Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Réunion du mercredi 4 décembre 2019 à 15h10

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CHSCT
  • accident
  • communication
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  • incendie
  • inspection
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La réunion

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L'audition débute à quinze heures.

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Nous allons commencer notre audition dans le cadre de la mission d'information de l'incendie de Lubrizol à Rouen. Nous avons été missionnés sur cet accident majeur pour, à la fois, faire la lumière sur cet accident, établir un retour d'expérience sur la gestion et la communication de crise, également sur l'après-crise et, enfin, faire des propositions d'amélioration des dispositifs.

Nous auditionnons les représentants des syndicats de salariés. Le message que je voudrais d'abord adresser à travers vous, c'est bien évidemment la reconnaissance de l'action qui a été menée par les salariés du site de Lubrizol qui ont eu à intervenir au moment de l'événement. Ils l'ont fait avec beaucoup de sang-froid et de compétence. Je crois qu'il est important de le dire, car on a entendu beaucoup de choses et je pense très utile de rétablir le rôle indispensable et essentiel des salariés des sites industriels.

D'abord, j'aimerais, bien évidemment, vous entendre sur l'évènement lui-même, sur la crise, sur la façon dont vous l'avez perçue dans vos responsabilités et à partir des témoignages que vous avez pu recueillir auprès des salariés qui relèvent de vos organisations syndicales. Je voudrais connaître votre appréciation sur la gestion de crise, sur la communication de crise, sur l'après-crise et vous entendre aussi sur ce que l'on appelle la culture du risque. C'est un sujet qui est présent depuis le début. J'aimerais que vous puissiez nous indiquer ce qui explique les difficultés rencontrées aujourd'hui pour « infuser » en quelque sorte cette culture du risque, dans ce département en Seine-Maritime et plus largement dans la région Normandie. C'est un territoire avec une empreinte industrielle forte, avec des salariés qui travaillent dans des entreprises et dans une industrie encore florissante à l'échelle de ce territoire. En effet, au cours de nos auditions, on nous a souvent fait remarquer la différence qui peut exister, par exemple, entre le territoire havrais et le territoire rouennais. Connaissez-vous d'autres différences entre d'autres territoires en France ? Comment expliquez-vous cette plus ou moins forte imprégnation de la culture du risque selon les zones géographiques ?

Vous savez que, depuis la loi Bachelot, votée suite au rapport Le Déaut après l'accident de l'usine AZF, un certain nombre de recommandations avaient été faites, notamment sur le rôle essentiel des salariés, avec un objectif à la fois de formation et d'implication des salariés dans la gestion du risque. J'aimerais vous entendre sur le rôle qui était celui des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et savoir ce que change la transformation des CHSCT en comité social et économique (CSE). Y a-t-il un changement de pied ? Comment percevez-vous aujourd'hui le rôle qui doit être celui des salariés ?

J'ai une question plus spécifique pour le Syndicat national des ingénieurs de l'industrie des mines (SNIIM), sur la question des contrôles. Avec un certain nombre de collègues, nous posons de façon récurrente la question des effectifs dont vous disposez pour exercer vos missions de contrôle. Nous avons toujours quelques difficultés à avoir en détail, direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) par DREAL, l'état des lieux du nombre d'inspecteurs, notamment de ceux dédiés au contrôle des sites SEVESO. Nous venons de le demander officiellement. Avez-vous ou non les moyens d'exercer vos missions ? Quelles pistes d'améliorations proposez-vous ? Je crois que vous vous êtes notamment exprimés sur l'idée d'une autorité indépendante de contrôle qui pourrait être une idée séduisante, intéressante. En tout cas, je l'accueille comme telle, mais pourriez-vous préciser cette idée ? Enfin, auriez-vous des pistes d'amélioration sur la question du contrôle des sites industriels ? J'ai entendu des propositions, qui émanaient, je crois, de la CFDT, sur un bureau d'études des accidents spécifique. Je ne sais pas s'il y a d'autres propositions. Toutefois, au regard de l'émotion forte – qui est encore vive – de la population, dont font, bien sûr, partie les salariés, nous devons avoir une exigence sans doute encore plus forte en matière de sûreté et de sécurité des sites industriels aujourd'hui.

Pour terminer cette salve de questions, on parle aujourd'hui de réouverture, au moins partielle, du site. Avez-vous le sentiment que c'est le bon moment ? Si vous êtes favorables à cette ouverture partielle, dans quelles conditions, selon vous, peut-elle être rendue possible ?

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Je ne vais pas revenir sur l'ensemble des questions qu'a posées M. le président, puisque globalement j'avais les mêmes. Je commence évidemment par remercier pour leur action les salariés de Lubrizol qui, alors que l'incendie commençait à trois heures du matin, se sont mobilisés pour déplacer les fûts et ainsi réduire le potentiel suraccident. Nous ne pourrons jamais suffisamment les remercier d'être ainsi intervenus.

Je pense qu'il est important que nous puissions revenir sur les questions suivantes :

1. Quel est votre sentiment sur la sécurité des sites industriels, particulièrement des sites classés SEVESO ?

2. Voyez-vous, du fait de votre expérience ou des expériences de vos organisations, une évolution, qu'elle soit positive ou négative, dans la culture du risque ? Quelles sont les différences qui peuvent exister entre les territoires ?

Comme le président a bien détaillé les différents points, je ne vais pas aller plus loin. J'ajoute juste, pour le SNIIM : à propos de votre idée de ce qu'on appelle communément « l'ASN du milieu chimique et des sites SEVESO », pouvez-vous nous expliquer concrètement quelle est votre philosophie et comment vous en êtes venus à avoir cette idée ?

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Gérald le Corre, Union départementale CGT de Seine-Maritime

Nous avons donné comme titre à notre diaporama : « Accidents Lubrizol et ailleurs : ils auraient été évités si l'État nous avait écoutés ». Nous aurions pu l'appeler autrement, comme la dernière diapositive de ce diaporama : « Si les 90 propositions de la mission d'enquête parlementaire à l'issue d'AZF avaient été appliquées, on n'en serait pas là ! »

La CGT a beaucoup d'expérience sur les incendies et les accidents industriels qui, depuis AZF, se multiplient. Nous voudrions surtout insister, y compris par rapport à votre première question, sur le fait qu'il y a un double socle réglementaire et que les premiers qui sont soumis au risque industriel sont les travailleurs. Les travailleurs doivent être protégés des risques d'incendie, d'explosion, du risque chimique, etc. par un code du travail. Ce code du travail a toujours quelques défauts, bien évidemment, comme la suppression des CHSCT, mais globalement, il comporte des milliers d'articles réglementaires précis sur la question des explosions, du stockage des produits chimiques, sur la question de la sous-traitance, sur les questions de formation dont vous avez parlé il y a quelques instants avec la loi Bachelot. Ce que nous mettons en évidence, c'est que ces dispositions aujourd'hui sont d'ordre public. Peut-être cela ne sera-t-il plus le cas demain, puisqu'une députée, Charlotte Lecocq, a rendu un rapport demandé par Édouard Philippe qui propose que ces règles d'ordre public soient remplacées par des décrets dont les dispositions soient supplétives. J'attire aussi votre attention sur les dangers de demain. Au-delà du code du travail, nous avons en quelque sorte une deuxième ceinture de sécurité avec le code de l'environnement.

Je résume rapidement nos constats, en vous renvoyant à un dossier de huit pages que nous avons publié en 2014, très précis, avec des situations tirées de la Seine-Maritime. Nous constatons une extension de la sous-traitance extrêmement importante, mais sans inspection préalable commune. Nous constatons des défauts d'évaluation du risque incendie-explosion. Nous avons parlé de la loi Bachelot. Les industriels ont remplacé l'obligation de formation par de… l'information. Nous constatons également, c'est peut-être un peu moins réglementaire, mais c'est une vraie problématique, des contraintes de production qui obligent de fait les salariés, notamment ceux relevant de la sous-traitance, à mentir sur leur activité réelle. On leur demande de faire des tournées de contrôle, de respecter les procédures, mais ces procédures sont contradictoires avec les effectifs et les contraintes de temps. C'est cela le problème majeur, avec une sous-traitance qui s'accélère et des contrats qui sont revus afin d'être de plus en plus courts. C'est-à-dire que, même si on a une majorité de salariés de la sous-traitance qui sont en CDI et qui sont donc considérés comme des non précaires, le risque de perdre le contrat tous les ans crée une précarité qui fait que les salariés n'osent pas dire ce qui se passe vraiment en termes de conditions de travail.

Une fois n'est pas coutume, rappelons-le car c'est extrêmement important, le patronat est d'accord avec nous. Peut-être que le MEDEF ne viendrait pas vous le dire, mais nous avons publié – et je vais vous la transmettre – l'enquête qui a été faite par le Club Maintenance de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Normandie, qui est pour nous une représentation du patronat. Selon cette enquête, 88 % des donneurs d'ordre reconnaissent que les situations ne sont pas satisfaisantes en termes de santé et de sécurité. C'est extrêmement important et l'enquête va plus loin, parce que les deux enquêteurs ont auditionné quelque 1 400 salariés de la sous-traitance. D'après leurs chiffres, parmi les salariés qui travaillent avec des permis de feu, donc dans des zones où le risque incendie est établi, 92 % ne sont pas formés à l'utilisation d'un extincteur, 75 % ne connaissent pas la réglementation sur les zones d'explosion. Quant au document central du code du travail en termes d'évaluation des risques, le fameux document unique d'évaluation des risques, 92 % ne savent pas ce que c'est !

Avant de parler de la gestion de crise, parlons d'avant la crise. L'un des problèmes de l'incendie de Lubrizol est que nous avons prévenu, mais nous avons l'impression que cela ne sert à rien. On parle beaucoup du CODERST et de la question de l'environnement, mais il y a une instance qui est une instance centrale sur les conditions de travail des travailleurs, c'est le comité régional d'orientation des conditions de travail (CROCT), présidé par le préfet, qui en Normandie ne vient jamais. C'est un sujet qui a priori ne l'intéresse pas. Nous avons alerté à plusieurs reprises. Je vous ai mis des extraits de courriers, mais, évidemment, nous pourrons donner à la mission les originaux écrits au préfet et au ministère du Travail pour dire : « Nous avons des constats en Seine-Maritime, il va y avoir un accident comme à AZF ». Nous l'avons dit en 2012. Nous l'avons dit en 2015 - 2016, nous l'avons redit juste avant l'accident en 2018. Pire que cela, après l'accident, lors d'une réunion de ce fameux CROCT, le 15 novembre, on n'annonce aucune action particulière en termes de contrôle, alors que nous démontrons des anomalies et que le patronat est d'accord avec nous.

Moins on écrit, moins on prend de risques. Le ministère du Travail et le préfet ne nous répondent jamais par écrit. Seuls les différentes directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), les représentants dans les services déconcentrés du ministère du Travail nous répondent en tenant grosso modo le discours suivant : « On est assez d'accord avec vous sur les constats, notamment les situations de risques et de violations manifestes de la réglementation, mais nous n'avons pas les moyens de mener une action ».

Cela fait plusieurs fois que des catastrophes de type AZF sont évitées. Nous avons mis des exemples extrêmement précis et documentés, notamment par voie de presse. Le 17 octobre 2015, c'est au Havre, donc ce n'est pas la culture de sécurité au Havre qui nous protège, nous ne sommes pas d'accord avec cela. Il s'agit de 8 000 mètres cubes d'éthylène à Gonfreville, on passe à côté d'une explosion sûrement quatre ou cinq fois plus forte qu'AZF. On est sur une chute de générateur de vapeur à Paluel, avec une expertise qui met en évidence les questions de sous-traitance. On est sur une explosion dont on parle moins, qui a fait la une de France 3 et de Paris-Normandie, bien sûr, pendant deux jours, deux morts à la société agro-industrielle de patrimoine oléagineux (SAIPOL) qui n'est pas une entreprise classée SEVESO, je tiens à le préciser. Le classement SEVESO ne fait pas tout du point de vue du risque incendie explosion. Selon le dossier pénal, à quelques minutes près, nous aurions eu 11 morts et nous avons eu accès, puisque nous sommes partie civile dans le dossier, à l'ensemble de la procédure pénale, ainsi qu'à l'expertise judiciaire. Nous pourrons la transmettre à votre mission d'information parce que nous ne sommes pas soumis en tant que partie civile au secret de l'instruction. Cette expertise met en évidence des violations manifestes et nombreuses des obligations en termes d'évaluation des risques de sous-traitance pour une entreprise qui intervenait pour la première fois. Et les choses se répètent, parfois cela ne fait pas la Une des journaux. En 2019, nous vous avons mentionné au moins trois accidents mortels liés à des questions de sous-traitance, avec des défauts d'évaluation des risques, et dont le dernier concerne de nouveau la raffinerie Total. J'insiste sur ce dernier cas parce que, à l'issue de cet accident mortel qui a mis en évidence une absence d'évaluation des risques, la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) a émis une injonction pour essayer de pousser Total à respecter la réglementation. Total a saisi la juridiction administrative et dit à la juge des référés du tribunal administratif de Rouen, en résumant : « Vous comprenez, madame la juge, la réglementation est trop compliquée et, si on applique la réglementation, nous allons donc pratiquement fermer l'entreprise ». C'est ce comportement. On a quand même des industriels qui assument, et nous pouvons bien évidemment vous transmettre les conclusions de la société Total pour confirmer nos dires. Je passe rapidement puisque Francis complétera sur la partie relative à la DREAL.

