La séance est ouverte à dix heures cinquante-cinq.
Nous reprenons nos auditions avec l'accueil de différents collectifs et associations dans les domaines « Citoyens de l'environnement », et d'autres structures qui se présenteront lors de leur prise de parole.
Je souhaiterais que vous puissiez d'abord donner votre sentiment et vos réflexions sur la gestion et la communication de crise, et également sur l'après-crise, c'est-à-dire ce qui relève du suivi de l'environnement et de la santé. De plus, quelle est votre réaction, à deux jours maintenant de la réouverture de l'activité sur le site de Lubrizol, à la suite de la décision du CODERST (Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques) ? Avez-vous des propositions à faire ?
Nous sommes effectivement à deux jours de la réouverture, et le surlendemain après le CODERST. Ce qui est gênant, c'est que nous n'avons pas les éléments qui y ont été présentés, et notamment tout ce qui concerne les engagements qu'a pris Lubrizol pour permettre cette réouverture et avoir l'accord de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), du CODERST et du préfet. Il serait intéressant de vous entendre sur ce sujet, si certains d'entre vous sont membres du CODERST et ont eu accès aux informations. Peut-être pourriez-vous nous donner quelques éléments complémentaires ? Mais tout le monde, malheureusement, n'a pas autant d'informations.
Je ne vais pas présenter les principales thématiques sur lesquelles nous souhaitons vous entendre. Mais j'en ajoute une qui me paraît importante : la culture du risque. Avez-vous des propositions à faire, afin que nous puissions augmenter la culture du risque sur notre territoire, et non pas en « one shot », mais de manière durable ?
Je m'appelle Lise Foisneau, je suis docteure en ethnologie de l'université Aix-Marseille et chercheuse associée de l'Institut d'ethnologie méditerranéenne, européenne et comparative (IDEMEC). Mes recherches portent en partie sur les inégalités environnementales dont sont victimes, en France, les gens du voyage résidant sur les aires d'accueil. C'est à ce titre que je me suis rendue au Petit-Quevilly avec M. Valentin Merlin, 48 heures après le début de l'incendie. Nous y avons passé plusieurs semaines depuis. Mon exposé bref portera sur les préjudices subis par les habitants de l'aire d'accueil des gens du voyage.
A ma demande, Mme Vanessa Moreira Fernandes, habitante de l'aire d'accueil, prendra la parole pour vous faire le récit chronologique des faits. Ouverte en 1998 dans une zone industrielle, l'aire d'accueil de Petit-Quevilly, se trouve à moins de 500 mètres de deux sites Seveso. L'un est « seuil haut » - celui de Lubrizol - et l'autre est « seuil bas », celui de Total Lubrifiants. Rappelons que, lorsque nous sommes catégorisés par l'administration comme « Gens du voyage » et que nous ne sommes pas propriétaires de notre terrain de stationnement, nous devons résider dans les aires d'accueil. Lorsqu'elles sont situées en « zone Seveso », comme celle de Petit-Quevilly, elles ne possèdent souvent pas de dispositifs de sécurité en cas d'accident industriel.
La négligence institutionnelle s'étend aussi à la gestion sanitaire des aires d'accueil. Celle de Petit-Quevilly ne dispose pas d'installations décentes. En 2012, un rapport de l'InVS (Institut de veille sanitaire) sur une épidémie d'hépatite A, précise que les habitants n'ont pas accès à des commodités sanitaires suffisantes sur des terrains gérés par la CREA (Communauté d'agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe). Je cite : « 37 % de la population d'étude n'avaient pas accès à des douches. 56,4 % n'avaient pas accès à des toilettes ». Malheureusement, les rédacteurs du rapport se contentent de préconiser une campagne de vaccination et une sensibilisation à l'hygiène des populations concernées. Les victimes de conditions de vie indignes sont, pour ainsi dire, rendues responsables de leur santé dégradée. Pas un mot, en revanche, sur la nécessité de réaménager ces aires pour en faire des lieux de vie décents, répondant à des normes de sécurité minimales.
De telles recommandations existent pourtant. En effet, le dernier schéma départemental d'accueil des gens du voyage de Seine-Maritime (2012–2017) prévoyait très explicitement la relocalisation des aires d'accueil situées en « zone Seveso ». Non seulement celle-ci n'a pas eu lieu, mais aucune des mesures urgentes recommandées n'a été mise en oeuvre par la Métropole Rouen-Normandie, notamment l'aménagement d'un local de confinement. Aujourd'hui, 78 jours après l'incendie de Lubrizol, les habitants de l'aire d'accueil de Petit-Quevilly sont toujours en attente d'un nouveau terrain, proche des écoles de leurs enfants et à distance raisonnable de la zone polluée. Leur demande est restée vaine.
Habituée à l'observation des aires d'accueil, je peux témoigner que ce genre de silences, en forme d'abandons, n'est pas rare. Cette absence de réponse aux demandes élémentaires des habitants reste néanmoins paradoxale si nous la rapportons au nombre de services, d'entreprises, d'associations et de commissions censés encadrer les Gens du voyage sur le plan social et sanitaire.
La vérité est que les habitants des aires d'accueil ne sont habituellement pas conviés à donner leurs avis sur les décisions concernant les lieux où ils sont tenus de vivre. Lorsque nous les écoutons, ils disent qu'une aire d'accueil n'aurait jamais dû être construite près d'une décharge comme à Lyon, à moins de dix mètres d'une autoroute comme à Saint-Menet, dans la proximité immédiate d'une voie ferrée comme à Bordeaux, ou près d'une usine à béton comme à Ronchin. Ainsi, il est très important que Mme Vanessa Moreira Fernandes puisse être auditionnée aujourd'hui. Mes suggestions pour parer à l'urgence, sont triples :
- que les habitants de l'aire de Petit-Quevilly et de l'aire de Bois-Guillaume, exposés aux fumées de l'incendie, puissent bénéficier d'un suivi médical rapproché ;
- il serait souhaitable de créer un service d'inspection national, doté de moyens suffisants pour contraindre les collectivités à respecter les normes d'hygiène et de sécurité. Les habitants devraient pouvoir saisir ce service directement.
- il est indispensable d'interdire toute nouvelle création d'aires d'accueil en zone Seveso ou en zone industrielle.
L'incendie de Lubrizol montre à quel point les politiques publiques menées depuis les lois Besson, sont inégalitaires. L'usage de la catégorie administrative de « gens du voyage » rompt tous les jours le principe de l'égalité républicaine.
Mme Moreira Fernandes va maintenant vous exposer ce dont elle a été témoin sur l'aire d'accueil depuis le 26 septembre 2019. Habitante de l'aire d'accueil du Petit-Quevilly depuis 12 ans, elle était présente le jour de l'incendie.
À deux heures du matin, la nuit du 26 septembre, mon mari m'a réveillée pour me dire que l'usine prenait feu. Je me suis levée et j'ai vu des flammes derrière l'usine Total. J'ai eu peur. Je me suis dit : « Comment va-t-on faire avec les enfants ? ». Nous avons appelé les pompiers, mais ils étaient déjà au courant. Après ce coup de téléphone, nous n'avons plus eu aucune information.
À cinq heures quarante du matin, il y a eu de très grosses explosions, et personne n'est venu, ni pompiers, ni policiers, ni gardiens de l'aire d'accueil. Personne n'est venu nous demander si nous avions besoin d'aide ou nous dire quoi faire.
À huit heures du matin, l'alarme de l'usine a sonné. Trois agents de la police nationale sont arrivés sur l'aire. Ils nous ont dit : « Il faut se mettre dans les caravanes le plus possible. Il ne faut pas rester dehors. Pour l'instant, nous n'évacuons pas. De toute façon, vous n'êtes pas sur une zone habitable. Restez vigilants ». L'intérieur de nos caravanes sentait le gaz et la fumée. Mais nous n'avions aucun endroit où nous réfugier afin de respirer de l'air moins pollué.
Dans la matinée, un gardien de l'aire d'accueil est venu de son propre chef, parce qu'il avait pitié. Il nous a apporté trois masques qu'il avait trouvés chez lui. Il est resté cinq minutes. La suite de la journée du 26 septembre s'est déroulée dans une attente insupportable. Nous ne savions pas quoi faire et nous respirions mal.
Vendredi 27 septembre, vers neuf heures, un des gardiens de l'aire d'accueil est venu nous dire que les « bureaux », c'est-à-dire le local administratif et technique, mais aussi les douches, n'ouvriraient que le lundi suivant, soit trois jours plus tard. En effet, nous n'avons vu personne avant le lundi 30 septembre. Ce jour-là, les agents de la Métropole de Rouen sont venus nous demander de payer notre loyer ! C'est à ce moment-là que nous avons vraiment pris conscience de la façon choquante dont nous étions traités.
Nous avons lancé un appel au secours sur les réseaux sociaux, en réalisant une petite vidéo dans laquelle mes voisins et moi-même racontons la nuit de l'incendie. Cette vidéo a été vue plus de 27 000 fois en une soirée. En deux jours, une dizaine d'articles de presse ont été écrits au sujet de notre situation. Plusieurs reportages radio et télévisuels ont aussi été montés. Ce n'est qu'après tous ces articles et reportages, le mercredi 2 octobre - soit six jours après l'incendie -, que la maire de Petit-Quevilly, le responsable « Gens du voyage » de la Métropole, M. Didier Jue, et certains de leurs collègues, sont venus nous rendre visite. Nous leur avons dit que nous voulions être relocalisés de toute urgence, tous ensemble, et non loin des écoles de nos enfants. Ils nous ont répondu qu'il s'agissait en effet de demandes raisonnables.
Mais le lendemain 3 octobre, la Métropole de Rouen a fait paraître un communiqué de presse, dans lequel nous avons pu lire : « Les services de la Métropole étaient présents sur place dès six heures trente, jeudi matin, et sont restés toute la matinée aux côtés des habitants de l'aire d'accueil et des pompiers ». Nous en avons été profondément blessés. Les quarante personnes présentes sur l'aire d'accueil peuvent attester, au contraire, que personne ne leur est venu en aide.
C'est pourquoi le jour-même, les habitants de l'aire d'accueil et moi-même avons déposé une plainte devant le procureur de la République de Rouen pour « mise en danger de la vie d'autrui et omission de porter secours ». Nous avons également envoyé la lettre officielle demandant notre relocalisation d'urgence, réclamée par la Métropole. Il a fallu attendre jusqu'au 11 octobre, soit seize jours après l'incendie et huit jours après l'envoi de cette lettre, pour recevoir, comme réponse, un papier sur lequel était écrit que nous pouvions rejoindre les emplacements libres des autres aires d'accueil gérées par la Métropole de Rouen.
À partir de ce moment, nous avons subi une pression continuelle. La Métropole nous a envoyé l'huissier à plusieurs reprises afin de nous intimider. Lors de son deuxième passage, il était accompagné de quatre camions et d'une vingtaine d'agents de police nationale, vêtus de gilets pare-balles et portant des bombes lacrymogènes. Ces intimidations ne nous ont pas fait renoncer à notre défense. Nous avons parlé lors de réunions publiques. Nous avons rencontré M. le député Hubert Wulfranc. Nous avons contacté la Ligue des droits de l'Homme. Le Défenseur des droits a aussi été saisi. Nous avons organisé une soupe de l'amitié sur l'aire d'accueil, afin de montrer aux riverains dans quelles conditions nous vivons.
Je suis président de l'association « Espoir et Fraternité tsiganes ». Je milite au sein de cette association depuis plus de huit ans. Je suis aussi médiateur du programme de formation des médiateurs roms (ROMED), certifié par le Conseil de l'Europe.
Le 27 septembre, Mme Lise Foisneau, M. Valentin Merlin et M. William Acker m'ont informé que l'aire d'accueil des gens du voyage était située à 300 mètres de l'usine Lubrizol à Petit-Quevilly. Via ma page Facebook, nous sommes entrés en contact avec les familles résidentes de l'aire d'accueil. Une fois le contact pris, je me suis vite rendu compte qu'il s'agissait d'un véritable scandale, d'une honte. C'est en écoutant les témoignages des familles que l'on comprend que : « Nous, Gens du voyage, sommes bien considérés comme des sous-Français ».
Personne n'est venu porter secours à ces familles. Pire encore, on les a empêchés de fuir. Les policiers de la brigade anti-criminalité sont venus sur l'aire d'accueil pendant l'incendie, équipés de masques à gaz. Ils n'ont pas voulu que les familles évacuent l'aire d'accueil avec leur caravane. Ils leur ont demandé de s'y confiner. Mais une caravane n'est pas un local de confinement. À l'intérieur, il y a des prises d'air partout et cela sentait l'essence, le gaz, la fumée et le plastique brûlé. Pendant ce temps-là, des bidons de produits chimiques montaient à cinquante mètres de hauteur et retombaient dans l'usine, offrant un spectacle de plusieurs heures, traumatisant pour les habitants de l'aire d'accueil. Durant les jours suivants, aucun représentant public ne s'est soucié de ces familles. Elles sont restées à vivre à côté de cette usine chimique.
