Intervention de Jacky Bonnemains

Réunion du jeudi 12 décembre 2019 à 10h55
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Jacky Bonnemains, porte-parole de l'association Robin des bois :

Je représente l'association « Robin des Bois ». Concernant la réouverture de Lubrizol, nous n'avons pas tout à fait la même vision que nos collègues. Nous pensons que la direction de Lubrizol aux États-Unis, à Wickliffe dans l'Ohio, a déjà décidé de la fermeture de l'entreprise de Rouen. Il cherche simplement une solution de dépannage pendant deux à quatre ans, afin de restructurer leurs process de formulation de lubrifiants et de les redistribuer dans la soixantaine d'usines qu'ils ont dans le monde, et en particulier les trois récentes qu'ils viennent d'ouvrir en Chine. Cette solution de dépannage va leur être coûteuse, parce qu'ils vont faire appel à un prestataire de services extérieurs. Elle ne peut être considérée que comme une solution transitoire par un chef d'entreprise comme Warren Buffett. Ce serait donc une illusion et un marché de dupes, que d'autoriser dans ces conditions « bricolées » la réouverture de Lubrizol, à moins que la direction prenne l'engagement d'exploiter cette usine dans les meilleures conditions possibles pendant une vingtaine d'années.

En ce qui concerne la gestion de la crise, une crise est bien gérée si elle a été prévue. C'est avant l'apparition de la crise qu'il faut la gérer. Il y a une loi pour cela : la loi de modernisation de la sécurité civile, qui date de 2004. Elle impose à toutes les communes soumises à des risques majeurs, naturels ou industriels, d'élaborer et de diffuser un DICRIM (document d'information communal sur les risques majeurs). Elle impose d'élaborer aussi un plan communal de sauvegarde, qui liste toutes les populations vulnérables, comme celles qui habitent sur des aires de voyage ou sur des terrains de camping, parce qu'au moment de l'accident de Lubrizol, nous étions en automne à Rouen, mais cela peut se passer aussi en plein été à Marseille. Il faut donc lister les aires de Gens du voyage et toutes les populations vulnérables, la tâche de chaque employé communal en cas de crise et tous les moyens d'informer le public, non seulement le jour même, mais aussi durant la nuit. C'est peut-être plus compliqué en apparence, quoique la nuit, les écoles sont vides.

Tout cela est prévu depuis la loi de 2004. Mais cela a été très mal appliqué, notamment à cause des habitants qui n'en ont rien à faire. Tant qu'il n'y a pas de catastrophe, tout le monde s'en fiche. De son côté, la catastrophe réveille l'inquiétude. Cette loi incite par exemple à ce que des réserves communales soient formées au cas où l'accident industriel ou la catastrophe naturelle surviendrait. Mais il y a eu très peu d'efforts de la part des maires, des présidents de communautés de communes et des habitants, pour adopter une politique cohérente de prévention des gestes malheureux ou des situations dangereuses après une catastrophe.

Beaucoup de citoyens, à juste titre, sont traumatisés, et leur conscience se réveille dans les jours, les semaines ou les mois après la catastrophe. Mais ils s'endorment progressivement durant les années suivantes. Si nous voulons faire un bon travail de prévention, il faut que tout le monde s'y attelle « en période de paix ». C'est un impératif pour tout le monde.

Les propositions que je viens de formuler sont peut-être en décalage avec ce que nous avons l'habitude d'entendre. Mais l'association « Robin des Bois » connaît très bien l'axe industriel Rouen-Le Havre. C'est sans doute la région industrielle que nous connaissons le mieux, suivies de celles de Saint-Nazaire, de Strasbourg, de Fos-Etang de Berre, de Bordeaux et de Lyon avec son « Couloir de la chimie ».

Nous avons été témoins des deux plus gros scandales industriels en France, et peut-être même en Europe. Ils ont eu lieu en Seine-Maritime, sous la surveillance défaillante de la DREAL.

Il s'agit du scandale de Citron près du Havre, durant lequel la DREAL et la subdivision du Havre ont laissé des hangars se remplir de dizaines de milliers de tonnes de déchets toxiques à l'usine de Citron, dans des centres internationaux de traitement des ordures nocives. Cela s'est terminé par un abandon sur place de ces milliers de tonnes de déchets toxiques, et ils existent toujours. Il reste toujours 100 000 tonnes de mâchefers en plein air, en face de Citron, sur des terrains qui appartiennent au grand port maritime du Havre.

Le scandale Citron et maintenant, le scandale Lubrizol. Mais est-ce réellement que maintenant ? Non, il dure depuis 1975, avec les premières échappées de mercaptan qui est incommodant mais qui ne serait pas toxique. Cela s'est répété en 2013, avec des effets transfrontaliers qui sont toujours actuellement niés. Lorsque nous lisons la fiche Lubrizol Seveso, il n'y a pas d'effet transfrontalier. Pourtant, en janvier 2013, il y a eu 100 000 appels sur le réseau d'alerte gaz du Royaume-Uni à cause des fuites de Lubrizol, alors que pendant une journée normale, il y en a 4 000 à 5 000. 2 000 mètres cubes d'huile ont aussi coulé dans la Seine en 2015. Et maintenant, la catastrophe de l'incendie.

La DREAL est aussi responsable. J'ai beaucoup d'estime pour la compétence des inspecteurs de la DREAL, mais ça suffit. Les réunions concernant le PPRT (Plan de prévention des risques technologiques), qui ont été pendant quatre ans un espace de concertations diverses, ont abouti à sa prescription et à sa validation par la préfecture. C'est une catastrophe. Le fait aussi d'avoir manqué les entrepôts de Normandie Logistique, qui mesurent 300 mètres de long et 40 mètres de large, dans le Plan de prévention des risques autour de Lubrizol, est un scandale. Le libellé est exactement celui-ci : « Plan de prévention des risques autour de Lubrizol ». Normandie Logistique est, d'une certaine manière, à l'intérieur de Lubrizol. C'est un raté monstrueux. Quasiment impardonnable. En conséquence, le gouvernement, qui est très friand d'expérimentations allant dans le sens de la simplification, devrait prendre l'initiative de mettre la DREAL de Seine-Normandie sous tutelle. Nous avons 75 usines Seveso en Seine-Maritime.

En outre, lors de l'incendie de Lubrizol, les pompiers sont tombés en panne d'eau à dix heures du matin. Ils sont tombés en panne d'émulseur à neuf heures du matin. Le SDIS (Service départemental d'incendie et de secours) est aussi responsable. La responsabilité est collective.

Il serait donc intéressant de considérer la Seine-Maritime comme un laboratoire de surveillance, de vigilance et d'amélioration des conditions de travail et de sécurité dans toutes les usines du département. Cette expérimentation devrait être confiée à un service décentralisé, loin du huis clos et loin du « Rotary Club » qu'est le CODERST de Seine Maritime. Nous pourrions avoir une instance solide, évolutive, suffisamment équipée et indépendante des pressions locales. Nous allons vous envoyer par écrit plus de propositions. Mais je ne manquerai pas demain de refaire cette proposition au comité de transparence et de dialogue, qui n'est pas minable et lors duquel nous avons le droit de parler.

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