Nous avons toute une série de propositions. La première est celle du rapport parlementaire sur l'interdiction de la sous-traitance. La deuxième concerne, bien évidemment, des CHSCT avec des pouvoirs renforcés. Si vous prenez par exemple le site Total, sept CHSCT ont été remplacés par un seul. Il vous est interdit, à vous, de cumuler les mandats parce que les parlementaires ne sont pas des surhommes et des surfemmes. Mais nous, ouvriers de l'industrie, ouvrières, techniciens, serions des surhommes. Nous pouvons cumuler les mandats de délégués du personnel portant sur les revendications individuelles et collectives, les mandats des ex-comités d'entreprise donc des mandats sur les questions économiques et sur l'ensemble des activités sociales et culturelles et les mandats de CHSCT avec les risques immédiats et les risques différés. Non, nous ne sommes pas des surhommes ! Nous avons aussi un électorat qui vote pour nous et – il ne faut pas se mentir – dans les entreprises, on vote d'abord sur la question de l'emploi et sur la question du bulletin de salaire. Ce que l'on constate depuis la suppression des CHSCT, c'est que les mandats qui sont menés en priorité sont les mandats emplois et activités sociales. En effet, si les gens n'ont pas de chèques vacances, ils ne vont pas voter pour vous aux prochaines élections et votre organisation syndicale va perdre des représentants du personnel. Ainsi, même si des missions en termes d'enquête et d'expertise sont encore prévues dans la réglementation, cela devient le parent pauvre. Nos représentants du personnel CGT font en réalité de moins en moins de missions d'enquête dans le cadre du CHSCT et sur la santé des travailleurs.

Je répondrai au reste des questions postérieurement si c'est nécessaire.

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Pascal Tailleux, Fédération nationale des industries chimiques CGT

Je vais faire un peu d'histoire. Vous parliez de culture du risque ; je représente la Fédération nationale des industries chimiques - CGT, mais, en 2001, j'étais déjà responsable CGT à AZF. Je travaille à Grand-Quevilly, sur un site qui s'appelle Borealis, mais cela s'appelait avant AZF. C'est l'usine jumelle de celle qui a explosé à Toulouse. Nous sommes devant vous aujourd'hui, mesdames et messieurs les députés ; en 2012, la commission parlementaire est venue sur mon site et a auditionné deux camarades du CHSCT de l'époque ; Yves Cochet, ministre de l'Écologie à l'époque, est aussi venu rencontrer les organisations syndicales.

J'étais dans la délégation de ma fédération lors de la dernière réunion spécifique à France Chimie avec les patrons de la chimie et les autres syndicats. J'ai présenté les choses à ma manière, comme je vous le dis là, et à la fin, j'ai dit : « Quand allez-vous arrêter de nous tuer ? »

Vous parliez de culture du risque ; personnellement, je dis que les patrons, par exemple le groupe Total, cultivent super bien le risque. AZF, notre groupe, appartenait à Total à l'époque. Ils s'en sont débarrassés juste après le procès en appel de la catastrophe. En 2019, il y a eu cinq morts sur les sites de Total en France. C'est juste magnifique ! Cela signifie que, malheureusement, quoi qu'on dise, cela ne change rien. La question est : quand allons-nous arrêter de perdre notre vie en allant la gagner ?

Vous avez remercié les salariés de Lubrizol mais on peut remercier tous les salariés qui sont intervenus, y compris les pompiers. Les pompiers de mon site professionnel sont allés à Lubrizol, ainsi que ceux de la SIM, ceux de la Raffinerie de Normandie, ceux d'Exxon. Que serait-il arrivé s'il n'y avait pas eu de pompier professionnel sur nos sites ? Aujourd'hui, sur le site d'Arkema à Saint-Auban – Arkema est une des « grosses boîtes » de la chimie –, sur le site d'Adisseo à Commentry dans l'Allier, ils veulent supprimer les pompiers professionnels. On marche sur la tête. Il y a des salariés qui sont en grève pour sauver ces postes. S'ils ne sont pas sauvés, c'est la sécurité des salariés et des populations qui va être mise en jeu.

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Pascal Morel, secrétaire général CGT de Seine-Maritime

J'aurais une question à poser concernant l'indemnisation, sur le coût réel et le coût total. La commission régionale des comptes a-t-elle commencé à chiffrer, en termes d'intervention de tous les services de l'État, qu'il s'agisse des collectivités locales, des mairies, des salariés qui ont été forcés de se mettre en arrêt de travail ou en congé, de ceux qui ont été licenciés, les sous-traitants, mais aussi les employés des commerces à proximité de la zone de Lubrizol ? Tout cela se chiffre et Lubrizol en a la responsabilité. La CGT pose la question du coût. Ce n'est pas à l'État de payer la facture. Par le biais de nos impôts, ce serait, une fois de plus, l'ensemble des citoyens paierait la note, malgré tout ce qui a été dit en amont sur la responsabilité des employeurs qui ont été alertés en temps et en heure. Pour la CGT, sur tous les risques et toutes les suppressions de postes, de contrôles, les CHSCT remis en cause, il n'est pas question que les pouvoirs publics et en particulier les citoyens paient la facture de toutes ces insuffisances de la responsabilité de l'employeur.

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Une petite précision : la mission d'information pose aussi des questions. Elle est là pour auditionner l'ensemble des acteurs, quels qu'ils soient, et cela fait déjà plusieurs dizaines d'heures que nous faisons comme nous le faisons avec vous cet après-midi. Les membres de cette mission représentent tous les groupes politiques à l'Assemblée nationale. Ils n'hésitent pas à interpeller directement pour essayer de comprendre. Nous avons déjà eu l'occasion de poser directement aux exploitants la question que vous venez de poser et qui est parfaitement légitime. Nous aurons sans doute encore l'occasion de le faire, puisque nous auditionnerons à nouveau, dans quelques jours, les dirigeants de Lubrizol France. Ce sont des questions parfaitement légitimes et vous avez eu raison de les rappeler. Nous avons reçu aussi d'autres acteurs. Nous recevrons, pas plus tard que la semaine prochaine, les représentants des citoyens, des habitants qui se sont regroupés en collectif. De la même façon, nous recevrons ultérieurement les représentants des activités agricoles. Croyez-moi, la question de l'indemnisation est une question qui figure en bonne place dans l'ensemble des questions que nous pouvons nous poser.

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Francis Combrouze, Conseil national de la transition écologique

Comme je ne dispose que d'un temps très limité, ce que je vais dire là vous sera transmis par écrit, sous forme d'une note de 14 pages. Je représente la CGT au Conseil national de la transition écologique (CNTE), mais je suis également de la Fédération de l'équipement et de l'environnement. Nous sommes l'organisation majoritaire au sein du ministère de l'Écologie.

Une première leçon au sujet des effectifs : je vous donne les effectifs, « réels » et « théoriques », du programme « risques » de la DREAL en Normandie. En 2019, il y a 116 équivalents temps plein (ETP) contre 136 ETP théoriques, donc un écart de 20. Comme vous voulez de la chronique, voici les chiffres 2016 : 143 théoriques, 122 réels. Je constate que l'écart se maintient et les effectifs n'ont, en gros, pas baissé. Mais dans le programme « risques », et certains autour de cette table connaissent bien le programme 181 « Prévention des risques » puisqu'ils en sont les rapporteurs à l'Assemblée nationale, notamment pour la commission des finances, il y a une baisse d'effectifs de 50 personnes encore cette année, essentiellement au détriment du risque naturel (RN).

Les effectifs de l'Inspection se maintiennent globalement, mais les indicateurs sont en baisse. Vous avez déjà entendu parler du bilan national 2018. Sur une longue période, on constate une baisse de 39 % des visites d'inspection. Ce que nous préconisons essentiellement, c'est de mettre fin à l'espèce d'austérité budgétaire aveugle qui fait que nous n'avons pas des effectifs suffisants. Nous avons entendu que le directeur général de la prévention des risques souhaitait 50 % de visites en plus dans les installations, mais en même temps, l'indicateur de résultat du programme 181 casse l'outil des visites approfondies en disant qu'on va compter toutes les visites. C'est un projet pour 2020 qui est sur la table du Parlement, c'est l'indicateur de résultat de performance du budget opérationnel de programme (BOP) 181. Nous nous en étonnons. Nous tenons beaucoup à avoir des visites approfondies. Tous les sujets ne se valent pas.

Notre proposition est d'augmenter les effectifs. Nous avons donné un chiffrage annuel, environ 150 par an sur plusieurs années.

Il y a actuellement environ 1 300 équivalents temps plein, dont je vous rappelle que 300 environ sont dédiés aux installations agricoles, notamment d'élevage intensif. Nous ne les compterons pas et, en s'intéressant uniquement à l'industrie, il faudrait augmenter nos effectifs. Pourquoi ? Parce que les sujets sont plus complexes. Il y a des enjeux d'efficacité énergétique, des enjeux de biodiversité, des enjeux de pollution chronique, en tenant compte des milieux. Il faut connaître les sites. Les interactions sont nombreuses. Sans parler des produits chimiques et d'autres sujets qui font que nous avons besoin de tutorat, de formation, d'une mobilisation beaucoup plus grande. Enfin, nous ne comprenons pas que le gouvernement s'acharne à amputer l'institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), qui perd encore 13 emplois dans le projet de loi de finances (PLF) 2020. En 12 ans, je constate une perte de 70 emplois à l'INERIS sans aucune espèce de raison. Je rappelle que l'INERIS a été la cellule d'appui pour modéliser le panache et ses conséquences dans la prévention sanitaire à Rouen.

La CGT propose qu'Inspection du travail et Inspection des installations classées s'échangent directement, travaillent, fassent des contrôles inopinés, sans les filtres du préfet. Mes camarades de la chimie et mes camarades de l'Union départementale de Seine-Maritime ont bien mis en lumière les occurrences de la sous-traitance, les occurrences du facteur humain, les écarts entre le prescrit et le réel… C'est la situation sur le terrain. Puisque les facteurs humains sont capitaux, nous suggérons de faire des contrôles inopinés avec les deux inspections et que les inspecteurs des installations classées puissent répondre aux sollicitations des élus des personnels qui ont beaucoup à dire sur la réalité du site et de ce qui s'y passe.

Enfin, nous pourrions également imaginer des contrôles conjoints des services des douanes et des services de la concurrence et de la répression des fraudes sur tout ce qui est produit, sur le trafic des déchets, sur les gaz frigorigènes, sur les substances qui appauvrissent la couche d'ozone, sur tout un tas de trafics en matière de produits ou de transport, qui peuvent être légitimes – les deux sont vrais – mais qui posent au quotidien des problèmes et qui appellent des « co-inspections », si je puis dire. C'est la même chose pour le sanitaire où nous pensons que les cohortes de suivi des populations et l'état de santé des salariés ont beaucoup à voir. Je pense notamment au site de Fos où il est indispensable que les travaux des autorités en charge de la santé publique, de l'Inspection des installations classées et d'autres types d'expertise sanitaire, par exemple la CARSAT pour le suivi de la santé des salariés, donnent lieu à des données publiques, à des suivis. Il faut qu'en matière de communication, les inspecteurs aient beaucoup plus de droits pour s'exprimer sur la réalité de ce qu'ils rencontrent.

Pour gérer le décalage entre les moyens humains et la gravité des problèmes, les pouvoirs publics à notre connaissance ont répondu de trois manières. La première consiste à déréglementer. Concrètement, nous vous mettons en garde à propos du site de Normandie Logistique qui, de notre point de vue, relève au moins de l'enregistrement. Observez que nous en sommes à 17 000 installations soumises à enregistrement depuis 2010, date de création de cette rubrique dans la nomenclature avec un seuil à 300 000 mètres cubes. Je rappelle que le seuil était à 50 000 mètres cubes dans l'autorisation, avant la réforme de la nomenclature et la création de la rubrique enregistrement. Or le Premier ministre, le 16 septembre, dix jours avant l'incendie, annonce au nom de l'intérêt des chaînes logistiques vouloir passer ce seuil à 900 000 mètres cubes ! De 50 000 mètres cubes à 300 000 en 2010 puis à 900 000 mètres cubes en 2019, avec le projet du gouvernement qui allait être mis par le décret de nomenclature à consultation du public quelques jours avant l'incendie de Rouen, cela fait un facteur de l'ordre de 20 en relèvement des seuils. Nous voulons la mise à plat du système d'enregistrement avec un bilan de ses avantages et des inconvénients. Je rappelle qu'il n'y a plus de consultation du CODERST, pas d'enquête publique, pas d'avis, pas d'information de la population sur toute une partie de ces enjeux essentiels.

