Cet incendie ne remplit pas les critères permettant une reconnaissance de l'état de catastrophe technologique. Parmi ces critères figurent des morts et un certain nombre d'habitations soufflées. Toutefois, nous pourrions raisonner par analogie avec l'état de catastrophe naturelle, qui ne suppose pas de morts. Les gens ont été totalement perdus ; ils ont eu très peur. Le préjudice d'angoisse est indéniable. Ils étaient perdus et ne savaient pas ce qu'ils devaient faire, ni comment ils devaient le faire ; comment nettoyer, selon quel protocole ? En outre, Lubrizol est passé pour tout ramasser ! Il ne reste donc plus aucune preuve. Vous êtes les législateurs : à vous de voir s'il ne faut pas changer les critères de reconnaissance de l'état de catastrophe technologique. La difficulté en la matière est la même que pour les PPRT : le manque d'argent. Pourquoi les PPRT n'ont-ils pas marché ? Parce qu'il fallait beaucoup d'argent pour exproprier et pour payer les travaux des riverains – ce n'est d'ailleurs pas normal de leur demander de payer 50 % de leurs travaux, surtout s'ils étaient là avant. Je trouve cela très choquant.
L'explosion de l'usine AZF est un autre exemple, quoiqu'un peu différent. Heureusement, je n'en vois pas d'autre. En revanche, il existe d'autres risques. Je suis peut-être excessive, mais j'ai très peur d'un accident nucléaire en France. Vous avez sans doute eu connaissance de ce qui s'est passé à la centrale de Golfech il y a deux jours : des fuites sans gravité sont survenues, sans causer de dommages à l'environnement. Néanmoins, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a classé cet incident en niveau deux sur l'échelle de l'Institut national de l'énergie solaire (INES), à cause de la détérioration très grave des conditions de sécurité et de gouvernance de la centrale nucléaire. Je suis très inquiète, car EDF n'a plus assez d'argent pour effectuer les travaux indispensables. Le bras de fer permanent entre EDF et l'ASN aboutit au report des travaux. La centrale de Cruas est fermée depuis le récent tremblement de terre ; celle de Tricastin n'était pas loin. Je vous le dis très clairement : j'ai peur d'un accident nucléaire. Il y a vingt ans, lorsque j'étais ministre, je n'ai jamais eu cette peur, parce qu'à l'époque, les personnels étaient beaucoup mieux formés qu'aujourd'hui. De plus, les centrales étaient encore relativement neuves. Je ne me suis pas posé une seule fois la question de savoir si cela allait se produire quelque part ! Je suis franchement inquiète de la détérioration des matériaux et de la qualité de la formation des gens qui veillent sur la sûreté. Je pense qu'il y a là un vrai risque.
J'ai deux types d'informations au sujet du camion NRBC.
Tout d'abord, des informations officieuses émanant de personnes qui connaissent les gestionnaires de ces camions. Elles savent que le camion de Nogent-le-Rotrou n'a pas les homologations pour faire les analyses nécessaires. Plus officiellement, ces analyses n'ont pas été effectuées. Les pompiers ont fait leur travail, avec les lingettes, et ce qui pouvait être analysé de manière très simple l'a été. Toutefois, ce qui demandait du travail – les HAP, les métaux lourds et les dioxines –, n'a pas été analysé. C'est bien la preuve qu'on n'a pas pu faire ces analyses. Je n'ai rien d'autre à vous dire que cela.
De nombreuses analyses ont été faites, mais les lingettes dont je parlais précédemment ne servent quasiment à rien. Ce qui est intéressant, c'est de comparer avec les normes, c'est-à-dire d'avoir des analyses dont les résultats sont exprimés en mètres cubes. Cela demande des analyses complémentaires. L'IRES a demandé que des recherches soient faites un peu plus à l'aveugle, c'est-à-dire sans préciser quelles substances sont recherchées. Rendez-vous compte : 9 000 tonnes de produits très dangereux, voire mortels pour quatre ou cinq d'entre eux, ont brûlé. Dans de telles circonstances, on recherche des substances classiques : des métaux lourds, des HAP, etc. Toutefois, beaucoup d'autres substances ont brûlé et il est intéressant de savoir si elles sont présentes ou non dans l'environnement ; or nous ne le savons pas, puisque nous ne l'avons pas cherché. Des interrogations géographiques sont soulevées, notamment par ceux qui se trouvaient un peu plus loin sous le panache, là où il n'y a pas eu d'analyse. Des interrogations plus techniques sur ce que l'on recherche ont également été soulevées.
Compte tenu de la doctrine actuelle, le préfet était obsédé par la criticité : ce n'était pas critique, donc c'était bon ; le reste comptait finalement peu. À mon sens, la représentation nationale doit s'interroger à ce sujet. Nos concitoyens attendent bien sûr de ne pas mourir lorsqu'ils sortent dans la rue, mais ils attendent également autre chose, que la doctrine actuelle, très clairement, ne leur donne pas.
Quoi qu'il en soit, tous ces éléments seront examinés par l'instruction qui est ouverte. Beaucoup ont critiqué le fait qu'il ait fallu attendre cinq heures pour que les sirènes se déclenchent. Je rappelle en outre que le préfet avait déclaré qu'il était préférable de ne pas sortir si cela n'était pas nécessaire, alors que le patron du SDIS déclarait : « Je rappelle que toute fumée de cette nature est par essence toxique ». S'il a contredit ainsi le préfet, c'est sans doute qu'il ne trouvait pas la communication suffisante. La question de savoir si les gens devaient être évacués ou non était judicieuse ; si la décision a été prise de ne pas les évacuer, il fallait les confiner et ne pas se contenter de leur dire d'éviter de sortir. En outre, à ce moment-là un grand nombre d'interrogations n'étaient pas du tout levées : ce n'était pas critique, mais pour autant cela n'était pas nécessairement réversible. Le préfet a voulu éviter un effet de départs massifs, qui auraient bloqué les gens sur les routes et sous le panache ; on peut tout à fait le comprendre. Néanmoins, beaucoup de gens sont partis, et comme d'habitude, ce sont ceux qui sont les mieux informés et qui ont le plus de moyens financiers ; les autres sont restés. C'est un phénomène classique, qui a été constaté à la Nouvelle-Orléans lors du passage de l'ouragan Katrina : ceux qui le pouvaient sont partis ; ceux qui sont morts n'avaient pas pu partir ! En tout état de cause, je ne suis pas certaine qu'il y ait toujours eu une très bonne utilisation des informations données. Mme Delmas de l'ATMO Normandie a refusé de publier sur son site internet la qualité de l'air, car elle trouvait indécent d'annoncer une bonne qualité de l'air en raison d'un niveau normal de dioxyde d'azote ou de CO2. Le préfet n'en a pas tenu compte et a dit que la qualité de l'air était bonne.