dans son code pénal en le définissant comme "un crime contre l'humanité commis par destruction de l'environnement, en temps de paix comme en temps de guerre". Pourquoi pas la France ? »
Bien entendu, je partage un certain nombre des constats qui vous ont conduit, monsieur le rapporteur, à déposer la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. Je vous rejoins lorsque vous affirmez que le législateur doit répondre aux attentes de la société s'agissant de la répression des atteintes à l'environnement. Je partage également vos préoccupations quant aux réflexions que nous devons engager pour réguler plus efficacement les comportements qui portent atteinte à l'environnement, à la biodiversité et à la santé de nos concitoyens.
Toutefois, c'est sur les moyens d'y parvenir que je prendrai mes distances, et celles-ci me conduiront à donner un avis défavorable à la proposition de loi. En effet, je ne partage pas l'idée que notre droit pénal serait lacunaire ou que les sanctions prononcées seraient dérisoires ; rien ne dit que tel doit être le cas.
En revanche, il est exact que notre organisation judiciaire pourrait être plus efficace. C'est donc un autre type de réponse que je proposerai de privilégier.
Quelles sont les questions de fond posées par la proposition de loi que vous défendez ? La nouvelle infraction d'écocide soulève essentiellement des difficultés de nature constitutionnelle.
En premier lieu, l'élément matériel du crime d'écocide ne paraît pas satisfaire à l'exigence constitutionnelle de précision de la loi pénale, d'autant qu'il s'agirait d'une qualification criminelle. La définition du crime d'écocide est construite sur le modèle de celle du crime de génocide, puisqu'elle fait référence à l'exécution d'une action concertée et délibérée, tendue vers un but déterminé. Néanmoins, le crime d'écocide ne se définit que par les conséquences qu'il entraîne sur l'environnement. Sa définition ne fait aucune référence au comportement précis de nature à porter atteinte à l'environnement ou à la santé des personnes.
Le résultat de l'infraction souffre également d'imprécisions : il s'agit de « dommages étendus, irréversibles et irréparables [causés] à un écosystème ». Ces notions apparaissent elles aussi trop floues pour satisfaire à l'exigence de précision de la loi pénale imposée par la Constitution : à partir de quel seuil le caractère étendu peut-il être reconnu ? Comment évaluer le caractère irréparable ? Quel périmètre retenir pour la prise en compte d'un écosystème ?
En deuxième lieu, certains exemples mentionnés dans l'exposé des motifs de la proposition de loi ont un caractère transnational. Dès lors, l'adoption d'un corpus juridique de niveau international est nécessaire, préalablement à la création d'incriminations nationales. À défaut, le texte paraît contraire au principe de souveraineté des États reconnu en droit international public.
Actuellement, la loi pénale française est applicable en cas d'infraction commise sur le territoire de la République et, à l'étranger, aux personnes de nationalité française commettant ou étant victimes d'une infraction. En revanche, les juridictions pénales françaises ne sont compétentes pour poursuivre des personnes d'une autre nationalité, pour des faits commis en dehors du territoire français, qu'à la condition qu'une convention internationale le prévoie.
Au-delà de la légitimité pour la France de juger d'affaires sans lien avec notre pays, l'effectivité de telles procédures n'apparaît aucunement garantie. En effet, l'établissement de la preuve d'atteintes à l'environnement requiert notamment de procéder à des enquêtes sur les lieux de commission des faits.
En lien avec les interrogations qui précèdent, le texte proposé pose également, sans les trancher, des questions de compétence. Je m'interroge ainsi sur la manière dont l'incrimination d'écocide serait applicable dans l'espace. Quelle juridiction conviendrait-il de saisir ?
En dernier lieu, la proposition de loi soulève des interrogations de fond quant au droit pénal qui serait mobilisé.
Le délit d'imprudence caractérisée ayant contribué à la destruction grave d'un écosystème, que vous proposez de créer, pose quant à lui des difficultés relatives à son articulation avec les infractions existantes, tout en soulevant lui aussi la question de l'étendue des dommages.
La proposition de loi prévoit en outre une peine automatique d'exclusion des marchés publics en cas de condamnation d'une personne pour crime d'écocide. Or, vous le savez, le Conseil constitutionnel considère que les peines automatiques sont contraires au principe constitutionnel d'individualisation des peines, qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Enfin, le doublement des sanctions encourues, prévu par les articles 8 à 12, ne semble pas la réponse à privilégier. Par cette aggravation, la proposition de loi entend, si j'en comprends bien l'ambition, adresser un message dissuasif aux potentiels auteurs d'atteintes à l'environnement. Je crois, pour ma part, que nous devons également leur adresser un message de responsabilité.
Il est donc nécessaire, selon moi, de privilégier d'autres réponses.
Il me semble d'abord que les réponses de la justice doivent être plus rapides, pour être plus effectives. En cas d'atteinte à l'environnement, il est essentiel d'agir vite, sans attendre, car la prolongation de la situation est susceptible d'aggraver les dommages.
S'agissant de la réponse judiciaire apportée, la réparation du préjudice occasionné, ou sa compensation, est également un enjeu fondamental.
Par ailleurs, si notre législation ne prévoit pas d'incrimination générique susceptible de s'appliquer à des atteintes d'une extrême gravité à l'environnement, l'arsenal législatif existant permet déjà de réprimer les atteintes d'ordre exceptionnel à l'environnement.
Il comporte en effet une palette de sanctions, de nature tant administrative que pénale, ainsi que des incriminations spécifiques, telles que le terrorisme écologique ou encore les atteintes à l'environnement commises en bande organisée. Le code de l'environnement comporte également de nombreuses incriminations permettant de sanctionner des atteintes d'ampleur, telles que les rejets de polluants en mer, dont les peines ont été portées en 2008 à dix ans d'emprisonnement et 15 millions d'euros d'amende ; les atteintes au patrimoine naturel ou à la conservation des espèces. Ces sanctions, si elles sont maniées avec pertinence et célérité, peuvent être extrêmement dissuasives.
En outre, dès lors que les atteintes à l'environnement ont des conséquences pour les populations, certaines incriminations de droit commun du code pénal sont également applicables, telles que mise en danger de la vie d'autrui, blessures et homicide volontaires ou involontaires. Et elles peuvent être très puissantes.
C'est donc moins le fond de notre droit pénal qu'il faut faire évoluer que notre capacité à le faire appliquer.
La création de l'Office français de la biodiversité et le renforcement des pouvoirs des inspecteurs de l'environnement constituent une première évolution en ce sens.
Le 16 janvier 2019, conjointement avec le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, j'ai confié une mission à l'inspection générale de la justice et au Conseil général de l'environnement et du développement durable afin de renforcer l'effectivité du droit de l'environnement. Le rapport vient de nous être remis et il comporte d'intéressantes pistes de réflexions.
Elles donneront lieu au début de l'année 2020 à des propositions concrètes du Gouvernement, qui vous seront soumises. Nous en débattrons donc prochainement, et je crois que nous vous apporterons des réponses susceptibles de rejoindre vos objectifs.