La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
L'ordre du jour appelle le débat sur les politiques de l'emploi.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps nous entendrons les orateurs des groupes puis le Gouvernement. Celui-ci répondra aux questions des différents groupes dans un second temps.
La parole est à Mme Carole Grandjean.
Depuis le début du quinquennat nous menons une politique de l'emploi dont nous pouvons nous féliciter, non seulement parce qu'elle porte déjà ses fruits – le chômage a baissé de 2 % sur un an – mais aussi et surtout parce qu'elle vise à permettre aux personnes les plus éloignées de l'emploi de retrouver un emploi ou de se former.
Ces mesures prennent une dimension particulière lorsqu'elles s'appliquent à l'emploi des personnes handicapées.
Dès 2019, nous avons prévu des crédits budgétaires pour permettre l'embauche par une entreprise adaptée de 10 000 personnes en situation de handicap supplémentaires. La stratégie pour l'emploi des personnes handicapées s'appuie sur la réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle pour améliorer le taux d'emploi des personnes handicapées, favoriser leur formation, développer leurs compétences et faciliter leurs démarches administratives.
Les dispositions relatives à la réforme de l'apprentissage contenues dans la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel sont particulièrement adaptées aux personnes en situation de handicap. Le budget de 20 millions d'euros par an destiné à améliorer le niveau de prise en charge des contrats d'apprentissage pour les personnes en situation de handicap, afin de sécuriser les adaptations nécessaires à leur parcours, permettra d'atteindre l'objectif du doublement du nombre d'apprentis d'ici 2022. La nomination obligatoire d'un référent handicap dans tous les centres de formation d'apprentis – CFA – à compter du 1er janvier 2019 démontre à quel point cette réforme a été conçue pour l'inclusion de tous. Nous avons placé le développement de l'apprentissage au coeur de la transformation de la politique de l'emploi car cette évolution doit bénéficier à chacun d'entre nous.
La réforme de la formation professionnelle revêt également une dimension inclusive forte. Elle prévoit une majoration du compte personnel de formation – CPF – pour les personnes reconnues handicapées, y compris celles travaillant en établissement et service d'aide par le travail – ESAT – , pour un montant de 800 euros par an, jusqu'à un plafond de 8 000 euros, contre 500 euros par an et un plafond de 5 000 euros pour les autres actifs.
Les mesures relatives au plan d'investissement dans les compétences – PIC – en direction des personnes les plus éloignées du marché du travail ont également été conçues comme des outils permettant de construire des parcours de formation qualifiants pour les salariés des entreprises adaptées bénéficiaires d'un « CDD tremplin » ou d'un contrat de mission ou d'intérim dans les entreprises adaptées de travail temporaire.
En parallèle, les pactes régionaux sont un réel levier pour développer la formation professionnelle des personnes handicapées. Les nouveaux marchés de formation et les nouveaux agréments des organismes de formation amplifient la prise en compte des besoins de formation des personnes en situation de handicap. Ils intègrent notamment des formations aux pré-requis en amont d'un parcours de qualification et prennent mieux en compte les adaptations nécessaires à leur accessibilité : je pense notamment à l'accueil, à la pédagogie, au rythme, à la formation des formateurs, entre autres.
Alors qu'elle encourage l'offre d'emplois pour les personnes handicapées, la loi du 5 septembre 2018, entrée en vigueur ce 1er janvier 2020, permet également de responsabiliser les entreprises et d'encadrer l'offre d'emplois en prévoyant que le décompte de l'obligation d'emploi soit effectué au niveau de l'entreprise et non plus de l'établissement, et en faisant de la responsabilité sociale un levier pour l'embauche de personnes handicapées, par une politique d'emploi inclusive, qui prend désormais en compte tous les types d'emploi dans la déclaration d'emploi annuelle.
Comme vous aimez à le dire, madame la ministre du travail, la transformation de notre politique de l'emploi marche sur deux jambes : l'accompagnement et la responsabilisation. Notre politique de l'emploi en faveur des personnes handicapées en est un exemple significatif.
Les mesures que nous avons prises dans des domaines comme celui de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes le démontrent également puisque, pour la première fois dans l'histoire du droit du travail, cette égalité est désormais une obligation de résultat et non plus de moyens. Elle doit se traduire concrètement par des rémunérations équivalentes et non plus de simples intentions.
Toutes ces mesures sont en place, notre droit positif les a intégrées, mais leur application nous appelle toutefois à la vigilance. En effet, ces dispositions nouvelles et ambitieuses méritent d'être accompagnées d'un véritable changement des mentalités, d'une nouvelle vision de l'emploi et de la société. Elles doivent s'accompagner d'une refonte plus globale de l'approche des ressources humaines dans nos entreprises pour que l'emploi de tous les salariés continue à être protégé et encouragé.
Cette vigilance doit être aussi la nôtre, en notre qualité de législateur, pour que toutes les catégories de salariés soient concernées par cette transformation. Je pense en particulier aux seniors, plus exposés au chômage de longue durée. Dans son référé sur les fins de carrières, rendu public le 10 octobre dernier, la Cour des comptes indique que le taux d'emploi des seniors français – 52,3 % – reste inférieur à la moyenne européenne, qui est de 59 %. À l'aune de la réforme des retraites que nous préparons, cette question mérite aussi toute notre attention.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Nous sommes aujourd'hui amenés à débattre des actions publiques pour l'emploi. Disons-le, les politiques publiques destinées à l'emploi ne sont pas comme les autres politiques publiques : elles sont essentielles, elles sont prioritaires, elles sont déterminantes. Elles sont le fondement même de la résolution de nombreux maux de notre société. Le chômage de longue durée, l'exclusion professionnelle sont la source de bien des difficultés individuelles et troubles collectifs. Dans les pays où le niveau d'activité est élevé, les problèmes sociaux et sociétaux se règlent plus facilement.
Nous devons croire en la valeur travail. Nous devons autant la défendre que la restaurer. Cette valeur doit être le point cardinal de toute l'organisation de notre République et de notre système économique et social. Nous devons être les porte-parole de tant de nos concitoyens qui veulent vivre de leur emploi, et permettre à celles et ceux qui investissent, qui créent d'aller de l'avant et de se développer.
Nous, députés Les Républicains, considérons que la politique publique de l'emploi doit s'articuler autour de la valeur travail. Nous considérons tout autant que la question de l'emploi repose sur l'entreprise. Nous devons croire à l'entreprise. Le pilier de l'emploi, c'est l'entreprise, sous toutes ses formes, dans tous les secteurs d'activité. L'entreprise doit être au coeur des politiques publiques de l'emploi.
De nombreuses choses ont été faites, en particulier par des gouvernements de droite, afin que les entreprises puissent répondre aux cycles économiques, à la concurrence internationale, à la nouvelle économie, en un mot à l'exigence de compétitivité. Mais le coût du travail est encore trop important et demeure un frein à l'embauche. Même si des correctifs, selon les types et catégories d'emploi, ont été apportés ces dernières années, le poids des charges sociales plombe la capacité des entreprises à embaucher. La réduction des charges demeure une nécessité, et plus généralement la baisse des impôts et taxes liés à la production et à l'activité économique.
Sans développer davantage faute de temps, je rappelle en outre l'anomalie française que constitue l'excès des contraintes, des normes coercitives, de la paperasserie, dénoncé à juste titre par les entrepreneurs. Un véritable big bang est nécessaire pour corriger profondément l'environnement fiscal, juridique et administratif des entreprises. Une culture de la confiance envers les entrepreneurs reste tout autant à développer. Voilà ce que doit être une politique publique de l'emploi au XXIe siècle !
Reste enfin le problème bien réel des compétences. Malgré votre volonté d'investir dans les compétences, madame la ministre, combien d'entreprises importantes, de PME et d'artisans n'arrivent pas à recruter faute de profils en adéquation avec leurs besoins ?
Donnons de la force à nos entrepreneurs, à nos artisans, à nos indépendants, à nos agriculteurs, à tous les libéraux qui souhaitent aller de l'avant car ce sont eux les créateurs d'emplois et de richesse dans notre pays, ce sont qui permettront à terme de régler le problème de l'emploi dans notre pays.
Par ailleurs, même si la stimulation du marché de l'emploi s'impose pour favoriser l'accès ou le retour à l'emploi, le marché du travail ne saurait à lui seul assurer l'emploi pour tous. Des mesures de flexibilité ont été prises par différents gouvernements, convaincus que c'était la solution. Il fallait le faire, bien sûr, mais le niveau persistant du chômage démontre que ce ne saurait être la seule solution. Oui à un jeu de l'offre et de la demande dynamisé, libéré, mais aussi, et tout autant, à l'action de la puissance publique. L'État, au titre de ses obligations politiques, morales, républicaines ou d'une conception de « la France pour tous » a une responsabilité majeure envers celles et ceux qui sont éloignés du marché du travail.
Je le dis clairement et fermement : une politique publique de l'emploi est nécessaire pour lutter contre le chômage de longue durée et pour remettre en activité ces femmes et ces hommes qui souffrent de freins à l'emploi, soit intrinsèquement, soit du fait de leur parcours de vie ou de mutations économiques. Il faut y consacrer de l'argent public.
L'État, avec le soutien des collectivités territoriales notamment, doit proposer des outils d'insertion et ne jamais cesser d'innover dans ce domaine. Vous connaissez, madame la ministre, mes convictions en ce qui concerne l'insertion par l'activité économique, mais il reste tant à faire ! Je déplore, madame la ministre, que vous ne soyez pas décidée à aller plus loin en la matière.
Pour les mêmes raisons, une politique publique pour l'emploi des jeunes et les seniors s'impose. Des solutions d'accès ou de retour à l'emploi ont déjà été testées mais elles ne se sont pas imposées, pour des raisons diverses, et les dispositifs existants sont inefficaces. Ces deux grandes catégories de Français sont encore aujourd'hui bien souvent laissées pour compte, dans des situations parfois de grande précarité. Ce n'est pas parce que la France n'a pas trouvé les leviers pour l'emploi des jeunes ou des seniors qu'elle doit renoncer, bien au contraire.
Telle est, madame la ministre, la contribution que le groupe LR apporte à ce débat sur les questions de l'accès à l'emploi pour tous, à ce défi pour l'emploi.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
L'année qui vient de s'achever a été marquée par la concrétisation de nombreuses avancées en matière de travail et de politique de l'emploi, et ce sous l'impulsion du Gouvernement. Ces progrès font écho à la volonté du Président de la République de redonner toute sa dimension à la « société du travail » en faisant de l'emploi un outil réellement émancipateur, en permettant à chacun de vivre correctement et en allégeant son coût pour les employeurs. C'est en effet grâce au travail, vecteur d'émancipation individuelle mais aussi collective, que l'on peut vivre mieux et consommer mieux, s'enrichir aussi de nouvelles compétences, trouver sa place et évoluer au sein de la société.
Le Gouvernement a oeuvré dès le début du quinquennat en faveur du pouvoir d'achat et de la rémunération. On peut saluer à ce titre un certain nombre de mesures telles que l'augmentation du salaire net des actifs grâce à la réduction des cotisations sociales pesant sur les salaires, 1'augmentation de la prime d'activité, ou encore un coût allégé pour les employeurs, afin de faciliter l'embauche notamment des salariés les moins qualifiés.
Au nom du groupe MODEM, je souhaite saluer ce bilan et redire le soutien que nous apportons aux nombreuses mesures prises en la matière, car elles portent leurs fruits : la croissance économique est en hausse de 1,3 % en 2019 et 500 000 emplois ont été créés depuis 2017, dont 260 000 en 2019.
Cependant, ces efforts doivent être poursuivis et amplifiés. En effet, les politiques publiques relatives au travail et à l'emploi ne sauraient faire l'impasse sur l'immense défi qui leur est intrinsèquement lié, celui de la lutte contre les inégalités. Comme nous l'avons constaté avec la crise des gilets jaunes, et malgré les mesures engagées pour améliorer la rémunération et faciliter les embauches, les questions du pouvoir d'achat et des inégalités engendrées par les revenus du travail font l'objet d'une forte contestation sociale.
Prime exceptionnelle, revalorisation de 90 euros de la prime d'activité, annulation de la hausse de la CSG – contribution sociale généralisée – pour les retraités gagnant moins de 2 000 euros par mois, défiscalisation des heures supplémentaires au 1er janvier 2019 : les mesures d'urgence prises en décembre 2018 ont, là encore, porté leurs fruits. Depuis le 1er janvier 2019, la prime d'activité bénéficie à 1,2 million de personnes supplémentaires, dont 500 000 ne pouvaient y prétendre auparavant. Les effets directs de ces mesures sur le pouvoir d'achat des ménages modestes et des classes moyennes ont été démontrés. Nous pouvons nous réjouir que ces dispositifs aient atteint leur cible et produit des résultats positifs, surtout en faveur des plus modestes.
Au-delà de la valeur du travail, un autre aspect est fondamental : l'accomplissement de chacun dans son emploi, l'acquisition de nouvelles compétences, la valorisation des qualités tout au long de la vie professionnelle. Cette dynamique commence dès les études, en vue de préparer au mieux l'entrée dans la vie active. C'est pourquoi le Gouvernement a entrepris une réforme importante de l'apprentissage et de la formation, avec la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Le développement de l'alternance, l'implication des branches professionnelles ou encore la simplification des conditions d'exécution du contrat d'apprentissage, pour les apprentis comme pour les employeurs, sont autant de mesures qui offriront davantage de souplesse et de lisibilité aux acteurs de l'apprentissage – vecteur indispensable pour aider de nombreux jeunes à trouver leur voie le plus tôt possible.
La valorisation des compétences doit se poursuivre au cours de la vie professionnelle pour tous les salariés qui le souhaitent. L'accompagnement des salariés, l'aide à la reconversion et la formation continue doivent également être renforcés, afin que chacun puisse s'accomplir et s'épanouir professionnellement.
En conclusion, une politique de l'emploi efficace ne peut être menée à bien qu'avec la participation des acteurs incontournables que sont les entreprises et les partenaires sociaux. La capacité de mobilisation syndicale s'avère actuellement très forte. Nous pouvons nous en réjouir, et devons profiter de cette dynamique pour nous interroger collectivement sur la rémunération du travail, dans le secteur public mais aussi dans le secteur privé, dont la voix est peu entendue ces dernières semaines.
Au-delà des nombreuses mesures gouvernementales que je viens d'évoquer, et qui ont permis de réduire significativement les différentes charges, il serait souhaitable que les entreprises revoient la répartition des richesses qu'elles créent. Une évolution qui conjuguerait une augmentation des feuilles de paie à une limitation des dividendes serait bienvenue.
À nous de nous saisir de ce sujet fondamental pour créer une société plus juste et égalitaire, pour rassembler les Français et pour contribuer, ainsi, à l'avènement d'une société à visage humain.
Quand on parle d'emploi, on parle régulièrement des chômeurs et de la souffrance endurée par les demandeurs d'emploi. S'il est vrai que le chômage a légèrement baissé, ce recul s'est malheureusement accompagné d'une hausse des travailleurs pauvres. Selon l'Observatoire des inégalités, un million de personnes exercent un emploi mais connaissent un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. Nous ne pouvons donc nous satisfaire de la situation actuelle, où des travailleurs pauvres – employés et ouvriers peu qualifiés, travailleurs ubérisés, indépendants – constituent la France des oubliés. « Il n'y a de dignité du travail que dans le travail librement accepté » disait Albert Camus. Or c'est un modèle de travail subi que vous promouvez depuis les « ordonnances travail » et la réforme de l'assurance chômage, un modèle qui fait perdre au travail sa vocation émancipatrice, tout particulièrement pour nos concitoyens les moins bien formés.
Aussi, je voudrais évoquer un sujet régulièrement oublié : la situation des 3,7 millions de travailleurs précaires que compte la France, employés principalement en intérim ou en contrat à durée déterminée – CDD. Je pense aussi aux personnes inactives qui souhaitent travailler mais ne peuvent trouver un emploi en raison de leurs contraintes de vie, depuis les mères de familles monoparentales qui n'ont aucun mode de garde pour leurs enfants jusqu'aux personnes peu qualifiées et éloignées des bassins d'emploi.
Face à ce constat, peut-on faire mieux ? Oui, je le pense. Nous pourrions par exemple amplifier l'expérimentation des territoires zéro chômeur de longue durée, ou encore augmenter le nombre de contrats aidés de sorte que les associations et les collectivités territoriales intensifient l'insertion par l'emploi. Nous pourrions aussi renforcer les aides aux familles monoparentales, notamment en matière de garde d'enfants, afin que les femmes – qui sont les plus affectées par les temps partiels subis et le chômage contraint – puissent choisir librement leur temps de travail et exercer leur profession dans des conditions facilitées. Enfin, nous pourrions améliorer la formation au cours de la vie professionnelle, celle-là même que vous avez fortement détériorée en créant un compte personnel de formation en euros qui, dans le fait, amoindrit le droit à la formation de nos concitoyens.
Pour les socialistes, le travail est une valeur centrale. C'est lui qui permet l'émancipation individuelle des personnes, mais aussi l'élévation collective de la société – car c'est le travail qui nous permet d'entretenir un modèle social protecteur tout au long de la vie : je pense évidemment à l'assurance chômage, à la couverture santé et à l'assurance retraite.