Certaines vies valent apparemment moins que d'autres. Les conditions de vie des gens du voyage en France mériteraient, à elles seules, une commission d'enquête parlementaire à l'Assemblée nationale. Je pourrais vous parler de cette « aire d'accueil de la honte » à Pontarlier, installée à côté d'une usine d'équarrissage et où les familles sont obligées de se couvrir le visage avec des mouchoirs, à cause des fumées pestilentielles.
Je pourrais vous parler de cette aire située rue de Dunkerque à Strasbourg, dans cet endroit improbable, au milieu d'une zone industrielle située à côté d'une immense déchetterie, où brûlent des déchets toute la journée. Savez-vous le nom donné par les résidents à cette aire d'accueil ? Le « petit Auschwitz ». En effet, collée contre les hauts grillages de l'aire d'accueil, se trouve une voie ferrée sur laquelle des trains stationnent avec leurs wagons de marchandises. Ajoutez à cela les cheminées de la déchetterie et de l'incinérateur qui fument toute la journée, et vous comprenez facilement ce petit surnom.
Je pourrais aussi vous parler de cette aire de grand passage à Dole, où une cimenterie déverse du liquide mousseux jaune fluo avec un grand tuyau, à l'endroit où vivent les familles, formant ainsi un petit étang près duquel des enfants jouent avec leurs vélos. En résumé, les cas sont innombrables et traduisent l'existence de véritables dérives dans la mise en oeuvre des politiques d'accueil, si l'on peut parler réellement « d'accueil ».
Je suis juriste voyageur, et je travaille sur la question de l'accueil des Gens du voyage. La situation des aires d'accueil de la Métropole de Rouen ne représente en réalité que la partie émergée de l'iceberg… Nous savons que les choix de leur localisation relèvent d'une stratégie de mise à l'écart et de contrôle, dont le caractère est systémique. En ayant vécu sur ces aires, nous savons que la plupart sont situées à proximité de sources polluantes : de sites classés Seveso, mais pas uniquement. Ce sont aussi des déchetteries, des stations d'épuration, des autoroutes, des décharges, des centrales électriques, etc. Chez les voyageurs, il est commun d'entendre : « Si tu ne trouves pas l'aire, cherche la déchetterie ! ».
Nous savons également que l'immense majorité de ces lieux d'accueil sont situés loin, voire très loin des tissus urbains. Mais tout ce que nous savons semble rester lettre morte dans le débat public. Aucune étude globale ou totale précise n'existe sur l'ensemble des aires d'accueil du territoire français. Nous avons tenté de mettre en exergue ces situations lors de l'incendie de Lubrizol, en disant : « Attention, ce qui se passe pour l'aire d'accueil du Petit-Quevilly, s'est déjà passé. Cela continuera à se passer en raison des emplacements des aires d'accueil en France ». Mais sans données objectives, il est impossible d'être entendu par un système qui n'accepte qu'un dialogue de chiffres.
C'est pourquoi, depuis plusieurs mois, nous menons un recensement total de ces lieux, département par département. Aujourd'hui, après l'étude de plus de 230 aires d'accueil recensées dans dix départements, il nous est possible d'affirmer que :
- plus de 90 % des aires d'accueil sont isolées des tissus urbains ;
- plus de 70 % subissent un environnement dégradé ;
- seuls 3 % d'entre elles ne sont ni isolées ni polluées.
Ces mises à l'écart sont assorties d'un contrôle social et économique permanent, par la présence de gardiens et de vidéosurveillances sur les aires, et la mise en oeuvre de règlements de plus en plus restrictifs au sein des aires.
Autrement dit, la France n'accueille que rarement ces Gens du voyage. Elle les garde. Afin de justifier l'existence du plus grand système d'en-campement en Europe, la loi Besson repose sur un canevas moral, une sainte trinité de l'argumentaire « pro-aires d'accueil » : (1) l'inclusion professionnelle ; (2) l'accès à l'éducation ; (3) l'accès à la santé. Comprenons ensemble ce qu'y entend le législateur, et plus précisément la façon dont les décideurs locaux interprètent ces notions. Ils ne raisonnent pas tout à fait de la manière dont nous, nous l'entendons.
Je vais vous présenter la situation dans le département des Yvelines. Pourquoi ai-je choisi les Yvelines ? Les Yvelines constituent un département très représentatif des différentes stratégies d'évitement de l'accueil que nous pouvons rencontrer. Or ce n'est pas le pire en France. Dans les Yvelines, de manière globale, nous notons un manque aigu de places avec des aires vieillissantes, inadaptées et impropres aux êtres humains. Elles sont isolées et cachées en « zone Seveso », en seuil industriel ou pollué :
- l'aire d'accueil d'Aubergenville, située en zone industrielle, est isolée du reste de la ville. Elle est cachée, jouxtant plusieurs déchetteries ;
- l'aire d'accueil de Buchelay est isolée du reste de la ville, située à proximité directe d'une station d'épuration ;
- l'aire d'accueil de Conflans-Sainte-Honorine est située en zone industrielle, isolée du reste de la ville et proche d'une déchetterie ;
- l'aire d'accueil des Mureaux est aussi à l'écart, en zone industrielle ;
- l'aire d'accueil de Limay est aussi isolée du reste de la ville, entre deux routes départementales et une station d'épuration ;
- l'aire d'accueil de Beynes est très isolée, et jouxte une déchetterie ;
- l'aire d'accueil de Guyancourt - pour varier les nuisances - est une aire isolée du reste de la ville, et jouxte une centrale électrique ;
- l'aire d'accueil de Trappes se situe en zone industrielle, et sur « l'échelle du vivable » dans les Yvelines, c'est relativement correct ;
- l'aire d'accueil de Plaisir, dont il ne faut pas se fier au nom, est située au bord d'une route nationale et d'une déchetterie ;
- l'aire d'accueil de Maurepas est isolée et cachée dans une zone non habitée, sa plus proche voisine étant la station d'épuration ;
- l'aire d'accueil de Freneuse est isolée du reste de la ville entre une usine de béton, une déchetterie et un cimetière ;
- l'aire d'accueil des Essarts-le-Roi est dans une zone inhabitée de la ville. Pour y accéder, il faut passer sous un petit pont de la voie ferrée qui est sa plus proche voisine ;
- l'aire d'accueil de Rambouillet est en bordure d'une route nationale, dans une zone isolée, et sa plus proche voisine est aussi la déchetterie ;
- l'aire d'accueil de Saint-Arnoult-en-Yvelines est isolée, cachée, et jouxte la déchetterie ;
- l'aire d'accueil de Mesnil-Saint-Denis est aux frontières de la ville (difficile d'aller plus loin) et jouxte une station d'épuration où les odeurs sont infectes ;
- les deux seules aires d'accueil correctement situées dans le département, sont celles d'Elancourt et de Gargenville mais cela ne donne aucune indication sur les conditions de vie ;
- l'aire d'accueil de Montesson est au bord de l'autoroute : elle est tellement isolée du reste de la ville qu'elle n'est même pas dans la ville et elle se trouve, elle aussi, à deux pas de déchetteries ;
- enfin, la pire de toutes les aires d'accueil est celle de Saint-Germain-en-Laye. Elle est située en plein coeur d'une des plus grandes et dangereuses usines de traitement des eaux en France, un site Seveso seuil haut. Plusieurs incidents, dont un incendie assez important, ont eu lieu depuis 2018. Ce n'est donc pas la première fois qu'arrive ce type d'événements. Les habitants vivent dans un environnement très dangereux pour leur santé et leur vie.
Quelles solutions existe-t-il ? De manière pratique, il conviendrait d'élaborer un cahier des charges prenant en compte les questions environnementales, de sécurité et d'inclusion, à partir de critères beaucoup plus exigeants :
- la présence de matériels de sécurité aux normes ;
- l'interdiction de construire près des autoroutes, d'une décharge, d'une centrale électrique, d'une station d'épuration ou d'un site Seveso.
En outre :
- les aires doivent être considérées juridiquement comme des zones d'habitation ;
- il faut permettre aux personnes que nous avons progressivement contraintes à la sédentarisation sur les aires d'accueil, qui n'ont pas vocation à cela, d'accéder à un habitat adapté par l'allocation de terrain, par exemple ;
- il faut revoir les conditions d'accès à l'achat foncier des parties catégorisées « gens du voyage » ;
- il faut permettre un accès convenable au crédit immobilier et aux assurances, dont les critères sont particulièrement « excluants » pour les voyageurs ;
- il faut revoir l'interdiction de stationnement d'une caravane dédiée à l'habitation au-delà d'une certaine durée, sur nos propres terrains.
De manière théorique, il faut repenser ce système de l'accueil. En fait, il faut se repenser, il faut vous repenser, il faut repenser l'entité tsigane au XXIe siècle. Si l'aire d'accueil du Petit-Quevilly est reléguée entre deux zones Seveso « seuil haut » et des silos agricoles, ce n'est pas un hasard. Aujourd'hui, chaque projet d'accueil est assorti d'une pétition de riverains qui s'y opposent. L'entièreté de la loi Besson doit être repensée. Le concept même d'accueil des gens du voyage doit être revu, car dans ces cas, il ne s'agit pas d'accueil mais d'en-campement. Pensez-y la prochaine fois que vous rentrez chez vous. Cherchez les lieux invisibles dans vos villes et pensez aux personnes qui sont légalement tenues d'y vivre et de payer leur loyer.
Je préside l'association « Respire » de Rouen, qui s'est créée immédiatement après l'accident. Elle est liée à l'association nationale « Respire » qui existe depuis de longues années. Je vais essayer de donner mon avis sur les trois points demandés : les mesures de prévention, la gestion de la crise et la culture du risque.
Au sujet de la prévention, nous avons constaté des dysfonctionnements profonds. Par exemple, après chaque crise, nous observons des réactions qui viennent après coup, c'est-à-dire qui n'ont pas été anticipées. C'est la preuve du dysfonctionnement. Nous pouvons le constater après le premier incident de Lubrizol en 2013. En 2014, le tribunal de police a relevé une série d'insuffisances dans la maîtrise des risques de la part de la société. Il l'a d'ailleurs condamnée à une amende, certes modeste, mais qui a objectivé cette absence de prise en compte suffisante du risque. Nous l'avons observé aussi avec la décision récente du préfet, qui a autorisé l'augmentation des stockages sur le site de Lubrizol, grâce à un arrêté de juillet 2019. Nous avons déposé un recours, puisque nous considérons qu'il n'a pas été fait comme il le faudrait. Il n'y a pas eu notamment une étude de risques suffisante. C'est un dysfonctionnement profond. À présent, l'enquête actuelle sur l'incident a mis en évidence toute une série de problèmes amenant la préfecture à faire deux mises en demeure sur le plan incendie, qui n'était pas complet, et sur le système de confinement des eaux. La reconnaissance a posteriori de ses insuffisances, démontre que tout le système de surveillance et de prévention était insuffisant.
Concernant la gestion de la crise, beaucoup de choses ont été dites. Évidemment, nous considérons que cette crise a été très mal gérée. Par exemple, le fait que le préfet ait renoncé à faire retentir les sirènes durant la nuit de l'accident, parce qu'utiliser ce système aurait été mal compris par les citoyens et les aurait amenés à sortir de leur domicile, alors qu'il fallait justement encourager leur confinement. Cela illustre bien que le coeur même du dispositif était tellement mal préparé que s'il avait été utilisé, il aurait été contre-productif. C'est un aveu terrible de l'inefficacité du système de gestion de la crise. Il y a de multiples autres exemples.
Au sujet du suivi, il existe tout un ensemble de dysfonctionnements profonds, mais je ne parlerai que d'un seul : le problème de la transparence. Ce problème de transparence est lié à la culture du risque. Si nous voulons préparer l'avenir, la seule solution, le point le plus important, est la transparence, incluant le dialogue citoyen. Nous constatons, en tant qu'association, que ce n'est pas le cas au niveau rouennais et dans nos relations avec la préfecture, en dépit des annonces et de la volonté du gouvernement sur le terrain.
Dans l'immédiate suite de l'accident, nous avons demandé au tribunal administratif la nomination d'un expert indépendant. À notre grande surprise, la préfecture s'est opposée à cette nomination, alors même que Lubrizol aurait pu se sentir plus menacé. Le juge a finalement donné raison à notre demande, mais cette situation nous a semblé complètement absurde. Durant les réunions de cette expertise, nous avons pu constater que la Préfecture s'opposait au fonctionnement de cette commission. Elle refusait de nous transmettre un certain nombre de pièces dont nous avions besoin. C'est le signe d'un profond dysfonctionnement.
