Intervention de Gaëtan Rudant

Réunion du mercredi 18 décembre 2019 à 16h05
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Gaëtan Rudant :

Je vous remercie de me donner l'occasion de présenter à la mission d'information un certain nombre des dispositifs que nous avons pu mettre en oeuvre en tant que service déconcentré à la fois des ministères économiques et financiers et – les questions de Monsieur le rapporteur l'illustrent bien – des ministères sociaux. Notre mobilisation a porté sur quatre sujets : l'hygiène et la sécurité ; l'accompagnement des entreprises impactées ; marginalement la réalisation de quelques prélèvements aux côtés de nos collègues de la Direction départementale de protection des populations ; enfin, en tant que chef de service, la gestion de l'exposition de nos propres agents.

En ce qui concerne les questions d'hygiène et de sécurité, nous avons eu à traiter trois types de sujets. D'abord la gestion du risque liée à l'intervention dans les entreprises Lubrizol et Normandie Logistique où, immédiatement après l'incendie de nombreuses opérations ont dû être conduites dans des conditions particulièrement atypiques. Notre préoccupation a été de garantir qu'elles se réalisent dans des conditions de sécurité satisfaisante pour les salariés, ceux des entreprises concernées comme ceux de leurs prestataires. Deuxième sujet : la gestion du risque, non plus dans ces deux entreprises mais dans celles qui, situées à proximité du site, pouvaient avoir à traiter un certain nombre de conséquences, en particulier avec les retombées des suies qui ne relèvent pas d'un mode de fonctionnement habituel dans une entreprise. Notre troisième sujet de préoccupation et de mobilisation a été l'accompagnement des services de santé au travail, dont les médecins du travail, qui ont été fortement sollicités pendant cette période.

Au sein de Normandie Logistique et de Lubrizol, les circonstances étaient évidemment extrêmement particulières. Elles exigeaient une mobilisation très importante de l'inspection du travail, dont vous savez que le système fonctionne dans un ensemble coordonné, mais que la responsabilité de l'acte de contrôle incombe à un agent qui est affecté à un territoire. L'agent de contrôle en charge du site et son responsable direct – appui technique interne à la DIRECCTE –, l'ingénieur de prévention, ont été amenés à intervenir à onze reprises sur le site de Lubrizol et à cinq ou six reprises sur le site de Normandie Logistique pour s'assurer des conditions de sécurité pendant ces opérations. Leurs interventions ont mis au jour des pratiques dont certaines étaient tout à fait satisfaisantes et d'autres qu'il a été nécessaire d'améliorer marginalement sans qu'il fût révélé à cette occasion des déviations d'une gravité particulière.

La première intervention a été réalisée dès le 27 septembre : nous avons fait le choix de ne pas intervenir le 26 septembre alors que les services d'incendie étaient en action, à la fois pour ne pas entraver leur travail, et parce que la valeur ajoutée d'une intervention ce jour-là n'aurait pas été suffisante pour justifier de mettre nos collègues en situation d'exposition.

Pour les entreprises qui sont situées à proximité du site, notre approche a été un peu différente. Nous avons très vite constaté qu'elles étaient en demande d'informations : elles ne savaient pas comment gérer, ici des suies, là des phénomènes d'odeurs… Il est donc apparu essentiel que nous contribuions à leur information, que nous les aidions, notamment avec la CARSAT, la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail, à évaluer les risques pour mettre en sécurité leurs salariés. Nous avons donc organisé une première réunion d'information collective des entreprises, le 2 octobre, pour sensibiliser les dirigeants ou leurs représentants aux questions de sécurité dans ces circonstances particulières. Et, parce que les questions d'hygiène et de sécurité, vous le savez comme moi, sont partagées dans le cadre d'un dialogue social, nous avons également tenu à organiser, le 7 octobre, une réunion avec les représentants du personnel des entreprises touchées. Cette réunion a permis de mettre autour de la table une soixantaine de représentants du personnel, représentatifs de la pluralité syndicale de ces entreprises, et de mettre le débat sur l'hygiène et la sécurité au coeur de ce qu'il doit être : un des éléments fondamentaux du dialogue social. Enfin, nous avons publié sur notre site internet un certain nombre de recommandations à destination des entreprises et les avons diffusées aux entreprises les plus concernées : recommandations sur le nettoyage des suies, sur le port des équipements de protection individuelle et notamment respiratoire, sur le rôle des services de santé au travail et sur les conditions de conduite des évaluations des risques.