Aussi, je voudrais appeler votre attention sur la protection des travailleurs. Dès votre arrivée au pouvoir, en 2017, vous avez dégradé le compte pénibilité, instrument qui protégeait les travailleurs contre les risques liés au travail. Pourtant, madame la ministre, la prise en compte de la pénibilité, pour les actifs comme pour les retraités, n'est autre qu'une réparation des préjudices subis. On ne peut passer sous silence cette question centrale. Oui, il y a des métiers pénibles dans notre pays. Oui, certains métiers usent le corps et l'esprit davantage que d'autres. Oui, le travail peut avoir des conséquences néfastes sur la santé. Nier cela, comme vous l'avez fait en dégradant le compte pénibilité, est une faute grave ; c'est négliger la souffrance de certains métiers.
« Mais non ! » sur les bancs du groupe LaREM
pour priver un grand nombre de travailleurs de la juste réparation de leurs préjudices, réparation qu'avait rendu possible le compte pénibilité créé par les socialistes. Ainsi les métiers exposant aux postures pénibles, aux vibrations mécaniques, aux risques chimiques et au port de charges lourdes sont-ils écartés de la reconnaissance de la pénibilité. Vous excluez les caissières, les femmes de ménage, les ouvriers du bâtiment, les livreurs ou encore les ouvriers du secteur de l'énergie. Est-ce cela le progrès social, que vous prétendez défendre ? Je ne le crois pas. Et non seulement vous niez la pénibilité pendant la vie active, mais encore vous vous apprêtez à entretenir cette injustice lors de la retraite – votre réforme des retraites est en effet muette sur la question. Là encore, vous vous éloignez à grands pas d'une société juste et solidaire, dans laquelle le travail émancipe et protège.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.
Avec plus de 260 000 emplois créés en un an – mesure réalisée au troisième trimestre dernier – et un taux de chômage de 8,5 %, notre pays semble avoir renoué avec une trajectoire positive en matière d'emplois en 2019.
Étant essentiellement portée par le dynamisme de la croissance, cette trajectoire reste incertaine ; le Gouvernement table d'ailleurs sur un ralentissement de la croissance en 2020. Par ailleurs, cette situation globale cache bon nombre de disparités.
Ces disparités sont tout d'abord humaines : les ressorts du chômage diffèrent selon qu'on est jeune ou senior, diplômé ou peu qualifié, cadre ou employé, sans emploi depuis quelques mois ou depuis plus d'un an, voire deux ou trois ans. De plus, les recrutements s'opèrent toujours massivement en contrats à durée déterminée, avec ce que cela suppose d'incertitude quant à la pérennité de l'emploi.
Les disparités sont également professionnelles, car les secteurs d'activité participent diversement à la dynamique. Si le tertiaire et les services tirent fortement l'emploi, d'autres secteurs sont en tension et peinent à recruter, révélant une inadéquation persistante entre l'offre et la demande. Comment ignorer que certaines activités connaissent des difficultés majeures, comme la grande distribution, à l'heure où le groupe Auchan, né dans l'agglomération roubaisienne, s'apprête à annoncer un plan de départs volontaires massif ?
Les disparités existent enfin sur le plan territorial, car les possibilités de trouver un emploi varient selon qu'on habite une agglomération ou un secteur rural, un bassin d'emploi dynamique ou frappé par la désindustrialisation. Souvent, la situation est encore plus complexe : au sein de la métropole européenne de Lille par exemple, le bassin d'emploi lillois affiche un taux de chômage de 8,9 % au deuxième trimestre 2019, tandis que le bassin roubaisien maintient un taux de 12,5 % et que les quartiers relevant de la politique de la ville atteignent des records.
Si le chômage conjoncturel recule, le chômage structurel reste donc profondément ancré dans le corps social de notre pays. Ainsi, 48 % des personnes inscrites à Pôle emploi le sont depuis plus d'un an. Nous attendons de l'État et du Gouvernement des mesures fortes capables de faire reculer ce chômage structurel, qui touche les demandeurs d'emploi nécessitant l'accompagnement le plus marqué.
Le groupe UDI, Agir et indépendants est convaincu que ce chômage structurel et ces disparités doivent être combattus par des réponses diversifiées. C'est ainsi que nous gagnerons durablement la bataille de l'emploi.
Ces réponses passent tout d'abord par la formation professionnelle. Il est encore prématuré de dresser un bilan de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, et des incertitudes demeurent quant à l'attitude des salariés vis-à-vis du compte personnel de formation. Nous pouvons espérer que la monétisation de ce dernier n'incitera pas les salariés à trop attendre pour s'engager dans une formation, et que l'accompagnement, dispensé notamment par le conseil en évolution professionnelle, contribuera à une utilisation pertinente du CPF. Ces deux aspects méritent une vigilance des acteurs de la formation professionnelle et des services de l'État.
La vigilance est également de mise pour assurer l'indispensable fluidité des parcours d'entrée en formation, lesquels restent trop souvent bloqués sur le terrain, faute de financement.
De même, nous devons entendre les employeurs lorsqu'ils expliquent combien le coût d'un contrat de professionnalisation est élevé pour leur entreprise, au regard du temps que passe le salarié dans leurs murs.
Les réponses passent ensuite par les contrats aidés. Les entrées en parcours emploi compétences – PEC – ont enregistré une nette baisse en 2019 : 78 153 contrats avaient été signés fin septembre, contre un peu plus de 92 000 en 2018. Les chiffres semblent confirmer la difficile montée en charge de ce dispositif censé remplacer les contrats aidés. Dans ce contexte, on s'explique mal que, ces dernières semaines, des structures se soient vu refuser leurs projets d'embauche ou de renouvellement de contrats en PEC en raison de l'épuisement ou du gel des crédits destinés à les financer.
Enfin, la réussite des politiques de l'emploi repose pour une large part sur l'innovation et la confiance dans les territoires, ainsi que sur une mobilisation conjointe des collectivités territoriales, des acteurs locaux du service public de l'emploi, des partenaires sociaux au sein des bassins d'emploi et des filières professionnelles. Le rapport du comité d'évaluation sur l'expérimentation des emplois francs identifie, parmi les facteurs de réussite, la mobilisation soutenue de l'ensemble des parties prenante. C'est sans doute l'un des points sur lesquels les politiques de l'emploi peuvent encore évoluer : elles doivent mettre des outils à la disposition des collectivités et des territoires, et faire confiance à leur capacité de les utiliser au mieux en fonction des spécificités du marché local de l'emploi.
Enfin, que ce soit avec les emplois francs ou l'expérimentation des territoires zéro chômeur de longue durée, il est temps de soutenir les innovations territoriales, qui constituent l'un des ressorts de la dynamique d'emploi dans notre pays.
Je vous présente tous mes voeux, madame la ministre, et d'abord de prompt rétablissement après votre accident. Francis Vercamer vient d'expliquer très justement que, malgré des créations massives d'emploi depuis deux ans, reconnaissons-le, et malgré les initiatives que vous avez prises dans le cadre des ordonnances travail, nous atteignons un seuil, une masse structurelle de chômeurs contre laquelle les décideurs et les acteurs locaux ont les plus grandes difficultés à lutter.
Deuxième chose : les jeunes non plus ne sont pas épargnés par le chômage. Les chiffres nous interpellent. Ils montrent que, contrairement à des propos prononcés il y a de longues années, mais que vous avez tous en mémoire, il n'est pas vrai qu'on a tout essayé ; il reste encore des pistes à explorer.
Au groupe Libertés et territoires, nous sommes attachés à l'idée que c'est en oeuvrant au plus proche que l'on peut être efficace. D'ailleurs, si on examine ce qui se passe en France, on voit que certains territoires connaissent un taux de chômage de 3 % alors qu'il est de 13 %, voire de 25 % ou même de 40 % dans certaines banlieues. Pourtant, les politiques d'État sont partout les mêmes, et les textes élaborés à l'Assemblée nationale, au Sénat et dans les cénacles gouvernementaux s'appliquent partout indifféremment. Cela signifie qu'il y a eu des différences de réactivité, une efficacité variable suivant le lieu, et que cela est à mettre sur le compte des élus locaux. C'est pourquoi nous avons préconisé, dans un document qui a été remis au Président de la République, la régionalisation des politiques de l'emploi ainsi que des politiques d'accompagnement des entreprises, en vue de développer plus particulièrement les très petites et les petites et moyennes entreprises ou industries, nos TPE, PME et PMI, tous ces viviers d'entreprises formidables.
Donnez les clés aux régions – même si le cadre réglementaire doit naturellement être établi par l'État : vous verrez que l'efficacité sera au rendez-vous ! De toute façon, à l'intérieur d'une même région, il y aura des disparités et des particularités selon que vous serez à tel ou tel endroit. Idem pour les pôles d'excellence rurale et les pôles de compétitivité : allez-y, donnez les clés aux régions ! D'ailleurs, ce sont les premiers financeurs de ces dispositifs. Moi qui ai la chance de piloter un petit village de start-up, je peux vous dire que c'est à la suite d'une initiative locale que les collectivités territoriales et l'État sont, dans un second temps, intervenus. Faites donc confiance aux acteurs locaux !
S'agissant des politiques en matière de formation, de compétences et d'apprentissage, il est vrai que grâce aux dispositions que vous avez prises, madame la ministre, les chiffres sont encourageants. Dont acte, et je souhaite que cela continue. Il y a toutefois un bémol – mais vous en avez parfaitement conscience : c'est que les branches ont tendance à regrouper les formations dans les grands centres urbains. Il faudra donc être vigilant quant à la carte des formations dans quelques années.
Quelques mots concernant l'action de formation préalable au recrutement – AFPR. C'est un très bel outil, mais je vous invite toutefois à en préciser les conditions d'usage aux directions de Pôle emploi. J'ai moi-même constaté, dans ma petite collectivité, que la direction de Pôle emploi ne les maîtrisait pas complètement, alors qu'il s'agit d'un outil particulièrement souple.
Quant à l'intérim, qui n'inspirait pas confiance, il devrait être encore facilité. Je crois que les engagements pris par le secteur ont été respectés. On a créé des CDI intérimaires. Réduisez encore les délais de carence, je suis persuadé que cela permettra d'aller plus loin.
Avec le groupe Libertés et territoires, j'avais suggéré à Olivier Dussopt, alors assis au banc du gouvernement, que le contrat de projet destiné à la fonction publique soit non pas un contrat à durée déterminée, mais un contrat à durée indéterminée. Cela permettrait de sécuriser la vie quotidienne des gens, en matière d'emprunt par exemple, sans pour autant poser de difficulté à la collectivité territoriale, puisqu'un projet peut en suivre un autre et que les mêmes compétences peuvent être réutilisées.
Je voudrais évoquer à mon tour, après Francis Vercamer, la transformation numérique. La question est étroitement liée à celle du télétravail. Ce dernier est un outil formidable – cela se vérifie en ce moment même avec les grèves dans les transports – mais qui est malheureusement trop souvent limité à cette dimension du déploiement numérique. Si cela ne fait pas partie du champ de compétences de votre ministère, …
… les choses sont intimement liées. Or la bataille que nous menons est dédiée aux territoires les plus éloignés, qui ont les financements publics les moins importants. Ainsi, malgré le new deal mobile, la téléphonie 4G ne se développe malheureusement pas assez rapidement.
Enfin, je voudrais appeler votre attention sur deux points. Le premier, c'est que les passerelles entre la fonction publique et les emplois privés sont insuffisamment utilisées alors qu'elles pourraient ouvrir des perspectives formidables d'épanouissement à travers des parcours contrastés. Le second, c'est qu'il faut impérativement que vous fassiez confiance aux territoires, aux acteurs locaux. Vous pourriez dans cette optique recourir à des expérimentations, qui permettent de vérifier que les objectifs ont bien été satisfaits.
Des progrès ont été enregistrés. Nous ne pouvons que nous en féliciter, car face au chômage, devant lequel nous sommes trop souvent démunis, il nous appartient de trouver des outils appropriés. Ne réitérons pas l'erreur commise avec les territoires d'industrie, outil inventé il y a un peu plus d'un an : où en sommes-nous aujourd'hui ?
Voilà l'exemple type d'un dispositif dans lequel l'État donne aux régions d'une main pour reprendre de l'autre. Et c'est l'échec assuré !
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
Nous avons changé d'année et, par la même occasion, de calendrier, mais la réalité sociale demeure. Une chape de plomb s'est comme durablement installée sur le pays. Que l'on connaisse la précarité ou que l'on soit matériellement plus préservé, personne ne se sent plus vraiment à l'abri de rien.
La peur du déclassement, le constat que les enfants vivent moins bien que leurs parents, la crainte de perdre son emploi ou de bénéficier d'un emploi tellement précaire qu'il ne permet pas d'assurer les projets qui balisent une vie normale, la peur d'une mobilité géographique contrainte… Il est loin le temps où, lorsqu'on était insatisfait de son travail, on pouvait démissionner avec l'espoir d'en trouver un autre très rapidement ; il est loin le temps où il suffisait de « traverser la rue » pour trouver un emploi.
Il n'y a guère que les voeux présidentiels qui permettent, telle une page de publicité, de rêver à une autre réalité. Le 31 décembre, un peu après vingt heures, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à tous ces Français qui subissent l'extension de la pauvreté ou de la précarité depuis le début du quinquennat. Ils ont dû être ravis d'apprendre de la bouche du Président que la France n'avait « jamais connu un tel élan » !
Depuis le début du quinquennat, vous nous appelez à nous réjouir de sursauts statistiques qui ne modifient en rien la réalité sociale profonde du pays et qui ne tiennent pas compte de la précarité de l'emploi. Vous louez le dynamisme de la création d'emplois et avez dit récemment que l'on n'avait jamais autant embauché au cours de ces vingt dernières années. C'est vrai, mais à quel prix ? Au prix d'une précarité de l'emploi qui s'est considérablement renforcée. Pour être exact, il faudrait plutôt dire que l'on n'avait jamais signé autant de contrats de travail au cours de ces vingt dernières années. Mais peut-on s'en réjouir quand on sait que 87 % de ces contrats sont des contrats courts, et que 83 % de ceux-ci durent moins d'un mois et un tiers moins d'une journée ?
Quelle vie peut-on prévoir, madame la ministre, quand le travail est à ce point précaire ? Aucune ! Absolument aucune ! Alors que nous produisons plus de richesses que jamais, la vie ne peut se résumer à une guerre permanente pour subvenir aux besoins les plus primaires. Ce n'est ni supportable, ni acceptable.
Vous dites aussi que le taux de chômage est à son plus bas niveau depuis dix ans, mais vous oubliez de préciser que le Gouvernement a fait le choix de ne plus publier de statistiques trimestrielles. Il faudrait donc y ajouter les chômeurs qui ont eu quelques heures d'activité, les chômeurs empêchés de travailler immédiatement, les découragés qui se retirent de Pôle emploi, où iI y a toujours environ une offre d'emploi non pourvue pour 100 chômeurs disponibles. Bref, le chômage de masse et la précarité de l'emploi demeurent la toile de fond de la situation sociale du pays.
Y a-t-il pour autant moins de tâches à accomplir ? Assurément non, surtout si l'on veut bien se projeter un instant vers tout ce que nous aurions dû commencer d'entreprendre depuis déjà un long moment en vue de répondre au défi humain et technique qui se dresse devant nous, à savoir le changement climatique, face auquel nous perdons beaucoup de temps du fait de votre aveuglement idéologique et de la poursuite des vieilles recettes. Songeons-y : avec la transition énergétique, la transition agricole, la relocalisation de notre activité, l'économie de la mer, ce sont des centaines de milliers, voire plusieurs millions d'emplois nouveaux qui attendent d'être créés. Au lieu de quoi, la seule trajectoire que vous nous proposez de suivre demeure la compétition, la concurrence et la réduction des coûts.
Votre politique de l'emploi tient sur deux jambes, mais elle ne marche pas. La première jambe, c'est la réduction des droits des travailleurs : vous vous figurez, en dépit du bon sens, qu'il existe un lien entre la réduction des droits des travailleurs dans l'entreprise et le niveau d'emploi. Nous aurons l'occasion d'en discuter tout à l'heure lorsque nous évoquerons les résultats de l'application de vos ordonnances réformant le code du travail. La deuxième jambe, c'est l'incitation fiscale sans contrepartie et les cadeaux aux plus gros détenteurs de capital, dans l'espoir qu'ils rejaillissent, de manière presque magique, sur l'emploi. Vous avez ainsi supprimé l'impôt de solidarité sur la fortune – ISF – en nous promettant la relance des investissements productifs. Mais depuis cette suppression, les investissements dans les PME ont reculé de 70 % ! Vous avez pérennisé le crédit d'impôt compétitivité emploi – CICE – en le transformant en une baisse des cotisations sociales, mais cela coûte très cher : 200 000 euros en moyenne l'emploi créé ou maintenu !
Sur le front de l'emploi, s'il y a donc une chose à souhaiter pour cette nouvelle année, c'est que vous changiez de braquet.
Puisque j'en suis certain, je ne vais pas le taire : si nous étions aux affaires, nos résultats seraient bien meilleurs que les vôtres.
Exclamations et rires sur les bancs du groupe LaREM.
