Deux ans après la promulgation de la loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, force est de constater que les promesses n'ont pas été tenues. D'après tous les acteurs que j'ai eu l'occasion d'auditionner en tant que corapporteur sur l'application du texte, vous avez perdu votre pari. Vous avez abîmé le dialogue social – au fond, n'est-ce pas la marque de fabrique de cet exécutif ?
Vous aviez par ailleurs promis qu'à la flexibilisation du marché du travail par les ordonnances répondrait la sécurisation des travailleurs par la réforme de l'assurance chômage. Résultat : 40 % de perdants parmi les chômeurs indemnisés. Mais il s'agit, avec cette seconde promesse non tenue, d'un autre débat.
Les réformes engagées par le Gouvernement n'étaient pas demandées par les partenaires sociaux : ils n'y ont pas répondu avec enthousiasme et les entreprises ont même traîné les pieds. La nouvelle architecture conventionnelle n'a donné lieu à aucun accord et la notion gazeuse de « garanties au moins équivalentes » reste un objet de spéculation académique. Depuis deux ans qu'il est appliqué dans les entreprises de moins de cinquante salariés, le dispositif de négociation sans mandatement n'a pas réussi à convaincre les organisations syndicales de salariés des vertus que vous lui prêtiez. Pas d'avantage d'engouement chez les salariés ou les chefs d'entreprise ! L'augmentation des accords conclus par référendum depuis le début de l'année 2019 est très modeste et conjoncturelle puisqu'elle est liée à la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat. Pour le reste, les accords ne font que valider les pratiques établies dans les entreprises.
Le bilan est peu glorieux donc, d'autant que, sur le principe, l'approbation par référendum d'un projet d'accord de l'employeur est l'antithèse de la négociation. Cette mesure, qui expose les salariés, insuffisamment formés et protégés, continue d'ailleurs de susciter la réprobation unanime des organisations syndicales, qui y voient l'une des dispositions les plus contestables des ordonnances, car elle affaiblit le dialogue social.
Non contentes de contourner les organisations syndicales, les ordonnances travail les affaiblissent. Il en va ainsi des conditions de mise en oeuvre du nouveau comité social et économique – CSE – , qui remplace le comité d'entreprise – CE – et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – CHSCT. De nombreuses entreprises voient leurs moyens diminuer. C'est en particulier le cas des entreprises d'au moins cinquante salariés : quel que soit l'effectif considéré, les membres titulaires du CSE voient leur nombre diminuer dans une proportion allant de 27 % à 50 % par rapport aux effectifs cumulés des délégués du personnel membres du CE et du CHSCT. La diminution est particulièrement marquée pour les petites et moyennes entreprises dont l'effectif est compris entre cinquante et cent vingt-quatre salariés, qui perdent chacune 50 % de titulaires par rapport à la situation antérieure. Le nombre mensuel d'heures de délégation est également en diminution, de 48 % en moyenne, par rapport aux heures cumulées des délégués du personnel membres du CE et du CHSCT.
Selon les données publiées le 30 septembre par la DARES – direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques – dans le cadre des évaluations conduites par le comité d'évaluation des ordonnances travail, un retard considérable est constaté dans la mise en place des CSE, en dépit d'une accélération au second semestre. À cette date, seulement 50 % des entreprises de plus de onze salariés s'étaient conformées à la loi. Là où le dialogue social était de bonne qualité, il l'est demeuré ; là où il faisait défaut, il ne s'est pas amélioré. Les ordonnances du Gouvernement n'ont pas permis d'engager la dynamique promise en faveur du dialogue social. Pire encore, elles ont parfois contribué à l'affaiblir lorsqu'il était fragile en diminuant les moyens et les prérogatives des représentants du personnel.
Le constat est partagé par les trois coprésidents du comité d'évaluation des ordonnances travail, qui ont également noté, dans de nombreux accords négociés, la volonté de ne pas modifier les équilibres existants. Cette tendance s'est traduite le plus souvent par une absence de diagnostic partagé et de réflexion approfondie sur ce que pourrait être le dialogue social de demain dans l'entreprise.
Parmi les personnes auditionnées – je pense notamment aux représentants de cabinets de conseil – , beaucoup considèrent même que les négociations sur le CSE ont contribué à crisper les relations entre les représentants des salariés et les employeurs, y compris dans les entreprises où le dialogue social était jusqu'alors de bonne qualité. Les syndicats de salariés, ainsi que les représentants de plusieurs cabinets de conseil, insistent sur l'inégalité du rapport de force entre la direction et les représentants des salariés dans la négociation sur la mise en place du CSE. Dès lors, pour les futurs représentants du personnel, les négociations portent avant tout sur la défense des moyens, au point qu'ils sont parfois prêts à renoncer à certaines de leurs prérogatives, ce qui ne peut évidemment pas être considéré comme un progrès. Dans de nombreux cas, faute de contrepoids suffisants leur permettant d'exiger davantage de contreparties de la part de l'employeur, les représentants du personnel signent les accords à contrecoeur, conscients qu'ils engagent une régression du point de vue des moyens et des prérogatives par rapport à la situation antérieure.
Le temps me manque, madame la ministre du travail, pour achever cet exercice minimal de contrôle, mais la séance de questions nous permettra d'engager la discussion. J'ose espérer que vous ne vous contenterez pas, dans vos réponses, de prononcer un satisfecit sur votre politique et que vous accepterez de la reconsidérer.