Concernant les propositions : dans la suite immédiate de la catastrophe, la question de l'exposition et de la présence ou non de polluants chimiques toxiques, s'est posée, incluant leur variété et la diversité des situations, directement autour du site ou dans un périmètre plus large. Nous avons tenté de mettre en place des mesures citoyennes, c'est-à-dire des prélèvements dans l'environnement ou des prélèvements sanguins sur les citoyens. Nous avons constaté l'absence de soutien des autorités, voire une hostilité. Dans notre esprit, ces prélèvements n'étaient pas du tout menés contre les mesures réalisées avec l'INERIS (Institut national de l'environnement industriel et des risques) ou d'autres institutions, mais de manière complémentaire. Le fait que nous n'ayons pas pu faire suffisamment de prélèvements ou d'études, contribue à la méfiance. Dès que les citoyens ont pu faire des mesures, ou qu'ils ont pu rentrer dans les détails techniques, puisque ces prélèvements sont évidemment extrêmement techniques, ils pouvaient se rendre compte directement de ce qui était présent ou pas, et ils pouvaient progresser dans le débat. Mais si nous n'offrons pas un cadre positif à ces mesures, cela crée cette méfiance.
Un dernier exemple de l'absence de transparence et de dialogue avec les pouvoirs officiels : c'est le fonctionnement du comité de transparence. Il part d'une bonne idée. Mais il s'est révélé complètement dysfonctionnel. Sont réunies presque une centaine de personnes dans une salle prestigieuse. Mais pendant la séance, le temps de parole donné aux associations citoyennes est infinitésimal. Nous n'avons pas le temps de poser des questions. Pour les rares qui réussissent à être posées, le préfet ne se donne même pas la peine d'y répondre. En fait, ce n'est pas de la vraie transparence, ni de la vraie concertation.
Évidemment, au vu de tous ces éléments, le redémarrage de l'usine nous semble extraordinairement précipité. Nous n'avons pas tous les éléments d'évaluation. Concernant les mises en demeure, l'Etat ne sait pas encore quels moyens donner pour vérifier qu'elles ont été respectées. Par manque de concertation, l'avis de la population, des citoyens comme des associations, n'est pas suffisamment entendu.
Je tiens à témoigner en tant que militant associatif du territoire. Un point qui n'a pas encore été abordé, c'est celui de la culture du risque. Dans les établissements scolaires de l'académie de Rouen sont organisés des PPMS (Plans particulier de mise en sûreté) Un PPMS était prévu début octobre, mais il a été suspendu. Il devait avoir lieu mi-novembre. Mais ce deuxième exercice n'a pas eu lieu.
Quelles conclusions pouvons-nous en tirer ? De mon point de vue d'enseignant, la culture du risque n'est pas assez enseignée ni explicitée, en particulier à l'échelle de la Métropole Rouen Normandie. J'enseigne dans un établissement à Elbeuf, entre deux établissements classés Seveso « seuil haut ». C'est un impensé, aussi bien pour l'Éducation nationale que pour notre collectivité locale de tutelle qui est la Région, et qui pourrait consentir des investissements complémentaires afin que les locaux garantissent, en cas d'accident chez Sanofi ou dans l'autre établissement, une protection optimum des personnels, mais surtout du public. Nous avons 1 000 enfants dans notre lycée. À partir de cet exemple, nous constatons que des éléments d'information relatifs à la culture du risque sont indispensables dans un territoire tel que celui de Rouen.
Ensuite, je voudrais témoigner de mon émotion et de mon soutien entier à Mme Vanessa Moreira Fernandes, de la part de FNE Normandie. Nous les avons accueillis au sein du collectif unitaire, et c'est une problématique à laquelle FNE Normandie est très sensible. Nous sommes intervenus auprès de la Métropole pour que ces personnes puissent bénéficier de la dignité à laquelle ils ont droit.
Je souhaiterais revenir sur le CODERST évoqué en introduction. Mardi après-midi, j'ai vécu ce que je considère être une « faillite du dialogue environnemental ». Le dialogue environnemental est une revendication très ancienne des associations de protection de la nature et de l'environnement. M. Olivier Blond l'a dit, c'est un combat historique de FNE. Des choses ont été faites par le passé pour approfondir cela. Mais cela n'a pas eu vraiment de conséquences depuis la catastrophe de Lubrizol. La plupart des arrêtés préfectoraux publiés par la préfecture de Seine-Maritime, n'ont pas été soumis à l'avis du CODERST. Beaucoup de décisions ne sont plus du ressort du CODERST et de la co-élaboration qui associe la réflexion des experts citoyens, dont ceux de FNE, et les pouvoirs publics. Nous n'avons pas vu passer l'arrêté 4 du 24 juillet 2019. Nous avons le sentiment d'être tenus à l'écart de tout ce travail, alors que dans notre fédération en particulier - et je tiens à saluer le travail de M. Claude Barbay depuis plus de 20 ans -, nous essayons de concourir à l'élévation de la sûreté et de la robustesse des installations, afin de garantir le droit de toutes et de tous à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
Malheureusement mardi dernier, nous avons encore eu en face de nous, une fin de non-recevoir et, pire encore, des mises en cause à peine dissimulées. Des reproches nous ont été faits, selon lesquels les associations passeraient de manière abusive et irresponsable des informations à la presse.
C'est dans un climat peu propice à la réflexion collective que s'est ouvert un débat sur Lubrizol, pendant lequel les aspects techniques, concrets et réels n'ont pas été vraiment abordés. Comme un spectre, les enjeux économiques et d'emploi ont sur-influencé les échanges. Nous regrettons très vivement de n'avoir pas eu d'informations à l'occasion de ce CODERST, de la part de la DDPP (Direction départementale de la protection des populations) et de la DDTR (Direction des territoires et du réseau).
La DREAL a présenté en ouverture une vision des choses très honorable. Mais pour l'essentiel, c'est Lubrizol qui a répondu à nos questions, alors que nous nous adressions aussi bien à l'exploitant qu'aux pouvoirs publics, afin de savoir si la réglementation est bien appliquée et si les meilleures techniques disponibles, requises par le droit européen, sont mises en oeuvre. Par exemple, nous n'avons pas eu d'information sur le bilan des mises en demeure dont Lubrizol a fait l'objet. Finalement, nous nous sommes opposés à la décision, alors que j'avais pris soin de témoigner, auprès des médias, d'un sentiment d'écoute de notre part. Au départ, nous voulions nous abstenir, puisque le redémarrage de l'usine n'est pas à écarter. Mais le redémarrage ne doit pas se faire sous n'importe quelles conditions.
Je souhaite que le corps préfectoral entende enfin que les associations ne sont pas des opposants par principe, mais des acteurs de la co-élaboration des décisions des pouvoirs publics visant à renforcer la robustesse et à amener les industriels à des meilleures pratiques. Or, comme cela a été dit par M. Olivier Blond, il y a beaucoup d'éléments perfectibles sur le site de Lubrizol. Nous en avons vu les conséquences en début d'audition. Je voudrais rappeler que non seulement des Gens du voyage ont été victimes, mais aussi beaucoup de sans-abri et de personnes qui étaient à la porte du CHU. Le nuage a recouvert les rues de Rouen, ville où malheureusement la précarité existe. Qu'est-ce qui a été mis en oeuvre pour porter secours à tous ces gens ? Je crains que ce ne soit pas grand-chose.
France nature environnement est une fédération qui regroupe 3 500 associations, soit environ 100 000 personnes, réparties en Métropole et Outre-mer. Je m'occupe plus spécifiquement du réseau « Risques et impacts industriels ». L'accident de Lubrizol est malheureusement une illustration de ce que nous dénonçons depuis de nombreuses années.
Je vais vous décrire trois domaines sur lesquels nous intervenons.
Nous nous opposons à la simplification du droit, parce que la réglementation qui régit les établissements industriels est une bonne réglementation. Mais actuellement, elle est constamment assouplie, alors qu'elle n'est déjà pas nécessairement appliquée. C'est le cas pour Lubrizol : le préfet a décidé que l'augmentation du stockage ne nécessitait pas d'études complémentaires. Mais lorsqu'un stockage augmente, le terme-source change. Celui à l'origine de l'incendie n'est plus le même. Même si en l'occurrence, ce n'est pas cela qui a déterminé l'incendie. Un nouveau rapport vient de sortir, le rapport Kasbarian. Il est fait pour simplifier la vie des industriels. Si ce rapport passe, le préfet pourra donner l'autorisation pour le commencement des travaux, alors même que toutes les autorisations n'auront pas été données. On ne peut plus continuer comme ça. Nous passons d'une très bonne réglementation à son assouplissement en faveur des industriels, ce qui va conduire à une non-maîtrise des risques.
Au niveau de la réglementation des entrepôts sur lesquels nous étions intervenus, nous avions dénoncé, il y a deux ans, le fait que des entrepôts, comme l'entrepôt Normandie Logistiques mais il y en a d'autres, devraient être classés Seveso. Mais ils font tout pour être en dessous du seuil et ils ne sont pas classés Seveso.
Il y a aussi la consultation et le contrôle sur le terrain. Il n'y a pas assez d'inspecteurs pour contrôler. Les contrôles sont passés de 30 000 en 2006 à 18 196 en 2018. Parallèlement, il y a eu une augmentation des accidents, passant de 827 en 2016, à 1 112 en 2018.
Nous souhaiterions la création d'un système dans lequel les inspecteurs des installations classées, en qui j'ai une grande confiance, soient préservés de la pression socio-économique locale, parce que malheureusement, leur travail est interprété après. Cela ne peut pas continuer comme cela. Nous souhaiterions un système, non pas similaire à celui de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), parce que c'est un problème différent, mais indépendant.
- Concernant la culture du risque, c'est un mot que nous avons entendu après l'accident de Toulouse. À ce moment-là, tout le monde employait l'expression « la culture du risque ». Le citoyen constitue le premier maillon de la sécurité dans tout ce système. Mais le temps a passé, et nous avons un peu oublié que l'accident et le risque industriel existaient. Nous avons fait une enquête en 2017, qui a révélé que le CODERST, la CSS (commission de suivi de site) et le S3PI (Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions et des risques industriels) étaient des structures qui avaient beaucoup de mal à fonctionner. Certaines ne se réunissaient plus, et les autres étaient « des chambres d'enregistrement ». Ce qui s'est passé il y a deux jours avec le CODERST, en prévision de la réouverture de Lubrizol, en est un bon exemple. C'est « une chambre d'enregistrement. » Tout était prévu pour que nous disions : « Oui, nous allons rouvrir ».
Mais malheureusement, il reste des questions non traitées sur Lubrizol. Nous ne sommes pas contre la réouverture de Lubrizol de manière systématique, parce que ce n'est pas le problème. Mais nous souhaitons que Lubrizol rouvre à partir du moment où les questions ont été traitées. Nous ne savons même pas qui est responsable, ni d'où est parti l'incendie. Des fûts n'ont pas encore été évacués. Le transport en camion va être organisé pour passer d'un site à un autre. Cela me paraît un peu précipité. Surtout, comme le disait M. Olivier Blond, il faudrait attendre le rapport des mises en demeure. Si nous n'avons pas le rapport sur les mises en demeure, rouvrir un site sans que nous sachions si elles ont bien été effectuées, cela pose un problème !
Concernant toujours la culture du risque, il faudrait relancer les S3PI, parce que c'est une structure issue du Grenelle. Nous pouvions discuter de tous les sujets, et surtout ne pas être concentrés juste sur un établissement. Nous pouvions élargir un peu le sujet. Ce serait une possibilité.
Quelque chose a aussi fait du mal à l'information : c'est l'instruction gouvernementale de novembre 2017. Sans changer la raison pour laquelle elle a été faite, parce qu'évidemment nous ne voulons pas aider les terroristes, il faudrait néanmoins revoir son application afin que les gens ne reçoivent pas des documents entièrement noircis et incompréhensibles. C'est une demande de la FNE.
Peut-être pourrions-nous renforcer les exercices impliquant la population autour des sites, parce que cela permet de former les habitants. Peut-être faudrait-il aussi resserrer les liens entre l'industrie et les riverains. Car lorsqu'une relation de confiance s'installe, le jour où un problème arrive, il est forcément mieux accepté. Les gens ont peut-être peur, mais ils ont les bons comportements. Dans le cadre de Lubrizol, nous avons constaté que les gens n'étaient pas informés du tout.