L'autre réponse a consisté à essayer de « préfectoraliser » une partie de nos activités d'inspection, par le fait que les procès-verbaux (PV) sont, au pénal, transmis directement au procureur ou pas, ou que les mises en demeure sont relues par le préfet, que des délais supplémentaires sont accordés. Faites-vous transmettre les PV pris par nos collègues de l'unité Rouen. Voyez ce qu'a fait l'inspection. Voyez ce qui a été transmis par le préfet. Tracez bien ces éléments. Il n'est pas normal, au titre de la Charte de l'environnement intégrée au bloc de constitutionnalité, que ni la population ni les salariés n'aient accès aux données brutes qui ressortent d'un contrôle, a fortiori quand il s'agit d'une mise en demeure administrative avec des délais, ainsi que de sanctions pénales.

Enfin, s'agissant du retour d'expérience que nous pouvons avoir, bien sûr, nous saluons comme tous nos camarades, outre les salariés de Lubrizol, ce qu'ont pu faire dans la nuit et dans la matinée les salariés de Triadis, d'autres sites SEVESO mobilisés, les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), les services de secours, mais également des agents de la direction interdépartementale des routes (DIR) par exemple, qui ont été mobilisés pour interrompre la circulation.

La gestion de la crise a été de notre point de vue relativement désordonnée. Je ne parle pas là de ce qui concerne la communication du préfet, mais par exemple du fait que le réseau de transport de Rouen a été interrompu à 13 heures et que les gens sont rentrés à pied sous le panache. Je rappelle quand même la modélisation en termes de risques, avec une situation sur le périmètre du panache estimé à 100 mètres de hauteur en dose létale et avec des effets irréversibles à 20 mètres du sol. Si la climatologie ou l'aérologie locales avaient été un peu modifiées, nous aurions pu avoir des ennuis extrêmement sévères et des effets redoutables pour la population.

On peut parler bien sûr de dysfonctionnements de communication, mais il n'y a pas que cela. De notre point de vue, il y a dans la conception du plan de prévention des risques technologiques (PPRT) qui a été mis en oeuvre une faute majeure : la coexistence de Normandie Logistique, qui relevait de l'enregistrement, sinon de l'autorisation, et dont les produits ont brûlé. La modélisation du PPRT aurait dû consister à agréger les deux données en ayant l'hypothèse d'un incendie Normandie Logistique qui allait vers les installations de Lubrizol. Or toute une partie de l'entrepôt ne relevait pas de sprinklers, c'est-à-dire de réseau d'extinction de mousse. Une partie des eaux et les mousses d'extinction d'incendie a d'ailleurs été épuisée très rapidement.

Enfin, dernière leçon : le fait que la pollution majeure de la Seine a pu être évitée grâce à un bassin – une darse – du Grand port maritime dans lequel les eaux se sont déversées. Pourquoi ? Parce que des remorqueurs de Rouen ont pu faire un contre-courant et surtout des moyens de rétention des hydrocarbures et produits chimiques qui pouvaient être largués à la Seine ont été retenus avec des barrages et des dispersants venus du Havre. Nous vous faisons observer que le plan Polmar Terre en projet au ministère prévoit d'avoir un seul centre Polmar Terre pour toutes nos façades maritimes, un centre situé à Brest. Calculez, Brest-Rouen, ce n'est pas Le Havre-Rouen, par la voie terrestre. Il est très probable que nous aurions eu une pollution majeure de la Seine.

Dans l'histoire de ce site, il y a le gaz mercaptan en 2013 comme vous l'avez vu, mais également, en 2015, une fuite de plusieurs centaines de tonnes d'hydrocarbures qui sont parties dans la Seine. Tous ces éléments montrent que nous avons la possibilité de mieux faire, en nous dotant d'effectifs, en travaillant mieux avec plusieurs types d'inspection.

En ce qui concerne la piste de l'autorité indépendante, c'est à notre avis un problème pour le Statut général de la fonction publique. Si les fonctionnaires de contrôle et d'inspection doivent être systématiquement dans une autorité indépendante pour bien faire librement leur travail avec une bonne technicité, nous mettons le doigt dans un engrenage dangereux. Certes, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) est devenue une autorité indépendante et c'est très bien. Ses effectifs sont à peu près maintenus et augmentent légèrement, ce qui est une très bonne chose, mais nous pensons aussi que les services d'inspection, en travaillant ensemble directement, en s'échangeant les données, peuvent s'améliorer.

Pour les installations soumises à déclaration, nous posons une question importante de notre point de vue qui est celle des suites données aux cas de non-conformité grave, car dans le décalage missions-moyens a également été inventée par les pouvoirs publics la notion de contrôle périodique. Pour une partie des installations soumises à déclaration, les entreprises privées sous-traitantes, qui contrôlent périodiquement les installations soumises à déclaration dès lors qu'elles appartiennent à certaines rubriques de la nomenclature, doivent réagir quand le contrôle délégué privé leur signale des non-conformités. L'inspection est avertie de ces cas de non-conformité grave, mais nous ne voyons ni de bilan ni de suite.

Enfin, nous redoutons que des suites soient données à des préconisations du rapport consistant à augmenter les pouvoirs des préfets pour, de manière discrétionnaire, ne pas consulter les CODERST quand ils doivent l'être, ne plus informer les populations, simplifier et déréglementer. Tout cela est extrêmement inquiétant de notre point de vue. Il est temps d'y mettre un coup d'arrêt.

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Bertrand Brulin, CFDT chimie énergie

Je vais essayer d'apporter quelques éléments de réponse sur les sujets que vous avez abordés en préambule.

Pour ce qui relève de la gestion de crise, effectivement, on ne peut pas dire que cela ait été de notre point de vue géré en l'état de l'art. Quelques jours après l'accident sur cette usine, nous avons vu se déplacer sur le terrain trois ministres, un Premier ministre et, encore quelques jours plus tard, un Président de la République. Je ne suis pas sûr que ce soit de nature à conforter la parole du préfet. Deux jours après, le ministre de l'Intérieur est certes dans son périmètre, tout comme le ministre de l'Environnement et celui de la Santé. Malgré tout, il a fallu qu'ils soient présents sur le site, pour dire ni plus ni moins que ce que le préfet disait. Cela sous-entend que le préfet n'était pas audible. En termes d'organisation et de communication au plus haut niveau, il semble que ce soit quelque chose de perfectible, disons-le comme cela.

Il s'agit aussi de savoir comment on prévient la population. Alerter et faire en sorte que la population soit au courant font partie des fonctions du préfet. Cela pose aussi la question des outils dont nous disposons pour faire cela. Aujourd'hui, nous avons un outil qui date de 1930, qui s'appelle la sirène. Vous avez tous des smartphones. Je ne vous fais pas de cours là-dessus. Il existe d'autres solutions dans des pays différents du nôtre, notamment, on l'a déjà dit, en Belgique. Le système de Bureau d'enquête et risques technologiques (BE-RT), qui est en lien avec les opérateurs téléphoniques, prévient toutes les personnes qui sont dans la zone concernée, y compris si vous êtes de passage. Ce système est en mesure de vous donner des informations précises sur les conduites à tenir. Je signale que dans la région, notamment à Gonfreville, un travail a été fait par le maire de la commune qui va beaucoup plus loin que ce qui existe ailleurs.

Outre cette problématique, ce besoin d'informer la population sur ce qui se passe et sur les conduites à tenir, ce qui a amplifié le drame, ce qui a rajouté du dramatique au dramatique, c'est que la population n'était pas du tout préparée. Cela nous pose une question claire : comment travailler sur la communication des risques ? Je vais donner un exemple très précis. Ce matin, j'étais avec des collègues de la société allemande Bayer. Ils me disaient qu'ils organisaient ce que nous pourrions appeler des comités de site comme nos différentes commissions locales, ces commissions qui ne fonctionnent pas ou fonctionnent mal, il ne faut pas s'illusionner.

En Allemagne, l'industriel, les services de l'État, les organisations syndicales, les salariés rencontrent les populations environnantes et parlent de ces sujets. Il y a aussi les salariés dans la boucle. Ce n'est pas un industriel qui vient et qui – sans lui faire de procès d'intention – prêche la bonne parole. Les salariés et leurs représentants sont associés et les représentants des salariés sont associés. Je ne sais pas s'il faut copier ce modèle, mais il y a quelque chose à travailler.

Sur la crise encore, comme j'ai eu l'occasion de le dire à vos collègues du Sénat, il se trouve que ma fille est dans un lycée du périmètre. Le matin, on nous a dit : « Venez la chercher, venez la chercher ! » Nous avons protesté en demandant s'ils n'étaient pas en confinement et le lycée a insisté pour que nous venions la chercher. Une heure après, nous avions des mails et des coups de fil du même établissement qui nous disaient de ne surtout pas venir puisqu'ils étaient en confinement. Quand j'en ai rediscuté avec ma fille, elle m'a dit qu'ils n'avaient même pas de scotch pour se confiner. Pourtant nos enfants sont formés dans le cadre de l'Éducation nationale, alors qu'ils sont tout petits, mais quand ils se retrouvent dans des situations réelles, cela part dans tous les sens. Il y a vraiment du travail à faire sur ce sujet.

L'idée du bureau enquêtes accidents est une proposition que nous avons faite après le deuxième procès AZF. Nous partons du constat que la procédure judiciaire concernant AZF se termine en Cour de cassation et que la décision va être rendue le 17 décembre prochain, soit 18 ans après. On peut comparer avec, par exemple, l'accident de la raffinerie de Texas City aux États-Unis en 2005. Le Chemical Safety Board s'était emparé de la question et, 24 mois plus tard, il rendait ses conclusions. La conséquence est que, 24 mois après, on peut faire un premier retour d'expérience. Nous n'avons pas le temps de nous caler sur le temps judiciaire pour attendre des retours d'expérience. Nous voyons bien la différence, 24 mois ou 18 ans. Il existe déjà en France dans le domaine du transport des bureaux d'enquêtes et d'analyses (BEA). Il en existe aussi à la Direction générale de l'aviation civile (DGAC). Les conclusions ou les travaux de ces BEA sont très rarement remis en cause. L'idée qui guide notre démarche est celle d'une autorité indépendante, sous forme d'un BEA. Il faut réfléchir à son rôle, compte tenu de ce qui a été dit précédemment.

À propos des CHSCT : nous passons de CHSCT qui avaient des prérogatives à ce que l'on a appelé des commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), quand elles existent parce qu'elles ne sont pas obligatoires. Ces commissions sont sous l'égide du CSE et, comme cela a été dit, les représentants du personnel qui y siègent sont appelés à gérer à la fois des problématiques économiques, des problématiques sociales, la vie de l'entreprise et on leur demande aussi de s'intéresser aux conditions de travail, à la sécurité et à l'hygiène, tout en leur retirant des prérogatives. La personnalité morale qu'avait le CHSCT auparavant n'existe plus. Dans certaines sociétés, lorsque c'était fait correctement, les représentants du personnel étaient consultés sur les études de danger et, de façon plus large, sur les demandes d'autorisation d'exploiter. C'est dans la tendance générale qui pose un vrai problème aujourd'hui : il faut réduire partout. On ne sait pas trop pourquoi, parce que finalement les arguments restent quand même assez vagues. Mais la tendance est qu'il faut réduire. J'ai fait un petit post-it sur les diminutions d'effectifs dont nous avons parlé tout à l'heure dans les DREAL. L'INERIS, dont il a déjà été question, voit ses effectifs diminuer de 20 % pendant la période 2013-2023. C'est à un point tel que le conseil d'orientation et de recherche de l'INERIS a déclenché une expertise. Cela réinterroge fortement leurs missions et la capacité qu'ils ont à les remplir. On assiste dans les services de l'État qui sont affectés sur ces sujets à un désengagement qui se traduit très clairement par la diminution d'effectifs. Vu les enjeux, il y a une vraie et grosse question. Nous souhaitons évidemment une revue complète de ce qu'on appelle maintenant les CSSCT, au moins sur les sites classés. Mais la question de la sécurité ne se pose pas uniquement sur les sites classés. On a un vrai sujet autour des modifications qu'ont introduites les ordonnances.

