Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 28 novembre 2019 à 10h45
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

– C'est un immense plaisir et un très grand honneur pour moi que d'introduire cette séance. J'ai eu le privilège de côtoyer, dans des vies antérieures variées, la plupart des personnalités qui vont s'exprimer au cours de cette audition et ai pu apprécier leurs extraordinaires compétences et leur joie de les partager. Elles composent pour nous aujourd'hui un panel d'exception. Les actes de cette matinée seront pour nous, à n'en pas douter, un document de référence, extrêmement précieux pour la suite.

En France, le conseil scientifique aux autorités publiques est traditionnellement considéré, dans l'administration de l'État, comme un sujet secondaire. En effet, l'administration, se percevant comme omnisciente, estime ne pas avoir besoin de conseil. Il existe certes des conseils scientifiques auprès de grands groupes comme EDF ou Orange, dont j'ai été membre par le passé, et des conseils scientifiques embryonnaires comme le conseil stratégique de la recherche ou ses différents avatars, qui n'ont jamais vraiment fonctionné. On compte évidemment, traditionnellement, l'Académie des sciences, dont le lien avec l'État s'est cependant considérablement relâché au cours des dernières décennies.

C'est en partant notamment de ce constat de défaut de fonctionnement du conseil scientifique de la recherche que le rapport du premier groupe de travail constitué par le gouvernement pour réfléchir à l'élaboration de l'avant-projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, dont j'ai été co-rapporteur, a souligné l'importance de disposer d'une réelle instance de conseil scientifique au politique, avec un rattachement effectif au Premier ministre, ceci signifiant en pratique que le Premier ministre rencontre ce conseil, le convoque, le préside effectivement, sur le modèle constaté dans d'autres pays, comme le Japon par exemple.

La composition de ce conseil devrait refléter son haut niveau décisionnel et rester relativement resserrée, avec une douzaine de membres seulement (dirigeants d'organismes de recherche, universités et entreprises majeures en recherche, personnalités scientifiques reconnues) chargés de définir des priorités scientifiques. La question de sa composition est très importante. J'ai ainsi eu l'occasion de participer aux deux premiers conseils scientifiques de la Commission européenne, avec mon collègue Rolf Heuer ici présent et Johannes Klumpers, qui en était le brillant directeur, et ai pu voir, entre les deux premières moutures, à quel point, selon sa composition et sa taille, le conseil pouvait fonctionner extrêmement bien ou excessivement mal. La mise en place effective d'un conseil scientifique au pouvoir politique en France, en l'occurrence au gouvernement, serait un acte fort en matière de politique institutionnelle.

Lorsque j'ai été élu président de l'Office parlementaire en juillet 2017, avant que Gérard Longuet, à la faveur d'un nouveau vote, ne me ravisse cette position, mon premier travail a consisté à réfléchir à l'organisation de ce conseil scientifique, qui aujourd'hui n'existe pas vraiment, sauf finalement au Parlement, avec l'OPECST, chargé par la loi d'évaluer les choix scientifiques et technologiques, ce qui inclut l'analyse de la préparation des décisions. Pour prendre des exemples concrets, notre très récent travail sur la politique spatiale s'est inscrit dans le calendrier de la préparation de la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne, chargée de prendre des décisions importantes pour les années à venir. Une première idée pour renforcer le rôle des sciences dans le travail du Parlement a consisté à suggérer de compléter les études d'impact, dont le gouvernement doit obligatoirement accompagner ses projets de loi, d'un volet concernant les impacts scientifiques et technologiques. Cette idée paraît de bon sens, dans un monde où les enjeux scientifiques sont omniprésents. Elle est pourtant restée au stade de la proposition. J'espère qu'elle pourra avancer avant la fin de la législature.

Quoi qu'il en soit, après deux ans et demi de travail de l'Office parlementaire, il m'a semblé que le moment était venu de poser sur la table le sujet du conseil scientifique aux autorités politiques, en nous appuyant sur des comparaisons internationales, afin de voir ce qu'il est possible de faire et s'inspirer des meilleures pratiques en la matière.

Nous allons ainsi, ce matin, faire le tour du globe. Certains de nos invités viennent de très loin. J'ai souhaité que nous entendions en premier lieu quelqu'un qui constitue une référence mondiale en la matière. Il s'agit de Sir Peter Gluckman, professeur de pédiatrie et biologie périnatale, qui a été nommé en juin 2009 premier conseiller scientifique en chef auprès du Premier ministre de Nouvelle-Zélande. Son mandat a été renouvelé à deux reprises et a pris fin en juin 2018. Au cours de cette période, Peter Gluckman a créé des fonctions de conseil scientifique au sein des principaux ministères néo-zélandais. Il a également été nommé envoyé spécial pour la science auprès du ministère des affaires étrangères et du commerce extérieur de son pays en 2010, afin de l'aider à jouer son rôle dans la diplomatie scientifique. En 2012, il a créé et présidé le premier réseau régional formalisé de conseillers scientifiques en chef de la coopération économique Asie Pacifique. En 2013, il était invité par le Conseil international pour la science à envisager la création d'un réseau international de conseillers scientifiques. C'est ainsi qu'il a présidé la conférence inaugurale du Conseil scientifique aux gouvernements convoquée en août 2014 à Auckland en Nouvelle-Zélande. Il s'agissait de la première réunion mondiale de conseillers scientifiques, académiques et universitaires de haut niveau. En juin 2018, Peter Gluckman a quitté son poste de conseiller scientifique en chef du Premier ministre néo-zélandais, pour être élu président du Conseil scientifique international, lors de sa réunion inaugurale à Paris. J'ajoute pour conclure que Peter est toujours prêt à donner des conseils et que j'ai profité à de multiples reprises de ses conseils avisés. Peter, vous avez la parole.

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