Au sujet du risque sanitaire, il faudrait améliorer la communication sur les mesures prises, parce que dans le cas de Lubrizol, il fallait avoir bac +20 pour comprendre ce qui était dit. Les fiches de sécurité que j'ai lues sont extrêmement compliquées. Au moment d'une crise, il faudrait donner une information que toutes les personnes peuvent comprendre et qui les aide à repérer, par exemple, l'endroit des prélèvements et comment ils sont effectués. Dans les futures études de danger qui vont être demandées, il faudrait que l'on puisse connaître les produits de décomposition.
Aujourd'hui, dans le cadre de Lubrizol, nous connaissons bien les produits qui ont brûlé, mais nous ne savons pas quels sont les produits de décomposition auxquels ont été exposés les habitants. Cela reste un point d'interrogation pour le calcul du risque sanitaire. Enfin, il serait bien aussi de conserver des prélèvements et d'archiver correctement les données. De cette façon, si dans un an ou deux ans, nous voyons apparaître des symptômes un peu étonnants et qui interpellent, nous pourrons nous reporter à ces données. Nous pourrons refaire des études et peut-être mieux comprendre les symptômes que nous voyons apparaître.
Je représente l'association « Robin des Bois ». Concernant la réouverture de Lubrizol, nous n'avons pas tout à fait la même vision que nos collègues. Nous pensons que la direction de Lubrizol aux États-Unis, à Wickliffe dans l'Ohio, a déjà décidé de la fermeture de l'entreprise de Rouen. Il cherche simplement une solution de dépannage pendant deux à quatre ans, afin de restructurer leurs process de formulation de lubrifiants et de les redistribuer dans la soixantaine d'usines qu'ils ont dans le monde, et en particulier les trois récentes qu'ils viennent d'ouvrir en Chine. Cette solution de dépannage va leur être coûteuse, parce qu'ils vont faire appel à un prestataire de services extérieurs. Elle ne peut être considérée que comme une solution transitoire par un chef d'entreprise comme Warren Buffett. Ce serait donc une illusion et un marché de dupes, que d'autoriser dans ces conditions « bricolées » la réouverture de Lubrizol, à moins que la direction prenne l'engagement d'exploiter cette usine dans les meilleures conditions possibles pendant une vingtaine d'années.
En ce qui concerne la gestion de la crise, une crise est bien gérée si elle a été prévue. C'est avant l'apparition de la crise qu'il faut la gérer. Il y a une loi pour cela : la loi de modernisation de la sécurité civile, qui date de 2004. Elle impose à toutes les communes soumises à des risques majeurs, naturels ou industriels, d'élaborer et de diffuser un DICRIM (document d'information communal sur les risques majeurs). Elle impose d'élaborer aussi un plan communal de sauvegarde, qui liste toutes les populations vulnérables, comme celles qui habitent sur des aires de voyage ou sur des terrains de camping, parce qu'au moment de l'accident de Lubrizol, nous étions en automne à Rouen, mais cela peut se passer aussi en plein été à Marseille. Il faut donc lister les aires de Gens du voyage et toutes les populations vulnérables, la tâche de chaque employé communal en cas de crise et tous les moyens d'informer le public, non seulement le jour même, mais aussi durant la nuit. C'est peut-être plus compliqué en apparence, quoique la nuit, les écoles sont vides.
Tout cela est prévu depuis la loi de 2004. Mais cela a été très mal appliqué, notamment à cause des habitants qui n'en ont rien à faire. Tant qu'il n'y a pas de catastrophe, tout le monde s'en fiche. De son côté, la catastrophe réveille l'inquiétude. Cette loi incite par exemple à ce que des réserves communales soient formées au cas où l'accident industriel ou la catastrophe naturelle surviendrait. Mais il y a eu très peu d'efforts de la part des maires, des présidents de communautés de communes et des habitants, pour adopter une politique cohérente de prévention des gestes malheureux ou des situations dangereuses après une catastrophe.
Beaucoup de citoyens, à juste titre, sont traumatisés, et leur conscience se réveille dans les jours, les semaines ou les mois après la catastrophe. Mais ils s'endorment progressivement durant les années suivantes. Si nous voulons faire un bon travail de prévention, il faut que tout le monde s'y attelle « en période de paix ». C'est un impératif pour tout le monde.
Les propositions que je viens de formuler sont peut-être en décalage avec ce que nous avons l'habitude d'entendre. Mais l'association « Robin des Bois » connaît très bien l'axe industriel Rouen-Le Havre. C'est sans doute la région industrielle que nous connaissons le mieux, suivies de celles de Saint-Nazaire, de Strasbourg, de Fos-Etang de Berre, de Bordeaux et de Lyon avec son « Couloir de la chimie ».
Nous avons été témoins des deux plus gros scandales industriels en France, et peut-être même en Europe. Ils ont eu lieu en Seine-Maritime, sous la surveillance défaillante de la DREAL.
Il s'agit du scandale de Citron près du Havre, durant lequel la DREAL et la subdivision du Havre ont laissé des hangars se remplir de dizaines de milliers de tonnes de déchets toxiques à l'usine de Citron, dans des centres internationaux de traitement des ordures nocives. Cela s'est terminé par un abandon sur place de ces milliers de tonnes de déchets toxiques, et ils existent toujours. Il reste toujours 100 000 tonnes de mâchefers en plein air, en face de Citron, sur des terrains qui appartiennent au grand port maritime du Havre.
Le scandale Citron et maintenant, le scandale Lubrizol. Mais est-ce réellement que maintenant ? Non, il dure depuis 1975, avec les premières échappées de mercaptan qui est incommodant mais qui ne serait pas toxique. Cela s'est répété en 2013, avec des effets transfrontaliers qui sont toujours actuellement niés. Lorsque nous lisons la fiche Lubrizol Seveso, il n'y a pas d'effet transfrontalier. Pourtant, en janvier 2013, il y a eu 100 000 appels sur le réseau d'alerte gaz du Royaume-Uni à cause des fuites de Lubrizol, alors que pendant une journée normale, il y en a 4 000 à 5 000. 2 000 mètres cubes d'huile ont aussi coulé dans la Seine en 2015. Et maintenant, la catastrophe de l'incendie.
La DREAL est aussi responsable. J'ai beaucoup d'estime pour la compétence des inspecteurs de la DREAL, mais ça suffit. Les réunions concernant le PPRT (Plan de prévention des risques technologiques), qui ont été pendant quatre ans un espace de concertations diverses, ont abouti à sa prescription et à sa validation par la préfecture. C'est une catastrophe. Le fait aussi d'avoir manqué les entrepôts de Normandie Logistique, qui mesurent 300 mètres de long et 40 mètres de large, dans le Plan de prévention des risques autour de Lubrizol, est un scandale. Le libellé est exactement celui-ci : « Plan de prévention des risques autour de Lubrizol ». Normandie Logistique est, d'une certaine manière, à l'intérieur de Lubrizol. C'est un raté monstrueux. Quasiment impardonnable. En conséquence, le gouvernement, qui est très friand d'expérimentations allant dans le sens de la simplification, devrait prendre l'initiative de mettre la DREAL de Seine-Normandie sous tutelle. Nous avons 75 usines Seveso en Seine-Maritime.
En outre, lors de l'incendie de Lubrizol, les pompiers sont tombés en panne d'eau à dix heures du matin. Ils sont tombés en panne d'émulseur à neuf heures du matin. Le SDIS (Service départemental d'incendie et de secours) est aussi responsable. La responsabilité est collective.
Il serait donc intéressant de considérer la Seine-Maritime comme un laboratoire de surveillance, de vigilance et d'amélioration des conditions de travail et de sécurité dans toutes les usines du département. Cette expérimentation devrait être confiée à un service décentralisé, loin du huis clos et loin du « Rotary Club » qu'est le CODERST de Seine Maritime. Nous pourrions avoir une instance solide, évolutive, suffisamment équipée et indépendante des pressions locales. Nous allons vous envoyer par écrit plus de propositions. Mais je ne manquerai pas demain de refaire cette proposition au comité de transparence et de dialogue, qui n'est pas minable et lors duquel nous avons le droit de parler.
Je représente le « Collectif Lubrizol » qui est le groupe Facebook réunissant le plus d'habitants actuellement autour de Rouen. Quelle est la genèse de ce groupe ? Dans la nuit du 26 septembre 2019, un incendie éclate. Avec des tonnes de produits chimiques s'envolent aussi deux certitudes : celle que tout est prêt en cas d'incendie ou d'accident de ce type et, dans les jours suivants, la certitude que seul l'intérêt général compte incluant, en premier lieu, la santé et la protection des populations. C'est un droit constitutionnel et une des fonctions régaliennes de l'Etat.
Première désillusion : la sirène qui retentit chaque premier mercredi du mois, n'est pas actionnée, laissant ainsi dans l'inconnu toute une population, dont les riverains, ceux qui habitent un peu plus loin puisque cet incendie génère un nuage qui se propage très loin, et les travailleurs qui passent par Rouen ce jour-là. Tous se demandent ce qu'il se passe et ce qui conviendrait le mieux de faire : « Devons-nous fuir ou se calfeutrer chez soi ? Où trouver l'information ? ». De toute évidence, les autorités ont présumé, en pleine nuit, que la sirène serait contre-productive car la population y réagirait mal. C'est une preuve que la population est mal formée, du fait de l'absence d'exercices de masse durant les 50 dernières années. Depuis, certaines entreprises, comme Total, ont fait des exercices qui ont rajouté un petit plus de peur pour les riverains déjà assez affolés.
Cet été, nous avons appris dans un fait divers, qu'un touriste, randonneur en Italie, se casse les jambes et meure abandonné au fond de son ravin, les secours italiens et français ne disposant pas de système de géolocalisation, pourtant évident à tout utilisateur de smartphone. De toute évidence, à l'heure où les autorités envisagent le lancement de la 5G, les avantages de ces technologies modernes n'ont pas encore été mis à la disposition de la population. Cela peut être justement des éléments à mettre en place. En tout cas, lors de l'accident de Lubrizol, le seul dispositif existant était une sirène. En pleine nuit, il a été décidé, d'un claquement de doigts, qu'elle n'allait pas être actionnée.
Comble de malchance, le décès du Président Jacques Chirac a entraîné la focalisation de tous les médias sur un autre sujet. À ce moment-là, tous les habitants de la région semblent avoir été abandonnés. Seuls face à cet immense nuage qui les survole et aux multiples questions qui se posent, la radio locale, France Bleu, ne peut pas les traiter entièrement en dépit de sa bonne volonté. Un titre dans le journal 20 minutes va même choquer toute la population. Nous apprenons qu'un incendie de ce genre peut être « toxique, mais pas trop… ».
Dans ce contexte, et puisque la nature a horreur du vide, les résidents vont spontanément utiliser le plus grand réseau mondial du monde, Facebook, pour offrir à leur entourage un espace d'échanges et d'informations. Trois ou quatre groupes prennent rapidement de l'ampleur. Deux jours plus tard, ils décident de se rapprocher et de fusionner. Ce groupe compte alors entre 6 000 et 7 000 membres. Ces chiffres vont augmenter très rapidement, de plus d'un millier de membres par jour.
Dans un deuxième temps, l'évolution du groupe va permettre de gérer l'incompréhension grandissante des citoyens vis-à-vis de la réaction des autorités publiques, parce qu'elles gèrent ce dossier avec une communication qualifiée par beaucoup de « désastreuse ». Rapidement vont défiler des ministres et des préfets qui nous disent : « Tout va très bien, Madame la Marquise. Circulez, il n'y a rien à voir ! ». Beaucoup de ministres viennent pour nous le dire, et le Premier ministre vient même promettre « la transparence ».
Mais ce n'est pas grâce à cette « transparence » que nous apprendrons, deux jours après, que c'est le double de la quantité de produits qui a brûlé. C'est grâce à des fuites dans la presse. La confiance en ces belles paroles disparait donc durablement et apparaissent la méfiance et aussi le bon sens populaire qui sont bien souvent de meilleur conseil pour une population. Mais ce bon sens est rarement conciliable avec la gestion d'intérêts économiques, par définition individualistes et non dévolus à l'intérêt général.
Aujourd'hui, il existe un comité de transparence. Certains le perçoivent comme une mascarade, et le préfet comme un prévôt du XVIIe siècle venant imposer à « la populace » ce qu'il convient de penser, ou non, et ce qu'il est possible de débattre, ou pas. Il n'est pas possible d'ailleurs, visiblement, d'avoir un débat, de contredire et d'avoir des réponses à ces questions. Il faudrait juste venir, faire acte de présence et remercier d'avoir l'honneur de pouvoir écouter la parole venue d'en haut. Ce n'est pas un signe de transparence.
Comment fonctionne ce groupe Facebook aujourd'hui ?