S'agissant des logiques de contrôle, il ne s'agit pas pour nous de dire ou de faire croire que nous sommes contre ; nous sommes bien évidemment pour. Je voudrais simplement attirer votre attention sur un élément : depuis 2013, la société Lubrizol de Rouen a eu 39 contrôles, soit un tous les deux mois en moyenne. Je ne suis pas en train de dire que les contrôles n'ont pas été faits correctement, ce n'est pas mon sujet. Ces contrôles ont conduit à des mises en demeure dont je n'ose pas imaginer que l'industriel ne les ait pas respectées, sinon je pense que son usine aurait été arrêtée. Pourtant, nous voyons bien que, malgré 39 contrôles, tous les deux mois pendant six ans, nous ne sommes pas capables d'éviter l'accident. Certes, il n'y a pas de risque zéro. Mais, par exemple dans les études de danger, il y a la notion de probabilité qui apparaît. Le stockage qui a brûlé chez Lubrizol a été identifié dans l'étude de danger, sauf erreur de ma part, et la probabilité qu'il y ait un problème, voire un incendie, a été estimée à une fois tous les 10 000 ans. Je pense que la méthode de l'approche probabiliste a probablement ses vertus, mais aussi ses défauts, et qu'à un moment donné, il faut l'utiliser comme un outil pour se caler, mais que la conclusion ne doit pas être : « Si cela arrive une fois tous les 10 000 ans, c'est bon ! ». Il faut aller un peu plus loin. Les spécialistes de la question vous en diront probablement plus sur ce sujet.

Nous faisons également un parallèle avec AZF, car ce sont des stockages qui ont brûlé. Pour les études de danger ou les logiques de contrôle notamment, nous posons la question de savoir si on ne s'intéresse pas plus aux unités de production en tant que telles tandis que, consciemment ou inconsciemment, on délaisse un peu les stockages. Des militants CFDT de Lubrizol nous disent : « Nous avons des moyens mobiles, ils sont ce qu'ils sont. » Le sujet des pompiers professionnels dans les sites a déjà été abordé et c'est une vraie question. Ce sont quand même les opérateurs qui viennent en renfort des brigades de pompiers sur les sites. Nous sommes à la fois opérateurs et pompiers. Cela signifie que, lorsque nous sommes appelés sur une intervention, nous quittons les unités et ces unités tournent avec moins d'effectifs.

Concernant les PPRT, puisque vous avez abordé le sujet, il y a effectivement un problème d'organisation, mais il y a aussi un problème d'application des PPRT. Comme cela a été dit, l'entreprise Normandie Logistique est juste à côté. Les effets domino étaient finalement potentiellement identifiés dans les études, mais la Métropole de Rouen construit un « éco quartier » qui vient, sans exagérer je pense, mourir à quelques dizaines de mètres de l'usine Lubrizol. Il faut savoir, en l'occurrence, que ce type de site était probablement déjà installé et que l'urbanisation s'est mise en place autour. C'est le fruit de l'histoire. La réglementation à l'époque était forcément différente, mais nous sommes en train d'en payer la facture. Ce n'est pas vrai partout. Au Havre, la zone est concentrée un peu à l'extérieur de la ville. Pour tout vous dire, quand j'étais enfant, j'habitais au Havre et je me souviens qu'il y avait à l'époque des sphères de gaz, pas loin de la gare du Havre. Cela remonte à plus de quarante ans. Elles ont été déplacées. Il y a un vrai problème d'urbanisation et de respect des PPRT.

À propos de la sous-traitance, tant que nous serons dans des renégociations quasi permanentes des contrats en tirant vers le bas, et comme je l'ai dit aussi à vos collègues du Sénat, je pense que nous ne pouvons pas avoir le beurre et l'argent du beurre. C'est un peu une réflexion de Normand. On a un vrai problème avec la sous-traitance, mais ce n'est pas la sous-traitance qui pose problème, c'est la façon dont les donneurs d'ordres fonctionnent avec la sous-traitance. Comment voulez-vous construire une culture commune avec les entreprises qui interviennent sur votre site si, en exagérant à peine, cela change toutes les cinq minutes ? J'ai toujours travaillé sur ces sites-là. Lorsqu'une entreprise avait le contrat et était renouvelée, nous avions toujours les mêmes gens sur le terrain ce qui fait que nous prenions l'habitude de travailler ensemble. Il y avait des gestes et des réflexes, en termes de suivi des procédures, de ce que l'on fait et de ce que l'on ne fait pas, des réflexes professionnels qui étaient mis en place, y compris avec les sous-traitants.

Dès lors qu'ils sont pleinement associés et présents sur le site de façon pérenne, on arrive à construire des choses. Mais si vous changez tous les cinq minutes, cela ne peut pas fonctionner, c'est clair. Cela renvoie à l'idée de culture commune. Nous ne découvrons pas ces sujets à la CFDT, puisque nous y travaillons depuis 10 ou 15 ans. Dernièrement, nous avons travaillé plus précisément avec un institut qui s'appelle l'Institut pour la culture de la sécurité industrielle (ICSI), qui est basé à Toulouse et qui a été financé par la région Midi-Pyrénées après l'accident d'AZF. Il regroupe des universitaires, des chercheurs, les organisations syndicales représentatives au niveau national et les industriels, évidemment. L'idée est de regarder comment on se met en ordre de marche sur des sujets précis. Cela se traduit sous différentes formes ; l'institut produit entre autres de la littérature. C'est en open source sur leur site, tout est gratuit. Il y a également des groupes d'échange et de concertation, dont un qui a débuté au mois d'octobre et qui s'appelle « Culture sécurité et dialogue social ». Nous ne faisons pas des réunions pour le plaisir, il y a un réel enjeu autour de cette notion de culture sécurité et de dialogue social. Nous travaillons beaucoup avec eux et nous avons aussi abordé la question de ce qui relève du prescrit et du réel. Personnellement, je préfère parler de ce qui est réglé et de ce qui est géré. Pour faire court et essayer d'être synthétique, le réglé est ce qui relève des procédures à mettre en oeuvre pour réaliser tel type d'intervention, tandis que le géré correspond à ce qui ne rentre dans aucune procédure parce que c'est le moment où vous rencontrez un problème et qu'il faut que vous agissiez. Cela fait appel à des réflexes et ces réflexes se construisent à partir des cultures communes, des cultures partagées. Cela se construit et cela signifie aussi que les effectifs sont stables. On ne les change pas toutes les cinq minutes, y compris pour les sous-traitants.

Comme je le disais au tout début, la question est de savoir comment on construit ces cultures communes, y compris avec les populations. On pourrait se faire plaisir en disant : « Oui, mais on travaille bien, on fait de la culture commune sur le site. On est bon. » Mais a-t-on réglé le problème de l'interface avec la population ? C'est d'autant plus important dans un contexte où l'urbanisation est venue grignoter autour des sites. Il y a une acculturation qui est incontournable, mais il faut que tout le monde y mette du sien. Je ne fais pas de procès d'intention aux industriels, mais moins on les embête, mieux c'est ou la réglementation est toujours trop importante. Ces réactions du genre « Pour vivre heureux, vivons cachés… » sont beaucoup plus accentuées pour certains que pour d'autres et il y a quelque chose à travailler avec les industriels, les organisations syndicales, des représentants de la société civile locale. Des essais ont émergé ici ou là, comme la mise en place des comités de site, des comités locaux d'information et de concertation (CLIC), des secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels (S3PI) et consorts. Mais nous constatons que c'est de la défense d'intérêts particuliers de chacun des acteurs ce qui rend le dialogue très difficile. La défiance prend une autre dimension. On est complètement à côté de l'objectif. Il faut réinterroger la façon dont on travaille cela avec la population.

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Romuald Fontaine, CFDT chimie Haute-Normandie

On peut toujours critiquer la communication qui a été faite, mais je pense qu'il faut critiquer pour l'améliorer. On peut mieux faire. Il faut qu'on fasse un retour d'expérience sur la gestion de la communication de la crise de l'incendie de Lubrizol et, comme il a été dit, les téléphones sont un moyen de communication qui est rapide et qu'aujourd'hui tout le monde a sur soi. Il faut peut-être réfléchir à ces nouveaux modes de communication vers les populations.

La culture du risque est une question que vous avez évoquée. Il faut construire une culture commune avec les populations : informer des usines, des risques qu'il peut y avoir, travailler avec les populations, faire des exercices à l'échelle régionale ou à l'échelle locale, faire des exercices réels. Il faut vraiment construire une culture commune du risque, en tout cas, parce que le risque zéro n'existe pas.

Concernant le rôle des CHSCT, nous ne pouvons que regretter le rôle qu'avait le CHSCT comparé à la commission CSSCT qui est aujourd'hui dans le CSE. La personnalité morale n'existe plus. Nous n'avons plus le rapport de force, à part les élus du CSE qui sont aussi porteurs de casquettes différentes. Aujourd'hui, puisque le CSE se met en place, il faut avancer et construire avec le CSE. Nous n'allons pas faire un retour en arrière, mais construire en avant : comment peut-on améliorer cette commission CSSCT ? Par quels moyens ? Je pense qu'il faut avancer et ne pas faire marche arrière.

S'agissant de la sécurité des sites industriels, je pense que nos sites industriels en France ont une culture sécurité. Certes, la culture du risque n'est pas partagée avec la population. Quelles sont les pistes d'amélioration ? Faut-il parler de pistes d'amélioration ou changer la réglementation ? En particulier, nous parlions des quantités d'eau qui n'avaient pas été suffisantes et des moyens mobiles sur l'extinction incendie qui n'étaient pas suffisants. Je pense qu'il faut revoir la réglementation. Comme l'ont dit nos camarades précédents, tout n'a pas été retenu de la catastrophe AZF et on ne peut que le regretter aujourd'hui.

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Patrice Liogier, Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines (SNIIM), affilié à Force ouvrière

Nous représentons, moi en tant que secrétaire général et Julien Jacquet-Francillon en tant que secrétaire général adjoint, le SNIIM qui est un corps de 1 900 ingénieurs qui travaillent à la fois sur des missions régaliennes à l'autorité de sûreté nucléaire, au ministère de la transition écologique, sur des missions de régulation économique et sur des missions économiques au ministère de l'Économie. En termes de représentativité, nous avons eu 90 % des voix aux dernières élections. Je pense que nous sommes représentatifs car notre syndicat doit regrouper les deux tiers des inspecteurs des installations classées. Nous sommes donc représentatifs des inspecteurs des installations classées.

Je voudrais quand même saluer les collègues inspecteurs qui sont intervenus dès quatre heures du matin sur le site de Lubrizol, puisque nous avions une collègue qui était sur le site, ceux qui étaient en arrière, qui étaient à la DGPR et qui sont encore mobilisés. Certains, durant la première semaine, ont été mobilisés jour et nuit. Comme les salariés, je pense que leur mobilisation a permis que la catastrophe ne puisse pas s'accentuer. Je voulais au moins les saluer au début de cette intervention.

Je ne crois pas que cela a été dit : la réduction du risque à la source a été quelque chose d'important dans la mise en oeuvre des PPRT. Sur le site de Lubrizol, il y avait une cuve de gaz. Si elle n'avait pas été déplacée, je pense que l'accident aurait été plus important. Il y a quand même des effets positifs des PPRT puisqu'il y a eu des réductions du risque à la source et cela permet de réduire les rayons de risques autour des sites SEVESO. Pour la partie expropriation, c'est plus difficile, mais c'est le financement qui manque à mon sens.

On parle de culture commune, mais je pense qu'il est aussi important de redonner confiance aux citoyens dans leur industrie. Les effectifs sont également importants. Ils sont stables depuis quelques années, ils ont augmenté après AZF. Les constats ont été faits aussi qu'il y a moins de contrôles, mais nous allons vous expliquer pourquoi. La culture commune est importante. Nous étions autrefois dans des services déconcentrés de l'État qui s'appelaient les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE). Nous avions tous une culture commune, mais les DRIRE ont été découpées et nous avons été mis dans différents services ; cela a quand même compliqué beaucoup les choses d'être avec des gens qui n'ont pas la même culture. Chacun respecte sa culture, ce n'est pas là le problème, mais cela complique parfois un peu le fonctionnement.

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Julien Jacquet-Francillon, Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines affilié à Force ouvrière

Je voudrais parler des forces et faiblesses de la politique de prévention des risques, des principales forces et faiblesses parce que nous n'allons pas toutes les lister. Selon nous, il y a trois forces aujourd'hui dans la prévention des risques. La première est la structuration de l'Inspection dans une chaîne à trois niveaux : un niveau départemental ou territorial, un niveau régional et un niveau national. C'est ce qui permet de faire le lien entre les instances européennes ou nationales jusqu'au plus près des industries et c'est très important. Une deuxième force est le regroupement des missions de réglementation et de contrôle. C'est important pour pouvoir bien contrôler d'élaborer la réglementation et de la rédiger de telle sorte qu'elle soit contrôlable. Enfin, la troisième force est la culture, dont nous avons parlé, une culture industrielle et une culture du risque. Les deux sont indissociables : pour contrôler une industrie et contrôler les risques qu'elle présente, il faut connaître bien entendu les risques, donc on parle là de culture de sécurité, mais il faut aussi connaître le fonctionnement de l'entreprise et il faut donc avoir la culture de l'entreprise, la culture industrielle. Voilà selon nous les trois forces qu'il faut absolument maintenir.

