Intervention de Gérald le Corre

Réunion du mercredi 4 décembre 2019 à 15h10
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Gérald le Corre, Union départementale CGT de Seine-Maritime :

Je vais donner des compléments de réponses, en commençant par les questions de M. Coquerel, notamment sur le rapport du Club Maintenance de la CCI qui a été présenté le 11 mars 2010, en présence de Monsieur Renoux qui était le patron de Lubrizol à l'époque. Il est intéressant, si vous les recevez la semaine prochaine, de noter que M. Bonvalet, qui est l'actuel directeur de site de Lubrizol, est l'ancien président du Club Maintenance de la CCI. M. Lagneaux, de la DREAL Normandie, était également présent à cette réunion de présentation du 11 mars 2010, et nous pouvons dire que le rapport a été purement et simplement enterré. C'est bien ce qui se passe.

Nous avons des difficultés avec les plans de prévention annuels et c'était déjà le cas à AZF. La réglementation est bien faite, le décret de 92 sur tous les travaux par les entreprises extérieures est très bien fait. Mais il y a une jurisprudence constante qui nous dit que les industriels ne peuvent pas faire des plans de prévention annuels, que nous devons analyser chaque activité et convoquer les entreprises sous-traitantes pour regarder concrètement la réalisation des travaux. Sauf que cela prend du temps, qu'il faut y mettre des moyens humains et ce n'est pas fait. Une circulaire du ministère du Travail nous confirme que nous ne pouvons pas faire les plans de prévention annuels. Cela concerne France Chimie, mais pas seulement ; dans l'industrie du nucléaire, dans l'industrie du médicament, dans l'industrie de la métallurgie, c'est la même chose. Les organisations d'employeurs ont décidé depuis des années de s'attaquer à ce décret de 92 avec les inspections préalables communes et on a des plans de prévention annuels partout. Nous avons fait des propositions très concrètes à M. le directeur général du Travail, que je vous invite d'ailleurs à auditionner, puisque c'est quand même lui qui, sous l'égide de Mme la ministre du Travail, rédige toute la réglementation technique. Nous avons proposé de donner des pouvoirs aux inspecteurs, comme pour l'exemple des chutes de hauteur. Il y avait une véritable épidémie de morts et donc, il y a très longtemps, le législateur a donné un pouvoir extraordinaire – il faut le reconnaître – aux agents de l'inspection du travail : si un salarié est exposé à un risque de chute de travail en hauteur dans le bâtiment, l'inspecteur du travail peut arrêter les travaux. Quand l'inspecteur du travail, par un simple formulaire, au bord de la route, remplit un arrêt de chantier, vous allez voir que l'employeur résout les problèmes. Dans les 24 heures, la plupart des situations sont résolues. Nous avons fait des propositions notamment sur les questions de sous-traitance, quand il y a intervention de la sous-traitance sans inspection préalable commune. Nous avons dit que, si les inspecteurs avaient ces mêmes pouvoirs, très rapidement on réglerait ce type de situation. Ce n'est pas le choix qui a été fait et il y a d'autres cas de figure où nous sommes assez démunis.

Deuxième sujet sur les questions de formation : c'est un vrai sujet à discuter et je vous invite à poser la question au ministère du Travail. Pour la question des interventions sur des matériaux amiantés, le ministère du Travail a pris des arrêtés précis sur ce qu'était la formation, son contenu, sa durée, l'organisme qui faisait la formation. C'est très bien, il faut le reconnaître. Pour la conduite des chariots élévateurs, c'est la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) qui a fait une recommandation que l'on appelle le certificat d'aptitude à la conduite en sécurité (CACES). Pour le reste, il n'y a pas de référentiel de formation. C'est un sujet puisque, à chaque fois qu'il y a un accident, globalement, les inspecteurs du travail auront relevé l'infraction et nous allons être suivis, quand on est sur un accident grave, par les juridictions pénales qui vont relever l'infraction du défaut de formation. Mais c'est difficile de relever le défaut de formation s'il n'y a pas de référentiel de formation, surtout qu'on est globalement sur des politiques des parquets.

Je souhaite vous fournir les effectifs très précis pour la partie du contrôle de l'Inspection du travail sur la santé-sécurité. On est passé de 51 agents en septembre 2014 à 44 aujourd'hui soit une diminution de 15 %. Les objectifs du ministère du Travail, c'est-à-dire la perspective fin 2020, sont d'un agent de contrôle de l'inspection du travail pour 1 000 entreprises. Selon cette perspective, nous arriverions à moins 32 d'agents. On pourra poser la question de ce qu'a fait l'Inspection du travail à Normandie Logistique et à Lubrizol. Je ne peux pas vous le dire, mais la question est intéressante. En tout état de cause, soit ils ont fait, soit ils n'ont pas fait. Mais s'ils ne l'ont pas fait, quand vous avez 1 000 entreprises dans votre secteur d'activité, entre des risques psychosociaux, des heures supplémentaires non payées et des intérimaires, une réglementation qui change tout le temps, nous ne jetterons pas la pierre bien évidemment à nos collègues de l'inspection. Avec des effectifs pareils, c'est assez évident que la réglementation ne va pas être appliquée.