Nous ne renonçons pas au plein-emploi et, pour cela, la feuille de route est toute tracée. Il faut partager le temps de travail, et non allonger sa durée, comme vous vous apprêtez à le faire avec la réforme des retraites. Il faut rompre avec le libre-échange, que vous consolidez et continuez de développer. Il faut augmenter les salaires, car c'est la condition du nécessaire partage des richesses et une garantie pour la consommation populaire. Il faut investir massivement et faire bifurquer radicalement les politiques publiques vers la planification écologique.
Mais j'ai sans doute assez parlé, assez troublé la fête.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
La crise sociale actuelle souligne que l'emploi et la retraite sont des piliers séculaires et interconnectés de nos sociétés. Or, bien que leur centralité soit admise par tous, de fortes disparités catégorielles et territoriales subsistent.
Par exemple, au troisième trimestre 2019, la Martinique comptait 51 500 demandeurs d'emploi toutes catégories confondues, soit une hausse de 0,6 %. Si l'on tient compte de la seule catégorie A, la hausse est de 0,3 % ; elle est de 0,2 % chez les hommes et de 0,4 % chez les femmes ; de 0,9 % chez les moins de 25 ans et de 1 % chez les plus de 50 ans.
Parallèlement, et paradoxalement, l'île a perdu 15 827 habitants entre 2011 et 2016, majoritairement des jeunes. Je vous laisse imaginer à quel niveau culminerait le taux de chômage si tous ces jeunes étaient restés sur place !
Cette situation surréaliste découle du fait que les politiques successives de l'emploi ont été, de tout temps, totalement déconnectées des contraintes de nos territoires : entre autres, un tissu économique composé à près de 90 % de très petites entreprises et de travailleurs indépendants, un record de créations mais aussi de destructions d'entreprises, une continuité territoriale qui n'est autre qu'un levier de migration, un taux de chômage moyen de 18 %, inconcevable dans l'hexagone.
La double crise – la double peine – économique et démographique exige donc des réponses de choc pour stopper la fuite des forces vives, la chronique d'un génocide économique programmé. Nos territoires n'en peuvent plus d'un service minimum républicain. Dans l'hexagone se multiplient les initiatives pour réduire, coûte que coûte, un taux de chômage de 8 %, considéré comme offensant. Huit pour cent ! Que dire alors lorsque ce taux atteint 18 % !
Nos populations aspirent à vivre chez elles, refusant le pis-aller de l'exode ou la fatalité ultramarine du chômage. Objectivement, les politiques nationales, de tous les temps et de toutes les tendances politiques, nous ont traités comme de simples appendices, lointains, trop différents, trop encombrants pour espérer une meilleure considération.
Nous en appelons donc au droit à une discrimination positive, afin de contrer les inégalités qui nous frappent et le risque de décohésion sociale, voire de chaos qui nous menace.
Décréter cause prioritaire le droit à l'emploi est une urgence si l'on veut permettre aux populations de se projeter dans l'avenir. Une politique de l'emploi systémique, adaptée et efficace doit être inclusive, afin de répondre efficacement aux enjeux actuels, notamment au déclin démographique, en s'appuyant sur une véritable politique des âges et de la famille, à travers l'accompagnement de nos aînés. À compétence suffisante, il faut donner la priorité à l'embauche locale. Il convient de rompre avec une vision éculée de la prétendue égalité républicaine.
L'intégration effective des Antilles dans le bassin caribéen est un dû, un processus naturel inéluctable, qui relève du bon sens. Pourquoi vouloir contrarier cette évolution ? Les tarifs aériens doivent être ajustés aux besoins de notre économie. La politique de mobilité doit être un outil permettant de sortir de l'exclusif colonial, décrété par Colbert et qui se perpétue aujourd'hui encore ! Elle doit favoriser le développement de courants d'affaires entre les îles de la Caraïbe.
Un billet d'avion de Fort-de-France à Pointe-à-Pitre ou à Cayenne atteint aujourd'hui des prix démesurés, exorbitants.
Une politique de l'emploi systémique, adaptée et efficiente doit innover. Il faut actionner les leviers offerts par nos territoires : ils ont les ressources nécessaires pour bâtir leur avenir. Une nomenclature adaptée à notre tissu économique peut assurer la pérennité de nos entreprises. Ces entreprises mêmes doivent être sanctuarisées, protégées contre les liquidations abusives, occasionnant en outre le non-paiement de leurs cotisations et de leurs charges patronales dans le délai imparti, liquidations qui résultent très souvent soit du boycott des banques, soit des retards voire des défauts de paiement des administrations de l'État ou des collectivités exsangues.
Une politique de l'emploi systémique, adaptée et efficiente doit être endogène, afin de créer un modèle socio-économique viable, intégrant nos particularités, reposant sur la reconnaissance des acteurs locaux et de leur légitimité à vivre et à s'épanouir chez eux, ainsi que sur la valorisation des expertises territoriales dans l'élaboration des politiques de développement. Arrêtez de croire que tous les bienfaits, toutes les bénédictions vont nous tomber de Paris !
Oui, monsieur le président. Emblème d'un modèle dominant schizophrène, le copier-coller des politiques nationales est une absurdité dans ces territoires résilients, qui sont capables de prendre en charge leur développement harmonieux. Gardons à l'esprit cette citation d'un illustre Martiniquais qui m'a précédé sur ces bancs, Aimé Césaire : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI. – M. Boris Vallaud applaudit également.
La politique de l'emploi et donc la lutte contre le chômage de masse constituent un enjeu majeur pour notre pays et l'une des priorités de ce quinquennat, tant les défis auxquels nous devons faire face sont considérables. À ces défis s'ajoutent des mutations économiques, technologiques, numériques et environnementales qu'il est nécessaire d'anticiper, car c'est ainsi que nous garantirons les emplois de demain. Il nous faut être réactifs, et à la hauteur des attentes de nos concitoyens. Aussi devons-nous poursuivre les réformes qui se sont imposées à nous.
Réformer la politique de l'emploi, c'est avant tout lutter contre la précarité et donc contre la pauvreté, mais surtout donner à toutes et à tous la chance d'accéder à un avenir professionnel où chacun pourra s'épanouir pleinement. Depuis maintenant plus de deux ans, le Gouvernement a mené des réformes d'envergure : je pense aux ordonnances de la loi travail, à la réforme du dialogue social ou encore à la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises – loi PACTE – qui a simplifié la vie des entreprises et contribué au renforcement de la croissance.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Autant de leviers qui ont permis la création de nombreux emplois et la redynamisation de l'économie de nos territoires.
Ne vous en déplaise, mes chers collègues, le constat est aujourd'hui sans équivoque. Les résultats sont bel et bien là !
Plus de 500 000 emplois ont été créés durant ces deux dernières années.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
L'industrie recrute à nouveau, depuis 2018, après une quinzaine d'années de décrue quasi ininterrompue.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Les investissements, contrairement à ce qui a été dit, augmentent. Oui, ils augmentent !
Tout va très bien, madame la marquise ! De toute manière, il n'y avait rien avant vous !
Le taux de chômage a atteint au deuxième trimestre 2019 son point le plus bas depuis la crise de 2008. Le taux d'emploi en contrat à durée indéterminée – CDI – ne cesse de progresser.
Une politique de l'emploi stable implique des mesures pérennes, avec pour objectif l'emploi durable. C'est la raison pour laquelle notre majorité a soutenu le Gouvernement dans sa réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage, véritable révolution copernicienne qui a placé l'individu au coeur de son parcours professionnel, en donnant à chacun la possibilité et les moyens de choisir son avenir.
L'investissement dans les compétences constitue un levier majeur en faveur de l'emploi durable et contribue à la lutte contre le chômage de masse. Les moyens déployés sont sans précédent : je pense entre autres au plan d'investissement dans les compétences, à hauteur de 15 milliards d'euros sur cinq ans.
Investir dans la formation professionnelle, c'est également agir en faveur des personnes les plus vulnérables et les plus éloignées de l'emploi : c'est cela, la justice sociale. C'est aussi résoudre ce paradoxe qui n'a que trop duré : la coexistence du chômage et de nombreux métiers en tension, de milliers de postes non pourvus, faute de compétences adéquates mais aussi à cause de difficultés de mobilité auxquels nous essayons de répondre grâce à l'aide au permis de conduire pour les apprentis.
Quand il n'y a pas de métros, on voit tout l'intérêt de passer le permis de conduire…
Aussi je me réjouis des choix qui ont été faits, notamment concernant les jeunes, dont le taux de chômage ne cesse de baisser. Là encore, c'est une première.
Le nombre d'apprentis a augmenté de manière significative, tout comme le nombre des CFA.
De plus, pour renforcer la création d'emplois durables, nous avons pourvu de moyens importants des dispositifs qui fonctionnent, qui donnent des résultats : l'insertion par l'activité économique, les écoles de la deuxième chance, la garantie jeunes. La généralisation, cette année, des emplois francs est un signal fort à l'adresse des jeunes vivant dans des quartiers dont il faut bien avouer que les habitants sont encore trop souvent et malheureusement victimes de discriminations.
Oui, cette majorité soutient la politique menée par le Gouvernement, une politique ambitieuse et volontariste, tournée vers l'avenir, qui répond aux enjeux du marché du travail actuel. Compte tenu de leurs résultats positifs, ces mesures et ces réformes devront maintenant faire l'objet d'une évaluation approfondie, notamment le compte personnel de formation, dont l'application mobile a été lancée récemment.
En guise de conclusion, je souhaiterais insister sur l'importance cruciale du renforcement du service public de l'emploi…
… ainsi que de notre politique d'accompagnement, entre autres grâce au conseil en évolution professionnelle. Ce sont deux conditions indispensables à l'efficience de la politique menée depuis plus de deux ans, et j'espère que le Gouvernement continuera de s'engager en ce sens.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, vous voudrez bien m'excuser de prendre la parole depuis mon banc. Une fois n'est pas coutume : tout en m'efforçant de faire de la prévention, j'ai malheureusement augmenté d'une unité le nombre d'accidents du travail dans ce pays.
Nous vous souhaitons un prompt rétablissement, madame la ministre. Très sincèrement.
En tout cas, ce n'est pas la politique du Gouvernement qui va remarcher !
Je commence par vous souhaiter à tous, ainsi qu'à vos collaborateurs, une excellente année 2020.
Je remercie les groupes La République en marche, La France insoumise et Socialistes et apparentés, grâce auxquels se succéderont cet après-midi trois débats concernant le domaine du travail. Cette semaine de contrôle parlementaire me fournit l'opportunité de mettre en évidence les premiers fruits d'une politique dans laquelle le Président de la République, le Gouvernement et la majorité se sont engagés avec vigueur : une politique de lutte contre la fatalité.
Je me rappelle très bien qu'il y a deux ans et demi, on nous disait que 9 % ou 9,5 %, c'était en France le taux de chômage structurel. Nous n'avons pas cru à cette fatalité, nous ne nous sommes pas résignés et nous le prouvons, étape par étape.
Ces débats me donnent également la possibilité de partager avec vous ce qui a trait à l'exécution des mesures. Je ne crois qu'à ce qui arrive à la fin : il faut des lois, mais il faut surtout les exécuter, apporter quelque chose à nos concitoyens, sur le terrain.
Encore une fois, nos convictions sont bien établies : le chômage de masse ne constitue pas une fatalité ; nul n'est inemployable ; il faut accompagner les acteurs économiques privés par des politiques publiques vigoureuses et parfois correctrices. Cela suppose une certaine méthode, qui fait intervenir beaucoup de travail sur le terrain – vous avez plusieurs fois évoqué la question des territoires et j'y reviendrai – et beaucoup de dialogue avec les acteurs, avec les citoyens.
On peut innover. Dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences par exemple, un groupe de citoyens concernés – jeunes n'ayant encore jamais travaillé, chômeurs de longue durée, personnes en insertion – évalue les programmes qui sont proposés. De nouveaux outils donnent aux entreprises, aux associations, aux formateurs, les moyens d'avancer plus vite. Enfin, l'expérimentation et l'évaluation me paraissent essentielles.
Où en sommes-nous ? Les premiers résultats sont positifs, encourageants, mais nous ne sommes pas arrivés au terme du chemin. En tant que citoyens, nous pouvons nous réjouir pour le pays de la création d'emplois nette : 540 000 emplois en deux ans et demi, comme l'a souligné Fadila Khattabi, dont 258 000 en 2019. Cette croissance de l'emploi est liée à la meilleure santé des acteurs économiques, des entreprises, mais également à l'environnement plus favorable qui résulte des politiques publiques, des ordonnances réformant le code du travail, de la loi PACTE, des baisses de charges et de taxes.
Ce qui est intéressant, c'est que cette création d'emplois a lieu dans un contexte où la croissance économique est plus riche en emplois que par le passé, selon les experts. Notre but est évidemment que cette croissance se transforme en emplois. Je vous accorde que le taux de chômage est encore beaucoup trop élevé dans notre pays, mais il est passé de 9,6 % à 8,6 %, ce qui est son niveau le plus bas depuis dix ans. Ce n'est pas assez, mais c'est encourageant et nous ne comptons pas en rester là. Contrairement à ce que disent certains, il ne s'agit pas que de statistiques : il s'agit d'hommes et de femmes, de 300 000 demandeurs d'emploi qui ont retrouvé un travail, de 300 000 familles dont la vie a changé. C'est cela qu'il faut saluer.
Francis Vercamer et Stéphane Viry ont à juste titre souligné ce paradoxe : une entreprise sur deux a du mal à recruter, soit parce que les compétences qu'elle recherche ne sont pas disponibles, parce que l'offre ne correspond pas à la demande, soit pour des questions de mobilité, de gardes d'enfant ou autres. Il y a donc encore à faire, mais, si vous me permettez l'expression, nous en avons encore sous le pied – celui que je ne me suis pas cassé.
Sourires.
En matière d'apprentissage, je voudrais insister, après Fadila Khattabi, Carole Grandjean et Patrick Loiseau, sur le fait que nous nous situons dans une dynamique historique : 458 000 apprentis au mois de juin, c'est le chiffre le plus important que la France ait jamais connu. Je suis sûre que nous devons et que nous pouvons aller encore plus loin.
Certaines régions avaient bien travaillé ; d'autres ont vu leur nombre d'apprentis baisser fortement. Les résultats ont été très inégaux d'une région à l'autre. Par exemple, le 26 novembre dernier, j'étais dans les Pyrénées-Atlantiques pour y rencontrer les directeurs des 150 CFA, qui sont très impliqués : le département a vu le nombre de ses apprentis augmenter de 19 % en un an.
Ce nombre augmente aussi pour les maisons familiales rurales : on nous avait prédit que nous allions tuer l'apprentissage dans le secteur rural, il est au contraire en plein développement. Même constat pour les compagnons du devoir – 27 % d'augmentation – , les chambres des métiers, l'industrie – 10 % d'augmentation. Malheureusement, cette expansion a lieu en dépit des régions : en 2019, presque toutes ont diminué leurs subventions aux CFA, brutalement, alors que l'apprentissage relevait pleinement de leur compétence et qu'elles avaient plus d'argent que jamais à y consacrer. Nous avons dû remédier à un certain nombre de dysfonctionnements dus à cela.
Carole Grandjean l'a souligné, nous ouvrons plus grandes encore les portes de l'apprentissage aux jeunes handicapés. Beaucoup reste à faire mais nous nous en sommes donné les moyens grâce à la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Parmi les nouveautés, signalons encore le lancement, le 21 novembre dernier, de l'application Mon compte formation. Ce nouveau service public offre pour la première fois un vrai droit à la formation. Nos concitoyens, sans autorisation préalable, pourront exercer directement leur droit à la formation. Ce droit est essentiel à l'heure où les mutations sont en constante évolution. Certains doutaient de la réaction des Français mais le 3 janvier, à savoir six semaines plus tard, l'application avait déjà été téléchargée à 750 000 reprises et 58 000 personnes se trouvaient inscrites dans des cycles de formation.
C'est une bonne chose pour notre pays, et surtout nos concitoyens. Ces excellents chiffres nous invitent à poursuivre notre engagement.
Je voudrais à présent développer plusieurs axes qui me permettront de commencer à répondre aux questions posées, que nous pourrons approfondir ensuite à l'occasion de la séance de questions-réponses.
Tout d'abord, nous devons consolider et amplifier la mise en oeuvre opérationnelle de ces transformations.
Certains sujets concernent directement les citoyens et les services territoriaux sont particulièrement attentifs, sur le terrain, à leur exécution. L'apprentissage en est un. Le plan d'investissement dans les compétences, Mme Fadila Khattabi l'a rappelé, représente un investissement sans précédent de 15 milliards d'euros, mais ce sont avant tout ses bienfaits pour nos concitoyens qui importent. Or, en 2019, 451 000 personnes sont entrées en formation, ce qui est une forte progression, sachant que l'acquisition de compétences est une clé extrêmement importante de lutte contre le chômage.
Le taux de chômage est de 6 % pour les personnes qualifiées en France, et de 2,8 % pour les cadres. Il est en revanche de 18 % pour celles sans qualification, que l'on retrouve majoritairement dans les emplois précaires, les moins rémunérés et offrant le moins de perspectives. Se battre pour les compétences, c'est se battre pour l'emploi, la promotion sociale et le droit de chacun d'évoluer dans sa vie professionnelle. Francis Vercamer a souligné à juste titre l'importance d'accentuer notre travail en faveur de l'acquisition des compétences pour lutter contre le chômage.