Passons maintenant aux faiblesses. Une des premières faiblesses est le manque de communication. On voit qu'aujourd'hui la communication repose essentiellement sur l'autorité préfectorale. Elle est embarquée dans une communication sur différentes politiques publiques et il manque une communication à l'échelle nationale sur la prévention des risques technologiques et une communication homogène sur l'ensemble du territoire. Ensuite, il y a un manque de transparence et d'information des citoyens. Il suffit de prendre par exemple ce qui existe pour le nucléaire pour voir qu'il y a un fossé entre les dispositions législatives du nucléaire en matière de transparence et d'information et celles applicables aux installations SEVESO. L'État doit être le garant de cette information et de cette transparence. Il faut résorber cette faiblesse. Une autre faiblesse que nous avons constatée avec Lubrizol est la gestion de crise. C'est principalement le préfet qui est à la manoeuvre là encore et nous pensons que le préfet ne peut pas tout porter, qu'il faudrait mieux définir les rôles. Par exemple, l'Inspection des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) pourrait être chargée de contrôler à elle seule le bien-fondé des actions de l'exploitant. Elle pourrait informer nationalement sur l'évolution de la situation accidentelle. Elle pourrait gérer les relations avec l'INERIS par exemple, tout cela pour décharger le préfet et recentrer le rôle du préfet, en période de gestion de crise, sur la protection des populations et la déclinaison du plan particulier d'intervention (PPI). Le manque de crédit accordé à la parole politique sur des sujets techniques comme les risques industriels est une autre faiblesse. Nous pensons qu'il faut plus d'indépendance, une meilleure répartition des rôles, avec d'un côté le préfet et de l'autre côté l'Inspection des ICPE, en nous inspirant de différents exemples français comme l'ASN ou d'autres organisations similaires en Europe. Une autre faiblesse est liée à la culture industrielle et de sécurité dont nous avons parlé tout à l'heure que détiennent les inspecteurs, mais qui est maintenant dissimulée dans les DREAL. À l'époque des DRIRE, cette culture était prédominante, elle était visible aux yeux de l'industrie et aux yeux du public. Elle est désormais relayée au second plan dans les DREAL et, à notre sens, elle n'est pas assez visible.

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Patrice Liogier, Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines (SNIIM), affilié à Force ouvrière

Les effectifs DRIRE constituent à peu près 20 % des DREAL.

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Julien Jacquet-Francillon, Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines affilié à Force ouvrière

J'ai deux dernières faiblesses. Tout d'abord, l'articulation avec le processus d'évaluation environnementale nous impacte beaucoup dans nos missions d'inspecteurs, pour un bénéfice d'information du public qui n'est pas vraiment si visible que ça. Nous pensons qu'il y a des améliorations à mener en matière de transposition du droit européen sur ce sujet. Enfin, la dernière faiblesse, ce sont tous les dégâts causés par les réformes de l'État sur l'Inspection des ICPE ou plutôt sur les missions de cette Inspection : tout le temps qui est passé à décliner ces réformes de l'État est du temps qui n'est pas passé sur le terrain. Durant la dernière décennie, quatre réformes de l'État ont lourdement impacté ces missions. Nous ne sommes pas contre les réformes de l'État, mais nous pensons que faire se succéder des réformes n'est pas bon.

Pour conclure sur ces forces et ces faiblesses, nous jugeons important de redonner confiance aux Français en leur industrie. Pour cela, il faut leur donner des garanties. Pour nous, le sujet n'est pas dans les effectifs, en tout cas pas uniquement, à la marge, mais c'est plutôt dans la structure dans laquelle évolue l'Inspection ICPE. Nous pensons qu'il faudrait une structure dédiée à l'Inspection des ICPE qui soit pérenne dans le temps et donc peu exposée aux réformes de l'État. Cette structure permettrait de résorber toutes les faiblesses que nous avons citées en matière de gestion de crise, en matière de communication, d'action de l'État sur la transparence et l'information du public. Nous ne sommes pas uniquement sur la mission d'inspection ICPE mais sur une mission beaucoup plus large de prévention des risques.

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Patrice Liogier, Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines (SNIIM), affilié à Force ouvrière

À propos de la question qui a été posée d'un BEA à la manière de l'aérien, nous ne sommes pas du tout dans la même échelle. Il existe quand même au sein de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) un service qui s'appelle le Bureau d'analyse des risques et pollutions industriels (BARPI). Il faudrait peut-être le renforcer et lui donner des missions complémentaires, plus importantes, mais il existe déjà un bureau qui gère les retours d'analyse d'accident.

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Je suis rapporteur spécial pour la commission des finances du budget Écologie, développement et mobilités durables et notamment de la question des prévisions des risques. Je suis assez content d'avoir entendu M. Le Corre citer le rapport Club Maintenance Normandie. Je dis assez content parce que j'ai interpellé au cours des auditions plusieurs des acteurs, soit de l'entreprise, soit même de la DREAL à propos de ce rapport et de ses conséquences sans avoir vraiment été très satisfait des réponses. J'ai eu l'impression que je révélais presque quelque chose. Je voudrais vous demander si vous avez l'impression qu'il y a eu des réactions, des aspects qui ont été modifiés dans la formation et dans le suivi, après le rapport datant déjà de quelques années que vous avez signalés. Ce rapport était très inquiétant notamment sur la question de la sous-traitance des entreprises SEVESO, quand on sait l'importance qu'a manifestement eue Normandie Logistique dans l'incendie et le risque de propagation. À votre avis, pourrait-on mettre en relation la situation catastrophique de ces entreprises sous-traitantes avec le fait, admis par tout le monde y compris tout à l'heure par le directeur général de la DGPR, qu'il y a une baisse des inspections, non pas dans les sites SEVESO, mais en tout cas dans les sites de sous-traitants ou sur l'environnement ?

Deuxième question : Francis Combrouze a parlé tout à l'heure de « préfectoralisation » de la gestion des risques. J'ai entendu plusieurs personnes évoquer un peu la même chose. Je voudrais savoir, à votre avis, concrètement sur le cas Lubrizol, ce que cela a pu provoquer. Au-delà du danger théorique, sur le terrain, dans le cadre de cet événement, quelles ont été les conséquences ?

Troisième question : dans le cas de Lubrizol, diriez-vous que le principe de précaution, en termes de communication et d'action, a été priorisé ?

Enfin, j'ai une dernière question qui s'adresse à Patrice Liogier, dont j'ai lu avec attention l'entretien dans Libération, notamment sur les manques de moyens accordés aux inspections. Vous disiez qu'il était trop tôt pour pouvoir se prononcer, dans le cas de Lubrizol, sur les conséquences de la baisse d'effectifs et de la priorisation des sites dangereux. Pourriez-vous en dire plus aujourd'hui ? Aujourd'hui, faites-vous un lien entre cet accident et les manques de moyens que vous dénoncez ?

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J'ai bien entendu toutes vos remarques sur les CHSCT, mais je ne vois pas bien l'impact que la réforme des CHSCT a eu sur l'incendie. J'aimerais que vous soyez un peu plus clair, parce que j'aimerais bien qu'on soit vraiment tourné vers cet incendie. Quand vous parliez tout à l'heure d'une structure dédiée pour contrôler les ICPE, préconisez-vous une structure type ASN ? C'est pour que ce que vous proposez soit bien clair.

Vous parliez de l'interdiction de la sous-traitance. Pour avoir moi-même été dans les industries, je sais bien que, sur certains points particuliers, la sous-traitance est parfois quand même une solution très intéressante parce qu'ils sont spécialisés sur une thématique. Parfois, nous en avons besoin. Je voudrais voir quel est l'impact de la sous-traitance sur l'incendie. Est-ce qu'il y en a eu ou pas ? Pour le moment, nous n'avons pas détecté des erreurs de sous-traitants qui auraient conduit à ce feu. J'aimerais bien savoir, pour vous, s'il y a réellement un problème de sous-traitance. Surtout, lorsqu'il y a la sous-traitance, normalement il y a de la surveillance. J'aimerais savoir si, dans ce cas-là, il y avait des dysfonctionnements dans la surveillance par les agents de Lubrizol vis-à-vis de cette sous-traitance, si réellement la sous-traitance a eu un impact sur cet incendie ?

Enfin, je crois qu'une reprise est envisagée. Qu'en pensez-vous ?

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J'ai une question tout d'abord pour le SNIIM. Je voudrais revenir sur un point sur lequel j'ai du mal à être sûr de ce qu'il en est réellement, parce que la réponse n'est pas toujours la même en fonction de la personne à laquelle on demande. Il s'agit de la circulaire Hulot-Collomb qui empêche de faire connaître les produits chimiques qui sont présents sur les sites SEVESO au grand public. L'information était autrefois largement disponible. Elle ne l'est plus pour éviter le risque terroriste et que des hurluberlus aient l'idée d'aller mettre le feu dans un site Seveso avec des conséquences dramatiques pour des centaines de personnes. La question s'est posée sur le site Lubrizol puisque, du fait de cette réglementation, la préfecture n'a pas pu diffuser la nature des produits chimiques présents sur le site – pas forcément ceux qui ont brûlé, ceux qui sont présents sur le site – aussi rapidement que ce qu'auraient souhaité certains citoyens. De ce que j'ai compris, ce n'est pas parce que l'information n'a pas été diffusée que la préfecture, la DREAL et les sapeurs-pompiers n'avaient pas accès à l'information. Pouvez-vous me confirmer que les DREAL ont bien accès à l'ensemble des informations sur les produits chimiques qui sont stockés sur les sites ?

J'ai ensuite une question pour monsieur Brulin. Je crois que c'est vous qui avez abordé la notion de comité de site. Vous dites que cela fonctionne mal. Pourquoi cela fonctionne-t-il mal ? Est-ce le cas partout ou est-ce lié après à la manière de s'approprier cet outil en fonction des territoires et des structures ?

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Je voudrais repréciser une question que j'ai posée tout à l'heure, qui concerne le projet de réouverture, même partielle. Selon vous, en tenant compte des propositions que vous avez pu formuler en termes d'amélioration et de renforcement des contrôles, pensez-vous que c'est le bon moment ? Si ce n'est pas le cas, quelles sont les conditions que vous fixez aujourd'hui pour une réouverture ? Je crois que c'est une question importante et je pense que vous avez une intime conviction parce que, vous l'avez dit, je crois que vous défendez aussi – et c'est normal – l'existence d'une industrie dans notre pays, mais pas à n'importe quelle condition, c'est-à-dire une industrie qui préserve à la fois les salariés et la population environnante. J'aimerais vous entendre là-dessus parce que notre travail s'intéresse certes à l'évènement en tant que tel, pour en tirer toutes les conclusions, faire un retour d'expérience comme on le fait fréquemment dans l'industrie, mais le retour d'expérience ne vaut que s'il permet d'améliorer la situation. Je crois que vous avez eu raison de rappeler les travaux qui avaient déjà été réalisés, notamment les recommandations au moment d'AZF. Vous l'avez rappelé avec beaucoup de force et je comprends pourquoi. C'est vrai que certaines recommandations ont eu une traduction en termes de loi avec la loi Bachelot, mais pas complètement. Il faut effectivement toujours pousser un peu plus loin pour garantir bien évidemment le niveau le plus élevé de sécurité. Un point intéressant et important dans vos différents témoignages, c'est que vous avez dit combien votre métier premier, pour vous-même et pour ceux que vous représentez, est d'abord de produire dans des conditions de sûreté et de sécurité.

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Patrice Liogier, Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines (SNIIM), affilié à Force ouvrière

J'ai noté la première question sur le moment où j'ai fait l'interview à Libération. À l'époque, nous n'avions pas connaissance des causes de l'accident et actuellement, nous n'avons toujours pas connaissance des causes de l'accident. C'était un des sujets et je faisais aussi référence dans cet article à une journée de grève que nous avions fait un an auparavant pour alerter de l'importance de préserver cette chaîne de l'Inspection, qui était à l'époque menacée par une réforme de l'État. Nous continuons à défendre cette chaîne de l'inspection et nous aimerions bien connaître les causes de l'accident. Cela reste quand même une énigme.

