Intervention de Vincent Laudat

Réunion du jeudi 12 décembre 2019 à 9h30
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Vincent Laudat, président de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) Rouen Métropole :

Je vais articuler mon intervention en trois parties : notre action, notre analyse et notre ambition.

Je voulais faire un point introductif sur les CCI, juste pour rappeler que la réforme et le choix du gouvernement et de l'Assemblée nationale de continuer la casse du réseau des CCI en France est une preuve d'un manque de connaissance de notre action et du lien que nous avons avec les chefs d'entreprise de nos villes et de nos campagnes. La CCI Rouen Métropole, issue de la réunion de trois Chambres de commerce, Dieppe, Rouen et Elbeuf rassemble 100 chefs d'entreprise bénévoles et investis dans chacun des bassins d'emploi.

Il n'y a que très peu d'instances de notre République où siègent les chefs d'entreprise. Être le corps intermédiaire bienveillant et constructif avec l'État, pendant les crises des Gilets jaunes et de Lubrizol est indispensable.

En tant qu'établissement public, nous accompagnons le tissu des entreprises dans leurs mutations économiques, législatives et techniques.

Pour commencer, rappelons le poids de Lubrizol dans l'économie normande : 2 200 emplois directs et indirects, 420 millions de retombées économiques et 75 millions de fiscalité locale.

Quelle a été notre action depuis le 26 septembre 2019 ? Nous avons, dès le lendemain, mis en place une cellule pour accompagner, en synergie avec la chambre des métiers, les entreprises impactées par l'incendie avec en baseline de nos publications : « Vous avez subi des préjudices, nous vous donnons la parole ». Nous avons mis en place ce fameux sondage express, pour lequel 232 entreprises ont répondu à ce jour. Le site de la CCI s'est fait aussi le lien pour 60 communiqués de presse et notes de préconisations. La CCI a présenté les dispositifs de l'État dans le cadre de l'accompagnement des entreprises en difficulté, l'activité partielle, les aides fiscales et sociales.

Nous participons aux réunions du comité de transparence et de dialogue. Par deux fonds, les Fonds LZ1 et LZ2, Lubrizol a choisi de dédommager les exploitants agricoles, les petites et moyennes entreprises (PME) et les commerçants. Nous avons accompagné la société Exetech, mandatée par Lubrizol, dans la prise en compte de tous ces préjudices : entreprises dans le périmètre des 500 mètres, entreprises en bord de Seine, entreprises dans les 112 communes et ainsi dimensionné les aides.

Les élus et les collaborateurs ont participé à 25 réunions, je suis intervenu huit fois dans la presse, nous avons organisé plusieurs réunions d'information à la CCI, avec les services de l'État et les deux industriels, Lubrizol et Normandie Logistique.

Nous avons fédéré les cinq CCI normandes, les syndicats patronaux, les branches professionnelles de la chimie et de la métallurgie pour rappeler le rôle crucial de notre industrie et l'obligation que nous avions de rouvrir le site de Lubrizol.

Nous avons, avec la Région, la CCI et la Chambre de métiers et de l'artisanat (CMA), décidé d'assouplir les conditions d'accès au dispositif garantie d'emprunt, mis à disposition des entreprises, soit 150 000 euros cautionnés par la Région, pour 30 à 70 %.

Nous avons rencontré des salariés de Lubrizol et relayé l'action de l'intersyndicale à l'attention du ministère du travail, souhaitant reprendre progressivement l'activité en toute sécurité, notamment l'unité de mélange.

Nous avons alerté les services de l'État de la récurrence des vols et des dégradations dans notre agglomération, vols de métaux et de carburant, qui ont été relayés par les dossiers de plainte auprès du préfet.

Nous avons également signalé la présence d'une aire de Gens du voyage en plein milieu de sites Seveso.

Nous avons engagé une action d'intervention à l'intention des sous-traitants de Lubrizol, en leur donnant un accès gratuit à nos rendez-vous d'affaires et en leur permettant de profiter de l'action de notre cluster « Écosystème client 4.0 », avec une mise en relation avec vingt donneurs d'ordres locaux. Dix entreprises sur trente ont répondu. Ce dispositif a été mis en place en concert avec le service achats de Lubrizol.

Nous avons organisé une réunion d'information le 8 octobre, spécifique pour les entreprises dans le périmètre des 500 mètres, pour les accompagner dans leur relocalisation et redémarrage. Les services administratifs de l'entreprise Triadis ont même été accueillis dans nos locaux, deux jours après l'incendie et y sont encore aujourd'hui.

Nous avons fait le lien entre ces entreprises du périmètre des 500 mètres et l'État, par rapport aux interdictions d'accéder à leur site et par rapport au flou sur les reprises possibles de travail : accidents du travail, position de la Direccte et de la Caisse d'assurance retraite et santé au travail (CARSAT), demande de mise en accident du travail préventif des salariés considérés comme une reconnaissance par l'employeur, de sa responsabilité.

Nous nous sommes également interrogés sur le type d'analyses nécessaires dans la zone des 500 mètres.

Nous avons participé aux interventions des ministres et du premier ministre à la préfecture.

Quelle est maintenant notre analyse ?

Je ne me permettrais pas de vous faire des préconisations, mais je souhaite partager notre réflexion sur ce sinistre en six points.