Bien évidemment, il faut relier cet engagement aux enjeux économiques pour être efficace. C'est pourquoi les mesures du plan d'investissement dans les compétences destinées à accompagner la transition écologique, la transition numérique et l'innovation sociale sont cruciales. Je pense au programme « 100 % inclusion » destiné aux plus vulnérables ou aux écoles Cuisine mode d'emploi(s), qui permettent de faire profiter des bienfaits de l'innovation ceux qui en ont le plus besoin.
Nous opérons une différenciation territoriale dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences. Jean-Philippe Nilor soulignait avec raison le besoin plus important en compétences dans les territoires en grande difficulté où le taux de chômage est extrêmement élevé. Ainsi, nous consacrons 1,1 % de la totalité des crédits du plan d'investissement dans les compétences à la Martinique, qui ne compte pourtant que 0,6 % de la population française. Les résultats sont au rendez-vous, du reste, puisque nous comptabilisons 7 400 entrées en formation, ce qui dépasse largement les objectifs. Ne serait-ce que pour la Martinique, nous apportons 69 millions d'euros à ce plan, qui s'ajoutent aux efforts consentis par les régions.
Citons encore, parmi les mesures destinées à concrétiser nos objectifs, les emplois francs, l'index de l'égalité professionnelle, sur lequel je reviendrai, les mesures pour l'assurance chômage des démissionnaires et des indépendants et toutes les actions que nous menons auprès des jeunes sans emploi et sans qualification.
Nous avons déconcentré de nombreuses activités auprès des préfets qui, grâce au fonds d'inclusion dans l'emploi, peuvent jouer sur la palette des dispositifs et les adapter selon les besoins des territoires.
Notre deuxième axe de mise en oeuvre s'articule autour des efforts que nous devons consentir pour rendre la croissance plus inclusive. Patrick Loiseau a rappelé les nombreuses inégalités qui perdurent et les progrès qui restent à faire. L'action publique est nécessaire car les règles du marché ne suffiront pas à ramener vers l'emploi ceux qui en sont le plus éloignés. Il nous revient de leur donner leur chance.
Dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, nous menons un pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique au service d'une société inclusive, chère à plusieurs d'entre vous, qui a été présenté au Président de la République le 10 septembre dernier à Bonneuil-sur-Marne. Rappelons d'ailleurs que la loi de finances pour 2020 prévoit d'augmenter massivement le financement des aides au poste dans les structures de l'insertion par l'activité économique – IAE. Pour la première fois, il dépassera 1 milliard d'euros. C'est essentiel : personne n'est inemployable, mais il faut parfois un marchepied – en matière de formation, d'accompagnement, de situation de l'emploi – pour accéder à l'emploi. Les résultats de l'insertion par l'économie sont excellents puisque deux personnes sur trois parviennent à obtenir une qualification et retrouver le chemin de l'emploi.
La nation réalise là, avec raison, un véritable investissement social.
Concernant toujours l'inclusion, nous menons, depuis le 1er janvier, la réforme de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés – OETH – et nous poursuivons l'engagement « Cap vers l'entreprise inclusive 2018-2022 ». Carole Grandjean a évoqué ce sujet essentiel. L'entreprise n'est pas assez inclusive aujourd'hui, notamment à l'égard des personnes handicapées.
Nous avons signé, le 12 juillet 2018, avec l'Union nationale des entreprises adaptées, APF France handicap et l'Unapei – Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis – un plan ambitieux pour porter de 40 000 à 80 000 le nombre d'emplois adaptés. De son exécution dépendra notre réussite.
Je reviendrai plus longuement, si vous le souhaitez, sur les progrès réalisés dans le domaine des emplois francs, généralisés depuis le 1er janvier à l'ensemble des quartiers prioritaires de la ville, ainsi que sur les parcours emploi compétences, en plein régime de vitesse, la garantie jeunes ou les efforts accrus en direction des missions locales, les écoles de la deuxième chance, l'EPIDE – Établissement pour l'insertion dans l'emploi – ou les écoles de production.
Joël Aviragnet et d'autres ont cité l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ». Le budget de mon ministère traduit notre soutien à cette démarche, principalement financée par le ministère du travail. Les crédits augmentent fortement pour 2020. La mobilisation au plan local des élus locaux et des acteurs économiques, vous l'avez souligné, est particulièrement intéressante.
Comme pour toute expérimentation qui n'en est qu'à mi-parcours, il faut prendre du recul pour l'évaluer, l'améliorer, partager le diagnostic. C'est dans ce but que j'ai réuni le 25 novembre dernier les initiateurs du projet et un comité scientifique ainsi que des inspecteurs de l'inspection générale des affaires sociales. Ils ont procédé à trois évaluations que nous avons confrontées. C'est une approche inédite et intéressante car nous ne travaillons pas ainsi d'habitude. Ils réfléchissent à un diagnostic que je souhaite le plus partagé possible pour pouvoir, d'ici quelques semaines, proposer des pistes d'évolution et de développement de cette expérimentation.
Enfin, pour poursuivre la lutte contre la précarité et lever les freins à l'emploi, nous devons responsabiliser les acteurs. Ce matin étaient publiées 563 912 offres d'emploi sur Pôle emploi. Comment les pourvoir ? Ce volume d'offres est très important mais beaucoup demeurent non pourvues. Les demandes sont tout aussi importantes et ne rencontrent pas toujours une offre.
Le président Philippe Vigier a souligné les grandes différences entre les territoires dans ce domaine. En métropole, le taux de chômage peut passer d'un département à l'autre de 6 à 14 %, et dépasser 20 % dans plusieurs départements d'outre-mer. Dans tous les cas, ces chiffres doublent pour ce qui concerne les jeunes.
Au-delà des actions que nous menons dans les territoires, la réforme de l'assurance chômage permettra de mobiliser des leviers d'action, notamment en offrant beaucoup plus de services sur-mesure aux entreprises et aux demandeurs d'emploi.
Les expérimentations menées en ce sens à Nice, au niveau des offres d'emplois, se sont avérées concluantes et nous allons les généraliser dans le cadre de la réforme de l'assurance chômage. Le processus a commencé dès le 1er janvier 2020 et nous allons le poursuivre tout au long de l'année. Les offres seront proposées d'une manière plus précoce et intensive aux demandeurs d'emploi mais aussi aux entreprises, de sorte que, si elles n'ont pas trouvé au bout de trente jours, elles puissent bénéficier d'une aide renforcée.
Depuis le 1er janvier, le système de bonus-malus sur les emplois précaires et les mi-temps est installé ainsi que la taxe CDDU – contrats à durée déterminée dits d'usage – que vous avez votée dans la loi de finances. Ces mesures nous permettront de mieux lutter contre la précarité excessive. Il est en effet anormal et choquant que 87 % des contrats de travail soient des CDD courts ou en intérim. Nous voulons responsabiliser les employeurs à ce sujet.
Concernant l'approche territoriale, je répondrai à Philippe Vigier et beaucoup d'entre vous que j'ai lancé avec Agnès Pannier-Runacher et Emmanuelle Wargon, sous l'égide du Premier ministre, un Tour de France des solutions. Nous avons récolté une cinquantaine de pratiques particulièrement innovantes, qui impliquent toutes les acteurs économiques, les élus locaux, Pôle emploi et les autres acteurs de l'emploi. C'est important car les freins à la reprise de l'emploi varient selon les territoires. Le problème de la compétence est récurrent dans tous les territoires mais celui de la mobilité peut prendre une importance particulière dans certains, tandis que d'autres seront plus concernés par celui de l'hébergement lorsque l'emploi est surtout saisonnier, ou encore la garde d'enfants, qui empêche beaucoup de femmes de retrouver un emploi. Les différentes solutions qui émergent au niveau local sont précieuses et ont vocation à être développées dans l'ensemble du territoire.
J'en viens à l'emploi des seniors. Nous y reviendrons dans quelques instants mais également dans les prochaines semaines. C'est un sujet essentiel de nos politiques, notamment au niveau du plan d'investissement dans les compétences et de celui pour l'inclusion dans l'emploi. Le taux de chômage des seniors, de l'ordre de 6 %, est inférieur à la moyenne, mais les seniors qui se retrouvent au chômage éprouvent les plus grandes difficultés à retrouver un emploi. C'est un problème culturel en France : les employeurs écartent les jeunes et les seniors. Nous ne devons pas accepter cette spécificité française comme une fatalité et allons continuer, au contraire, à la combattre. J'y reviendrai.
Nous aurons l'occasion d'aborder le sujet de la pénibilité à l'occasion du troisième débat, autour des ordonnances de la loi travail.
Dans le bilan d'étape concernant l'emploi et le pouvoir d'achat, il ne faut pas oublier l'obligation de résultat en matière d'égalité professionnelle, votée dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Toutes les entreprises de plus de 250 salariés doivent calculer et publier leur index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Cette obligation sera étendue aux 40 000 entreprises de plus 50 salariés au 1er mars. Nous avons prévu un important dispositif pour accompagner les PME.
Concernant les entreprises de plus de 250 salariés, le premier bilan témoigne de la pertinence de l'index puisqu'il met en évidence ce que l'on pressentait : sur 7 000 entreprises, seules 167 ont 99 ou 100 points, autrement dit pratiquent l'égalité, tandis que 17 % sont dans la zone rouge et ne respectent pas du tout cette obligation.
Nous verrons bientôt ce que donne la deuxième étape, plus ambitieuse. Nous restons mobilisés, d'autant plus que le projet de loi pour l'égalité entre les hommes et les femmes dans l'économie, porté par Bruno Le Maire et Marlène Schiappa, nous offrira l'occasion de proposer des mesures pour développer les capacités économiques des femmes.
Je dirai un mot de notre ambition très forte pour l'Europe sociale et de notre volonté de renforcer notre action nationale. Le socle européen des droits sociaux est une base excellente pour accélérer la convergence sociale, facteur de la cohésion, certes fragile, de l'Union européenne. La négociation de la directive relative aux travailleurs détachés fut une première étape. Elle entrera en application au 1er juillet 2020. Nous voulons aller plus loin et travaillons avec la Commission européenne pour que tous les États se dotent d'un salaire minimum et pour faire avancer les négociations sur la révision des règlements européens de sécurité sociale. Nous ne devons pas nous contenter de l'objectif « à travail égal à salaire égal », ce qui est le sens de la directive relative aux travailleurs détachés : nous devons aussi parvenir au principe « à travail égal, coût égal », qui est loin d'être la réalité.
Enfin, nous encourageons l'Europe à investir massivement dans l'éducation et la formation professionnelle car nous croyons à la société des compétences ; nous croyons que des compétences dépend l'avenir des entreprises, des salariés et des demandeurs d'emploi.
Vous le voyez, nous faisons nôtre la formule d'Auguste Comte : « Régler le présent d'après l'avenir déduit du passé. » N'oublions pas le passé, qui est la base de départ, mais allons plus loin en réalisant notre ambition : faire de la France, forte de ses valeurs et de son histoire, un modèle social ambitieux, rénové, en phase avec les enjeux de notre temps – en partie ceux d'hier, en partie nouveaux. Nous devons, ensemble, progresser.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Nous en venons aux questions, dont la durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Patrice Anato.
La question du pouvoir d'achat et celle de la possibilité de vivre de son travail sont au coeur des préoccupations de nos concitoyens et du débat démocratique mené dans notre pays.
Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville – QPV – , l'emploi est, comme ailleurs, une préoccupation, mais la problématique est d'autant plus pertinente que le nombre de demandeurs d'emploi y est deux fois supérieur à la moyenne nationale, pouvant atteindre 31,7 % pour les personnes dont le niveau est inférieur ou égal au baccalauréat.
À ces difficultés s'ajoute la discrimination à l'embauche qui fait qu'à diplôme, âge et parcours égaux, un habitant des QPV a plus de mal à accéder au marché de l'emploi qu'un autre citoyen.
Il semble que le dispositif des emplois francs ait trouvé un écho favorable, deux ans après sa mise en place à titre expérimental, sans pour autant atteindre ses pleins effets. Les remontées du terrain font état de difficultés pour les associations et les petites structures à la suite de la réduction des contrats aidés, qui affecte leur capacité à employer des personnes souvent très éloignées de l'emploi.
En d'autres termes, vous vous êtes fait engueuler ! Bienvenue dans la vraie vie.
Bien que les emplois aidés aient eu un effet mesurable sur le chômage et la formation professionnelle, ces retours montrent que les difficultés d'accès à l'emploi subsistent dans ces quartiers. Madame la ministre, au regard de ces avancées perfectibles, quelles nouvelles étapes faut-il espérer en matière de politique de l'emploi à l'égard des quartiers prioritaires et de quelle manière pouvons-nous assurer le suivi et le pilotage des politiques de l'emploi dirigées vers la population de ces quartiers ?
Vous avez raison, monsieur Anato : les personnes résidant dans les QPV ont un taux d'activité de 59 %, contre 72 % pour les autres quartiers, et elles ont souvent un niveau de qualification et un pouvoir d'achat inférieurs, avec un moindre accès à la qualification.
Quels leviers avons-nous actionnés ? Tout d'abord, nous avons fourni un effort particulier dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences : 13,7 % des entrées en formation concernent désormais des personnes résidant en QPV, ainsi que 7 % des entrées en apprentissage, ce qui représente un point de plus qu'auparavant. Nous voulons aller plus loin en développant une offre dans les QPV : c'est le sens de la mission que j'ai confiée à Patrick Toulmet, délégué interministériel au développement de l'apprentissage dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Les jeunes issus des QPV représentent 30 % des effectifs des écoles de la deuxième chance…
… et 29 % des jeunes accompagnés par l'EPIDE. Les emplois francs ont été généralisés à tous les QPV et plus de 18 000 contrats ont été signés au 31 décembre 2019, dont 80 % de CDI. En effet, si l'on constate une réelle discrimination à l'embauche, consciente ou inconsciente, il est possible de débloquer les choses par la simple mise en contact de l'entreprise avec les personnes concernées. Pour cette raison, nous travaillons à implanter des clubs « La France, une chance. Les entreprises s'engagent ! » dans tous les départements – ils existent déjà dans plus de quatre-vingts d'entre eux et impliquent 7 000 entreprises. L'effort particulier que nous faisons à destination des QPV a pour but de donner à ces jeunes la possibilité de trouver un stage ou un apprentissage, qu'ils ne parviennent souvent pas à décrocher tout seuls, faute de réseau.
La clé, c'est de raccourcir le circuit entre l'entreprise et les habitants de ces quartiers, ce qui leur donne une vraie chance et fait de la politique de la ville un véritable levier vers l'emploi.
À poste et expérience équivalents, les femmes gagnent 12,8 % de moins que les hommes. Elles occupent moins souvent des postes rémunérateurs et sont moins représentées que les hommes dans les secteurs d'activité où les salaires moyens sont les plus élevés. Elles sont moins nombreuses à être cadres et leur expérience professionnelle est moins valorisée. Dans le contexte de la réforme des retraites actuelle, qui vise à instaurer un système plus juste et plus équitable, il me semble important de rappeler que ces inégalités salariales se traduisent dans les pensions au moment de la retraite. En effet, on constate actuellement un écart de 42 % entre le montant de la pension d'un homme et celui d'une femme.
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a créé un index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l'objectif d'éradiquer les inégalités de genre dans le monde du travail d'ici à 2022. Depuis septembre dernier, les entreprises employant plus de 250 salariés sont tenues de publier leur note. Celles qui obtiennent un score inférieur à 75 sur 100 s'exposent à une pénalité financière. Mais si les entreprises affichant un score de 99 sur 100 sont rares, rares également sont celles qui sont hors des clous : seules 17 % des entreprises affichent un score inférieur à 75 points.
Madame la ministre, le rapide état des lieux des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes que je viens de dresser est éloquent. Ma question est la suivante : comment expliquer que les notes obtenues par les entreprises ne traduisent pas cet état de fait ? Et comment rendre cet indicateur plus efficace, afin d'en faire un véritable outil au service de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Soyons clairs : l'égalité, c'est 100 sur 100. En réalité, seules 167 entreprises sur 7000 ont obtenu 99 ou 100 points. Les autres n'ont donc pas atteint l'égalité. Par conséquent, contrairement à ce que certains prétendent, l'index traduit malheureusement très bien la réalité des inégalités salariales et de carrière.
Je rappelle que l'index repose sur cinq critères : l'égalité des salaires à travail égal, les mêmes chances dans la progression de carrière, les mêmes chances d'augmentation de rémunération, le respect de la loi qui impose, au retour du congé de maternité, une augmentation égale à la moyenne des augmentations sur la période, et le nombre de femmes parmi les dix plus hautes rémunérations.
Les 17 % d'entreprises dont vous parlez – ce qui représente déjà un chiffre très important – sont en alerte rouge et doivent réagir de toute urgence. Mais les autres aussi doivent agir : les 167 bonnes entreprises pour se maintenir à niveau et rester des modèles, et toutes les autres, qui ont des progrès à faire.
Vous posez la question des moyens. Tout d'abord, le fait d'avoir inscrit la transparence de l'index dans la loi, aussi bien en interne, vis-à-vis des partenaires sociaux et du management, à qui sont fournies des informations détaillées, qu'en externe, a déjà produit des effets. Certains chefs d'entreprise ont ainsi découvert l'existence de discriminations qu'ils n'avaient pas voulues, mais dont ils ne s'étaient pas non plus préoccupés. En outre, la publication de l'index aura des répercussions sur l'attraction des talents : alors qu'une entreprise sur deux a du mal à recruter, je vous assure que les entreprises les plus inégalitaires connaîtront rapidement des difficultés, d'autant plus que les mieux notées en feront un argument de recrutement.