Il est administré par cinq administrateurs qui engagent leur responsabilité légale vis-à-vis de la loi et de Facebook. Huit modérateurs leur prêtent main-forte dans la gestion quotidienne. Il existe des règles à différents niveaux, celles du groupe, édictées par les administrateurs, celles du réseau Facebook et la loi française. Les objectifs que se sont fixés ces animateurs, ce sont la recherche de la vérité et la transparence réelle, et non la « calinothérapie ». Nous voulons simplement savoir ce qui s'est réellement passé. Il y a aussi la protection des populations, la justice qui viendra dans un temps un peu plus long, et l'indemnisation exhaustive des sinistrés. Sur ce point, il existe un grand manque pour le particulier « lambda » qui ne sera pas indemnisé, quel que soit le préjudice subi. Rien n'a encore été mis en place.
Aujourd'hui, le groupe Facebook rassemble 26 500 personnes. Il est assez stable depuis la fin du mois d'octobre. A titre de comparaison, le club de hockey local, les « Dragons de Rouen », inclut 38 000 personnes, le club de rugby en comprend 27 000, et l'entreprise Lubrizol comporte 200 personnes. Monsieur le rapporteur Damien Adam, vous avez 847 suiveurs. Monsieur le Président en a 4 300 et la chanteuse Rihanna 79 millions. Le groupe Facebook représente 9 000 publications, 140 000 commentaires dès le premier mois, 22 000 le mois suivant et 465 500 réactions par minute, nuit et jour.
Au sujet des dernières actualités qui animent ce groupe de citoyens, il apparaît un regain de membres substantiels, c'est-à-dire quelques centaines en quelques jours, à l'occasion d'un fait divers. Une maman a témoigné de la souffrance de son nouveau-né, en détresse respiratoire. Ils habitent dans la zone riveraine jouxtant Lubrizol. Dans ces circonstances, la question du lien avec l'incendie peut au moins être posée. Ce bébé a été ou va être débranché. Il ne peut pas survivre.
Il n'y aurait pas de lien direct, mais d'autres cas similaires se sont manifestés. A chaque fois, il y a une très grande émotion de la population proche ou plus lointaine. Un collectif de mamans s'est créé. Il existe une grande inquiétude à ce sujet. Pour ma part, j'ai dû emmener ma petite fille de deux ans au CHU (centre hospitalier universitaire) pour un problème ORL (oto-rhino-laryngologie). J'ai constaté qu'aucune question ne m'avait été posée concernant ma proximité, ou non, avec l'incendie. Aucune information n'a été prise par le personnel. Si dans quelques années, des maladies venaient à apparaître, aucun lien ne pourra être fait puisqu'aucune donnée n'a été récoltée. L'Agence régionale de santé (ARS) ne semble instruire qu'à décharge.
Dernière actualité qui a fait s'éveiller les membres du collectif : il s'agit de l'avis du CODERST. Le CODERST est le conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques. L'émotion est grande depuis deux jours et elle ne fait que ranimer la colère des habitants et leur défiance vis-à-vis des autorités. Comment une telle structure peut-elle inclure notamment de la Directrice générale de Lubrizol ? Pourquoi l'avis de l'Union départementale des médecins peut-il ne pas y primer en de telles occasions ? Comment leur voix peut être égale à celle d'un retraité de la pétrochimie, ou à celle des représentants d'entités dépendantes de l'Etat et du préfet, comme la DREAL, et dont nous avons pointé les manquements ?
Comment se fait-il que la santé des travailleurs ne semble pas préoccuper les autorités ? Ils pourraient avoir à retravailler d'ici peu dans cette usine, alors même que le site n'a pas été dépollué. Je rappelle que 8 000 mètres carrés de toitures amiantées se sont envolés. Ils n'ont pas disparu. À moins en ce qui concerne l'amiante, nous en connaissons les dangers. Or il serait envisagé de refaire travailler des gens dans cette usine.
Comment pouvons-nous envisager une reprise d'activité, même partielle, alors que nous n'avons toujours pas les conclusions de l'enquête et que les odeurs perdurent deux mois et demi après l'incendie ? À ce jour, les fiches de sécurité qui ont servi de base aux décisions de ces organismes, sont incomplètes, voire erronées.
L'étude de ces fiches a été réalisée par certains de nos 26 000 membres qui sont compétents et qui ont peut-être « bac +20 ». Nous ne pouvons pas se baser sur ces fiches pour émettre une décision. Face à cette incompréhension et à cette absence de mise en place du principe de précaution, qui est dans notre Constitution depuis 1995, mon mot de la fin est celui qui revient le plus ces deux derniers jours : « C'est honteux ! ». Ce mot s'adresse à vous, Messieurs, au préfet, dont la démission est demandée par beaucoup, au gouvernement en place, aux députés et aux sénateurs. Il doit résonner comme une exigence, celle de garantir le premier droit du citoyen, qui est sa santé, et repris dans l'article 3 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme puisque nous sommes en France : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ».
Le collectif Lubrizol, c'est Facebook. Afin d'exister au-delà des échanges virtuels, il faut une existence légale pour aller devant la justice notamment. Nous avons donc créé l'Association des Sinistrés de Lubrizol. Il s'agit de l'outil dont s'est doté le collectif pour pouvoir agir et unifier les bonnes volontés au niveau local. Je remercie d'ailleurs tous les bénévoles qui s'investissent dans le collectif ou l'association, sans compter leurs heures, afin de mener cette action d'intérêt général.
Je vais parler des gens, des humains. Durant cette nuit du jeudi 26 septembre, nous nous sommes tous réveillés à Rouen et ailleurs, en se demandant : « Que s'est-il passé ? Quelqu'un essaie-t-il de nous tuer ? ». Nous nous demandons cela, parce que nous avons été abandonnés tout au long de la journée. Heureusement que nos amis nous préviennent, parce que l'Etat a failli. Il s'est caché derrière ce riche industriel. D'ailleurs, je n'ai pas vu l'avocat de Lubrizol.
En revanche, j'ai vu des ministres se succéder, défendre les intérêts de cette usine, et oublier ses citoyens et son premier devoir, à savoir protéger la population, les enfants et les handicapés. Qu'est-ce qui a été fait pour les handicapés ? Rien. Pour les enfants, la pédagogie ? Rien. Je suis handicapé. J'ai une maladie orpheline neuromusculaire. J'ai cru que j'allais mourir ce jour-là. J'étais hypertrophié et j'étais tout seul chez moi, abandonné. Nous n'avons pas eu un mot, rien, ni de mon maire, ni de mes députés, de personne.
Les ministres ont défendu cette usine. Nous les avons vus parader à la télévision. Je suis en colère parce que ce type de catastrophes se répète toujours. Mais dans le cas de Lubrizol, le mensonge est tel qu'ils n'ont pas pu le cacher. Nous nous sommes demandé, de deux heures quarante à huit heures du matin : « Que s'est-il passé ? ». Vous avez peut-être essayé d'éteindre ce feu, et de faire comme si de rien n'était. Peut-être avez-vous cru que nous allions nous réveiller le lendemain en étant tranquilles, sans fumée ?
Cette usine n'a pas de quoi éteindre un incendie, et nous voudrions la faire rouvrir, alors qu'aucune analyse sur la population n'a été faite. J'ai les analyses concernant l'amiante. Elles sont disponibles à la préfecture. Elles ont été faites 48 heures après, à partir de minuit, et il n'y a pas d'heure de fin. Aucune analyse n'a été faite sur le sol. Cela indique une volonté de cacher les résultats, et ce n'est pas normal. Vous êtes en train de mettre en colère la population qui n'en peut plus. Elle est à bout. Nous le voyons bien sur les réseaux sociaux. Elle a peur. Toutes les structures se cachent derrière le préfet, que ce soit les écoles, les collèges, les lycées et les maires. Les membres du CODERST sont nommés par le préfet.
Tout s'articule autour du préfet. Il a les pleins pouvoirs. Personne n'ose aller à l'encontre de sa décision et s'il dit : « Ce n'est pas toxique », tout le monde va dire pareil !
Non seulement de la gomme a brûlé, mais aussi plein de produits chimiques, dont de l'amiante sur laquelle nous avons le recul, des nanoparticules et des dioxines. La quantité est telle que tous les chimistes regardent Rouen et veulent procéder à des analyses, parce que c'est très intéressant pour leurs études. C'est inédit.
La gestion de cette catastrophe est calamiteuse. Où sont les mesures pour déterminer l'impact sur la santé ? Il n'y a aucune analyse, et cela ne dérange personne en haut lieu. Pour le plan santé, nous devons attendre le mois de mars. Pourquoi ? Des analyses ont été faites sur le lait maternel sur neuf femmes. Pourquoi n'y a-t-il pas eu d'analyses à plus grande échelle ? Les chimistes veulent des analyses, et l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) réclame des résultats. Imaginez donc ce qu'attend la population ! Ce n'est pas normal.
Il a fallu dix jours pour avoir une liste partielle des produits dangereux, alors qu'en un clic nous pouvons l'avoir. Pourquoi a-t-il fallu attendre dix jours ? L'industriel est-il au-dessus de vous, ou pas ? C'est la question. S'il est au-dessus de vous, effectivement, nous n'aurons jamais les réponses. Dans cette liste, nous nous apercevons aujourd'hui qu'il y a des produits sans fiche de risques, ni de logo « CE ». Quels sont ces produits ? Nous ne savons pas. Comment se fait-il que l'Etat ne va pas les rechercher ? Quels produits ont brûlé ? C'est le minimum de savoir exactement quels sont les produits qui ont brûlé. Nous sommes en France. Nous ne sommes pas aux États-Unis, ni dans le royaume de Warren Buffett. Nous sommes en France, et le pouvoir des politiciens devrait se situer au-dessus de celui des industriels.
Le site n'est même pas sécurisé. Il ne vend pas des chouquettes ! Il vend des produits extrêmement dangereux. Il faut donc le sécuriser. Il faut faire preuve de bienveillance. Des populations habitent en bas de cette usine. Or, aujourd'hui, l'industriel obtient sa réouverture. Comment est-ce possible ? J'espère que le préjudice d'anxiété et d'autres seront reconnus, parce que les habitants ont peur pour eux et leurs enfants. J'ai peur pour ma fille et pour moi-même. Combien d'années de vie m'a enlevées ce nuage ? En ce qui concerne la retraite, c'est sûr que je m'en fiche pour le moment. Je voudrais simplement savoir combien d'années il me reste à vivre. Qu'est-ce que j'ai respiré pendant les huit heures de cet incendie ?
De nombreuses usines Seveso sont installées les unes à côté des autres. Il n'y avait pas assez de mousse, et il fallait que les pompiers aillent en chercher plus loin. C'est très grave. Heureusement que les travailleurs de Lubrizol et les pompiers ont pris les choses en main pour dégager les fûts qui auraient pu exploser. Nous aurions pu ne pas être là pour vous parler aujourd'hui, il faut comprendre ça. Heureusement que les usines d'à côté n'ont pas explosé successivement. Le toit en amiante de 12 tonnes et de 8 000 mètres carrés, est parti dans nos poumons et dans nos terres. Nous le respirons. Le quartier Saint-Gervais à Rouen est plein d'amiante. Je suis allé à la mairie pour voir ce qu'elle pouvait faire : « Nous faisons confiance à Lubrizol ». C'est une blague ? Nous faisons confiance à l'usine qui a pollué, et qui a été condamnée à plusieurs reprises pour cela. Ce n'est pas normal.
Quand est-ce que l'Etat va être fort sur ce sujet ? Les citoyens sont en colère et regardent Rouen dans toute la France. Nous attendons des réponses et de l'action. Apparemment, un comité indépendant pourrait être créé pour veiller au bon fonctionnement de ces usines. Ce comité sera-t-il aussi « indépendant » que le CODERST ? Qui va nommer ce comité ? Qui va y siéger ? J'espère qu'il s'agira de personnes qui n'y auront pas d'intérêts politiques, industriels ou économiques. Nous sommes d'accord pour qu'une unité contrôle ces usines et qu'elle puisse dire à tout moment : « Stop. Il n'y a pas assez d'eau pour l'incendie. Stop, il n'y a pas de mousse. Stop, nous ne stockons pas de marchandises hyper toxiques dans un site qui n'est pas classé Seveso. Nous ne laisserons pas déverser tous ces produits dans la Seine et dans les terres ». Les paysans ne vont pas bénéficier d'une indemnisation, mais d'une avance.
Nous, citoyens, à quoi pouvons-nous prétendre ? Rien. Nous nous taisons et nous laissons passer. Nous faisons comme si de rien n'était. Nous allons à la Foire Saint-Romain, alors qu'au même moment, un site en bas est en train d'être dépollué par un bras mécanique, car il est trop toxique. Et nous laisserions nos enfants s'amuser à la Foire Saint-Romain, comme si de rien n'était ? C'est honteux. La gestion de cette crise est calamiteuse.