Il y avait une question sur le manque d'effectifs. Nous ne sommes pas forcément assez nombreux pour faire l'ensemble des inspections, l'ensemble des instructions de dossiers qui sont devenus plus complexes avec l'autorité environnementale. Pourra-t-on augmenter les effectifs ? Si c'est possible, tant mieux et sinon, il faut au moins fixer des priorités sur ce qui est le plus important. Notre message est que si l'on ne peut pas augmenter les effectifs, il faut travailler différemment, il faut mettre une structure qui soit plus efficiente et qui permette, avec le même nombre de personnes, de faire plus d'inspections et fixer des priorités.

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Julien Jacquet-Francillon, Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines affilié à Force ouvrière

Je voulais apporter des réponses sur la « préfectoralisation ». Le préfet ne peut pas tout porter, et il y a un sujet par exemple que nous n'avons pas évoqué : si le fameux nuage avait passé les frontières, le préfet aurait peut-être eu à gérer aussi les aspects diplomatiques. Ce sont des choses qu'il faut que nous ayons en tête. Tout ne peut pas reposer sur le préfet.

Sur la question de savoir si nous préconisons une autorité indépendante (AI) ou pas : c'est une question très délicate parce que, pour savoir si on utilise le schéma d'AI, il faut savoir déjà ce qu'on veut y mettre. Nous proposons comme objectif, avant tout, une structure dédiée pour l'inspection, avec un certain nombre de missions sur la communication, dotée de pouvoirs de contrôle, avec des missions sur la gestion de crise également. Après, il faut voir si le schéma AI est adapté. Nous avons bien sûr en tête l'ASN qui fonctionne. Il faut voir si c'est quelque chose qui peut être reconduit sur les ICPE.

Enfin, il y avait une dernière question sur la diffusion des informations. Oui, la DREAL détient les informations des exploitants et peut y avoir accès. C'est même un délit de faire obstruction aux inspecteurs pour accéder à ce type d'informations.

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Julien Jacquet-Francillon, Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines affilié à Force ouvrière

La circulaire restreint l'accès aux informations pour le grand public. Il y a même un certain nombre d'informations qui sont accessibles, sous réserve de se présenter en préfecture avec une carte d'identité. Il y a une hiérarchisation des informations.

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Comment expliquez-vous dans ce cas que nous ayons eu une telle difficulté à avoir la liste des produits stockés chez Lubrizol et Normandie Logistique ?

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Julien Jacquet-Francillon, Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines affilié à Force ouvrière

Je pense que le problème est l'inventaire en temps réel. Nous savons que telle usine détient tel produit, certes. Mais en quelle quantité et où exactement dans l'installation, c'est quelque chose qui évolue en permanence et avoir l'accès à l'information en temps réel était peut-être une difficulté.

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Ne pensez-vous pas qu'il faille justement améliorer la gestion des stocks en termes d'information ? Est-ce que cela vous semble possible ? J'imagine que vous connaissez ces métiers. C'est le principe même d'un logisticien : une gestion à flux continu des stocks. Pensez-vous que vous puissiez procéder par exemple à des contrôles inopinés ou avoir une connaissance un peu plus fine des stocks ? Parce que, quand vous dites connaître les stocks, cela signifie si j'ai bien compris que vous connaissez la nature des produits qui servent à la production à un temps T. Mais avec quelle chronique, avec quelle fréquence de mise à jour les connaissez-vous ?

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Julien Jacquet-Francillon, Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines affilié à Force ouvrière

Nous connaissons les capacités maximales pour chaque produit. Par contre, en inspection, nous pouvons vérifier la tenue à jour de cet inventaire. Nous récupérons l'inventaire à l'instant T et, par sondage, nous vérifions qu'il y a bien la quantité précisément. C'est quelque chose que nous faisons aujourd'hui.

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Contrôlez-vous les fiches de données de sécurité ?

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Julien Jacquet-Francillon, Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines affilié à Force ouvrière

Nous contrôlons leur détention et leur présence auprès de l'exploitant.

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Chez Normandie Logistique par exemple, peut-être aussi chez Lubrizol, on a des fûts avec une fiche qui dit « dans ce fût, c'est telle matière », mais, dans les faits, nous ne savons pas si c'est vrai. Va-t-on jusqu'à faire des analyses par échantillonnage pour savoir si ce qui est inscrit est exact ?

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Julien Jacquet-Francillon, Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines affilié à Force ouvrière

Nous pouvons le faire, mais je ne sais pas si nous le faisons beaucoup. Personnellement, je n'ai jamais eu à le faire, mais nous le faisons par sondage aussi.

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Romuald Fontaine, CFDT chimie Haute-Normandie

J'aimerais essayer de répondre à la question de l'impact de la sous-traitance sur l'incendie. Je ne pense pas qu'aujourd'hui on puisse déterminer que les sous-traitants sont responsables de l'incendie. En tout cas, ce que nous savons actuellement, c'est que dans le bâtiment qui a brûlé travaillait une équipe de sous-traitance, Netman. Mais nous ne pouvons pas faire de lien entre l'incendie et la société de sous-traitance Netman.

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Je n'ai pas dit que tous les sous-traitants étaient des spécialistes, mais parfois, on a besoin d'un sous-traitant spécialisé et quand je vois écrit « plus du tout de sous-traitant dans les industries », cela peut être compliqué…

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Romuald Fontaine, CFDT chimie Haute-Normandie

L'entreprise Netman est spécialisée dans la logistique. Elle n'est pas spécialisée sur le risque chimique, même s'ils ont des formations. Juste pour vous donner un exemple, dans cette unité de stockage, quand un fût tombe, Netman appelle les salariés de Lubrizol pour traiter la gestion du fût qui est tombé parce qu'ils ne sont pas spécialistes dans les risques. Ils sont spécialistes en logistique. La logistique, ils savent très bien faire. On parle de culture commune, y compris avec les sous-traitants, mais ils ne connaissent pas ce qu'il y a dans les bidons. Ils les remplissent, ils les stockent, ils font de la logistique, mais quand ça tombe, quand il y a un évènement, ils ne savent peut-être pas réagir. Ils sont formés, mais sont-ils suffisamment formés ou sont-ils formés comme les équipes de Lubrizol ? À la même culture du risque, à toutes les formations Lubrizol ? Je ne pense pas, ils ne sont pas formés pareil. Toutefois, on ne peut pas lier l'incendie et les sous-traitants. Il n'y a aucun lien.

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Bertrand Brulin, CFDT chimie énergie

Pour revenir rapidement sur le BEA, j'ai oublié de préciser que tous les services existants, DREAL, services de l'État sont forcément légitimes pour intégrer ce type de structure. Il ne s'agit pas de créer un truc hors-sol, de rajouter encore une couche au millefeuille. Ce n'est pas l'objet en tout cas.

S'agissant de la reprise d'activité, notre position est relativement claire : oui, il faut que cette usine puisse redémarrer, d'abord progressivement sur ce qu'on appelle le blending, c'est-à-dire le mélange.

C'est clair. Sinon, on décrète que chaque site qui a un accident ferme, comme ça c'est plus simple. Cela nous évitera, à vous et à nous, de parler de ces sujets. Donc oui, notre position est relativement claire, nous sommes pour une reprise d'activité partielle, mais pas n'importe quel prix et pas dans n'importe quelles conditions.

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Bertrand Brulin, CFDT chimie énergie

Bien évidemment que les services de contrôle de l'État valident cette reprise partielle d'activité, mais je n'ai même pas besoin de le préciser parce que de toute façon ils seront forcément sollicités. C'est plutôt aux services de l'État et aux services de contrôle de définir les conditions techniques.

Qu'on le veuille ou non, il y a quand même une dimension économique et des emplois en jeu. Il y a 400 salariés et 1 200 emplois induits. Alors je veux bien qu'on condamne Lubrizol, mais on condamne aussi une bonne partie de l'emploi. On est en vallée de Seine, on sait de quoi on parle. Il faut aussi avoir à l'esprit que les deux sites du Havre et de Rouen sont intimement liés dans la stratégie de cette entreprise. Qu'est-ce que cela veut dire ? Si on condamne Rouen, on pose aussi la question de la pérennité du Havre. Dans ce cas, alors que je parlais à l'instant de 400 salariés et 1 200 emplois induits, on est sur encore une autre dimension. Cela ne veut pas dire qu'il faut mettre dans la balance l'emploi face à la sécurité et aux risques industriels. Ce n'est pas mon propos. Il faut trouver un équilibre. Pour être très clair, la CFDT est pour le redémarrage partiel des activités de Lubrizol. Je le répète, pas à n'importe quel prix, pas à n'importe quelles conditions, avec une reprise d'activité partielle.

La question posée concernant la sous-traitance a été : les agents de Lubrizol surveillent-ils les entreprises sous-traitantes ? Ce que je peux vous dire, c'est que, quand il y a de la sous-traitance dans les sites classés, il y a de toute façon des interfaces, des passages réguliers, d'une certaine façon de la surveillance. Il y a des interactions entre les deux, ne serait-ce que parce que, en début de quart, il y a un certain nombre d'éléments ou de missions à effectuer et qu'en fin de quart, il y a un point qui est fait là-dessus. Certes, ce n'est pas suffisant de le faire en début et en fin de quart, mais il y a forcément des interactions. Pour essayer d'être précis par rapport à votre question, en ce qui concerne plus précisément les agents de Lubrizol, je ne suis pas dans l'entreprise, mais je pourrai poser la question à nos militants sur place, puisque le premier à intervenir sur le feu du stockage était un militant CFDT.

Vous demandez aussi ce qui aurait changé si on était resté sur le modèle des CHSCT. On peut toujours se poser la question après un accident : si nous avions entrepris telle action en amont, cela aurait-il eu un impact ? Il est délicat de répondre, mais je vais vous donner un exemple très précis. Je connais un militant qui était secrétaire d'un CHSCT et il travaillait sur un site classé. L'entreprise voulait redémarrer son unité, après des travaux. Il se trouve qu'il y avait un tuyau – on appelle cela une ligne – pour lequel la réglementation impose une épaisseur minimale, en fonction des produits qui y passent et des pressions auxquelles ils sont soumis. Il se trouve que la société avait ses propres standards qui étaient au-dessus de la réglementation. Ils étaient en train de redémarrer cette unité alors qu'ils étaient au-dessus de la réglementation, mais en dessous des standards de la société. Le militant a pu leur expliquer que cela ne sert à rien de mettre des standards si on ne les respecte pas, que si les standards ont été mis en place c'est qu'il y avait des raisons, que ces raisons s'expliquaient du point de vue de la sécurité industrielle et que donc, déroger à ces approches, c'était déroger finalement à toute la politique industrielle de cette entreprise. Il a réussi à faire stopper le redémarrage de cette entreprise et à faire faire les travaux qu'il fallait faire pour pouvoir redémarrer. Personnellement – ce n'est pas de la science-fiction, ce n'est pas du fantasme, c'est juste de la réalité, j'ai fait 30 ans sur ces sites-là – je vous parie qu'aujourd'hui avec les CSSCT, c'est terminé.

Pour le coup, c'est devenu de la science-fiction aujourd'hui parce que, avec les moyens qui sont donnés au CSSCT et les missions qui parfois sont confiées directement au CSE, ce n'est plus possible.

Cela a été dit, les militants en CHSCT étaient des militants, ou des militantes d'ailleurs, qui avaient de l'appétence sur ces sujets, qui étaient spécialisés sur ces questions et, pour certains ou certaines, pour la plupart, de façon assez pointue. Aujourd'hui, vous allez demander à des gens qui gèrent les activités sociales, le comité des fêtes du comité d'entreprise, les missions du CSE à la fois économiques et sociales de gérer cela en plus. Comme il a été dit, nous ne sommes pas des surhommes ou des surfemmes. À un moment donné, la charge de travail, y compris pour les représentants du personnel, a ses limites, comme pour chaque individu dans son milieu professionnel. On ne peut pas tout faire. Il faut dire aussi que, dans le même temps, on a réduit le nombre d'élus ; on est passé d'un CHSCT à un CSSCT en réduisant le nombre d'élus ce qui induit un problème d'effectifs. On a diminué les prérogatives et vous me demandez si ça n'aurait rien changé. Je ne peux pas le dire comme ça. Se placer en amont et demander ce que cela aurait pu changer, c'est une question à laquelle on ne peut pas répondre. Par contre, on peut dire que les effets concrets des ordonnances sur ce sujet sont dévastateurs. Je suis désolé, mais c'est aussi la réalité.

Nous ne sommes pas allés voir dans les boîtes ce que produit aussi la réforme de la formation professionnelle qui a été faite maintenant. Il y a des « ordonnances coquilles » qui sortent pour rectifier le tir, parce que cela n'a pas été fait correctement. Si c'est pour s'apercevoir dans un an ou deux qu'on a peut-être été un peu vite, ou qu'on n'a pas pris en compte tout ce qu'il fallait, à un moment donné, il faut se donner les moyens de ses ambitions. Si le pouvoir politique en place a l'ambition d'assurer la sécurité des populations avoisinantes de sites classés, encore une fois, qu'il se donne les moyens de ses ambitions. Les premières sentinelles, ce sont les salariés. Les premières victimes, ce sont les salariés.