Cela renvoie à la question de la place de la justice. Nous avons attiré l'attention de nos collègues du Sénat sur cette question-là. Il va y avoir une enquête pénale, il y aura une justice répressive. La justice répressive, c'est bien, mais c'est bien y compris avant les accidents, avant les morts. On dit cela aujourd'hui parce qu'il y a des rencontres régulières entre les agents de l'inspection du travail et les parquets. Ce que nous disent les parquets, c'est que les questions de santé-sécurité ne sont pas la priorité. La priorité, c'est notamment la délinquance routière, ce sont les coups et blessures sur personne, etc. Il y a une vraie priorité là-dessus, c'est-à-dire que, si l'inspection du travail relève un accident du travail sur un procès-verbal dans le cadre d'une explosion mortelle, il y aura éventuellement des poursuites. Mais quand les agents de l'inspection du travail relèvent des infractions à la pelle pour lesquelles il n'y a pas encore de victime parce qu'il n'y a pas encore de malade ou de mort, ce n'est pas la priorité des parquets. Quelle que soit la qualité des procès-verbaux d'infraction, ils sont très globalement classés. Pour notre part, il nous semble que ce qui marche bien en termes de circulation routière, c'est la tolérance zéro vis-à-vis des infractions de circulation routière. Quand vous roulez à 150 ou avec de l'alcool dans le sang, même si vous n'avez pas provoqué d'accident, vous allez être poursuivi et vous allez être condamné au moins à 99 %, à part s'il y a vice de procédure. On a totalement l'inverse quand on est sur des faits de délinquance, que ce soit sur des infractions au code du travail ou au code de l'environnement. Nous l'avons vu avec le nuage de mercaptan où le parquet n'a même pas poursuivi à l'époque pour mise en danger de la vie d'autrui. Lubrizol a eu une simple amende de 4 000 euros, non dissuasive. Je prends un autre exemple en Normandie, avec une toute petite PME du groupe Bolloré, que personne ne connaît ici, qui a été condamnée à 5 000 euros d'amende pour un accident mortel du travail dont le juge pénal a reconnu que l'infraction a été à l'origine de l'accident mortel. Je sais que cela peut choquer, mais cela donne quand même un signe aux industriels. C'est un peu comme si on leur donnait un permis de tuer. On dit, en gros : « Sur le plan de la morale, ce n'est pas bien, il y a des gens qui meurent. Mais bon, ça ne va pas vous coûter cher. Si vous continuez, ce n'est pas très grave. » Il faut qu'on arrive à cette délinquance zéro, avec la poursuite systématique des procès-verbaux.

Sur les propositions, de la même manière, il y a quelque chose d'extrêmement intéressant quand on regarde l'histoire, c'est le droit de retrait des salariés acté en 1982. On en a beaucoup parlé pour la SNCF, mais demandez au ministère combien de salariés utilisent leur droit de retrait dans l'industrie et en particulier dans les industries SEVESO. Ils ne sauront pas vous répondre, nous ne faisons pas de statistiques. Mais c'est pratiquement zéro. Le droit de retrait est un droit extrêmement fort en cas de danger grave et imminent, mais il n'est pas appliqué, parce que ceux qui utilisent leur droit de retrait n'ont pas de protection. Il faut protéger, il faut qu'il y ait une disposition législative qui ferait que, quand les salariés utilisent leur droit de retrait, ils soient recensés et bénéficient d'une protection contre le licenciement, forcément limitée dans le temps, comme l'ont les représentants du personnel.

Pour répondre aux questions de Mme la députée Goulet, je reviens sur les CHSCT. Effectivement, les choses vont empirer. Nous ne savons pas quelle est l'origine de l'incendie, nous ne sommes pas mieux placés que la police scientifique. Ce que nous pouvons dire, c'est que ni le CHSCT de Lubrizol ni celui de Normandie Logistique à l'époque n'avaient constaté les carences évidentes, entre les défauts de sprinklers, l'absence de cuves de rétention dans la partie Normandie Logistique. S'ils ne l'ont pas vu à l'époque, avec des moyens diminués, ils ne verront pas les risques de demain. C'est là-dessus qu'on insiste. Nous avons envoyé à la mission d'information les exemples que nous vous avons donnés et vous verrez que, sur l'ensemble des accidents que nous avons relevés ces dernières années, la question de la sous-traitance est une question fondamentale.