Chacun ici aurait dû être entendu pendant une demi-journée pour pouvoir dire tout ce qu'il a à dire, et pour essayer de travailler et d'avancer, afin que cela ne se produise plus. Le stockage au pied des habitations, c'est du délire. C'est du délire d'attendre qu'il y ait une telle catastrophe pour dire : « C'est bon, nous n'allons plus stocker. Mais si nous pouvions reprendre l'activité, ce serait bien ».
C'est du chantage à l'emploi, qui est d'ailleurs souvent intérimaire et donc précaire. Ces employés n'ont même pas le droit à un suivi médical, alors qu'ils travaillent sur le site. Ces usines devraient être un modèle économique et social, employant uniquement des gens en CDI, sans sous-traitance. C'est tellement dangereux et toxique qu'il faut des employés compétents, et non des gens à qui on fait appel ponctuellement et qui arrivent du jour au lendemain en disant : « Bonjour, je vais remplacer un tel. Je ne sais pas dans quoi j'ai atterri ». C'était la même situation avec AZF. C'est un endroit où il y a eu un grave accident, alors que la sous-traitance était en charge. Nous voulons des gens qualifiés, bien payés, et qui peuvent bénéficier d'un suivi médical. Un intérimaire n'ira jamais voir son employeur pour lui demander des analyses, parce qu'il est précaire et qu'il tient à son emploi. Il va donc se laisser manipuler. Cette situation est une chaîne d'incohérences. Rien n'est fait pour nous aider.
Je me permets de prendre la parole avant les deux dernières interventions pour vous répondre, monsieur Simon De Carvalho. Je comprends tout à fait votre émotion. C'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale et le Sénat ont décidé de mener une commission d'enquête et une mission d'information, décidée en Conférence des Présidents, pour faire justement la lumière sur tout ce qui s'est passé lors de l'accident de Lubrizol. La transparence est essentielle et la confiance doit être regagnée. Nous devons avoir toutes les réponses à vos questions, ce qui me permet de revenir sur certains éléments que vous avez évoqués.
Nous avons mené des dizaines d'heures d'audition, et nous avons déjà certaines réponses. Je ne vais pas les détailler parce que ce n'est pas ma responsabilité. Mais en tout cas, je vous invite à suivre les auditions des différents intervenants. Beaucoup de vos inquiétudes ont eu des réponses. Je ne peux pas vous laisser dire qu'il n'y a eu aucun mot des députés sur la situation de Lubrizol. Tous mes collègues, y compris d'autres familles politiques, ont eu des mots de compassion à l'égard des victimes, des citoyens de la Métropole de Rouen, et plus largement des personnes impactées par cet incendie. C'est la même chose pour les ministres. Je ne partage pas votre point de vue sur ce qui a été dit par les ministres. Ils n'ont pas du tout défendu l'usine Lubrizol. Ils ont défendu la transparence et la sécurité des citoyens. Ils veulent faire en sorte que la population puisse être protégée.
Au sujet du CODERST, effectivement, le préfet nomme ses membres. Mais quatre collèges le composent, soit 25 % de représentants de la préfecture et des différents services de l'Etat, 25 % d'élus locaux, 25 % d'industriels et 25 % d'associations, notamment environnementales. Des pourcentages sont dédiés à chaque personne. Ces éléments sont validés, et le préfet ne peut pas agir dessus. Il agit uniquement sur la nomination de certaines personnes.
En ce qui concerne les produits, nous avons interrogé le SDIS, la DREAL et la préfecture. Ils nous ont confirmé qu'ils avaient bien la liste des produits présents sur le site de Lubrizol, au titre de sa réglementation Seveso « seuil haut ». Mais cela ne veut pas dire qu'ils connaissaient exactement les produits qui ont brûlé dans les premiers jours. Il est évident que cela prend du temps pour savoir ce qui a brûlé ou non. Mais lors de son intervention le 26 septembre, le SDIS savait exactement quels produits étaient susceptibles d'être présents sur les sites, et donc susceptibles de brûler. Il y a effectivement eu un délai avant de connaître l'intégralité des produits de Lubrizol et de Normandie Logistique.
Ce sont surtout les produits de Normandie Logistique qui ont posé un problème. L'entreprise nous a indiqué qu'elle n'avait pas accès à son site, et notamment à l'ordinateur sur lequel étaient rassemblées les informations concernant les stocks de produits. Il leur a fallu du temps pour diffuser ces informations. Ils ont diffusé une première information à la préfecture qui a répondu qu'elle ne lui convenait pas, parce qu'elle n'était pas suffisante pour pouvoir être diffusée à la population. La préfecture a donc demandé de nouveaux éléments, et c'est pour cela que le délai de dix jours, pour leur communication à la population, a été aussi long.
Concernant la situation des agriculteurs, je voudrais que les choses soient très claires. Ce ne sont pas des avances, ce sont bien des indemnisations. Il s'agit d'argent pour compenser des pertes de chiffre d'affaires et des dépenses afin de nettoyer leurs exploitations, ou nettoyer les entreprises, parce qu'elles sont aussi concernées. Un point a peut-être été confus : le Conseil régional de Normandie a effectivement proposé des avances à hauteur de cinq millions d'euros. Mais elles sont faites pour venir rapidement aider les agriculteurs, en attendant les indemnisations qui mettront plus de temps à leur être versées.
Pour ce qui est des particuliers, nous avons abordé ce sujet avec différents acteurs, et notamment lors du Comité de transparence et de dialogue. J'ai posé la question : « Qu'est-ce qui est prévu pour les particuliers ayant subi un préjudice, soit moral, soit pécuniaire, parce qu'ils ont eu des dépenses de nettoyage ? Sont-ils considérés comme relevant de l'un des deux fonds Exetech prenant en compte l'indemnisation ? ». Nous n'avons pas de réponse claire et formelle à ce stade, même s'ils nous disent que s'il y a un préjudice, il sera pris en considération. Aujourd'hui, en tant que rapporteur de cette mission d'information, je peux vous dire que n'importe quel particulier peut faire valoir ses droits devant la justice, même si cela prendra dix ou quinze ans pour éventuellement avoir une réponse.
Cela tombe bien que vous évoquiez cette question, puisque je suis avocate au Barreau de Rouen. Je suis l'avocate d'un certain nombre de particuliers, dont des riverains et d'autres personnes qui ont subi directement la retombée du nuage et qui ont des suies chez eux. Je suis aussi l'avocate de personnes détenues à la Maison d'arrêt de Rouen qui se trouve à deux kilomètres environ de Lubrizol, et des habitants des aires d'accueil des Gens du voyage, dont les personnes du Petit-Quevilly qui sont intervenues en début de séance et qui vivent au pied de l'usine, et d'autres qui logent sur l'aire d'accueil de Bois-Guillaume-Bihorel et qui ont aussi subi très fortement les suies. Je précise cet aspect, parce que c'est celui dont il sera question pour l'indemnisation des préjudices.
Dans un premier temps, j'ai été saisie par des personnes démunies et en manque d'informations, tant sur ce qu'il s'était passé que sur leur avenir. C'est aussi leur question. Evidemment, ils ont envie de comprendre ce qui s'est passé. Évidemment, ils ont envie que cela ne se reproduise pas. Mais ils ont aussi envie de savoir comment vont être pris en charge leurs différents préjudices. Ils viennent donc voir les avocats ou ils s'organisent en associations. Mais nos réponses sont limitées, parce que les moyens d'action que nous avons, en tant qu'avocats, sont les mêmes que dans n'importe quel procès.
Je suis avocate pénaliste, c'est-à-dire que je sais comment faire indemniser une victime d'une infraction, d'un vol, voire d'un viol ou d'un meurtre. Mais dans ce cas, nous sommes face à un accident collectif, et les dispositifs sont relativement limités. Notre action en tant qu'avocats devient plus importante que notre rôle habituel, en ce qui concerne par exemple les aires d'accueil des gens du voyage. La question de la prise en charge par des médecins s'est posée. Elle s'est posée aussi pour l'ensemble de la population. Les premières questions qui m'ont été posées sont : « Dois-je mettre mon enfant à l'école ? », « Est-ce que je peux aller travailler, ou pas, si je le souhaite ? », « Comment récolter un certain nombre de preuves ? ». La question des médecins s'est aussi très rapidement posée.
Heureusement, les particuliers se sont organisés. Mais malheureusement, et c'est ce qu'ils décrivent : il n'y a pas eu d'organisation suffisante de la part des pouvoirs publics, et ils ont dû s'organiser seuls. Ils se sont organisés au sein d'associations qui leur ont permis d'avoir un porte-voix, par le biais des avocats. Cela m'a permis d'interpeller Lubrizol et la préfecture, en expliquant qu'un certain nombre de particuliers se posaient des questions. J'ai demandé notamment à la préfecture de se mettre en lien avec l'ARS afin que des protocoles soient définis.
Aujourd'hui, tous les intervenants nous ont dit que beaucoup de choses n'avaient pas été mises en place, alors que nous connaissions les risques. Nous n'avons pas cette culture du risque. Nous savons que ce type de catastrophes peut se produire, mais nous n'avons pas les moyens de les gérer. Dans ce cas, par exemple, aucun protocole réel et adapté à la situation n'a pu être mis en oeuvre avec les médecins. Lorsque nous, les particuliers, allons voir notre médecin, il nous dit : « Je ne peux pas attester de lien avec l'incendie. Je ne sais pas quelles analyses, sanguines ou autres, vous proposer afin que vous puissiez les faire tester dans un laboratoire ». Un certain nombre d'analyses ne sont pas non plus prises en charge par la Sécurité sociale. La véritable question que se sont posée les particuliers est : « Quoi faire ? Comment le prendre en charge ? ».
L'indemnisation va donc avoir lieu dans le cadre du processus pénal, c'est-à-dire dans des années. Dans ce type de catastrophe, habituellement, il existe des protocoles, et notamment des accords-cadres. Nous avons fait un certain nombre de demandes, notamment auprès de la préfecture et de Lubrizol, afin de savoir comment cela allait être pris en charge. Lubrizol nous a répondu : « Il faut récolter des éléments de preuve, aller voir nos médecins, voir avec nos assurances, etc. ». Ils nous ont donc donné des conseils juridiques que nous connaissons. Ce n'est pas notre question.
Notre question est : « Comment gérer cette masse ? Comment faire pour que toutes ces personnes avancent des fonds ? ». Certains préjudices économiques subis par des entreprises sont déjà actés. Mais pour les particuliers, récolter un certain nombre de preuves, faire des constats d'huissier, faire analyser les suies, faire des tests sanguins, etc., il faut avancer les coûts. Cependant, ce n'est pas possible pour un très grand nombre de personnes au sein de la population touchée. Certaines personnes peuvent bénéficier de l'aide juridictionnelle. Mais il faut des revenus relativement bas, c'est-à-dire moins de 1 000 euros pour une personne seule. Or les revenus de certaines personnes qui travaillent, sont au niveau minimum prévu par la loi dans le cadre du salariat. Leurs revenus sont donc au-dessus des sommes prévues pour l'aide juridictionnelle. De même, dans le cadre d'un procès judiciaire où une expertise sera décidée, elles ne peuvent pas prendre en charge la consignation de fonds qui leur sera assignée. Cela va décourager un certain nombre de personnes.
Aujourd'hui, des enquêtes sont menées, et c'est très bien. Mais les conclusions seront rendues tardivement. Ce que demande la population, ce sont des prises en charge rapides, et non dans dix ans, afin d'indemniser ceux qui ont pu mettre de l'argent dans ces investigations. Ce sont des prises en charge immédiates.
C'est d'ailleurs ce qui avait été décidé à la suite de l'accident d'AZF (AZote Fertilisants) : un accord-cadre a été signé entre le ministère de la Justice, les responsables et les victimes. Il comprenait la prise en charge des préjudices et des examens nécessaires pour les rétablir. Cela n'existe pas aujourd'hui dans le cadre de l'accident de Lubrizol.
Les tribunaux ne nous suivent pas toujours non plus. Effectivement, une expertise a été diligentée, mais elle va concerner « les moins de 500 mètres », c'est-à-dire les habitants d'un périmètre décidé par le préfet, ce qui est assez inquiétant. Nous venons donc de décider la prise en charge en fonction de ce périmètre défini par le préfet, dans l'urgence, et alors qu'il n'avait aucune donnée, puisqu'encore aujourd'hui, il est en train de les recueillir. Cette décision n'était donc pas éclairée. Pourtant, le tribunal administratif va accorder cette expertise pour « les moins de 500 mètres », mais pas pour les autres.
