Monsieur le président, nous sommes en effet dans le cadre du droit de tirage du groupe La France insoumise. Vous l'avez indiqué, la commission des Lois n'a pas la capacité de se prononcer sur l'opportunité de la création de la commission d'enquête : à ce stade, il s'agit de vérifier la recevabilité de la demande.
La proposition de résolution doit déterminer avec précision soit des faits donnant lieu à enquête, soit des services ou entreprises publiques dont il s'agirait d'examiner la gestion. Selon son article unique, la commission d'enquête aura pour objet d'étudier les obstacles à l'indépendance du « pouvoir judiciaire » entendu, conformément à l'exposé des motifs, comme recouvrant la justice judiciaire, la justice administrative, ainsi que, le cas échéant, la Cour de justice de la République. Il s'agit donc d'un champ extrêmement large. L'ampleur, le nombre et la variété des sujets mentionnés dans l'exposé des motifs pourraient laisser penser que l'objet n'est pas suffisamment déterminé au regard des exigences que nous avons rappelées, celles de l'article 137 de notre Règlement. Néanmoins, l'exposé des motifs précise que la commission d'enquête aura « pour objectif de mieux identifier les obstacles, de faire des préconisations pour garantir une plus grande indépendance, voire l'émergence d'un véritable pouvoir judiciaire ». Cette formulation laisse penser que la première condition de recevabilité est satisfaite.
Par ailleurs, les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sont recevables sauf si, dans l'année qui précède leur discussion, une mission d'information ayant fait usage du pouvoir dévolu aux rapporteurs des commissions d'enquête ou une commission d'enquête ayant le même objet a déjà eu lieu. Tel n'est pas le cas et ce n'est donc pas non plus un motif d'irrecevabilité.
Le troisième point est sans doute le plus important : en application de l'article 139 du Règlement de l'Assemblée nationale, le garde des Sceaux doit faire savoir si des poursuites judiciaires sont en cours concernant des faits ayant motivé le dépôt de la proposition. Dans ces conditions et en vertu de l'ordonnance du 17 novembre 1958, la commission d'enquête prendrait fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter. En effet, on ne peut pas mener les deux enquêtes ; c'est un principe bien connu.
Le président de l'Assemblée nationale a donc interrogé Mme Nicole Belloubet qui a fait savoir, dans un courrier daté du 16 décembre 2019, que le périmètre de la commission d'enquête était susceptible de recouvrir pour partie celui de plusieurs enquêtes et instructions portant sur le traitement des différents événements évoqués dans la proposition de résolution.
La ministre de la Justice mentionne en particulier l'ouverture, le 5 novembre 2019, d'une information judiciaire par le procureur de la République de Paris, relative au déplacement d'une armoire forte appartenant à M. Alexandre Benalla, ainsi que l'ouverture, le 9 novembre 2018, de deux informations judiciaires, relatives aux relations entre l'association de financement de la campagne électorale de M. Jean-Luc Mélenchon, la bien nommée Ère du peuple, et la société Mediascop, ainsi qu'aux conditions d'emploi d'assistants parlementaires européens. En troisième lieu, la ministre de la Justice mentionne le caractère non définitif à ce jour de la décision rendue le 9 décembre 2019 par le tribunal correctionnel de Bobigny à la suite des incidents survenus lors des perquisitions réalisées le 16 octobre 2018 par le parquet de Paris, notamment au siège de La France insoumise.
La commission d'enquête devra donc veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire telle qu'elle a été rappelée, notamment les trois enquêtes que je viens d'indiquer.
Sous cette réserve expresse, il apparaît que la création d'une commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance d'un pouvoir judiciaire est recevable au plan strictement juridique.