S'agissant du suivi des salariés, un certain nombre d'entre eux – comme cela a été le cas dans la population générale – ont exprimé ressentir des effets qu'ils estimaient liés à l'incendie. Dès le 26 septembre, nous avons demandé aux services de santé au travail, donc aux médecins du travail de ces services, de se mobiliser pour être en appui et à l'écoute de ces salariés. Après avoir travaillé avec les services du CHU, en particulier avec un professeur spécialisé dans les risques professionnels, nous avons transmis à ces services de santé au travail, une grille qui a permis de protocoliser le suivi des salariés qui les consultaient. Cette grille recommandait notamment la réalisation de bilans sanguins pour les salariés dits « en première ligne », c'est-à-dire qu'ils avaient pu être exposés immédiatement aux effets de l'incendie. Depuis lors, nous sommes en échange constant avec les services de santé au travail, qui ont réalisé environ 1 600 visites médicales. Enfin, parce qu'il nous apparaît essentiel de pouvoir analyser ces résultats, y compris dans une approche épidémiologique. Nous avons suggéré au Préfet – qui a relayé cette demande – la création d'un GAST, Groupe d'alerte en santé travail. Placé auprès de l'Agence Régionale de Santé (ARS), ce groupe a vocation à procéder à l'analyse de l'ensemble de ces éléments qui, comme dans le cas de la population générale, relèvent pour une bonne part du secret médical et du dialogue singulier entre un salarié et un médecin du travail.

Pour ce qui concerne les entreprises et l'impact qu'elles ont subi, nous avons ouvert une « Cellule de continuité économique ». On constate très régulièrement que, dans des circonstances exceptionnelles, certaines entreprises ont soit des questions, soit des problèmes qu'elles n'arrivent pas à gérer de manière autonome. Le but de cette cellule composée de cinq ingénieurs de la DIRECCTE, est d'accompagner ces entreprises dans la résolution de ces difficultés opérationnelles très concrètes. Je vais illustrer cela avec un cas, qui d'ailleurs n'est pas encore complètement résolu : une entreprise dont l'activité consiste à faire du dépannage sur autoroute voyait son site interdit à la circulation, donc son activité interrompue, du fait de la présence de véhicules de secours. L'entreprise en question n'a pas spontanément accès aux autorités qui gèrent la crise au sein de la Préfecture et notre rôle d'intermédiaire consiste à évaluer cette demande, à la soutenir quand elle commence à pouvoir être satisfaite pour que l'entreprise puisse retrouver une activité le plus rapidement possible… Pour donner un ordre de grandeur, nous avons mobilisé cette cellule du 26 septembre au 4 novembre. Elle a reçu 126 appels d'entreprises, ce qui prouve qu'il y avait pour ces dernières un réel besoin de trouver des interlocuteurs au sein de l'État.

Au-delà de l'écoute, et c'est déjà essentiel, nous avons pris le parti d'une démarche proactive vis-à-vis de l'ensemble des entreprises les plus susceptibles d'être touchées – vingt-sept des prestataires de Lubrizol ont été approchés individuellement – et de mobiliser les instances de coordination des différents acteurs d'accompagnement des entreprises, notamment, le 30 octobre, la C3A (Cellule « alerte, analyse, action ») de Normandie, et le CODEFI (Comité départemental d'examen des problèmes de financement des entreprises) qui a été réuni par le Préfet de la Seine-Maritime, le 15 novembre.

Nous sommes désormais en relation très régulière avec quatre entreprises, qui sont les plus durablement affectées et qui n'ont pas encore pu reprendre une activité normale. En dehors du champ agricole, qui échappe à notre compétence, l'impact économique est caractérisé d'abord sur les entreprises prestataires : elles étaient vingt-sept au moment du sinistre pour 207 salariés. Lorsqu'on parle d'impact sur les salariés, on pense immédiatement à ceux de Lubrizol ou de Normandie Logistique, mais il ne faut pas oublier les autres. On trouve des entreprises directement touchées, par exemple par les retombées de suie, les limitations de circulation, et d'autres qui ont vu leur activité affectée dans une proportion variable du fait du sinistre. Je parle ici non pas de ses conséquences, mais de l'existence même du sinistre. Je pense en particulier au secteur de l'hôtellerie-restauration et au secteur agroalimentaire, au sein duquel deux entreprises nous ont interpellés parce qu'elles avaient subi un effet significatif.

Nous avons effectivement mobilisé le dispositif de l'activité partielle, dans des conditions particulièrement ouvertes au regard des dispositions du code du travail qui permettent d'y recourir en cas de sinistre. Aujourd'hui, 168 entreprises ont recouru à l'activité partielle, qui a concerné environ 3 500 salariés. Une centaine d'entreprises ont d'ores et déjà été indemnisées, dont soixante-quinze pour lesquelles cette indemnisation est complète. Car ce que l'on constate, c'est que la majeure partie des demandes d'indemnisation au titre de l'activité partielle concernait des petites voire très petites entreprises, essentiellement pour les journées des 26 et 27 septembre.

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