En ce qui concerne les entreprises plus petites, l'enjeu principal est l'accompagnement des entreprises de plus de 50 salariés, qui devront publier leur index à compter du 1er mars prochain. Au total, 4,5 millions de femmes verront leur salaire ou leur carrière sensiblement améliorés.
Madame la ministre, j'appelle votre attention sur l'automatisation des supermarchés, notamment dans le cadre d'une ouverture le dimanche. Dans mon département, en Haute-Loire, le groupe Casino a annoncé le mois dernier la mise en place d'une expérimentation tendant à ouvrir l'hypermarché Géant de Vals-près-le-Puy sans personnel, uniquement avec des caisses automatiques. Cette décision a été vivement contestée par les salariés de l'hypermarché, qui ont organisé une manifestation dimanche dernier pour en dénoncer les répercussions sur l'avenir de leurs emplois. Ne l'oublions pas : un commerce, c'est aussi un lien social. Grâce à la mobilisation locale, ainsi qu'au précieux soutien du président de la région Auvergne-Rhône-Alpe Laurent Wauquiez, cette décision a finalement été suspendue. Pour autant, le groupe Casino ne remet pas en question le principe de l'expérimentation du « tout automatique ».
Madame la ministre, la pérennisation de cette décision fragiliserait encore davantage le commerce de proximité. Il est évident que les commerces de centre-ville et de centre-bourg, poumon de la vie locale, souffriront de cette concurrence déloyale. C'est également une question de responsabilité pour chacun d'entre nous, un devoir de citoyen. La généralisation des caisses automatiques dans les supermarchés déshumanise la relation commerciale : une caisse automatique remplace environ 100 emplois, mais elle ne remplace ni l'écoute, ni le dialogue humain.
Par ailleurs, alors que la menace terroriste reste d'actualité, la diminution du personnel de sécurité pose problème.
Madame la ministre, quelle est la position du Gouvernement sur l'ouverture des supermarchés le dimanche ? Comment s'assurer qu'elle ne fasse pas une concurrence trop importante aux commerces de proximité et ne mène pas à la suppression massive des emplois existants ?
Madame la ministre, que souhaitez-vous offrir aux générations futures : est-ce une société déshumanisée dans laquelle l'être humain passe au second plan ? Cette société-là, les Français n'en veulent pas ; nous le constatons tous les jours à travers le besoin de retour aux sources des jeunes générations.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La loi sur le travail dominical est claire et je crois que nous en partageons le sens : elle dispose que, exception faite des commerces alimentaires, qui sont autorisés à ouvrir le dimanche matin, et des métiers à sujétions particulières, le dimanche est un jour où l'on ne travaille pas. On ne peut donc pas ouvrir les autres commerces le dimanche, sauf dans le cadre des douze journées accordées par le maire.
La nouveauté du sujet que vous évoquez tient au fait que certaines enseignes ont décidé d'ouvrir le dimanche après-midi sans personnel aux caisses – le personnel de sécurité étant autorisé à travailler le dimanche, pour des raisons évidentes. La première fois que cela s'est produit, l'inspection du travail est allée vérifier si personne ne travaillait, ni dans les rayonnages, ni aux caisses. En effet, dans une grande surface, il n'y a pas que des vigiles et je vous assure que nous serons intraitables sur le respect du droit : un vigile n'est pas une hôtesse d'accueil, il n'a pas à répondre aux clients, ni à replacer les produits tombés dans les rayons.
D'autres questions se posent, comme l'évolution de la grande distribution, qui a des conséquences importantes en matière d'emploi. Puisque vous avez fait allusion à la politique positive menée par le conseil régional de la région Auvergne-Rhône-Alpes, permettez-moi de dire qu'il faut aussi être cohérent. Ainsi, je regrette que la région ait diminué de 64 % le nombre de formations destinées aux demandeurs d'emploi depuis 2015 : alors qu'elle était la première région de France pour la formation des demandeurs d'emplois – Auvergne et Rhône-Alpes cumulés – elle n'est désormais plus que la onzième.
Certes, il faut défendre l'emploi dans les supermarchés, mais il faut aussi défendre les plus vulnérables.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Madame la ministre, je souhaite pour ma part vous alerter sur ce que les entreprises appellent, sur le terrain, la taxe Pénicaud. Il ne vous aura pas échappé que, depuis le 1er janvier dernier, en vertu d'un article de la loi de finances 2020, une taxe de 10 euros doit être versée à la signature de tout CDD d'usage…
… quelle que soit l'entreprise – hôtel, café, traiteur, brasserie, organisateur de réceptions… – et indépendamment de la durée du contrat – quelques heures ou quelques jours. Depuis des mois, les entreprises vous alertent sur les conséquences concrètes de cette taxe, relayées par des députés du groupe Les Républicains et du groupe UDI-Agir notamment. Nous avons combattu la création de cette taxe à l'automne dernier lors du débat sur le projet de loi de finances mais, comme souvent, hélas, vous n'avez rien voulu entendre.
Si je reviens à la charge aujourd'hui, c'est en raison d'un élément nouveau qui ne vous a, je pense, pas totalement échappé : du fait de la méthode malencontreuse qui a conduit le Gouvernement à proposer une pseudo-réforme des retraites, notre pays connaît beaucoup de blocages et de grèves. Pour les entreprises, c'est donc la double peine : à la taxe Pénicaud s'ajoute une baisse considérable du chiffre d'affaires, du fait des blocages.
Vous l'aurez compris, je vous appelle ici à faire preuve de bon sens, à adapter ce dispositif, à nous soumettre un projet de loi tendant à supprimer la taxe ou tout du moins à décaler sa date d'entrée en vigueur. Ainsi, les entreprises ne seront plus soumises à une double peine d'autant plus absurde qu'elle ne créera aucun emploi.
Aucun traiteur, aucun restaurant ne « cédéisera » miraculeusement un employé qu'il embauche aujourd'hui en contrat d'extra !
La taxe Pénicaud illustre la méthode suivie par le gouvernement Macron : une méthode technocratique, déconnectée des enjeux économiques et du terrain. Vous avez beau lever les yeux au ciel, madame la ministre…
Pourquoi cette taxe ? Je le redis : c'est parce que le secteur privé ne le fait pas de sa propre initiative que la puissance publique vient réguler le recours massif à l'emploi précaire.
Les autres pays européens n'ont pas un taux d'emploi précaire aussi élevé. Ce n'est donc pas une fatalité économique. Quand 87 % des embauches se font en CDD très court ou en intérim, quand un tiers des CDD sont conclus pour une durée d'un jour ou moins, quand le nombre de CDD d'usage explose – ils représentaient 8 millions d'embauches sur les 37 millions du pays en 2017 – c'est que quelque chose ne tourne pas rond dans le marché du travail.
Je regrette que la puissance publique soit obligée de réguler ; seulement, lorsque la régulation ne s'installe pas d'elle-même, c'est son rôle de provoquer un changement de comportement des acteurs, à l'aide de mesures incitatives et, parfois, pénalisantes.
S'agissant de la taxe sur les CDD d'usage, la mesure que nous avons inscrite dans la loi prévoit que s'il existe un accord de branche améliorant la situation des personnes embauchées en CDD d'usage – par exemple par l'octroi de prime, l'accès à la formation ou la possibilité d'être embauchée en CDI après plusieurs contrats en CDD – , alors les entreprises peuvent échapper à la taxe. Vous comme moi, nous ne pouvons pas considérer que la situation est normale lorsque quelqu'un signe 54, voire 180 contrats successifs ! Je pense que le marché du travail peut s'organiser autrement – et j'ai suffisamment d'expérience pour le dire pragmatiquement, sans technocratisme.
Je crois que nous sommes vraiment capables d'agir sur cette question. Par exemple, la branche des déménageurs ayant signé un accord, ils ne seront pas taxés sur les CDD d'usage.
Cette taxe me semble donc une incitation au dialogue social et à la responsabilité, deux exigences sur lesquelles nous pouvons tous nous mettre d'accord.
Par ailleurs, tout comme vous, je déplore non pas la grève – c'est un droit absolu – , mais les blocages qui, depuis plusieurs semaines, mettent en péril l'activité des artisans et commerçants. Mon collègue Bruno Le Maire mène une action importante sur ce sujet. Je tiens également à rappeler aux entreprises que nous pouvons les aider très rapidement en cas de chômage partiel, en vingt-quatre ou quarante-huit heures, car nous les accompagnons évidemment en cette période extrêmement difficile.
Le groupe du Mouvement démocrate est très attaché à la formation, en particulier pour les plus éloignés de l'emploi, car elle permet à tous d'accéder à l'ascenseur social, assurant ainsi la pérennité de notre système sociétal.
Ces dernières années, les données statistiques sur la reproduction sociale en France sont inquiétantes. Un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques publié en juin 2018 a ainsi sonné l'alarme : les personnes situées en bas de l'échelle des revenus ont peu de chance de gravir les échelons, tout particulièrement en France.
Après l'assignation à résidence, c'est à l'assignation à l'emploi peu qualifié et peu rémunéré qu'il faut s'attaquer. Dans ce contexte, la formation doit être une priorité. Or si l'absence de diplôme et de formation est à coup sûr un handicap à l'accès au monde du travail, l'obtention d'un bac général, contrairement à celle d'un CAP ou d'un BEP, n'est en rien un gage de compétences pratiques permettant de décrocher un emploi. Les CAP et BEP sont en effet des formations qualifiantes qui donnent accès au plan d'investissement dans les compétences, le PIC, ce que ne permet pas le bac, alors même que les bacheliers sans qualification ont de grandes difficultés à entrer sur le marché du travail. C'est un paradoxe de la loi travail que nous avons adoptée.
C'est pourquoi je souhaiterais, madame la ministre, que nous permettions aux détenteurs d'un bac général sans qualification d'accéder aux formations du PIC. Est-il possible d'élargir le public bénéficiaire de ce fonds ?
Vous avez raison : depuis deux ou trois décennies, l'ascenseur social est largement en panne dans notre pays. Il faut en effet environ six générations pour que nos concitoyens figurant parmi les 10 % les plus pauvres puissent atteindre le niveau moyen de revenu. Dès lors, les compétences sont pour eux un sujet clé.
Pour sortir de la pauvreté, les deux principaux leviers sont la formation initiale, que vous avez évoquée, et la formation continue. Dans une société où les métiers évoluent tant qu'une personne sur deux en change dans les dix ans et que chacun en exercera quatre ou cinq dans sa vie, la formation continue est aussi importante que la formation initiale, dont elle est complémentaire.
C'est d'ailleurs pour cette raison que nous mettons le paquet sur l'apprentissage, si vous me permettez l'expression. Je rappelle que deux tiers des jeunes apprentis trouvent un emploi dans les six mois et, parmi les autres, beaucoup continuent leur formation à un niveau plus élevé.
La priorité est de donner une qualification à ceux qui n'en ont pas, quel que soit leur niveau d'études. Les niveaux inférieurs au bac, qui ont souvent été délaissés – en particulier dans certaines régions – sont particulièrement concernés. Mais la préparation opérationnelle à l'emploi – POE – , prévue dans le PIC et assurée par Pôle emploi, est également ouverte aux titulaires d'un bac général sans qualification professionnelle car, dans ce cas, il est effectivement très difficile de trouver un emploi.
Même si, à titre dérogatoire, certaines régions peuvent attribuer une POE, la demande se fait principalement auprès de Pôle emploi. Elle est en tout cas ouverte aux titulaires d'un bac général sans qualification.
Ma question, qui porte sur l'emploi des seniors, n'est pas sans lien avec celle des retraites.
Dans notre pays, le taux d'emploi des 60-64 ans est faible : un peu plus de 33 % en 2018 contre 77 % pour les 50-59 ans. Dans son référé sur les fins de carrière des salariés, rendu public en octobre 2019, la Cour des comptes s'inquiète du risque de précarité pour les seniors, qui sont les plus exclus du marché du travail, provoquant un coût croissant pour la solidarité en allocations et minima sociaux.
Aujourd'hui, plus de 900 000 personnes âgées de plus de 50 ans sont inscrites à Pôle emploi en catégorie A, un chiffre qui a plus que doublé en dix ans. Si on ajoute les personnes des catégories B et C en activité réduite, on dénombre plus d'un million de seniors à Pôle emploi. Il y a aujourd'hui plus de seniors au chômage : dans leur cas, les ruptures conventionnelles sont souvent une manière déguisée et sauvage de les mettre en préretraite.
Il y a aussi plus de seniors en chômage de longue durée : la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, indique que les seniors sont proportionnellement bien plus souvent dans cette situation que le reste de la population : 63 % des plus de 55 ans sont au chômage depuis plus d'un an, alors que ce taux n'est que de 42 % pour l'ensemble des chômeurs.
Il y a plus de précarité chez les seniors, qui sont proportionnellement ceux occupant le plus souvent des emplois à temps partiel : près d'un quart des plus de 55 ans occupent ainsi un emploi à temps partiel, contre seulement 18,5 % des travailleurs.
Enfin, il y a également plus de pauvreté chez les seniors. Selon la dernière présentation du Conseil d'orientation des retraites, le taux de pauvreté des 50 à 69 ans qui sont au chômage est de 41 %, contre seulement 5 % pour les autres retraités.
Ainsi, ma question est simple : que comptez-vous faire concrètement pour remédier à cette situation dégradée et pour maintenir les seniors en emploi ? Quelles mesures prendrez-vous pour prévenir l'usure professionnelle et la pénibilité au travail ? Pouvez-vous également nous dire, madame la ministre, combien de salariés ont bénéficié du compte professionnel de prévention, le « compte pénibilité », en 2018, après que vous avez modifié les critères de pénibilité ?
Le sujet que vous mentionnez a été évoqué hier avec les partenaires sociaux au ministère du travail, lors du lancement de la concertation sur la pénibilité et l'emploi des seniors.
Environ deux tiers des 55 à 59 ans sont en activité. C'est la moyenne européenne et compte tenu des incapacités ou conditions d'emploi particulières de certains, ce taux peut être considéré comme relativement important. Mais vous avez raison : il en est tout autrement pour les 60-64 ans, dont le taux d'activité n'est que d'un tiers.
De même, il est exact que le taux de chômage de longue durée est très élevé chez les seniors. S'il existe moins de risques de se retrouver chômeur à ce stade de sa carrière, il est en revanche extrêmement difficile d'en sortir si cela arrive. Il s'agit donc d'un véritable défi, que nous devons intégrer dans notre réflexion sur l'emploi des seniors, qu'il s'agisse de la politique de l'emploi ou de la réforme des retraites.
Plusieurs actions sont déjà menées. Dans le cadre du PIC, 24 % des demandes de formation concernent des seniors demandeurs d'emploi. Parmi les personnes embauchées par un groupement d'employeurs, beaucoup sont des seniors. Le parcours emploi compétences, sorte de contrat aidé amélioré, assorti de formations et d'un accompagnement, est suivi par 34 % de seniors, qui sont également très présents dans les dispositifs d'insertion par l'activité économique.
C'est une question très importante, car elle a des conséquences sur le niveau de pauvreté : en effet, les seniors sont souvent à temps partiel ou exercent des emplois précaires, et peuvent donc se retrouver en situation de pauvreté. C'est pourquoi nous avons ouvert hier la concertation avec les partenaires sociaux sur ce sujet. Nous nous verrons tout au long de la semaine et reparlerons mardi prochain de ce sujet prioritaire.
Au-delà des actions de droit commun, qui permettent à plus de seniors d'être accueillis, nous devons aller plus loin, vers une évolution structurelle. Il faut également changer le comportement des entreprises, qui restent encore trop dans l'éviction. Notre société doit reconnaître la valeur de l'expérience : on ne peut pas à la fois exclure les jeunes au prétexte qu'ils n'auraient pas assez d'expérience et les seniors car ils en auraient trop ! Les personnes expérimentées ont beaucoup à apporter à la société et aux entreprises : ce sera l'objet de la concertation.
Madame la ministre, le débat sur la réforme des retraites a rythmé ces dernières semaines – et ce n'est pas fini ! Il a eu des conséquences sur notre tissu économique et a beaucoup perturbé les Français, notamment dans leurs déplacements pour les fêtes de fin d'année.
L'âge d'équilibre à 64 ans est l'un des points de blocage cristallisant les tensions. Mais encore faut-il atteindre cet âge en emploi ! Selon un rapport récent de la Cour des comptes, que mon collègue Régis Juanico a également évoqué, le taux d'emploi des salariés âgés de 55 à 64 ans était de 52 % début 2019. S'il a certes progressé depuis vingt ans, il reste un des plus bas d'Europe – un triste record dont on se passerait bien.
Jusqu'à présent, les différents dispositifs n'ont pas fait preuve d'une efficacité indiscutable, et ce, d'ailleurs, quels que soient les gouvernements les ayant instaurés. Dans l'hémicycle, nous avons tous en tête des témoignages de seniors sortis de l'emploi et qui, malgré une recherche active, ne trouvent pas d'employeurs prêts à les embaucher à quelques années de leur retraite.