Lorsque j'ai demandé ces expertises et le recours devant le tribunal administratif, dès le samedi après l'incendie, et notamment le recours concernant les personnes détenues, ils m'ont répondu qu'il n'y avait pas d'urgence puisque le préfet avait demandé un confinement pour les personnes détenues, qui avaient pu l'être. Lorsque l'expertise a été décidée par le tribunal administratif pour des riverains, donc non détenus, j'ai effectué la même demande pour les personnes détenues. J'ai donc calqué ma demande sur l'ordonnance qui avait été rendue. Le tribunal m'a répondu qu'il n'y avait pas besoin de faire des analyses au sein de la Maison d'arrêt, alors qu'elle se trouve dans une zone où les odeurs étaient très persistantes. Mais cela ne justifiait apparemment pas d'une exposition spécifique.
J'ai cherché ce que cela voulait dire et, effectivement, c'est sujet à interprétation. Mais dans l'ordonnance rendue qui décide de cette expertise, non pas dans le dispositif de la décision mais dans son coeur, il est indiqué qu'on fait état des « moins de 500 mètres ». C'est très bien si quelqu'un peut m'apporter des précisions, parce que je n'ai pas pu les obtenir lorsque j'ai essayé de contacter les personnes concernées. En tout cas, c'est ma lecture de la décision. Lorsqu'il est dit qu'il n'y a pas eu d'exposition spécifique à la Maison d'arrêt, alors qu'elle se situe à deux kilomètres et que les odeurs ont été ressenties bien au-delà, cela pose question. Lorsque nous avons fait ce recours, nous n'avons pas eu de réponse.
Quels sont les moyens dont nous disposons ? C'est saisir la justice, le tribunal administratif et le tribunal de Grande Instance. C'est ce que nous allons faire pour les aires d'accueil puisque j'ai été saisie récemment par les habitants. Nous allons tenter, devant le tribunal de Grande Instance, d'obtenir des analyses avec des prélèvements sur place, parce qu'ils sont bénéficiaires de l'aide juridictionnelle. Cela ne va donc pas engager de frais pour eux, ce qui n'était pas le cas de mes clients précédents, qui vivaient au sein de Rouen. Nous avons saisi aussi le Défenseur des droits afin de savoir ce qu'il pourrait faire. Ce sont les moyens dont je dispose, qui sont les mêmes que lorsque nous faisons face à des infractions individuelles. Ils ne sont donc pas véritablement adaptés à cette situation.
J'espère qu'une enquête épidémiologique aura lieu, parce que c'est un moyen d'obtenir des preuves pour les particuliers. Si mon dossier comprend des cas de nausées ou des maux de tête, le tribunal va me répondre que ce n'est pas forcément lié à Lubrizol, et c'est vrai. Mais si une enquête épidémiologique est menée, que des symptômes se retrouvent au sein de la population et qu'ils sont plus importants que durant les années précédentes etou sur cette partie du territoire que sur les autres, nous aurons des éléments de preuve tangibles. Cet aspect doit être mis en avant. Mais à notre niveau, celui de la défense des particuliers, c'est plus difficile à demander. C'est donc quelque chose qui pourrait être recommandé à la suite de votre mission d'information. Nous allons envoyer également la demande d'un accord-cadre. Il doit être transparent, et non être une prise en charge de certains préjudices. Il ne doit pas être signé tant que toutes les parties n'ont pas participé à cette demande.
En outre, cet accord-cadre doit prendre en charge la recherche des éléments de preuve, notamment les examens médicaux et les prélèvements sur place.
Nous avons lancé aussi des plaintes pénales. Nous avons incité la population à aller déposer des plaintes. Beaucoup se sont faites par notre intermédiaire, par l'intermédiaire d'autres avocats ou même par les particuliers eux-mêmes. C'est très positif, parce que ce n'est pas dû à notre seule action. Cette mobilisation générale de la population qui a déposé plainte, qui veut connaître ce qui s'est passé et qui fait valoir ses droits, a permis la mise en place d'un certain nombre d'éléments, et notamment des perquisitions dans les entreprises et l'ouverture d'une instruction au pôle de Santé Publique de Paris. C'est extrêmement positif.
Nous attendons beaucoup de choses qui vont se dérouler dans un temps très long. Nous essayons de nous constituer partie civile dans l'instruction. C'est compliqué. Notre dossier a mis beaucoup de temps à être coté. Je ne sais d'ailleurs pas s'il l'est encore. En tout cas, nous n'avons pas encore accès à ce dossier. Cette instruction et ses suites vont durer un temps colossal. Nous avons donc besoin d'utiliser d'autres moyens pour faire établir les éléments de preuve et les récolter. Si un jour, des maladies se révèlent progressivement, il faudra avoir acté les symptômes apparus à l'époque. C'est aujourd'hui que nous pouvons acter notre situation, s'il y a eu des dépôts de suie ou des débris d'amiante, ou pas. C'est un processus de consignation et de conservation des preuves très important pour les particuliers, mais qui est aujourd'hui très difficile à mettre en oeuvre. C'est par le biais de cet accord-cadre que nous pourrons avoir des éléments de réponse.
Je représente la Coordination nationale des associations riveraines des sites Seveso. M. Michel Le Cler, qui est son président, n'a pas pu être disponible aujourd'hui parce qu'il habite à Donges, à côté d'une raffinerie, et qu'il n'a pas pu trouver de trains. J'habite en Seine-et-Marne, à Sénart, à 500 mètres d'un site logistique qui a obtenu l'autorisation de stocker jusqu'à 3 000 tonnes de produits chlorés. Je suis membre de la commission de suivi des sites Seveso de Sénart et vice-président d'une association locale pour la défense de l'environnement à Sénart.
La Coordination nationale des associations riveraines des sites Seveso s'est créée au début de l'année 2012, dans la foulée de la « charrette » - le mot s'applique bien - de la mise en place des différents PPRT, puisque 600 à 700 sites auraient été concernés. Cela a suscité beaucoup de mobilisation et d'organisations locales, partout en France. Nous regroupons donc environ une soixantaine d'associations présentes à Donges, à La Rochelle, à la Fos-sur-Mer, etc.
Evidemment, nous avons suivi ces questions depuis la création de la Coordination au niveau local, comme au niveau national, puisque nous avons sollicité à plusieurs reprises le ministère de l'Environnement. Nous avons été reçus par des conseillers techniques des différents ministres qui se sont succédé depuis 2012. Nous avons aussi appuyé des propositions de loi, au Sénat notamment, concernant la mise en place et l'application des PPRT. En résumé, nous suivons ce dossier depuis notre création.
Mon propos ne sera pas exclusivement centré sur la gestion de la crise et de l'après-crise, parce que nous pensons que c'est assez réducteur. Lubrizol est, hélas, un cas d'école, comme a pu l'être AZF. Il faut donc le resituer chronologiquement pour mieux comprendre ce qu'il s'est passé, et ce qu'il peut encore se passer à Lubrizol - ou ailleurs -, dans le contexte de l'évolution de la législation et de son application sur les installations classées. Je ne remonterai pas au XIXe siècle, mais à 2001, c'est-à-dire à l'accident d'AZF.
Cette catastrophe a donné lieu à la création d'une commission d'enquête parlementaire en octobre 2001, présidée par M. François Loos. Elle a produit un rapport prenant sérieusement en compte la protection des riverains à cette époque. C'est à la suite de ce rapport que le gouvernement suivant a proposé et fait voté la loi Bachelot, en juillet 2003, qui a mis en place les PPRT. Il s'agit d'un dispositif de prescription d'urbanisme, incluant les obligations de travaux, de délaissement ou d'expropriation.
D'ailleurs, nous avions ajouté dans la loi Bachelot un élément fondamental pour comprendre ce qui va suivre : nous nous étions donnés comme but, de réduire les risques des sites industriels à la source, dans la mesure où cela était économiquement acceptable pour l'exploitant. C'est sans doute dans cet aspect que réside le problème aujourd'hui. La mise en oeuvre des PPRT a beaucoup traîné, puisque l'objectif initial était qu'ils soient appliqués en 2008. Mais il a fallu attendre 2019 pour que la quasi-totalité des PPRT soit approuvée par les préfets, c'est-à-dire avec dix ans de retard. La loi Bachelot est donc difficile à appliquer, comme le prouve ce retard très important. Concernant la critique de la loi Bachelot en elle-même, cette notion d'« économiquement acceptable » est très discutable parce qu'elle permet toutes les interprétations de la part de l'exploitant, afin de ne pas faire certaines modifications qui iraient dans le sens de la réduction des risques à la source.
Par ailleurs, notre coordination s'est beaucoup centrée sur la question des obligations de travaux, et notamment de renforcement des bâtis, des pièces de confinement, etc. qui ont suscité de nombreuses discussions ces dernières années. Concernant leur prise en charge financière, il a fallu beaucoup de palabres entre l'État, les exploitants et les collectivités locales pour que les riverains n'aient pas à supporter la charge des travaux pour limiter un risque dont ils n'étaient absolument pas responsables. Elle s'appuie sur des crédits d'impôt et d'autres dispositifs, qui rendent la situation assez inconfortable pour les riverains eux-mêmes.
De plus, beaucoup de ces travaux maintenant obligatoires ne garantissent en aucun cas une protection véritablement efficace, parce qu'en cas de surpression par exemple, aucun constructeur de fenêtres ne garantit la résistance de ses huisseries au-delà d'un certain nombre de millibars. Résultat : beaucoup de riverains renoncent, par exemple, à faire les démarches de travaux, sachant que de toute façon, ils ne les protégeront que sur le papier. C'est pourquoi nous avions demandé un moratoire, et non une annulation de la loi Bachelot, afin de revoir la question des travaux infligés aux riverains et la question de l'attitude des exploitants vis-à-vis de ce principe de l'« économiquement acceptable ». Nous voulions que la réduction des risques à la source devienne l'objectif principal. Mais jusqu'à présent, les intérêts économiques semblent donc avoir gagné.
Ces PPRT s'appuient sur des méthodes probabilistes, comme les études de danger. Ces dernières sont effectuées par les exploitants, avec l'aide de cabinets spécialisés, contrôlés formellement par les DREAL. Mais en fait, dans ces études de danger est évacuée une série de scénarios considérés comme très improbables. Finalement, nous nous apercevons que des accidents comme ceux de Lubrizol et d'AZF, site qui n'était d'ailleurs même pas classé Seveso à l'époque, sont considérés comme extrêmement improbables. Mais ils se sont quand même produits. Il est donc possible de contester que les études de danger et les PPRT accordent autant d'intérêt à la méthode probabiliste, et évacuent ainsi un certain nombre de scénarios, comme celui qui s'est produit à Lubrizol, avec le prétexte que les statistiques d'occurrence prouveraient qu'il y a peu de chances qu'ils se produisent. Car la réalité démontre le contraire.
De plus, dans les études de danger et les PPRT, il n'est absolument pas question des impacts à long terme ou diffus sur des grandes parties du territoire dépassant les périmètres du PPRT et du Plan particulier d'intervention (PPI).
L'exemple de Lubrizol le montre parfaitement.
L'accident de Lubrizol est aussi le résultat d'un assouplissement de la réglementation, accéléré avec les décrets et la loi pour un État au service d'une société de confiance dite ESSOC de 2018. Ils sont allés dans le sens des intérêts des industriels, et ils ont permis aux préfets de faire des arrangements au cas par cas, avec des dispenses d'études d'impact de l'Autorité environnementale. D'ailleurs, cette dernière est généralement la structure d'inspection des sites classés au niveau local, ce qui permet de questionner son indépendance. L'application des lois est donc à géométrie variable, de même que le suivi de l'évolution des produits classés dans les sites qui peuvent se prévaloir de cet assouplissement.
Il y a aussi moins d'inspecteurs, et donc moins d'inspections, ce qui va de pair avec une augmentation des accidents : +30 % en deux ans, selon les chiffres du BARPI (Bureau d'analyse des risques et pollutions industrielles).
Concernant l'information, la concertation et la prévention vis-à-vis des habitants, je ne souhaite pas revenir sur la façon dont sont traités les riverains et leurs représentants dans les Commissions de suivi des sites Seveso. Ce sont souvent des « grandes messes » ou des chambres d'enregistrement, comme le CODERST. Bien sûr, des collèges existent, et donc une pondération pesée au trébuchet. Les préfets savent le faire. Pour avoir participé depuis de nombreuses années au Comité de suivi des sites de Sénart, et avoir vu ce qui se passe ailleurs, la parole des riverains et de leurs représentants dans ces commissions de suivi et ces CODERST est rarement prise au sérieux. Il faut vraiment beaucoup « ramer » pour pouvoir se faire entendre.
