Intervention de Serge Letchimy

Séance en hémicycle du jeudi 12 décembre 2019 à 15h00
Politiques publiques contre les moustiques aedes et les maladies vectorielles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

Le débat précédent m'a affligé car je considère que les propositions de loi que nous formulons ne relèvent pas d'une opposition systématique mais apportent une contribution. J'aimerais dire à mon collègue Potier combien j'ai apprécié son dévouement à la cause. Je souhaite, monsieur le président du groupe LaREM, que nous puissions dans ce cadre être écoutés, et que l'on essaie de trouver des solutions.

Je souhaite vous démontrer en quoi il est utile d'installer une commission d'enquête. On peut avoir une position très doctrinale à ce sujet et la rejeter d'un revers de main. Mais je suis sûr qu'en entendant certains chiffres, vous serez convaincus de la nécessité d'agir sur la question des maladies vectorielles dans l'outre-mer, principalement en Martinique, en Guadeloupe, aux Antilles d'une façon générale, mais aussi à La Réunion.

Quelle est l'ampleur du drame ? Souvenez-vous : en 2005 et 2006, à La Réunion, le chikungunya a emporté 2 048 personnes et un tiers de la population réunionnaise, qui compte 850 000 à 900 000 habitants, a été touché : on ne peut pas ignorer cette situation, l'effacer d'un revers de main. En 2016, en Martinique, 36 000 cas de dengue ont été recensés ; 700 femmes enceintes ont été touchées et, comme vous le savez, un lien a été établi avec de graves malformations des foetus, entraînant des conséquences graves pour les enfants à naître. En 2019, cette année, plusieurs élus réunionnais, dont Ericka Bareigts, ont signalé une épidémie de dengue, faisant état de 75 000 cas, 732 hospitalisations et 20 décès.

L'ampleur de la crise devrait nous interpeller : la République ne peut pas rester insensible aux 2 000 décès survenus en 2004-2005 à La Réunion et à ceux intervenus en 2019. Un constat doit être fait, chers collègues : le nombre de morts à La Réunion et de cas recensés en Martinique peut conduire à s'interroger sur l'efficacité de la prise en charge de la crise sanitaire. Nous considérons, pour notre part, que ni l'État ni les collectivités locales – départements, régions et communes – n'étaient bien préparés. On peut notamment considérer que la politique antivectorielle n'était pas au point et que le système d'alerte n'était pas suffisamment puissant. Nous pouvons aussi constater que la prévention, pourtant utile, était insuffisante, pour ne pas dire défaillante. En outre, la population n'était pas préparée et ne s'était pas organisée pour faire face à une telle crise. Le système de résilience avait été effacé, notamment par des conditions de vie que nous savons extrêmement difficiles – je pense en particulier à la question de l'habitat insalubre.

Au-delà de cette situation dramatique, nous devons affronter un deuxième problème, plus grave, qu'Ericka Bareigts a décrit tout à l'heure. De nombreux parlementaires ne savent peut-être pas – pas plus que ceux qui m'écoutent sur le territoire national – que le moustique tigre, Aedes albopictus, envahit, petit à petit, le territoire de l'Hexagone : en 2014, le moustique tigre était présent dans dix-huit départements hexagonaux ; en 2018, quarante-deux départements étaient concernés ; en 2019, nous en sommes à cinquante et un départements. Cela montre bien qu'au-delà de la Martinique, Aedes aegypti et Aedes albopictus sont en train d'envahir l'Hexagone.

Nous sommes donc face à un fléau qui dépasse le périmètre des pays d'outre-mer et nous touche directement, ici même. De nombreux départements sont en train de s'organiser, mais l'expérience que nous avons connue en Martinique et à La Réunion en 2004, 2005 et 2016 nous impose d'appeler l'attention de l'État sur ce problème. Il faut faire attention et analyser la situation. Pour quelle raison y a-t-il eu 2 000 morts à La Réunion et 36 000 cas déclarés en Martinique ? Que se passe-t-il ? Je le répète, la prolifération des moustiques tigres est en train de devenir un fléau.

Si on extrapole à l'échelle de l'Hexagone ce qui s'est passé en 2004 et 2005 dans les outre-mer, comme vient de le dire Ericka Bareigts, 26 millions de personnes seraient touchées par l'épidémie et on déplorerait 15 000 à 20 000 décès. Certes les conditions sanitaires ne sont pas les mêmes dans l'Hexagone qu'à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique, mais, si cette simple extrapolation mathématique devenait une vérité et que l'on apprenait que 26 000 personnes avaient été tuées par Aedes albopictus, quel serait votre raisonnement ? Pourriez-vous vous contenter de dire qu'il n'y a pas de problème ou que l'on va trouver des solutions ? Cela me fait penser au scandale du chlordécone : on a attendu tellement longtemps que, quarante-huit ans après l'apparition du problème, on en est toujours à le traiter !

La proposition de résolution du groupe Socialistes et apparentés n'est pas un texte antigouvernemental : elle vise à inviter tout un chacun à participer activement à l'expertise et à trouver des solutions qui nous permettent de faire face à cette réalité.

Je rappelle en outre qu'aucun vaccin ne permet actuellement de régler le problème du virus zika, du chikungunya et de la dengue. Ayant été personnellement touché par zika, je peux vous dire que le jour où il va déferler sur l'Hexagone, je pense qu'on va trouver une solution très rapidement ! Il ne faudrait pas que les populations réunionnaise, martiniquaise et guadeloupéenne puissent penser que l'on trouve des solutions rapides quand un problème survient ici et des solutions pas assez rapides quand cela se passe chez elles ! Ce serait très mauvais ! Voilà ce qui engendre le discrédit que nous subissons parfois.

Honnêtement, dans ce chantier considérable, il y a eu quelques avancées. Cependant, nous savons pertinemment que la recherche n'est pas suffisamment poussée. Je considère que les maladies virales propagées par les moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus devraient faire l'objet de recherches prioritaires. Il faut absolument ouvrir des espaces de recherche, mener des politiques de recherche innovantes et déclarer la recherche dans ce domaine comme une priorité stratégique. Ce qui se passe en France se passe aussi dans d'autres pays qui pourraient avoir besoin des résultats de nos recherches. Je pense à des pays d'Afrique, d'Amérique du Sud et de la Caraïbe qui attendent des solutions, après des épidémies ayant causé des dégâts considérables – il en est ainsi du virus zika en Amérique du Sud, notamment au Brésil.

Voilà toutes les bonnes raisons qui justifient la mise en place d'une commission d'enquête. Je vous entends déjà nous demander pourquoi nous ne voudrions pas d'une mission d'information, pourquoi nous ne nous contenterions pas d'un rapport parlementaire ou pourquoi nous ne défendrions pas un amendement, par exemple dans le cadre du débat budgétaire. Ce n'est pas le problème ! L'ampleur des dégâts nécessite une approche globale qui nous permettra de sortir par le haut de ce fléau, que ce soit dans l'Hexagone ou en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion.

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