La Cour des comptes nous a alertés sur le risque de paupérisation de cette population, dont le nombre de demandeurs d'emploi a triplé depuis 2008. Lors des débats budgétaires, notre groupe s'inquiétait d'ailleurs que le budget de la mission « Travail et emploi » ne réponde que partiellement à la question de l'emploi des seniors, car c'est un défi que nous devons relever sans attendre.
Madame la ministre, vous avez justement annoncé hier que de grandes orientations sur le sujet figureraient dans le projet de loi de réforme des retraites, qui devrait être présenté en conseil des ministres le 24 janvier. Le rapport de Sophie Bellon sur l'emploi des seniors, dont les propositions doivent être rendues publiques la semaine prochaine, devrait permettre d'engager des discussions. Madame la ministre, pensez-vous que deux semaines suffiront pour mener à bien la concertation sur ce sujet et trouver un compromis ? Pouvez-vous d'ores et déjà nous détailler les premiers axes de réflexion du Gouvernement ?
M. Francis Vercamer applaudit.
Hier, nous avons convenu avec les partenaires sociaux qu'il fallait, sur cette question, actionner trois leviers. Tout d'abord, le changement culturel des entreprises. Il faut faire évoluer l'approche de l'emploi des seniors et mettre en valeur ce qu'ils peuvent apporter dans les grandes entreprises, mais également dans les PME et dans le tissu associatif. Ensuite, la retraite progressive. Si elle ne concerne que très peu de personnes en France en raison de plusieurs freins que nous allons chercher à lever, elle fait l'objet d'une forte aspiration sociale. Enfin, une politique de l'emploi fondée sur des mesures incitatives et d'accompagnement plus nombreuses et plus efficaces sur l'emploi des seniors.
Nous recevrons mardi prochain le rapport de Sophie Bellon. Une fois n'est pas coutume, j'ai proposé qu'il soit remis en même temps au Gouvernement et aux partenaires sociaux. Nous ne résoudrons évidemment pas tout en quinze jours, mais avec les partenaires sociaux, nous souhaitons que les grandes orientations et les premières pistes puissent être rapidement dressées, afin que les principaux thèmes soient intégrés à la réflexion dès le début du débat parlementaire.
Au cours des semaines suivantes, nous les affinerons et les documenterons pour leur donner une assise juridique. Il restera du travail à accomplir mais, d'ici deux ou trois semaines, nous devrions déjà disposer d'une vue d'ensemble sur les mesures les plus importantes que nous pouvons prendre.
Madame la ministre, je vous souhaite une bonne année 2020 et un prompt rétablissement.
Même si vous avez déjà partiellement répondu à la question, je souhaite vous interroger sur les territoires zéro chômeur de longue durée. J'insiste car il s'agit pour moi d'un moyen efficace de lutte contre le chômage structurel.
J'associe à ma question mes deux collègues Yves Daniel et Gaël Le Bohec, également députés du pays de Redon, où les communes de Pipriac et Saint-Ganton mènent une expérimentation très intéressante. Leur territoire zéro chômeur fonctionne bien car il s'agit d'un projet auquel les chefs d'entreprise, les élus, les associations et les institutions ont été associés. C'est donc d'un vrai projet commun, et ça marche.
Il s'agit d'une expérience très positive : j'ai rencontré des personnes qui ont ainsi retrouvé une dignité, la confiance en leurs capacités, mais aussi l'estime de leurs enfants – car gagner son pain, c'est autre chose que de vivre de l'aide sociale. Il se trouve que ma circonscription comprend la communauté de communes de L'Oust à Brocéliande, qui a déposé sa candidature pour expérimenter le dispositif zéro chômeur. J'insisterai d'abord, à cet égard, sur les conditions du succès : il doit véritablement s'agir d'un projet de territoire, ce qui implique de laisser en partie les territoires s'organiser en leur offrant de la souplesse.
J'insisterai ensuite sur l'évaluation du dispositif. Nous avons entendu des propos inquiétants. D'une part, certains avaient réalisé une évaluation erronée du nombre d'équivalents temps plein – ETP. D'autre part, tous les territoires n'avaient pas été évalués. Je sais toutefois que le responsable que vous avez nommé s'est déplacé à Pipriac et Saint-Ganton dans ce but. Ma question est simple : les premières estimations des résultats sont-elles positives, comme je l'espère ? Si tel est le cas, quel calendrier envisagez-vous pour répondre aux cent territoires qui ont posé leur candidature pour devenir des territoires zéro chômeur en 2020 – ou en 2021, si le processus prend du retard ?
Ce sujet intéresse le plus grand nombre car il porte sur une véritable innovation, qui trouve de surcroît son origine dans une mobilisation territoriale et locale. Comme vous le savez, je me suis rendue à Pipriac moi-même – je ne me contente pas de lire des rapports, je me rends surtout sur le terrain ! Cela m'a permis de constater à quel point la mobilisation de l'ensemble des partenaires par les élus locaux était essentielle. Nous avons reçu à ce jour trois évaluations : l'une menée par l'Inspection générale des finances – IGF – et l'Inspection générale des affaires sociales – IGAS – , la seconde par un cabinet d'experts indépendants et la troisième par l'association responsable du projet elle-même. J'ai rencontré Laurent Grandguillaume et Louis Gallois pour que nous en discutions ensemble.
Nous avons d'abord constaté que l'hétérogénéité des territoires aboutissait à des situations très différentes, par exemple entre un territoire rural dans lequel tout le monde se connaît et un quartier prioritaire de la politique de la ville. Cela ne signifie pas que le dispositif n'est pas pertinent dans les deux cas : il recouvre simplement une réalité différente. Cela confirme qu'une grande souplesse d'organisation est nécessaire – vous l'avez souligné – et signifie que le projet n'a pas la même nature en fonction des territoires.
Deuxièmement, les expériences menées sur le terrain révèlent la relative difficulté de mise en oeuvre du dispositif. Il convient en effet de trouver des activités qui répondent à des besoins sociaux non couverts mais n'entrent pas en concurrence avec les activités locales, notamment l'artisanat ou le petit commerce, afin de ne pas détruire l'emploi marchand. La ligne de crête à emprunter exige une gouvernance très proche du terrain et très fine.
L'évaluation nous a également renseignés sur le retour financier du dispositif. L'hypothèse de départ consistait à transformer des dépenses consacrées à des aides, considérées comme passives, en dépenses dites actives. Il est préférable d'être rémunéré pour son travail que d'être assisté : cela confère de la dignité, apporte un revenu plus élevé et améliore le lien social. Néanmoins, le coût actuel du dispositif s'élève pour le ministère du travail à 18 000 euros par personne et par an, auxquels il convient d'ajouter 5 000 euros au démarrage. Les différentes évaluations évoquent des montants différents mais, quoi qu'il en soit, le dispositif est loin d'atteindre le retour escompté. Cela ne signifie pas qu'un tel investissement social ne doive pas être fait ; néanmoins, ce constat est important dans la perspective d'un changement d'échelle du dispositif.
C'est la raison pour laquelle, au titre du budget 2020, nous avons décidé de doubler l'effort en élargissant l'expérimentation, qui concerne 900 ETP aujourd'hui, à 1 000 ETP supplémentaires. Surtout, nous travaillons avec les acteurs, en nous appuyant sur l'expérience, pour déterminer les conditions de réussite du dispositif et l'élargir en toute connaissance de cause.
Je vous souhaite une bonne santé, madame la ministre. J'avoue avoir été choqué de vous entendre utiliser le terme d'assistés ; je n'aime pas ce vocabulaire. Il n'y a pas d'assistés en France, il y a des bénéficiaires d'aides sociales. Peut-être y a-t-il des assistés ailleurs…
J'en viens à ma question. Depuis plusieurs mois, le Gouvernement ne cesse de se vanter d'avoir – je le cite – nettement amélioré le marché de l'emploi. Le Président de la République promet de ramener le taux de chômage à 7 % d'ici la fin de son mandat. Comme souvent, ces éléments de langage cachent une réalité quelque peu différente. Mes collègues y reviendront lors du débat qui suivra, relatif à la politique de lutte contre le chômage. Ces annonces dissimulent souvent des contrats très courts ou des périodes de formation.
Peu importe en réalité la lecture que l'on fait des chiffres publiés par l'INSEE ou Pôle Emploi : personne ne peut nier que le chômage demeure à un niveau anormalement élevé en France. Ce constat, dont je suis certain que nous le partageons tous, soulève une question : pourquoi, alors que 6 millions de personnes sont encore au chômage en France, souhaitez-vous faire travailler les actifs plus longtemps ? Pourquoi, en instaurant une retraite à points doublée d'un âge pivot, voulez-vous contraindre les gens à travailler jusqu'à 64, 65 voire 67 ans ou plus, pour percevoir une pension décente, alors que tant d'autres, plus jeunes et disponibles pour travailler, ne trouvent tout simplement pas d'emploi ? Pourquoi repousser l'âge auquel il est possible de percevoir sa retraite sans décote, alors même que les seniors éloignés de l'emploi rencontrent déjà de grandes difficultés pour retrouver du travail ?
Je ne reprendrai pas l'excellente question de notre collègue Demilly à ce sujet – à laquelle je dois dire, madame la ministre, avec tout mon respect, que votre réponse manquait singulièrement de tonus. Vous avez évoqué la nécessité de changer de culture, mais le problème reste entier. Vous semblez bien impuissante face au problème que nous affrontons. Ces questions reviennent souvent et ne trouvent jamais de réponse dans vos rangs. En effet, il n'existe pas de réponse honnête autre que celle consistant à reconnaître qu'en allongeant la durée de la vie au travail, comme vous souhaitez le faire, vous augmenterez mécaniquement le nombre de chômeurs.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Je partage une petite partie de votre constat : le taux de chômage reste très élevé en France et nous devons, et pouvons, réussir à le faire baisser. Vous avez néanmoins oublié de mentionner qu'il avait déjà bien diminué. L'atteinte d'un taux de chômage au plus bas depuis dix ans ne constitue certes pas une victoire finale dont on peut se glorifier ; on peut néanmoins se satisfaire d'un résultat d'étape pour les 300 000 demandeurs d'emploi qui ont retrouvé un emploi.
Vous établissez un lien entre le taux de chômage et la durée du travail. Cela me rappelle les débats survenus au moment du vote de la loi relative aux 35 heures.
Certains pensent que le travail est une sorte de gâteau que l'on partage, …
… dont la valeur reste constante. Or ce n'est pas la réalité économique.
Exclamations sur les bancs du groupe FI.
Il existe une dynamique qui permet, au-delà du partage de l'existant, de créer de nouveaux emplois.
Il en va de même au sujet de la durée du travail. Je suis certaine que les Français comprennent tout à fait que l'on ne peut pas avoir gagné quinze ans d'espérance de vie supplémentaires en vingt ou trente ans, sans passer proportionnellement plus de temps au travail.
C'est une question de bon sens. Ce qu'il faut, c'est déterminer comment travailler en bonne santé, comment vivre correctement avec un niveau de revenu décent. Ce sont les questions que posent nos concitoyens, à juste titre. Chacun doit contribuer, au cours de sa vie professionnelle, et travailler suffisamment longtemps pour que nous puissions atteindre notre but, celui de conserver un système par répartition dans lequel les actifs payent la retraite des retraités – à moins que vous ne proposiez qu'on abandonne le système par répartition, mais il me semble que ce n'était pas le sens de votre intervention. Nous sommes tous attachés à ce système rare. Peu de pays possèdent un système de retraite qui soit à ce point fondé sur la solidarité. La plupart ont adopté soit un système par capitalisation pure – chacun pour soi – , soit un système mixte mêlant une très faible part de répartition à une part importante de capitalisation. Il faut avoir le courage de le dire.
Je démens enfin vos déclarations, qui sont fausses, quant à un âge de la retraite qui serait repoussé à 67 ans. Au contraire, nous souhaitons ramener à 64 ans l'âge de la retraite à taux plein. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
Protestations sur les bancs du groupe FI.
Oui, les créations d'emploi ont augmenté en 2019, passant de 188 000 en 2018 à 260 000. Cependant, dans ce système de la loi de l'offre, le contrat à durée déterminée reste très largement privilégié, comme cela a été rappelé, et la précarité s'amplifie. Oui, le chômage a reculé sensiblement, mais il reste au-dessus de la moyenne européenne. La création d'entreprises gonfle ces chiffres, mais deux tiers d'entre elles disparaissent dans les trois ans suivant leur création.
Le CICE qui prend désormais la forme de baisses de cotisations sociales, aura quant à lui coûté 142 milliards d'euros au cours de l'ensemble du quinquennat, pour un rendement faible en matière d'emploi, et sans contrepartie.
Dans le même temps, les grandes entreprises mettent la pression.
Auchan a convoqué les syndicats en début de semaine pour évoquer la possible suppression de 1 000 postes. En pleine réforme des retraites, la question de l'emploi se pose plus que jamais. Et pour cause : on demande aux Français de travailler toujours plus longtemps, de tenir quelques années de plus pour espérer toucher une retraite pleine. Mais quel type de politique existe-t-il pour les seniors ? Le marché de l'emploi actuel est-il vraiment adapté aux anciens ?
Selon les chiffres de l'INSEE, le taux d'emploi des 50-64 ans s'est amélioré. Cependant, il n'est que de 30 % pour la tranche des 60-64 ans, bien en deçà de la moyenne européenne. Préjugés, pénibilité, discrimination à l'embauche, rémunération sont autant de problèmes ou de prétextes rencontrés par les seniors en recherche d'emploi, alors qu'ils sont nombreux à détenir un véritable savoir-faire. On demande aux Français de travailler plus longtemps mais les conditions actuelles d'accès à l'emploi ne sont pas adaptées aux travailleurs les plus âgés, catégorie pourtant très touchée par la précarité. Leur demander un effort supplémentaire paraît totalement déconnecté de la réalité. Alors, quelle politique de l'emploi pour tous ces oubliés ?
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Vous posez des questions importantes. M. Corbière s'étonnait que je n'aie pas été plus précise au sujet de l'emploi des seniors. C'est parce que je crois beaucoup au dialogue social et économique.
Exclamations sur les bancs du groupe FI.
Nous avons commencé nos travaux hier et avons des pistes. Pour ma part, je ne les annoncerai pas avant que nous ne les ayons coconstruites ; je ne vais pas les sortir de mon chapeau !
Sourires.
Certaines pistes auront été proposées par les partenaires sociaux, d'autres par le Gouvernement, d'autres enfin seront le fruit de notre travail commun. C'est ainsi que se déroule le dialogue social et économique. C'est la raison pour laquelle je peux aujourd'hui évoquer des grands thèmes mais pas encore de pistes opérationnelles. Nous recevrons un rapport sur le sujet mardi prochain.
Exclamations sur les bancs du groupe FI.
Nous travaillons avec les partenaires sociaux et je suis convaincue que les solutions seront plus intéressantes si elles sont construites conjointement plutôt qu'unilatérales, d'où qu'elles viennent.
Vous avez raison de souligner, comme je l'avais fait précédemment, que le taux d'activité des personnes de 60 à 64 ans ne dépasse pas 30 %. Vous avez encore raison d'indiquer que, pour satisfaire les personnes de 60 à 64 ans, qui sont nombreuses à souhaiter travailler sans pouvoir le faire, ou qui rencontrent des difficultés pour conserver leur emploi, il faut aussi faire évoluer le travail – ce qui rejoint la question de la pénibilité. Aujourd'hui, parmi les 650 000 personnes partant à la retraite chaque année, 100 000 se trouvent en situation d'invalidité ou d'incapacité partielle ; c'est un chiffre élevé. Dans le cas de l'incapacité, liée au travail, cela démontre que la prévention doit être fortement renforcée. Dans le volet de notre discussion avec les partenaires sociaux consacrée à la pénibilité, nous nous sommes entendus hier pour reconnaître l'absolue priorité devant être accordée à la prévention. C'est le sujet sur lequel nous sommes les plus mauvais en France aujourd'hui. Cela ne signifie pas qu'il n'y a rien à faire par ailleurs sur les reconversions et la réparation, mais la prévention constituera un élément essentiel du projet.
Changer le travail, c'est aussi changer l'approche du recrutement. Alors qu'une entreprise sur deux rencontre des difficultés pour recruter, notamment les plus petites, un certain nombre d'entre elles commencent à envisager de changer leur regard sur les seniors, comme nous le constatons dans les clubs d'entreprises inclusives. Certains éléments seront inscrits dans le projet de loi, d'autres feront l'objet d'engagements des partenaires. Il me semble qu'en liant pénibilité, emploi des seniors et réforme des retraites, nous avons les moyens de profiter de cette réforme pour accomplir un progrès significatif en matière de politiques de l'emploi.
C'est aux Français touchés par le chômage que je souhaite présenter des voeux de solidarité et de courage, tout en ayant une pensée particulière pour nos compatriotes ultramarins, oubliés ou méprisés au regard du taux de chômage scandaleusement plus élevé qu'ils subissent. Si l'on en croit la majorité, tout va pour le mieux sur le front de l'emploi dans la meilleure des mondialisations. Si l'on se laissait bercer par les chiffres de vos éléments de langage, on croirait que 260 000 emplois ont été créés en 2019 et que le chômage est à son niveau le plus bas depuis dix ans. Bien sûr, à part vous, personne n'y croit ! Nous connaissons la réalité derrière ces annonces : lorsque dix chômeurs sortent des statistiques, deux personnes seulement ont retrouvé un emploi. Les huit autres ont été effacées par radiation, défaut d'actualisation ou en raison de motifs nébuleux ou conjoncturels.