D'autre part, les PPI présentent des failles importantes en matière de systèmes d'alerte et d'éducation aux comportements de sécurité. Les consignes et les injonctions sont très contradictoires, notamment dans les établissements recevant du public, comme les écoles, etc. Le fonctionnement des PPI pose aussi un problème en lui-même. Même s'il existe des exercices dans les écoles, les collèges ou les lycées, lors d'un accident comme celui de Lubrizol, il n'y a « pas de pilote dans l'avion » pour donner les consignes, non seulement aux riverains, mais aussi aux établissements recevant du public. C'est dramatique.
En conséquence, il nous paraît évident de revoir la loi Bachelot et de faire un bilan de son application, parce que nous voyons bien que le PPRT a été bâclé et qu'il n'a pas permis d'éviter la catastrophe. Or cela peut se reproduire à tout moment, dans n'importe quel grand site industriel à risques. Si nous ne sommes pas capables depuis 2003, c'est-à-dire depuis que les PPRT ont été adoptés, de faire un bilan de cette loi, nous nous mettons la tête dans le sable. Il nous semble important qu'il y ait non seulement une mission d'information, mais aussi une commission d'enquête pour faire le bilan de l'accident de Lubrizol et de la loi Bachelot, parce qu'il y a certainement beaucoup à dire sur l'application des PPRT.
Nous demandons également une annulation des assouplissements pris en 2018, parce qu'ils sont inacceptables. C'est une des causes principales, sans doute, de l'incendie de Lubrizol, même s'il faut encore trouver l'origine du sinistre. Il illustre la part trop belle faite aux industriels, sous prétexte de leur rendre la vie économique plus facile.
Nous demandons aussi une refonte complète des niveaux de présence et de participation des habitants et des représentants des associations de riverains, au sein des processus de concertation. Nous ne voulons plus être réduits à la portion congrue ou à des faire-valoir, voire des pots de fleurs.
Tout ce qui a été dit aujourd'hui le démontre aisément : il y a plus qu'un « trou dans la raquette ». C'est une lacune dramatique. À l'heure actuelle en France, il n'existe pas de systèmes de protection de la santé publique en cas d'accident majeur. Il ne faut pas se cacher derrière des mots ronflants ou des dispositifs à la petite main.
Par exemple, il n'y a eu aucune campagne systématique de mesures, ni de capitalisation des données. Concernant tous ces aspects, il est évident qu'il y a une page vierge à remplir par les parlementaires, pour qu'en cas d'accident de ce type, nous puissions avoir une prise en charge sérieuse, des mesures, des campagnes de santé publique et la législation qui va avec. Car pour l'instant, c'est le désert.
Concernant l'expertise indépendante que nous avons demandée au tribunal administratif, il y a eu une demande très forte de la préfecture visant à cantonner cette expertise à l'intérieur d'un périmètre de 500 mètres. Mais nous avons réussi à obtenir que cette expertise s'étende au-delà, autour des domiciles de tous les plaignants. Cette expertise indépendante a été déposée par notre association et 100 habitants de l'agglomération, ce qui a permis d'élargir l'étude.
Ensuite, les prélèvements sont évidemment absolument essentiels. Ce n'est pas seulement un désert : nous avons fait face à l'hostilité du monde médical, et visant toutes les personnes qui ont voulu faire des analyses sanguines. Nous avons un certain nombre de témoignages de personnes qui sont allées voir leur médecin ou l'hôpital. Ces derniers leur ont répondu qu'ils ne leur feraient pas d'ordonnance pour des tests de dioxines, d'HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) ou d'autres produits dont nous pourrions logiquement suspecter la présence, du fait de l'exposition. Certains laboratoires d'analyse ont clairement dit qu'ils ne pouvaient, ou ne voulaient pas, les faire. C'est compliqué de faire le tri dans ces témoignages, mais manifestement, il y a eu un blocage concernant ces analyses sanitaires, alors qu'elles sont absolument cruciales, y compris pour le dispositif légal d'indemnisation.
Enfin, au sujet du dispositif d'indemnisation, qui est également crucial, il existe un « état de catastrophe technologique » dans la loi Bachelot. Il prévoit un certain nombre d'éléments, mais il est complètement inutilisable. Il faudrait réfléchir à changer les critères amenant à la détermination de cet état de catastrophe technologique, peut-être en mettant différents seuils ou différents niveaux. Mais nous devrions pouvoir définir cet état de catastrophe à partir des conditions observées lors de l'accident de Lubrizol.
Il faudrait aussi faciliter l'indemnisation des personnes, y compris au niveau des assurances. Le dédommagement doit être pris en charge, mais aussi toute la démarche de collecte des preuves, nécessaire pour l'obtenir.
Je souhaiterais confirmer ce qui a été dit aux urgences du CHU de Rouen, le soir de la catastrophe. Un panneau indiquait qu'aucun prélèvement sanguin et qu'aucune consultation n'aurait lieu. Le CHU de Rouen s'est aussi démarqué dans le cadre du Collectif unitaire rouennais, puisque les syndicats membres ont tous saisi leur CHSCT (Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Celui du CHU de Rouen, l'employeur le plus important de votre circonscription, Monsieur Adam, a refusé la demande des salariés, alors que tout le monde sait que les domiciles des infirmières, des médecins et des aides-soignants occupent un périmètre très large, quasiment tout le département.
Je souhaiterais évoquer aussi le domaine des tierces expertises et des groupes d'experts pluralistes, qui permettraient d'intégrer les expertises d'usage et non institutionnelles. Or, depuis la catastrophe du 26 septembre, et en dépit d'interventions à différents niveaux de la part de toutes les associations parties prenantes, une fin de non-recevoir nous a été opposée, alors que l'expérience prouve, dans notre pays, que les groupes d'expertise pluralistes ont permis de faire avancer la compréhension des phénomènes et la mise en oeuvre des réponses à tous les niveaux. À ce sujet, il existe des documents réalisés par l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire). Ce qui manque aujourd'hui, et cette catastrophe l'illustre, c'est une prise en compte des intelligences du territoire.
Une tendance existe depuis maintenant plusieurs années : c'est la multiplication des incendies, non seulement dans les établissements Seveso, mais aussi dans des établissements quasiment soumis à la directive Seveso, c'est-à-dire des établissements industriels qui peuvent avoir, à l'échelle de leur territoire, des conséquences graves dues aux toitures en amiante et aux dépôts de produits toxiques sur les productions alimentaires, avec des risques d'intoxiquer les cheptels agricoles. Cela va bien au-delà de Lubrizol.
Actuellement, tous les deux à trois jours, une entreprise prend feu, en particulier dans le cycle du traitement des déchets. Ces incendies sont des émetteurs de dioxines, d'hydrocarbures, et de tout un ensemble de molécules extrêmement toxiques. C'est le cas aussi de la cathédrale de Notre-Dame de Paris, avec le plomb. Nous nous apercevons que toutes les administrations, les mairies et les autres parties prenantes, sont généralement complètement dépassées par les retombées de ces incendies et par le ressenti du public. Les pouvoirs publics sont complètement déconnectés. Dans votre réflexion, veuillez intégrer le fait que depuis plusieurs années, les incendies sont une cause majeure de perturbation des populations et des territoires.
Je souhaiterais signaler deux points positifs. À la demande, voire sous la pression, du ministère de l'Écologie et non de la préfecture de Rouen, ni de la DREAL, toutes les FDS (fiches de données de sécurité) vont être publiées. C'est une mine d'informations, en particulier pour les avocats et les plaignants. C'est une chose positive qui n'est pas venue de la préfecture, mais du ministère et de la DGPR (Direction générale de la prévention des risques).
Malgré les pressions qu'elle a subies et dont nous avons été témoins, y compris vous, Monsieur Adam, lors de la réunion du 12 octobre, l'ANSES a émis un avis dont nous veillerons à son bon suivi, sur le fait que les denrées alimentaires devront être suivies pendant au moins un an, c'est-à-dire quatre saisons, jusqu'à l'hiver prochain. S'il s'avère que les productions sont contaminées à cette période, il devrait perdurer. C'est aussi un progrès qui est venu de l'extérieur de Rouen, d'un organisme qui a vocation à gérer les risques sanitaires dans l'ensemble de la France métropolitaine et en Outre-mer.
L'avis de l'ANSES et la délivrance des FDS sont deux points importants qui suivent un autre évènement auquel l'association « Robin des Bois » s'est beaucoup intéressée. Il s'agit du naufrage du Grande America au mois de mars, au large de la Bretagne. Nous avons exigé et obtenu que l'inventaire de toutes les marchandises à l'intérieur du cargo soit publié. Si nous tenons compte de la jurisprudence du Grande America et de celle de Lubrizol, nous nous orientons donc vers la délivrance au public, non sans douleur, des informations concernant tous les matériaux qui ont brûlé ou qui sont au fond de la mer. C'est très positif.
Je tiens à remercier les personnes qui sont intervenues au sujet des Gens du voyage. C'est la première fois que nous parlions de ce sujet au sein de cette mission d'information. C'était important que nous puissions vous entendre.
Au sujet de la loi Bachelot, je souhaiterais répondre à M. Jean-François Dupont concernant les PPRT. Le 28 novembre dernier, nous avons auditionné le président de l'AMARIS (Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs). Il nous a donné quelques éléments concernant les conséquences des PPRT et la nécessité de faire des travaux dans les logements, puisque 16 000 logements sont concernés par les zones PPRT. À ce stade, seulement 600 ont fait l'objet de travaux afin d'être conformes aux PPRT, sachant qu'il existe un délai, de six à sept ans, entre l'établissement du PPRT et la réalisation des travaux. C'est important de le noter.
Je souhaiterais aussi répondre à Mme Ginette Vastel au sujet du rapport Kasbarian. Ce n'est pas parce qu'un rapport dit quelque chose, qu'il est forcément validé par l'Assemblée nationale, et le parlement plus généralement. Il faut maintenant entrer dans le processus classique de la loi. Pour l'instant, rien n'est fait. Il y a aussi une incompréhension, parce que ce rapport propose simplement qu'avant la cession ou la vente d'un terrain à un acteur privé, la puissance publique - ou un autre acteur - puisse commencer les démarches sur certains aspects. Cela ne remet pas en cause la gestion et l'étude des risques sur les analyses environnementales. Elles devront forcément être menées. C'est simplement pour pouvoir faire des terrassements en amont afin d'accélérer la procédure. Cela ne remet pas en cause les problématiques environnementales qui seront de toute façon traitées. Il devra y avoir une validation avant.
Concernant la loi ESSOC et les arrêtés, le préfet a indiqué que deux arrêtés avaient été pris :
- le premier simplifie les arrêtés précédents afin de clarifier les choses au niveau des possibilités de stockage à Lubrizol ;
- le deuxième, qui n'a pas été mis en oeuvre, concerne l'augmentation des capacités de stockage. Un bâtiment était en cours de construction et à l'Est du site de Lubrizol, des terrassements ont été réalisés. Ces travaux étaient en lien avec ce deuxième arrêté, mais ils n'avaient rien à voir avec l'incendie du Lubrizol, puisqu'ils concernaient une autre partie du stockage.
Je souhaiterais savoir ce que je peux dire aux personnes de l'aire d'accueil. Par exemple, la mission d'information va-t-elle interroger la Métropole sur ce qui s'est passé et sur la façon dont elle nous malmène ? Les gens sur le terrain ne savent plus comment faire.
La mission d'information n'a pas de pouvoir sur les élus locaux. Elle ne peut pas convoquer les élus de la Métropole, par exemple. Mais déjà, par l'intermédiaire de la presse qui suit certainement cette audition, il est possible d'interpeller la Métropole de Rouen. Mais en tant que rapporteur de la mission, je ne peux rien faire par rapport à cela. Votre audition sera évidemment écrite dans le compte rendu. Il y aura certainement aussi un mot dans le rapport.
Vous avez également proposé la création d'une commission d'enquête sur le sujet des aires du voyage en France et sur les problématiques de voisinage des aires. Ce sont des éléments pertinents, qui pourront être inscrits dans le rapport.
Mais concernant les élus de la Métropole en tant que tels, je ne peux rien faire au titre de la mission. En tant que député de la Seine-Maritime, je peux faire des choses, mais elles ne sont pas en lien avec la mission. Nous n'en parlerons donc pas ici. Il faut clarifier les éléments qui relèvent de la mission, et ceux qui ne le sont pas.
L'audition s'achève à treize heures dix.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à Rouen
Réunion du jeudi 12 décembre 2019 à 10 h 55
Présents. - M. Damien Adam, M. Christophe Bouillon
Excusé. - M. Pierre Cordier
Assistait également à la réunion. - Mme Danielle Brulebois