– L'Académie des sciences est très heureuse d'avoir été invitée à intervenir dans cette circonstance.
Je vais évoquer brièvement son expérience ainsi que les souhaits qu'elle peut formuler en termes d'interaction avec les activités d'expertise et de conseil.
L'Académie des sciences a été créée en 1666 par Colbert. De nombreuses évolutions ont eu lieu depuis lors, avec non seulement un renouvellement du paysage scientifique, mais aussi une modification des rapports que l'Académie a toujours entretenus avec son protecteur, initialement le roi, désormais le Président de la République. À l'origine, l'Académie avait clairement pour objet d'être sollicitée en tant que conseil scientifique. Comme cela a été précédemment évoqué, ce lien s'est ensuite distendu et a varié au cours des siècles. Il faut reconnaître que l'Académie n'est aujourd'hui que rarement sollicitée de cette façon. Néanmoins, si l'on regarde la présentation actuelle de l'Académie, on peut y lire que « les réflexions que l'Académie conduit ont pour rôle de fournir à tous un cadre d'expertise, de conseil et d'alerte vis-à-vis des enjeux politiques, éthiques et sociétaux que pose la science. En vertu de cette mission, elle oeuvre au partage de la science pour éclairer les choix des citoyens et formule des recommandations sur lesquelles peuvent s'appuyer les autorités gouvernementales. Elle soutient en outre la recherche, s'engage pour la qualité de l'enseignement des sciences et participe à la vie scientifique internationale ». On se situe là au coeur de la problématique, avec une académie supposée occuper une place tout à fait affirmée à l'interface entre le monde scientifique, la société dans son ensemble et la puissance publique.
L'Académie bénéficie pour ce faire de deux atouts majeurs. Composée d'un ensemble de membres de toutes disciplines des sciences exactes et naturelles, elle dispose tout d'abord d'une expertise pluridisciplinaire avérée. Le petit bémol que l'on pourrait apporter est que les sciences humaines et sociales n'y sont pas représentées. Cette absence pourrait aujourd'hui se discuter, dans la mesure où il est désormais souvent difficile d'aborder les questions de science sans prendre en compte les aspects sociétaux ou éthiques. Il se trouve toutefois que nous avons, au sein de l'Institut de France, des académies voisines, comme celle des sciences morales et politiques, avec lesquelles nous pouvons échanger et mener des travaux communs.
Le deuxième atout de l'Académie est son indépendance. Placée sous la seule protection du Président de la République, elle n'a pas d'attache ou de tutelle ministérielle de quelque sorte que ce soit. Ceci lui offre une capacité d'intervention assez unique, soit par saisine, soit, le plus souvent, par autosaisine, sur toute question où la science trouve sa part.
L'Académie dispose de plusieurs instruments internes, sur la base essentiellement, de façon assez classique, de comités, de groupes de travail, qui engagent des travaux au long cours. Certains sont pérennes, tandis que d'autres sont mis en place de façon ad hoc, transitoire, beaucoup plus réactive sur des questions d'actualité.
Au cours des dernières années, l'Académie a fourni une trentaine de rapports, sur des sujets très divers. Elle a ainsi publié entre autres des Remarques et propositions sur les structures de la recherche publique en France en 2012, ainsi que des études remarquées sur L'enfant et les écrans, Les nouveaux enjeux de l'édition scientifique ou encore, plus récemment, Les mécanismes d'adaptation de la biodiversité aux changements climatiques, pour ne citer que quelques exemples.
Indépendamment de ces rapports, l'Académie a émis et rendu publics une cinquantaine d'avis et de recommandations, sur des sujets d'actualité dont elle a pu s'autosaisir, comme le financement de la recherche ou les bonnes pratiques en matière d'évaluation des chercheurs et des programmes de recherche. Ces deux textes ont été élaborés de manière conjointe avec d'autres académies, le premier avec l'Académie nationale de médecine, le second avec nos amis allemands de la Leopoldina et britanniques de la Royal society. Récemment, l'Académie des sciences a produit des recommandations sur la révision de la loi de bioéthique, et plus récemment encore une contribution à la préparation de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui nous intéresse tous en ce moment.
Dans le prolongement de ses actions passées, l'Académie travaille actuellement dans plusieurs directions. Ainsi, le comité des sciences de l'environnement s'intéresse au sujet d'actualité des matières plastiques et de l'environnement. Le comité de prospective en énergie travaille sur la transition énergétique. Nous disposons en outre, bien évidemment, d'un groupe d'initiative intelligence artificielle, qui s'intéresse à ce sujet sous ses multiples aspects. Enfin, le comité science, éthique et société aborde notamment les questions d'intégrité scientifique, dans lesquelles notre président, Pierre Corvol, est particulièrement impliqué.
Les réflexions menées par l'Académie s'articulent aussi avec des actions internationales. L'exemple emblématique de cette démarche est sa participation, chaque année, au GScience, qui regroupe essentiellement les académies des pays du G7, parfois élargi, et élabore des recommandations sur des thèmes choisis collectivement. En 2019, la France était l'hôte du G7 politique et à ce titre, notre Académie des sciences a organisé en mars une réflexion commune sur trois thèmes d'intérêt très général, qu'elle a proposés à ses partenaires : science et confiance, intelligence artificielle et société, et enfin science citoyenne à l'heure d'internet. Ceci donne lieu à des amendements, des discussions, puis à l'adoption de textes finaux, portés ensuite en une déclaration commune. Ce texte de quelques pages, assorti d'un résumé, comporte notamment des recommandations à l'usage des gouvernements. Un effort est en outre accompli pour essayer d'assurer un suivi de toutes ces réflexions : ainsi, la réflexion sur l'intelligence artificielle (IA) aura une continuation lors du prochain G7 à Washington, sous forme d'un travail sur l'IA dans le domaine de la santé. Ce thème, initié à Ottawa en 2018, a déjà fait l'objet d'un forum franco-canadien en septembre dernier, pour approfondir certains de ses aspects. Évidemment, cette réflexion donne également lieu à des interactions avec des initiatives plus locales : un groupe de travail conjoint a ainsi été constitué avec l'Académie nationale de médecine, tandis qu'un groupe d'initiative spécifique a, comme mentionné précédemment, été mis en place au sein de notre académie.
Pour revenir à un plan national, je rappellerai qu'a été initié en 2018 un cycle de rencontres sous forme de petits-déjeuners d'échanges, en partenariat avec l'Académie nationale de médecine et l'Office parlementaire. Quatre sessions ont déjà eu lieu, portant sur l'énergie, l'édition du génome, la cybersécurité et récemment la recherche participative. Une cinquième rencontre, en préparation, se tiendra en février 2020 sur le thème de la robotique. Ces rendez-vous sont autant d'occasions d'échanges, de partage de questionnements et d'expertises. Sans doute pourrait-on aller plus loin, pour faire en sorte que la réflexion se poursuive au-delà de ces rencontres ponctuelles et se conclue éventuellement par la formulation d'avis et de recommandations.
D'une manière générale, l'Académie des sciences a de multiples façons de jouer le rôle d'expertise et de conseil qui lui incombe de par ses statuts. On peut noter à cet égard qu'elle s'est dotée voici quelques années d'une charte de l'expertise, actuellement en cours d'actualisation, visant à préciser et garantir de façon claire et transparente les principes déontologiques à respecter dans le rendu de ses avis.
Comme ceci a été précisé en introduction, l'Académie a la capacité de mener à bien ses missions grâce à la richesse pluridisciplinaire de ses membres et à son indépendance. J'ajoute qu'elle en a évidemment le souhait, sans cesse réaffirmé sans ambiguïté.