En vous écoutant, on pourrait croire que ce mirage de la baisse du chômage va s'accentuer. Avec votre dernière réforme comptable – que nous qualifions d'injuste et de cynique, une de plus ! – , entrée en vigueur le 1er novembre dernier, vous avez en effet durci l'accès aux allocations chômage. Vous projetez ainsi de diminuer mécaniquement de 11 % le nombre de chômeurs indemnisés, ce qui représente 236 000 personnes. Dans les faits, ces hommes et ces femmes qui ne sont pas uniquement des statistiques et des données abstraites, n'auront pas retrouvé un emploi en traversant la rue. Ils auront simplement cessé d'être indemnisés, comme d'ores et déjà la moitié des chômeurs en France.
Mieux aurait-il fallu déclarer la guerre au chômage des seniors plutôt que de vouloir à tout prix retarder l'âge de départ à la retraite des Français, comme l'illustre votre obsession, encore répétée aujourd'hui, de travailler sans limite dans le temps.
Je rappelle que 68 % des 60-64 ans n'ont pas d'emploi quand ils partent à la retraite. Avec votre fameux âge pivot, vous fabriquerez plus de chômeurs et, évidemment, plus de pauvres.
Madame la ministre, quand allez-vous vous attaquer au chômage plutôt qu'aux chômeurs ?
Pour trouver des solutions, il faut partir de l'état des lieux. Ce qui m'a choqué dans votre question, ce n'est pas que vous nous appeliez à nous mobiliser pour l'emploi des seniors – nous sommes tous d'accord sur ces bancs – , mais que vous niiez des évidences et des réalités. Vous ne croyez pas les statistiques des créations d'emplois, qui viennent de l'INSEE : concrètement, vous pensez donc que les enquêteurs de l'INSEE trafiquent les chiffres. Vous croyez que l'ACOSS, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, trafique les chiffres sur les cotisations payées par les entreprises. À ce moment-là, nous ne pouvons pas avancer beaucoup dans notre pays. Si vous n'avez pas confiance en des organismes indépendants qui produisent des statistiques sur la création d'emplois…
Ce n'est pas moi ni mon cabinet qui produit ces chiffres, mais l'ACOSS et l'INSEE, qui sont des organismes indépendants – l'ACOSS est paritaire.
Pour trouver des solutions – c'est tout l'enjeu des débats entre le Gouvernement et les parlementaires – , il faut commencer par accepter la réalité des faits, ne pas dire que les statistiques sont fausses quand elles sont fournies par des organismes indépendants et qu'elles ont une valeur exhaustive, comme c'est le cas pour la création d'emplois, et ne pas opposer les statistiques et les personnes. La majorité présidentielle et moi-même sommes fiers que 300 000 demandeurs d'emploi aient retrouvé un emploi : pour ces 300 000 personnes, la vie a changé.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures quinze.
L'ordre du jour appelle les questions sur la politique de lutte contre le chômage.
Je rappelle que la conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.
La parole est à M. Adrien Quatennens.
Madame la ministre du travail, la réforme de l'assurance chômage est une véritable catastrophe sociale. Des milliers de personnes vont voir leur indemnisation diminuer. Au nom de quoi ? Alors qu'il fallait avoir travaillé quatre mois sur vingt-huit pour bénéficier des droits au chômage, il faudra désormais avoir travaillé six mois sur les vingt-quatre derniers mois. Dès les douze premiers mois de sa mise en oeuvre, cette mesure va affecter plus de 710 000 personnes. Vous supprimez le mécanisme de rechargement des droits, qui permettait à un chômeur qui travaillerait environ un mois d'allonger d'autant la période pendant laquelle il était indemnisé.
Pour minimiser la dureté de votre action, vous prétendez qu'avec cette réforme de l'assurance chômage, « on revient simplement à ce qui se passait il y a dix ans, avant la crise ». C'est faux ! Par exemple, le mécanisme de rechargement des droits à l'assurance chômage n'est pas une disposition issue de la crise : il a été mis en place en 2014.
En réalité, les chiffres montrent une faible diminution du chômage mais une nette augmentation de la précarité des travailleurs. Votre politique est bien plus efficace pour faire sortir les chômeurs des fichiers de Pôle emploi que pour leur permettre véritablement d'en retrouver un. Malgré le dévouement extrême de ses agents, Pôle emploi est davantage devenu le lieu où l'on vérifie que la recherche d'emploi est frénétique que l'endroit où l'on vous en propose un.
Tout à l'heure, mon collègue Alexis Corbière vous a posé une question sur le chômage des seniors et la réforme des retraites. En effet, un actif sur deux à l'âge d'arriver à la retraite n'est plus en emploi, tandis que notre pays compte plus de 300 000 chômeurs de plus de 60 ans, qui ont, dans leur majorité, toutes leurs années de cotisation. Vous avez simplement répondu qu'il fallait promouvoir un changement culturel et que vous n'aviez pas toutes les recettes dans votre chapeau. Je remarque néanmoins que, quand il s'agit de mener la vie dure aux chômeurs, vous ne manquez pas d'inspiration !
Tout à l'heure, vous avez déploré avec nous la précarité extrême de l'emploi et le fait que 87 % des contrats signés sont des contrats courts – un tiers de ces contrats durent moins d'un jour. Je veux donc vous poser deux questions, madame la ministre. Pour vous, le CDI est-il toujours la règle ? Si oui, à part le bonus-malus, quelle solution avez-vous encore sous le pied – je reprends votre expression – pour lutter contre le recours excessif aux contrats courts ? Que pensez-vous, par exemple, des quotas modulables en fonction de la taille de l'entreprise ?
M. Ugo Bernalicis applaudit.
Le premier des deux sujets que vous abordez, monsieur le député, porte sur les règles d'éligibilité à l'assurance chômage. Après notre réforme, ces règles restent, et c'est délibéré de la part du Gouvernement, parmi les plus généreuses d'Europe. Il fallait auparavant avoir travaillé au moins quatre mois durant les vingt-huit derniers mois pour pouvoir percevoir une allocation chômage à taux plein, et ce sera dorénavant six mois travaillés dans les vingt-quatre mois précédents. Je rappelle qu'en Espagne ou en Allemagne, par exemple, il faut avoir travaillé douze mois sur les derniers vingt-quatre mois, soit un jour sur deux, contre un jour sur quatre en France. La règle de l'affiliation minimale de quatre mois datait de 2009, et il faut comprendre qu'il était alors tout à fait logique d'avoir un régime adapté à un contexte de crise où il y avait très peu d'offres d'emploi dans un marché du travail atone. Revenir à ce qui avait été décidé à l'époque serait certes extrêmement protecteur, mais également peu incitatif alors que le contexte a changé.
S'agissant des règles actuelles de rechargement des droits en cas d'activité réduite, elles permettent de rester indéfiniment au chômage puisque je vous rappelle qu'un jour travaillé est reporté à la fin de la période d'indemnisation et donne donc droit à un jour d'indemnisation supplémentaire, ce qui conduit à prolonger en l'espèce de deux jours la durée potentielle de chômage. C'est aussi pour cette raison que la réforme de l'assurance chômage a été faite. Mais vous avez raison d'évoquer la responsabilisation des employeurs à l'égard des emplois de courte durée. Vous avez comme moi entendu certains de vos collègues regretter que soit mise en place une taxe sur les contrats à durée déterminée d'usage – CDDU – ou encore un bonus-malus. Mais leur regret prouve que ces mesures ont une certaine efficacité puisqu'elles vont amener les entreprises à changer de comportement. Ainsi, la taxe sur les CDDU est de 10 euros par contrat, par conséquent extrêmement peu ressentie si le contrat dure six mois ou plus, mais fortement s'il ne dure qu'une heure ou une journée. Et quand il est renouvelé cent fois, cela n'a aucun sens social ni aucun sens économique.
Mais je considère que le CDI ne peut être la règle, même s'il doit demeurer le point de référence. Je rappelle que 75 % des actifs sont aujourd'hui en CDI, et notre but est que cette proportion demeure majoritaire.
Avant de donner la parole à M. Bernalicis, je rappelle à mes collègues ainsi qu'à vous, madame la ministre, que le temps de parole maximal a été fixé à deux minutes par la conférence des présidents, pour les questions comme pour les réponses.
J'en tiendrai compte, monsieur le président.
La pédagogie étant affaire de répétition, je vais reprendre ce qu'ont dit les collègues de mon groupe, madame la ministre. Votre gouvernement continue de s'attaquer méthodiquement aux plus précaires et d'en augmenter le nombre. En effet, depuis septembre dernier, s'applique la réforme de l'assurance chômage – passée d'ailleurs, rappelons-le, en catimini cet été par décret. Son application aura lieu en deux temps, et sera achevée le 1er avril prochain… ce ne sera malheureusement pas un poisson d'avril.
Mais d'ores et déjà, cette réforme est, à tous points de vue, une attaque historique contre la protection face au chômage, et non un régime généreux comme vous le prétendez. Les conditions d'accès pour l'ouverture de droits au chômage sont nettement réduites, on l'a rappelé, puisque si hier encore quatre mois travaillés sur une période de vingt-huit mois permettaient l'ouverture de droits, il faudra désormais travailler six mois sur une période de vingt-quatre mois. De plus, vous supprimez le droit de rechargement : il faudra donc travailler à nouveau six mois pour prolonger ses droits au chômage au lieu d'un mois auparavant. Des économistes ont alerté le Gouvernement sur le fait que cette réforme risque de plonger encore un peu plus dans la précarité près de la moitié des 2,6 millions d'allocataires de l'assurance chômage. D'où ma première question : qu'en sera-t-il réellement selon vous et les chiffres dont vous disposez ?
Mais c'est surtout sur la seconde partie de la réforme de l'assurance chômage, prévue pour avril, que je souhaite vous interroger, madame la ministre. Je rappelle en effet que se prépare une refonte du mode de calcul du salaire journalier de référence, base de paiement des allocations chômage… et qui a visiblement des liens très forts avec la réforme des retraites. On a bien compris d'ailleurs que l'objectif de la réforme des retraites est de faire baisser les pensions par la prise en compte de toutes les années d'activité dans le calcul desdites pensions, y compris les années sans emploi. S'agissant de la réforme de l'assurance chômage, quel est l'objectif selon vous, sinon celui de baisser également les montants alloués aux chômeurs ? Car désormais ne sera plus pris en compte la moyenne des revenus perçus les jours travaillés mais ceux perçus sur l'ensemble des vingt-quatre mois, incluant ainsi les périodes non travaillées, ce qui mathématiquement va tirer la moyenne vers le bas. Pouvez-vous me donner des précisions sur l'impact de cette réforme, en particulier par tranche d'âge et par catégorie d'emploi, selon les chiffres dont vous disposez ?
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Et j'ai posé ma question en moins de deux minutes, monsieur le président !
Je répondrai à votre question principale, celle qui porte sur les travailleurs « permittents », c'est-à-dire les salariés qui alternent les contrats courts et les périodes de chômage. Il faut savoir qu'en application du système actuel, en vigueur jusqu'au 1er avril, un demandeur d'emploi sur cinq se trouvant dans une telle situation reçoit durant ces premiers mois de chômage une indemnisation supérieure à son salaire moyen. Ce n'est pas logique et cela n'incite pas à reprendre un travail. Il ne faut bien sûr pas reprocher aux demandeurs d'emploi concernés de se comporter en fonction des règles existantes, sachant qu'ils n'ont aujourd'hui pas intérêt à reprendre un travail alors qu'ils gagneront pendant quelques mois davantage en restant dans le régime de l'assurance chômage. Cette anomalie du système, qui concerne un demandeur d'emploi sur cinq, va être corrigée le 1er avril. Par contre, le capital de droits ne change pas : l'ensemble des droits au chômage demeureront acquis et donneront lieu à une indemnisation plus longue que dans le cas général, sans pour autant dépasser 100 % du salaire antérieurement perçu. Cela signifie concrètement que tous les demandeurs d'emploi auront une indemnisation chômage qui ne pourra être inférieure à 65 % ni supérieure à 96 % de leur salaire net mensuel moyen.
Par ailleurs, je souligne que cette réforme de l'assurance chômage repose un triptyque : un, les règles d'indemnisation ; deux, la responsabilisation des employeurs – bonus-malus, taxe CDDU – ; trois, l'accompagnement des demandeurs d'emploi, qui est extrêmement renforcé – j'aurai sans doute l'occasion d'y revenir – , ce qui va donner beaucoup plus de chance de trouver un emploi.
Madame la ministre, j'aurais sincèrement voulu vous questionner sur le thème de ces questions, à savoir votre politique de lutte contre le chômage. Mais j'ai eu beau creuser le sujet, je n'ai malheureusement pas trouvé trace d'une telle lutte dans votre politique. J'ai trouvé la trace de vos nombreux efforts pour accroître la précarité, y compris le travail à la tâche – avec l'augmentation du plafond de chiffre d'affaires des autoentrepreneurs – , de ceux destinés à réduire la protection des salariés par la loi qui porte votre nom, ainsi qu'une réforme des retraites exigeant de tous de travailler plus longtemps alors qu'il n'y a déjà pas suffisamment d'emplois pour tous, mais non, définitivement non, aucune trace de lutte contre le drame qu'est le chômage pour toutes les personnes qui le subissent, aucune tentative, par exemple, de repenser l'emploi et le temps de travail, notamment dans votre tragique réforme de l'assurance chômage.
Suivant mes deux collègues précédents, je souligne que cette réforme aura eu pour effet, en un an, de réduire les allocations de plus d'un million de Français, et même de les supprimer pour tous ceux qui n'ont pu cumuler que quatre et non six mois de temps d'activité en deux ans. J'ai compris que vous trouviez que la situation était meilleure pour eux qu'ailleurs en Europe, mais vous avez manifestement envie de rattraper ce retard ! J'ajoute que vous avez supprimé la possibilité de recharger des droits alors que le système présentait le double avantage d'inciter au retour à l'emploi tout en étant bénéfique financièrement pour les allocataires.
Non contente de pousser les chômeurs dans une précarité plus grande encore, vous nourrissez en plus le phantasme aberrant selon lequel s'ils ne trouvent pas d'emploi, c'est parce qu'ils n'en cherchent pas assez activement ou pas de la bonne façon, bref qu'ils ne savent pas traverser la rue assez vite.
M. Ugo Bernalicis applaudit.
Pourtant, si j'en crois les chiffres de votre ministère, le site de Pôle emploi ne propose que 700 000 offres, soit cinq fois moins que le nombre de chômeurs – sans parler du fait qu'il peut y avoir des doublons et que ces offres sont rarement des CDI ou des temps pleins. Il n'y a aucun doute pour moi : ce n'est pas contre le chômage que vous vous battez, mais contre les chômeurs, tout en excellant dans l'art de la manipulation des chiffres. J'aimerais donc que vous nous précisiez le nombre de nouveaux pauvres et autres précaires que vous avez prévu de créer par votre réforme de l'assurance chômage, et donc du nombre de chômeurs en moins que vous comptez annoncer parce que vous les aurez radiés de Pôle emploi.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Monsieur le député, puisque vous ne trouvez pas de trace de ma politique pour l'emploi, …
… je vais vous y aider. Ainsi, 300 000 demandeurs d'emploi qui retrouvent un emploi, il me semble que c'est significatif.
De même est significatif le fait que 900 000 demandeurs d'emploi vont en formation, sachant que l'absence de qualification est le premier marqueur du chômage – le taux de chômage chez les personnes concernées atteint 18 %. La priorité des priorités, c'est donc de leur permettre d'acquérir une compétence et ainsi une valeur sur le marché du travail pour les aider à retrouver un emploi. Jamais un investissement d'une telle ampleur n'avait été fait en ce domaine. De plus, je rappelle que l'obligation d'embaucher 4 % d'apprentis va permettre à une foule de jeunes sortis de l'école sans qualification et sans projet de se projeter dans un avenir professionnel ; cela aussi fait partie de la politique de l'emploi. Autre trace importante : l'investissement de 1 milliard d'euros dans l'inclusion et l'insertion par l'économique pour que les plus vulnérables aient, eux aussi, une chance d'accéder à l'emploi, sachant que deux tiers d'entre eux retrouvent ainsi le chemin de l'emploi.
Dès lors, vous me permettrez de vous dire, monsieur le député, que pour voir, encore faut-il regarder.
Un point m'a choqué dans ce que vous avez dit : je suis étonnée que La France insoumise, comme le Rassemblement national, nie la réalité des chiffres de l'INSEE et de l'ACOSS.
Exclamations sur les bancs du groupe FI.
Cela me choque vraiment beaucoup et je crois que cela choque aussi tous les agents de ces organismes !
