– C'est un plaisir d'être de retour parmi vous. Depuis l'audition de décembre 2017, j'ai eu l'opportunité de mieux connaître le système de recherche français. J'ai en effet été sollicité par le président du CNRS pour évaluer l'ensemble du CNRS. Ceci a donné lieu à la remise d'un rapport il y a deux ans. Plus récemment, j'ai présidé le comité d'évaluation de l'ANR, dont le rapport devrait être rendu public demain.
Je me propose aujourd'hui de vous faire partager les leçons apprises en tant que scientifique en chef du Québec au cours des huit dernières années. Je tiens tout d'abord à signaler que le gouvernement actuel du Québec, contrairement au précédent, est très pragmatique et attend des résultats concrets. Mon rôle est celui de conseiller auprès du ministre responsable de la science, de l'innovation et de la recherche. Le Québec étant relativement petit, il est toutefois très facile d'interagir avec plusieurs ministères et ministres. Depuis ma prise de poste en 2012, quatre gouvernements, de trois partis, se sont succédé : ceci a donc nécessité une grande capacité d'adaptation aux différents contextes politiques et, de la part des parlementaires, un grand intérêt à interagir avec mon bureau pour obtenir des avis sur la recherche et l'innovation au Québec.
Il est très important, comme l'a souligné Peter Gluckman, d'établir un réel climat de confiance avec les élus et les hauts fonctionnaires. Au début, ministres et hauts fonctionnaires me demandaient souvent des rapports de quelques pages, se concluant par des préconisations. De plus en plus, les procédures s'allègent et il n'est pas rare que je reçoive des appels téléphoniques pour m'indiquer les problématiques sur lesquelles les autorités s'interrogent et me demander quelles suggestions je pourrais formuler d'ici le lendemain. Le monde politique est toujours dans l'urgence ; il n'est donc pas question d'écrire une thèse de doctorat mais de donner des suggestions très concrètes. En tant que président des trois conseils subventionneurs de recherches au Québec, dont chacun dispose d'un conseil d'administration de quinze experts nommés par le gouvernement, j'ai la chance de pouvoir solliciter l'expertise de 45 spécialistes, dans de nombreux domaines. Par exemple, le cas s'est posé de deux villes voisines, dont l'une acceptait la présence de pitbulls et l'autre non. Le ministre de la sécurité publique m'a sollicité pour me demander de formuler très rapidement des propositions à ce sujet, car un projet de loi était en préparation. Nous avons par ailleurs été confrontés, au cours des deux dernières années, à de très graves inondations, qui nous ont conduits à réfléchir à des préconisations en termes de sécurité et de santé publiques. Bien évidemment, le gouvernement du Québec a un certain contrôle dans ce domaine, mais il est également nécessaire d'interagir avec les provinces voisines, dont l'Ontario, mais aussi avec le gouvernement fédéral, les États-Unis (par rapport au Saint-Laurent, d'où viennent souvent les problèmes) et les maires des villes, afin de prendre des décisions concrètes, en termes par exemple d'évacuation des populations et de santé publique, tant au niveau pulmonaire qu'en matière de santé mentale des citoyens touchés.
Je rappelle que notre rôle est de conseiller les décideurs, de leur fournir les éléments leur permettant de faire des choix, et non de décider à leur place ou d'imposer quoi que ce soit.
Comme vous l'avez précisé, je suis en charge des trois fonds de recherche, ce qui constitue un levier d'action, plus évident sans doute dans le modèle québécois que dans d'autres systèmes à travers le monde.
La promotion du dialogue entre la science et la société constitue également une mission importante confiée à mon bureau. Ceci s'effectue tout d'abord en organisant des activités avec les parlementaires, à partir des demandes qu'ils nous transmettent. Ils nous ont par exemple sollicités parce qu'ils souhaitaient avoir des informations sur CRISPR-Cas9 ou sur l'intelligence artificielle. Lorsqu'elle s'adresse au public, notre action consiste plutôt à intervenir par rapport aux fausses nouvelles, aux « fake news » diffusées dans les journaux ou les réseaux sociaux. Nous avons ainsi créé un outil, le « détecteur de rumeurs », qui vise à développer l'esprit critique des gens, en présentant chaque semaine des découvertes récentes et en les remettant dans leur contexte.
Nous avons aussi un rôle en matière de diplomatie scientifique pour le Québec. Le Québec est toujours un peu différent du reste du Canada et a quelque 38 représentations à l'extérieur du pays, un peu partout dans le monde. Nous avons ainsi vocation à être présents à l'international, lors de missions avec des ministres ou le Premier ministre, pour parler de la science au Québec et de la manière dont elle peut aider la diplomatie. Nous avons par exemple développé avec la Palestine un partenariat pour inviter des collègues palestiniens à venir faire des séjours au Québec, dans plusieurs disciplines. En deux ans, une soixantaine de jeunes chercheurs palestiniens sont ainsi venus passer plusieurs mois au sein d'universités québécoises. Ceci représente notre petite contribution à l'augmentation des capacités de recherche en Palestine et peut peut-être constituer un outil pour la diplomatie.
Parmi les mots clés que j'ai retenus des quelques dernières années, le plus important est assurément la confiance. Il faut un certain temps pour la bâtir et peu de temps pour la détruire ; nous avons néanmoins réussi à la conserver. Il faut également être capable de s'adapter aux changements, de parti au pouvoir, de gouvernement, de ministres, et faire preuve de neutralité. Il importe aussi d'être en capacité de répondre rapidement aux sollicitations.