Sur les questions de reprise : il faut quand même dire qu'il y a une faillite de l'État, contrairement à ce que dit M. Macron, parce que sinon, on ne comprend pas comment il peut y avoir 39 contrôles et ensuite, des mises en demeure postérieures à l'accident. Soit il y a eu des contrôles et le préfet n'a pas suivi les recommandations des ingénieurs des installations classées, soit on est passé à côté. Pour la reprise, nous avons rencontré la direction. Nous n'avons pas rencontré le préfet qui ne veut pas rencontrer la CGT. A priori, nous ne sommes pas assez républicains pour rencontrer M. le Préfet ! Mais nous avons rencontré la direction de Lubrizol. C'était extrêmement instructif, notamment sur la question de la transparence. Nous avons posé la question à la direction de la Lubrizol : « Vous voulez redémarrer, vous affirmez que vous voulez la confiance des habitants de Rouen. Qu'allez-vous faire en termes de transparence ? » Je vous donne la réponse. D'une part, la direction regrette d'avoir été contrainte de donner les 479 fiches de données de sécurité qui sont désormais sur le site de la préfecture, parce que cela inquiète. Ils nous ont affirmé qu'ils ne donneront pas plus d'informations aux riverains que ce que le préfet les oblige à faire en termes de communication, ce qui nous renvoie à la case CODERST qui se réunira le 10. Les éléments ont été envoyés aujourd'hui à midi à la préfecture, mais nous ne pouvons pas les avoir, parce que je vous rappelle que les organisations syndicales de salariés ne sont pas membres du CODERST. Les représentants, pour la société civile, sont l'UFC Que Choisir, France Nature Environnement et il leur est interdit de faire état des éléments avec le fameux principe de confidentialité. On ne sait même pas d'ailleurs comment ils vont pouvoir avoir un avis collectif.

Nous demandons évidemment la transparence. Nous savons qu'il y a eu les arrêtés. Nous savons qu'il y a des travaux faits, Lubrizol a dit que l'évaluation des risques avait été remise à jour. Ce que nous demandons, mais il faut que ce soit porté maintenant par une proposition parlementaire, c'est qu'au nom de la transparence, les courriers de l'inspection du travail, ceux de la DREAL, ainsi qu'un certain nombre de documents qui sont imposés aux industriels, notamment le document d'évaluation des risques, le plan d'opération interne soient publiés et accessibles aux riverains. J'ai cherché à consulter le PPI de Rouen. Il est accessible uniquement à la mairie de Rouen et encore, toutes les pages ne sont pas accessibles. Pour reprendre l'activité industrielle, nous sommes dans les conditions de sécurité, mais les conditions de sécurité impliquent aussi des conditions de transparence.

Je finis juste sur la question des comités de suivi de site. Il y a un problème au CODERST. Il faudrait que les questions syndicales de salariés puissent être au CODERST. Je pense que ce serait une proposition simple et intéressante. Pour les comités de suivi de site, nous avons le même problème que dans les CHSCT avec entreprise élargie : les représentants du personnel dans les comités de suivi de site (CSS) se retrouvent face à leur propre employeur. Même si ce sont des salariés protégés, ce n'est pas facile. Quand vous votez sur le PPRT une autorisation d'exploiter, vous pouvez avoir un discours interne dans la boutique parce que ça ne sort pas de la boutique. Mais quand vous êtes au CSS dont les comptes rendus sont publics, cela peut être mal vu que vous votiez contre leur autorisation d'exploiter lorsque vous considérez qu'elle est dangereuse, parce que cela va se savoir et que vos collègues vont vous dire qu'au nom des politiques de l'emploi, ce n'est pas normal. Nous proposons pour les CSS une représentation syndicale interprofessionnelle, ce qui éviterait les pressions.

Je finis sur le PPRT. La représentante de la CGT a voté contre le PPRT Lubrizol. Et là, il faut le dire, les PPRT à Rouen n'ont pas travaillé sur la réduction à la source des risques. Il y a trois PPRT sur une zone de 15 kilomètres alors qu'il devait n'y avoir qu'un seul PPRT. Mais si on faisait un seul PPRT, soit il y aurait beaucoup de contraintes pour les riverains en termes d'immeubles et en termes de route, soit il y aurait des contraintes extrêmement fortes sur les industriels. Il y a eu un compromis entre l'État et les collectivités locales pour réduire le cercle des PPRT, sauf qu'à un moment donné, ça explose. Il faut examiner la situation autrement, y compris sur la question du droit à l'expertise, à une expertise indépendante, puisque – et ce n'est pas une remise en cause de nos propres collègues fonctionnaires – l'expertise de l'État n'est évidemment pas neutre et pas indépendante.

Il y a une question extrêmement pertinente de Mme la députée Goulet sur la question de la sous-traitance. Évidemment, l'interdiction est la formule générique, comme nous avions encore, il y a quelque temps, une formule de base qui est l'interdiction du travail du dimanche, ce qui n'empêche pas que le dimanche, nous avons des trains ou des hôpitaux qui fonctionnent. Quand nous demandons l'interdiction de la sous-traitance, c'est la formule générique. Ensuite, par arrêté motivé, avec consultation des représentants du personnel, un débat motivé et une évaluation des risques, il y a des activités particulières, très techniques ou sans risques qui peuvent être sous-traitées. Mais si nous n'avons pas cette interdiction globale de la sous-traitance, on ne va pas s'en sortir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.