Parlons des comités de site. Je n'ai pas la prétention de pouvoir vous donner un état des lieux du fonctionnement de tous les comités de sites en France. Pour autant, ce que nous pouvons dire sur ceux que nous connaissons, c'est que cela fonctionne mal. Il faudrait peut-être redéfinir les participants, imaginer un cadre non pas plus strict ou plus restreint, mais mieux identifié. Un comité de site est-il le meilleur endroit pour acculturer les populations environnantes ? Personnellement, je n'en suis pas certain. Quand je dis que cela ne fonctionne pas, je sous-entends qu'il faut réinterroger ce type de structure, mais ce qui nous importe le plus aujourd'hui, le déficit que nous avons identifié et que chacun d'entre nous ici a identifié, c'est le manque de culture des populations avoisinantes alors que, qui plus est, certains sites sont, en exagérant à peine, quasiment en plein centre-ville. Chacun a sa responsabilité là-dedans : les services de l'État et les industriels. Je veux souligner que nous sommes rarement associés à ce genre de choses. Par exemple, quand il y a un contrôle de la DREAL dans une entreprise, les représentants du personnel sont-ils prévenus ? Ont-ils le retour du contrôle ? Lorsque c'est l'inspection du travail se déplace, les représentants du personnel sont prévenus, mais pas quand c'est la DREAL.

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Francis Combrouze, Conseil national de la transition écologique

Pour reprendre les derniers propos tenus à l'instant, pour cet aspect-là, nous pouvons marquer un accord et nous avons préconisé que toutes les activités d'inspection, que ce soit l'Inspection du travail ou l'Inspection des installations classées, donnent lieu, quand il y a des contrôles inopinés ou tout simplement dans la vie courante, au fait que l'inspection des installations classées puisse, dans son travail, dialoguer tranquillement avec les salariés et leurs représentants, leurs délégués. Ce n'est pas la pratique, nous le voulons. Nous pourrions aussi programmer des « co-inspections » à certains moments de la vie de l'entreprise, de ses activités et de ses extensions.

Sur la question de la « préfectoralisation », je relève les délais sur les mises en demeure. Dans le passé de Lubrizol, sur des mises en demeure pour notamment ce que l'on appelle techniquement la complétude, c'est-à-dire la satisfaction des points demandés par l'inspection pour les mises en conformité dans les années précédentes, les délais se sont écoulés. Des délais sont donnés, il faut des délais pour travailler, mais qu'en est-il, pour reprendre les derniers mois, de la succession d'arrêtés, de recommandations ou de procès-verbaux. Nous voulons qu'il y ait une communication beaucoup plus fluide. Je vous rappelle que notre Constitution, avec l'incorporation dans le bloc de constitutionnalité de la charte, impose à la fois la consultation des populations sur les décisions prises en matière d'environnement et le fait qu'il y ait un accès à l'information. Cet accès à l'information n'a pas de rapport avec la circulaire Hulot-Collomb pour savoir quels produits sont présents. Mais il y a des activités qui sont menées dans l'entreprise en permanence et l'ensemble de la population doit le savoir.

Sur la sous-traitance, mes camarades compléteront. Je remarque simplement qu'il y avait en permanence une sous-traitance massive dans l'activité dite d'enfûtage. Mais il y avait également, de manière chronique et structurelle, de la sous-traitance de stockage par Normandie Logistique sur des produits structurellement, si je puis dire, dans le temps Lubrizol avec une absence totale dans l'étude de l'effet domino de l'addition des deux, pour voir ce que cela donnait. Ce n'est pas normal. Enfin, je rappelle également qu'il y a eu des allers-retours entre la préfecture et Normandie Logistique dans les années très antérieures. Normandie Logistique ne répond pas, mais qu'est-ce qui se passe ?

Sur la question du principe de précaution, nous pensons que, dans cette affaire, il est certain que si l'on entend par principe de précaution sa définition technique, c'est-à-dire en cas d'incertitude on continue, on pousse des recherches et on prend des mesures de prévention, il n'y avait pas d'incertitude sur la question de l'activité permanente de Lubrizol. Elle était, je crois, assez bien connue et calibrée. La question clé, et cela concerne aussi la reprise de Lubrizol, est qu'il y a actuellement une mise en demeure qui est faite pour compléter des points techniques de prévention à la fois de l'accident, mais surtout des points de prévention pour mieux modéliser les conséquences possibles d'un accident. Le fait par exemple qu'il y ait eu en 2015 un rejet en Seine de centaines de tonnes d'huile n'est pas très logique dans une installation Seveso seuil haut. Le fait qu'au moment où il y a des ruptures et des problèmes graves, il faille prévenir grâce au grand port maritime des fuites en Seine pose un problème de capacité de rétention. On peut développer d'autres points, mais dans les conditions de la reprise, il y a le fait de s'améliorer techniquement et d'être plus robuste en permanence sur les activités de ce site, qui est bien évidemment nécessaire, là où il est. Pour nous, ce n'est pas un débat de distance, vu la distance qu'a parcourue le panache. Il ne s'agit pas d'imaginer que si les usines sont dans les déserts, les choses iront mieux. Il s'agit surtout précisément de s'améliorer et de compléter les connaissances.

Sur la suggestion du bureau enquêtes accidents : nous avons un BARPI qui est un bureau de la DGPR, qui dans la chaîne d'inspection fait des choses annuellement avec des retours d'expérience. Mais je voudrais compléter cela avec ce que font les contrôleurs des transports terrestres (CTT) des DREAL sur la question du transport des matières dangereuses (TMD), puisqu'une partie du risque roule sur les routes. Entre l'entrée et la sortie des usines, il y a question très sensible. Les retours d'expérience du BARPI montrent que l'accidentologie et sa contamination possible à des évènements plus graves dans ce qui sort et dans ce qui rentre dans les usines est un point très sensible, de même que, dans les installations déchets, on a vu la montée en puissance des risques d'incendie ou des risques électriques avec la filière recyclage. On voit ces paramètres-là qui montent donc il faut en tirer des retours d'expérience pour que ce qui semble une activité classique, c'est-à-dire mettre en fût, stocker et transporter, soit une activité qui soit bien mieux maîtrisée par l'industriel qui est responsable de son site.

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Pascal Morel, secrétaire général CGT de Seine-Maritime

Concernant l'emploi sur la zone et l'impact : Lubrizol représente effectivement 400 salariés et 1200 emplois induits. On a déjà évoqué les conséquences tout à l'heure et il y a eu déjà des décisions prises en termes d'emploi. Il y a un impact sur la vallée de Seine et au-delà avec le secteur automobile puisque Lubrizol est fournisseur de l'huile automobile. Cela arrive au moment où l'automobile est fortement attaquée alors que, dans notre département et dans la région Normandie, l'automobile pèse énormément dans les emplois industriels. Il est donc évident que la CGT regarde cela avec beaucoup d'attention.

Un deuxième constat, c'est qu'on a toute une zone industrielle avec des industries multiples et diverses. Il ne faut pas occulter non plus les questions d'environnement et la face inversée de cet incendie est ce qui se passe à la papeterie Chapelle Darblay. C'est une entreprise écoresponsable à 100 % qui recycle de la matière collectée jusqu'à la vallée de Seine, des papiers des collectivités locales. Ils recyclent tout, de la matière papier jusqu'au traitement de l'eau pour pouvoir produire de l'électricité. Il reste quelques semaines pour savoir la situation des 218 salariés. On entend aussi la menace portée par certains sur l'industrie sur la zone de la vallée de Seine qui ferait tache dans le paysage. On sait aussi qu'il y a des projets, dans certaines têtes politiques, d'en faire une zone d'accès au tourisme, avec un paysage qui serait beaucoup plus accessible que de montrer des industries polluantes. Nous sommes très vigilants sur le déploiement industriel dans le respect des normes de sécurité et d'environnement, c'est le message que la CGT porte, mais il est bien évident qu'il faut faire attention à certaines positions telles que de vouloir externaliser des entreprises au plus près de l'urbanisme, etc. Il faut travailler intelligemment avec une cohabitation possible entre les citoyens et le monde industriel. Cela remet en cause le manque de communication, la culture de prévention également puisque, comme nous l'avons tous dit depuis plusieurs semaines, le risque zéro n'existe nulle part.

J'en profite pour répondre à la question sur les CHSCT. Ce n'est pas parce que les CHSCT existaient avant qu'il n'y avait pas d'accident. Par contre, nous avions des prérogatives vis-à-vis de l'employeur et des outils dans le code du travail et dans la législation. Nous pouvions faire un droit d'alerte, nous pouvions aussi porter le danger grave et imminent et porter les responsabilités à l'employeur. Nous étions sur le terrain et nous connaissions la situation. Nous étions là pour améliorer, puisque le rôle du CHSCT est de la prévention. Sous la forme actuelle du CSSCT, avec des moyens divisés par deux ou par trois, avec un périmètre qui s'étend parfois sur des sites régionaux de la Normandie à la Bretagne, avec peu d'élus, comment pourrons-nous normalement faire notre travail de prévention au plus près du monde du travail avec les salariés et améliorer leurs conditions de travail ?

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Pascal Tailleux, Fédération nationale des industries chimiques CGT

Sur la question du redémarrage de l'usine, vous dites « partiellement ». Mais pourquoi partiellement ? En sécurité partiellement, en danger partiellement ? Non, pour la CGT, l'usine doit redémarrer en sécurité et en toute transparence. La sécurité, nos vies, sont des choses trop sérieuses pour laisser cela entre les mains des patrons. Ils ont prouvé ce qu'ils en faisaient. Tous les jours, il y a des salariés qui meurent dans nos usines. Parce que si on ferme Lubrizol, on ferme toutes les usines, la mienne y compris, Seveso seuil haut à cinq kilomètres de Lubrizol. Ma famille habite à côté, mes amis, la population habitent à côté. Si ce n'est pas possible de travailler en sécurité dans nos usines, on les ferme. Allons-y. C'est votre responsabilité aussi de faire des lois pour que cela change. Depuis AZF, cela n'a pas changé et ce qui est certain, c'est que la sécurité des populations passe par la sécurité des salariés. Quand les salariés seront en sécurité, tout le monde sera en sécurité !

Une dernière chose : les ordonnances Macron sont des ordonnances pour les patrons. Il est possible de faire autrement, remettez les CHSCT, des CHSCT avec un droit de veto.

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Gérald le Corre, Union départementale CGT de Seine-Maritime

Je vais donner des compléments de réponses, en commençant par les questions de M. Coquerel, notamment sur le rapport du Club Maintenance de la CCI qui a été présenté le 11 mars 2010, en présence de Monsieur Renoux qui était le patron de Lubrizol à l'époque. Il est intéressant, si vous les recevez la semaine prochaine, de noter que M. Bonvalet, qui est l'actuel directeur de site de Lubrizol, est l'ancien président du Club Maintenance de la CCI. M. Lagneaux, de la DREAL Normandie, était également présent à cette réunion de présentation du 11 mars 2010, et nous pouvons dire que le rapport a été purement et simplement enterré. C'est bien ce qui se passe.

Nous avons des difficultés avec les plans de prévention annuels et c'était déjà le cas à AZF. La réglementation est bien faite, le décret de 92 sur tous les travaux par les entreprises extérieures est très bien fait. Mais il y a une jurisprudence constante qui nous dit que les industriels ne peuvent pas faire des plans de prévention annuels, que nous devons analyser chaque activité et convoquer les entreprises sous-traitantes pour regarder concrètement la réalisation des travaux. Sauf que cela prend du temps, qu'il faut y mettre des moyens humains et ce n'est pas fait. Une circulaire du ministère du Travail nous confirme que nous ne pouvons pas faire les plans de prévention annuels. Cela concerne France Chimie, mais pas seulement ; dans l'industrie du nucléaire, dans l'industrie du médicament, dans l'industrie de la métallurgie, c'est la même chose. Les organisations d'employeurs ont décidé depuis des années de s'attaquer à ce décret de 92 avec les inspections préalables communes et on a des plans de prévention annuels partout. Nous avons fait des propositions très concrètes à M. le directeur général du Travail, que je vous invite d'ailleurs à auditionner, puisque c'est quand même lui qui, sous l'égide de Mme la ministre du Travail, rédige toute la réglementation technique. Nous avons proposé de donner des pouvoirs aux inspecteurs, comme pour l'exemple des chutes de hauteur. Il y avait une véritable épidémie de morts et donc, il y a très longtemps, le législateur a donné un pouvoir extraordinaire – il faut le reconnaître – aux agents de l'inspection du travail : si un salarié est exposé à un risque de chute de travail en hauteur dans le bâtiment, l'inspecteur du travail peut arrêter les travaux. Quand l'inspecteur du travail, par un simple formulaire, au bord de la route, remplit un arrêt de chantier, vous allez voir que l'employeur résout les problèmes. Dans les 24 heures, la plupart des situations sont résolues. Nous avons fait des propositions notamment sur les questions de sous-traitance, quand il y a intervention de la sous-traitance sans inspection préalable commune. Nous avons dit que, si les inspecteurs avaient ces mêmes pouvoirs, très rapidement on réglerait ce type de situation. Ce n'est pas le choix qui a été fait et il y a d'autres cas de figure où nous sommes assez démunis.