Il faut veiller à ne pas alourdir la législation déjà en place, mais à faire en sorte qu'elle soit mieux respectée, harmonisée et adaptée. Lubrizol relève de la catégorie Seveso seuil haut tandis que Normandie Logistique constitue une ICPE (installation classée pour la protection de l'environnement). Ils stockaient les mêmes produits mais étaient pourtant soumis à un régime différent. Ce n'est pas le lieu de stockage qui doit déterminer la dangerosité du produit mais sa nature.

Il est nécessaire de mutualiser pour améliorer la sécurité des sites Seveso. Nous avons 80 sites Seveso sur l'axe Seine. Les pompiers n'avaient pas suffisamment de mousse pour éteindre un site Seveso. À la CCI, nous gérons l'aéroport de Rouen et nous avons fourni de la mousse, au moment de ce sinistre. Pour améliorer cette sécurité, chaque site n'aura pas les moyens d'avoir son propre centre d'intervention. Pourquoi ne pas développer un centre d'intervention spécifique et mutualisé Seveso « seuil haut », pour regrouper des équipes formées, du matériel, des équipements et des produits adaptés ?

Une étude est nécessaire pour dimensionner, déterminer leur nombre par rapport au risque. Un financement par rapport au type de « seuil Seveso » peut être étudié. Toujours dans le domaine de la sécurité, l'utilisation de caméras avec une vision 360 degrés n'est pour l'instant pas autorisée. Alors comment reprocher à un industriel de ne pouvoir identifier un incendie avec un risque ayant une origine extérieure à son site de production ? Établir une règle sur la surveillance intérieure et extérieure de sites Seveso est primordial, avec une partie pour l'industriel et une autre pour les services de l'État ou la collectivité.

Parlons maintenant de la communication et de l'information du public. Clairement, la sirène n'est plus un moyen adapté pour prévenir la population. Fuir, rester, se confiner, personne ne savait ce qu'il fallait faire. Il faut déterminer un périmètre autour de chaque site Seveso dans lequel tous les habitants recevront annuellement une formation obligatoire dispensée soit par des médecins, des communes, des centres de formation, du e-learning ou les CCI.

Il faut recréer du lien entre ces sites et les habitants, redéployer les Journées de l'Industrie que nous faisions, faire des exercices d'intervention grandeur nature. Nous en avons parlé : SMS, radio, boîtiers spécifiques, il faut plancher sur d'autres moyens modernes d'alerte.

Il faut également mettre fin à la possibilité de réduire les périmètres non constructibles autour des sites Seveso, être attentif à certains équipements et certains projets. Je rappellerai la présence d'une aire du voyage en plein milieu du site Seveso. L'éco-quartier Flaubert devait accueillir 15 000 habitants dans les dix prochaines années, à quelques centaines de mètres de sites Seveso.

Il faut aussi avoir une prise en compte de l'« effet domino » entre sites Seveso. Nous devons engager, avec la population, une réflexion sur l'aménagement de notre territoire. Nos villes ne sont pas uniquement des lieux de consommation, d'habitation et de loisirs. Nous devons y conserver des ateliers et des métiers.

Nous devons aussi développer des liens entre les entreprises classées Seveso. À la CCI, nous lançons un Club « Risques industriels, chimiques et technologiques », à l'attention des entreprises Seveso, pour travailler et mutualiser sur la réglementation, les bonnes pratiques, la sécurité, la sous-traitance, la communication avec la filière France Chimie. Nous avons donc écrit hier au directeur général de la préfecture de Rouen qui a une écoute favorable à ce projet.

Pendant cette crise, les réseaux sociaux ont agi comme un poison. Le dernier tweet est considéré comme donnant la vérité, vérité fondée sur une photographie truquée ou sur une fausse information. Dans cette crise, ce média des réseaux sociaux a complètement été abandonné aux mains des « anti-tout » ; « anti-tout » ce qu'il se passe et surtout « anti-tout » dans leurs écrans. Il est urgent de légiférer sur l'usage et l'identité des intervenants dans les réseaux sociaux. Nous intervenons tous aujourd'hui à visage découvert. Vous connaissez mon identité et nous partageons une politesse réciproque. Il est urgent de rétablir les mêmes règles pour les échanges numériques.

En conclusion, dans un contexte où la sensibilité est encore forte et où la réflexion commence à prendre sa place, nous avons vécu et perçu un choc dans la population, un choc émotionnel et psychologique. Les dirigeants d'entreprise agissent avec le souci du sort de leurs équipes, de l'intégrité physique et de la santé de leurs salariés et de toutes les personnes qui vivent en proximité. Nous souhaitons que notre pays reste un territoire industriel et attractif, que nous restions en capacité d'accueillir les industries en toute sécurité dans nos populations, avec une empreinte environnementale la plus faible possible par rapport à nos connaissances scientifiques actuelles.

Les énergies solaires, éoliennes, nucléaires, donc décarbonées seront électriques. Elles seront stockées dans des batteries ou transformées en hydrogène dédié aux piles à combustible. Les sites de production de batteries ou d'hydrogène seront des sites Seveso seuil haut. Dans cette transition énergétique et donc dans la compétitivité de notre prix, dans les choix et arbitrages que nous devons faire aujourd'hui, nous ne pouvons pas nous passer de cette dimension industrielle. Nous devons maîtriser, intégrer et vivre avec ces risques technologiques.

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