Deuxième sujet sur les questions de formation : c'est un vrai sujet à discuter et je vous invite à poser la question au ministère du Travail. Pour la question des interventions sur des matériaux amiantés, le ministère du Travail a pris des arrêtés précis sur ce qu'était la formation, son contenu, sa durée, l'organisme qui faisait la formation. C'est très bien, il faut le reconnaître. Pour la conduite des chariots élévateurs, c'est la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) qui a fait une recommandation que l'on appelle le certificat d'aptitude à la conduite en sécurité (CACES). Pour le reste, il n'y a pas de référentiel de formation. C'est un sujet puisque, à chaque fois qu'il y a un accident, globalement, les inspecteurs du travail auront relevé l'infraction et nous allons être suivis, quand on est sur un accident grave, par les juridictions pénales qui vont relever l'infraction du défaut de formation. Mais c'est difficile de relever le défaut de formation s'il n'y a pas de référentiel de formation, surtout qu'on est globalement sur des politiques des parquets.

Je souhaite vous fournir les effectifs très précis pour la partie du contrôle de l'Inspection du travail sur la santé-sécurité. On est passé de 51 agents en septembre 2014 à 44 aujourd'hui soit une diminution de 15 %. Les objectifs du ministère du Travail, c'est-à-dire la perspective fin 2020, sont d'un agent de contrôle de l'inspection du travail pour 1 000 entreprises. Selon cette perspective, nous arriverions à moins 32 d'agents. On pourra poser la question de ce qu'a fait l'Inspection du travail à Normandie Logistique et à Lubrizol. Je ne peux pas vous le dire, mais la question est intéressante. En tout état de cause, soit ils ont fait, soit ils n'ont pas fait. Mais s'ils ne l'ont pas fait, quand vous avez 1 000 entreprises dans votre secteur d'activité, entre des risques psychosociaux, des heures supplémentaires non payées et des intérimaires, une réglementation qui change tout le temps, nous ne jetterons pas la pierre bien évidemment à nos collègues de l'inspection. Avec des effectifs pareils, c'est assez évident que la réglementation ne va pas être appliquée.

Cela renvoie à la question de la place de la justice. Nous avons attiré l'attention de nos collègues du Sénat sur cette question-là. Il va y avoir une enquête pénale, il y aura une justice répressive. La justice répressive, c'est bien, mais c'est bien y compris avant les accidents, avant les morts. On dit cela aujourd'hui parce qu'il y a des rencontres régulières entre les agents de l'inspection du travail et les parquets. Ce que nous disent les parquets, c'est que les questions de santé-sécurité ne sont pas la priorité. La priorité, c'est notamment la délinquance routière, ce sont les coups et blessures sur personne, etc. Il y a une vraie priorité là-dessus, c'est-à-dire que, si l'inspection du travail relève un accident du travail sur un procès-verbal dans le cadre d'une explosion mortelle, il y aura éventuellement des poursuites. Mais quand les agents de l'inspection du travail relèvent des infractions à la pelle pour lesquelles il n'y a pas encore de victime parce qu'il n'y a pas encore de malade ou de mort, ce n'est pas la priorité des parquets. Quelle que soit la qualité des procès-verbaux d'infraction, ils sont très globalement classés. Pour notre part, il nous semble que ce qui marche bien en termes de circulation routière, c'est la tolérance zéro vis-à-vis des infractions de circulation routière. Quand vous roulez à 150 ou avec de l'alcool dans le sang, même si vous n'avez pas provoqué d'accident, vous allez être poursuivi et vous allez être condamné au moins à 99 %, à part s'il y a vice de procédure. On a totalement l'inverse quand on est sur des faits de délinquance, que ce soit sur des infractions au code du travail ou au code de l'environnement. Nous l'avons vu avec le nuage de mercaptan où le parquet n'a même pas poursuivi à l'époque pour mise en danger de la vie d'autrui. Lubrizol a eu une simple amende de 4 000 euros, non dissuasive. Je prends un autre exemple en Normandie, avec une toute petite PME du groupe Bolloré, que personne ne connaît ici, qui a été condamnée à 5 000 euros d'amende pour un accident mortel du travail dont le juge pénal a reconnu que l'infraction a été à l'origine de l'accident mortel. Je sais que cela peut choquer, mais cela donne quand même un signe aux industriels. C'est un peu comme si on leur donnait un permis de tuer. On dit, en gros : « Sur le plan de la morale, ce n'est pas bien, il y a des gens qui meurent. Mais bon, ça ne va pas vous coûter cher. Si vous continuez, ce n'est pas très grave. » Il faut qu'on arrive à cette délinquance zéro, avec la poursuite systématique des procès-verbaux.

Sur les propositions, de la même manière, il y a quelque chose d'extrêmement intéressant quand on regarde l'histoire, c'est le droit de retrait des salariés acté en 1982. On en a beaucoup parlé pour la SNCF, mais demandez au ministère combien de salariés utilisent leur droit de retrait dans l'industrie et en particulier dans les industries SEVESO. Ils ne sauront pas vous répondre, nous ne faisons pas de statistiques. Mais c'est pratiquement zéro. Le droit de retrait est un droit extrêmement fort en cas de danger grave et imminent, mais il n'est pas appliqué, parce que ceux qui utilisent leur droit de retrait n'ont pas de protection. Il faut protéger, il faut qu'il y ait une disposition législative qui ferait que, quand les salariés utilisent leur droit de retrait, ils soient recensés et bénéficient d'une protection contre le licenciement, forcément limitée dans le temps, comme l'ont les représentants du personnel.

Pour répondre aux questions de Mme la députée Goulet, je reviens sur les CHSCT. Effectivement, les choses vont empirer. Nous ne savons pas quelle est l'origine de l'incendie, nous ne sommes pas mieux placés que la police scientifique. Ce que nous pouvons dire, c'est que ni le CHSCT de Lubrizol ni celui de Normandie Logistique à l'époque n'avaient constaté les carences évidentes, entre les défauts de sprinklers, l'absence de cuves de rétention dans la partie Normandie Logistique. S'ils ne l'ont pas vu à l'époque, avec des moyens diminués, ils ne verront pas les risques de demain. C'est là-dessus qu'on insiste. Nous avons envoyé à la mission d'information les exemples que nous vous avons donnés et vous verrez que, sur l'ensemble des accidents que nous avons relevés ces dernières années, la question de la sous-traitance est une question fondamentale.

Sur les questions de reprise : il faut quand même dire qu'il y a une faillite de l'État, contrairement à ce que dit M. Macron, parce que sinon, on ne comprend pas comment il peut y avoir 39 contrôles et ensuite, des mises en demeure postérieures à l'accident. Soit il y a eu des contrôles et le préfet n'a pas suivi les recommandations des ingénieurs des installations classées, soit on est passé à côté. Pour la reprise, nous avons rencontré la direction. Nous n'avons pas rencontré le préfet qui ne veut pas rencontrer la CGT. A priori, nous ne sommes pas assez républicains pour rencontrer M. le Préfet ! Mais nous avons rencontré la direction de Lubrizol. C'était extrêmement instructif, notamment sur la question de la transparence. Nous avons posé la question à la direction de la Lubrizol : « Vous voulez redémarrer, vous affirmez que vous voulez la confiance des habitants de Rouen. Qu'allez-vous faire en termes de transparence ? » Je vous donne la réponse. D'une part, la direction regrette d'avoir été contrainte de donner les 479 fiches de données de sécurité qui sont désormais sur le site de la préfecture, parce que cela inquiète. Ils nous ont affirmé qu'ils ne donneront pas plus d'informations aux riverains que ce que le préfet les oblige à faire en termes de communication, ce qui nous renvoie à la case CODERST qui se réunira le 10. Les éléments ont été envoyés aujourd'hui à midi à la préfecture, mais nous ne pouvons pas les avoir, parce que je vous rappelle que les organisations syndicales de salariés ne sont pas membres du CODERST. Les représentants, pour la société civile, sont l'UFC Que Choisir, France Nature Environnement et il leur est interdit de faire état des éléments avec le fameux principe de confidentialité. On ne sait même pas d'ailleurs comment ils vont pouvoir avoir un avis collectif.

Nous demandons évidemment la transparence. Nous savons qu'il y a eu les arrêtés. Nous savons qu'il y a des travaux faits, Lubrizol a dit que l'évaluation des risques avait été remise à jour. Ce que nous demandons, mais il faut que ce soit porté maintenant par une proposition parlementaire, c'est qu'au nom de la transparence, les courriers de l'inspection du travail, ceux de la DREAL, ainsi qu'un certain nombre de documents qui sont imposés aux industriels, notamment le document d'évaluation des risques, le plan d'opération interne soient publiés et accessibles aux riverains. J'ai cherché à consulter le PPI de Rouen. Il est accessible uniquement à la mairie de Rouen et encore, toutes les pages ne sont pas accessibles. Pour reprendre l'activité industrielle, nous sommes dans les conditions de sécurité, mais les conditions de sécurité impliquent aussi des conditions de transparence.

Je finis juste sur la question des comités de suivi de site. Il y a un problème au CODERST. Il faudrait que les questions syndicales de salariés puissent être au CODERST. Je pense que ce serait une proposition simple et intéressante. Pour les comités de suivi de site, nous avons le même problème que dans les CHSCT avec entreprise élargie : les représentants du personnel dans les comités de suivi de site (CSS) se retrouvent face à leur propre employeur. Même si ce sont des salariés protégés, ce n'est pas facile. Quand vous votez sur le PPRT une autorisation d'exploiter, vous pouvez avoir un discours interne dans la boutique parce que ça ne sort pas de la boutique. Mais quand vous êtes au CSS dont les comptes rendus sont publics, cela peut être mal vu que vous votiez contre leur autorisation d'exploiter lorsque vous considérez qu'elle est dangereuse, parce que cela va se savoir et que vos collègues vont vous dire qu'au nom des politiques de l'emploi, ce n'est pas normal. Nous proposons pour les CSS une représentation syndicale interprofessionnelle, ce qui éviterait les pressions.

Je finis sur le PPRT. La représentante de la CGT a voté contre le PPRT Lubrizol. Et là, il faut le dire, les PPRT à Rouen n'ont pas travaillé sur la réduction à la source des risques. Il y a trois PPRT sur une zone de 15 kilomètres alors qu'il devait n'y avoir qu'un seul PPRT. Mais si on faisait un seul PPRT, soit il y aurait beaucoup de contraintes pour les riverains en termes d'immeubles et en termes de route, soit il y aurait des contraintes extrêmement fortes sur les industriels. Il y a eu un compromis entre l'État et les collectivités locales pour réduire le cercle des PPRT, sauf qu'à un moment donné, ça explose. Il faut examiner la situation autrement, y compris sur la question du droit à l'expertise, à une expertise indépendante, puisque – et ce n'est pas une remise en cause de nos propres collègues fonctionnaires – l'expertise de l'État n'est évidemment pas neutre et pas indépendante.

Il y a une question extrêmement pertinente de Mme la députée Goulet sur la question de la sous-traitance. Évidemment, l'interdiction est la formule générique, comme nous avions encore, il y a quelque temps, une formule de base qui est l'interdiction du travail du dimanche, ce qui n'empêche pas que le dimanche, nous avons des trains ou des hôpitaux qui fonctionnent. Quand nous demandons l'interdiction de la sous-traitance, c'est la formule générique. Ensuite, par arrêté motivé, avec consultation des représentants du personnel, un débat motivé et une évaluation des risques, il y a des activités particulières, très techniques ou sans risques qui peuvent être sous-traitées. Mais si nous n'avons pas cette interdiction globale de la sous-traitance, on ne va pas s'en sortir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous invite, si vous avez des documents supports ou des propositions qui viennent compléter vos réponses, à nous les faire parvenir afin que nous puissions les intégrer à nos travaux. Je vous remercie, encore une fois, de votre présence.

L'audition s'achève à dix-sept heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à Rouen

Réunion du mercredi 4 décembre 2019 à 15 h 10

Présents. - M. Damien Adam, M. Christophe Bouillon, M. Éric Coquerel, Mme Perrine Goulet, M. Hubert Wulfranc

Excusé. - M. Pierre Cordier