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Madame la ministre, quelques rappels :
Mai 2016, Emmanuel Macron : « Vous allez pas me faire peur avec votre tee-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c'est de travailler. »
Février 2017, Emmanuel Macron : « Le chômage de masse en France, c'est parce que les travailleurs sont trop protégés. »
Juin 2017, Emmanuel Macron : « Une gare, c'est un lieu où l'on croise les gens qui réussissent, et les gens qui ne sont rien. »
Octobre 2017, Christophe Castaner : « La liberté, c'est pas de bénéficier des allocations chômage pour partir deux ans en vacances. »
Novembre 2017, Damien Adam, député La République en marche : « Quand vous êtes salarié et que vous voyez certaines personnes qui partent en vacances aux Bahamas grâce à l'assurance chômage, il est légitime de se dire que ce système marche sur la tête. »
Juin 2018, Emmanuel Macron : « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux. »
Septembre 2018, Emmanuel Macron : « Je traverse la rue et je vous trouve un emploi. »
Juin 2019, votre magnifique lapsus, madame la ministre : « La réforme de l'assurance chômage : une réforme résolument tournée vers le travail, vers l'emploi, contre le chômage et pour la précarité. »
Votre vrai visage est celui du mépris.
La réalité, c'est que 14 000 personnes meurent chaque année du fait du chômage de longue durée.
La réalité, c'est que plus d'un chômeur sur deux n'est pas indemnisé et, qu'en plus, votre gouvernement est en train d'exclure des centaines de milliers de personnes de l'assurance chômage et va fabriquer encore plus de chômage par sa réforme des retraites.
Ma question est donc simple : quand allez-vous arrêter de stigmatiser les chômeurs et les chômeuses pour vous attaquer enfin au chômage ? Est-ce leur faute s'il n'y a que 300 000 offres d'emploi non pourvues quand notre pays compte 6 millions de personnes sans emploi, que 10 milliards de cadeaux fiscaux ont été offerts aux plus riches, que vous avez détruit le code du travail en précarisant alors encore plus et que le CICE est perpétué, donnant ainsi 20 milliards d'argent public par an aux grandes entreprises qui détruisent de l'emploi, comme Carrefour et Auchan actuellement ? Non, c'est la vôtre ! Alors cessez ce mépris et admettez que le manque d'emplois dans le pays est de la responsabilité du Gouvernement et pas des personnes privées d'emploi !
Applaudissements sur les bancs du groupe FI. – M. Pierre Dharréville applaudit également.
Madame la députée, vous citez beaucoup de petites phases, vous employez beaucoup de slogans, mais moi je voudrais parler faits et action !
Premièrement, vous confondez, navrée de vous le dire, chômeur et demandeur d'emploi. Pôle emploi est un service public de l'emploi ouvert aux personnes qui cherchent un emploi parce qu'elles n'en ont pas mais aussi à celles qui en ont un et en cherchent un autre – un meilleur, un différent ou un complémentaire. Contrairement à ce que vous dites, il n'y a donc pas 6 millions de personnes sans emploi mais, selon les statistiques de l'INSEE, chiffres reconnus par le Bureau international du travail, 2,8 millions de chômeurs, soit des personnes disponibles et qui cherchent un emploi. C'est encore beaucoup trop, j'en suis d'accord, mais il faut aussi parler des faits.
Toutes les enquêtes, tous les travaux sur le terrain – j'y passe deux jours par semaine, j'ai dû visiter plus de 130 sites en France depuis deux ans et demi – montrent la même chose. Les nombreuses données – qualitatives ou quantitatives – dont nous disposons suggèrent que le problème, une fois sur deux, vient de la compétence. Je puis vous assurer que la première des injustices réside dans le fait de ne pas avoir de qualifications : c'est ce qui conduit au chômage, aux emplois précaires ou mal payés, et à de moindres perspectives d'avenir. La première bataille est donc celle des compétences. Je ne reviendrai pas sur les réformes de l'apprentissage et de la formation professionnelle que nous avons engagées, ni sur la création du site Mon compte formation ou sur le plan d'investissement dans les compétences que nous avons lancé.
Dans l'autre moitié des cas, les difficultés sont différentes. Celles relatives à la mobilité constituent un enjeu réel. Il arrive ainsi que du travail soit disponible mais que, parce qu'il n'y a pas de transports en commun, on ne puisse pas s'y rendre. Je songe à un groupe de femmes des quartiers nord de Marseille, où je me trouvais il y a quelques jours : depuis cette zone, pour se rendre en centre-ville, les possibilités de transport sont très peu nombreuses et les temps de parcours extrêmement longs – vous connaissez bien ce problème. Il y a donc des sujets de mobilité.
J'entends bien ce que vous racontez là, mais où est la réponse concernant le mépris dont vous faites preuve ?
Une autre question est celle de la garde d'enfants : de nombreuses femmes – elles sont les premières concernées, même si des hommes le sont également – ne peuvent pas accepter un emploi parce qu'il faut d'abord, pour obtenir une place en crèche, avoir un CDI. Comment peuvent-elles, dès lors, démarrer leur vie professionnelle ?
Ce sont tous ces sujets auxquels nous – l'État, les collectivités locales et les acteurs économiques – nous attaquons et sur lesquels nous devons encore progresser.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Quatre questions posées par le groupe de La France insoumise : aucune réponse !
Madame la ministre, avec votre réforme de l'assurance chômage, la nouvelle règle de calcul des indemnités fragilisera encore un peu plus les demandeurs d'emploi les plus âgés, puisqu'ils seront soumis à une période de référence plus longue pour le calcul du salaire journalier de référence. Ainsi, pour les demandeurs d'emploi âgés de 53 ans ou plus, une brève période d'activité en début de période de référence suivie d'une longue période d'inactivité pourra conduire à une diminution plus draconienne encore du salaire journalier de référence. Or nous savons que la capacité à retrouver un emploi à cet âge est moindre, et qu'elle n'est pas qu'une question de regard – j'y reviendrai.
Le projet de réforme des retraites ajoute de la vulnérabilité à cette précarité : il prévoit que nous travaillions plus longtemps, dans un système aligné par le bas, qui pousse à travailler davantage pour seulement espérer vivre dignement. Dans les pays que vous citez en modèle, les retraités vivant en dessous du seuil de pauvreté sont d'ailleurs bien plus nombreux que dans notre système actuel.
Pour la moitié des Français de 60 ans, voir reculer l'âge où ils pourront prendre leur retraite ne signifie pas qu'ils devront rester plus longtemps à leur poste : beaucoup devront patienter encore au chômage – avec de maigres indemnités – , au RSA, en arrêt maladie ou en invalidité, voire ne compter que sur eux-mêmes dans l'attente de leur pension, tout en figurant dans le halo du chômage.
Vous parliez tout à l'heure de regard ; mais l'ampleur des inégalités en matière d'état de santé et d'employabilité selon les catégories socioprofessionnelles invite à agir au-delà de la question du regard, et même au-delà de celle de la pénibilité. L'inégalité entre un cadre et un agent d'entretien dépend largement de choix d'organisation du travail de la part des entreprises, sur lesquels vous avez un pouvoir d'action. Allez-vous utiliser ce pouvoir, et comment ?
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Madame la députée, vous abordez plusieurs sujets liés. S'agissant tout d'abord des seniors, je rappelle que la durée maximale d'indemnisation du chômage n'est pas de deux ans, mais de trois ans – c'est d'ailleurs une très bonne chose, qu'il faut évidemment conserver, compte tenu du chômage de longue durée qui concerne notamment les personnes âgées de plus de 60 ans.
Je rappelle également que l'assurance chômage – conformément à la décision des partenaires sociaux et de l'État – assure le relais pendant le laps de temps qui peut s'écouler, pour certaines personnes seniors, entre la période d'indemnisation du chômage et la retraite. Nous entendons conserver ce système, car l'option inverse conduirait à plonger dans la pauvreté des personnes proches de la retraite.
Vous reposez la question – déjà soulevée – des demandeurs d'emploi enchaînant les contrats courts. Nous nous accordons sur un constat : personne ne choisit d'être précaire ; la précarité n'est jamais un but, elle est subie. Sur ce point, se pose la question de l'indemnisation, mais aussi celle de l'accompagnement. Nous avons observé – je l'ai vu dans beaucoup d'agences Pôle emploi – que ces personnes, qui sont souvent près de leur téléphone à attendre qu'on leur propose un contrat pour l'après-midi, le lendemain ou la semaine suivante, bénéficient assez peu des offres de services de Pôle emploi, parce que ces dernières ne sont pas accessibles, ou parce qu'elles sont obligées de décommander.
Nous avons donc, dans le cadre de la réforme de l'assurance chômage, demandé à Pôle emploi de lancer un appel d'offres – il est en cours – afin de proposer une offre de services adaptée aux personnes permittentes, qui assurent des contrats courts. Ces dernières pourront ainsi bénéficier, à compter du 1er avril prochain, d'une offre supplémentaire en soirée et le week-end. Ce point me paraît important : ces personnes doivent être accompagnées pour trouver un emploi plus durable et donc avoir de meilleures perspectives.
Madame la ministre, le chômage atteint en France un niveau élevé – et, dans certains territoires, très élevé, comme notre collègue Jean-Philippe Nilor l'évoquait voilà quelques instants – et la précarité galope. Face à cela, se développe du travail sans statut, sans droit du travail, ubérisé. Ce modèle n'est pas soutenable. Que comptez-vous faire pour ne pas le voir se développer ? C'est en tout cas à cause de cette précarité que les parcours hachés, qui grèvent les pensions de retraite, se multiplient eux aussi.
Des femmes et des hommes, des jeunes, des moins jeunes, connaissent la souffrance de ne pas trouver d'emploi, à laquelle s'ajoute une culpabilisation destructrice. La réforme de l'assurance chômage que vous avez imposée et qui dégrade les droits n'arrange rien. Vous avez dit que nous appliquions un système d'indemnisation généreux. Je crois que ce système visait surtout à garantir la justice : nulle question de générosité ici, je ne partage pas votre manière de voir les choses.
Je souligne en passant que les organisations de privés d'emploi demandent toujours une reconnaissance, car elles ont des choses à dire sur les politiques de lutte contre le chômage.
Parmi les chômeurs, près d'un million de personnes cherchent du travail depuis au moins un an. Ce phénomène concerne 40 % des chômeurs en France métropolitaine, soit 3,4 % de la population active. Quels outils, quels moyens nouveaux pouvez-vous proposer pour y répondre ?
Face à ce constat, l'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée – dont il a déjà été question – a été lancée, en janvier 2017, dans dix territoires de 5 000 à 10 000 habitants. Elle a permis de démontrer que personne n'est inemployable et que le chômage n'est pas un choix de convenance pour les travailleurs. Selon l'Observatoire des inégalités, c'est le fait de rester longtemps sans emploi qui pose le plus problème : les conséquences sont bien plus graves sur le niveau d'indemnisation, les relations sociales et l'état psychologique des personnes concernées, qui se trouvent ainsi éloignées de leur univers professionnel.
Vous avez reçu trois rapports d'analyse intermédiaire. Les premières conclusions font état d'une amélioration significative de la situation professionnelle et personnelle des bénéficiaires du dispositif. Si des ajustements semblent nécessaires, une deuxième phase expérimentale est préconisée. Comptez-vous prolonger cette expérimentation ?
Monsieur le député, vous abordez plusieurs sujets, tous liés à la lutte contre le chômage. Nous aurons l'occasion, je crois, de reparler de l'ubérisation de l'économie, en réponse à laquelle il nous faut évidemment trouver des modes de régulation sociale. Chaque époque voit émerger de nouvelles formes d'emploi, et la puissance publique – en l'occurrence, aussi bien le Gouvernement que le Parlement – doit intervenir sur ce sujet.
Vous évoquez ensuite l'offre de services et la manière dont nous pouvons mieux aider les chômeurs de longue durée – car le chômage, c'est difficile, mais le chômage de longue durée, c'est une véritable souffrance, avec les éléments de santé et de désocialisation qu'il peut amener : c'est, plus qu'une simple perte d'emploi et de revenus, une perte de lien social, et cela a souvent un effet assez destructeur.
D'abord, comme je l'ai évoqué tout à l'heure, nous réalisons, dans le cadre du plan d'investissements dans les compétences, un effort plus massif que par le passé. Il ne faut pas croire, en effet, qu'on ne se forme que quand on est jeune : on peut évoluer toute sa vie – c'est là le fruit d'un changement de la société. Il est d'ailleurs intéressant de constater que, dans l'application Mon compte formation, de nombreuses personnes demandent des reconversions, soit parce qu'elles anticipent des difficultés dans leur emploi, soit parce qu'elles ont envie d'apprendre un métier qu'elles n'ont jamais exercé : cela peut être vrai à tout âge.
Pour ce qui est ensuite de l'expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée, sur laquelle vous m'interrogez plus précisément, mon histoire et mon expérience m'incitent à croire aux vertus de la mobilisation territoriale. Je crois, plus largement, à la mobilisation : quand des acteurs de bonne volonté s'engagent, ils trouvent sur le terrain des solutions qui n'existaient pas dans les seuls textes. Ces derniers doivent aider leur action – ils ne doivent pas l'empêcher – , mais, en réalité, c'est la mobilisation qui compte.
Comme je l'indiquais tout à l'heure, nous aurons établi d'ici quelques semaines, avec l'association TZCLD, qui conduit l'expérimentation, un diagnostic entièrement partagé concernant ces territoires. Nous sommes prêts à aller plus loin dans l'expérimentation, en fonction des enseignements de la première phase. Nous disposons d'un recul de deux ans. Cela reste court pour une démarche relativement innovante, mais nous pouvons déjà en tirer de premiers enseignements.
Madame la ministre, en tant que membre de la commission des finances et rapporteure spéciale sur le travail, l'emploi, la formation professionnelle et l'apprentissage, je suis particulièrement sensibilisée à la réussite de notre projet commun : diminuer le chômage et retrouver le plein-emploi. Quoiqu'en disent les oppositions, les résultats sont déjà là, et ils se voient.
Cela étant, nous devons poursuivre notre effort. La réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle a constitué une réponse essentielle à un paradoxe français : la persistance d'un chômage de masse alors que de nombreuses entreprises peinent à recruter, faute de trouver les compétences dont elles ont besoin. Comme vous le savez, le plafond d'emplois pour 2019 de France compétences a été fixé, dans la loi de finances pour 2019, à 70 ETPT – équivalents temps plein travaillés. Ce plafond résulte d'une estimation effectuée au regard des missions légales d'un établissement qui n'existait alors pas encore : il paraît évident que l'État ne disposait pas des éléments nécessaires à une bonne estimation de la charge de travail correspondant à leur exercice.
Or les missions de France compétences ne sont pas exactement les mêmes que celles des trois structures que cet établissement est amené à remplacer. Si la principale mission en moins concerne les appels à projet du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, il s'ajoute néanmoins des nouvelles tâches de régulation – hors enregistrement des certifications – ainsi que d'autres charges telles que la passation et le pilotage du marché du conseil en évolution professionnelle. Dans le même temps, un accroissement du périmètre des missions existantes, telles que l'instruction des dossiers d'enregistrement au répertoire spécifique, est à souligner.
Avec le recul dont nous disposons aujourd'hui, est-il envisageable d'ajuster le plafond d'emplois de France compétences pour permettre une meilleure adéquation entre l'effectif de cet établissement et les missions qu'il exerce, et qui sont essentielles pour atteindre nos objectifs ?
Merci, madame la députée, de votre soutien fort aux réformes que nous avons engagées et à la création de France compétences.
Cet établissement est effectivement un pilier du nouveau système de formation professionnelle et d'apprentissage : il s'agit en quelque sorte d'une autorité de régulation, pilotée par l'État, les régions et les partenaires sociaux, c'est-à-dire par l'ensemble des acteurs concernés par cette régulation. Je crois que sa création a constitué un grand progrès. Je voudrais, à cette occasion, saluer le travail formidable fourni par les équipes et le conseil d'administration de France compétences.
Cet organisme, créé en février 2019, et a été immédiatement opérationnel, et particulièrement rapide dans l'accomplissement de ses nouvelles missions. Il a par exemple permis la mise en place des contrats pour l'apprentissage et de la nouvelle certification.
Ses missions correspondent bien au cumul des missions des quatre instances qui ont été fusionnées. Le regroupement sous une unique direction de ces organismes, entre lesquels de nombreuses interactions étaient auparavant nécessaires, permet d'ailleurs de gagner du temps. C'est pourquoi nous avons estimé que les 70 ETP qui figurent dans la loi de finances pour 2019, et qui correspondent exactement à la somme des quatre instances existantes, étaient suffisants à ce stade. Nous devrons évidemment nous montrer vigilants dans le futur : si les missions s'accroissent, il faudra en tenir compte. Pour l'instant, toutefois, il me semble bon de considérer que les synergies créées par la fusion des quatre instances leur permettent de fonctionner correctement.
Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas applaudit.
Madame la ministre, en France, grâce aux politiques gouvernementales menées depuis deux ans, et qui portent leurs fruits, le chômage atteint son plus bas niveau depuis dix ans, s'établissant en fin d'année 2019 à 8,5 % de la population active. Dans mon département du Jura, nous nous félicitons que le taux de chômage ait chuté à 6,1 % – une performance historique.
Cependant, la classe d'âge des 55 ans et plus reste encore trop touchée par le chômage : 27 % des demandeurs d'emploi appartenant aux catégories A, B et C sont des seniors. L'augmentation est de 0,5 % sur un an. Ces personnes perçoivent des allocations chômage, des allocations de fin de droit, ou des minima sociaux. Mais cette part de la population, durablement exclue du monde professionnel, se trouve en situation d'inactivité.
Les seniors en recherche d'emploi doivent faire face aux réticences des entreprises à recruter des salariés âgés, en raison de stéréotypes liés à l'âge, de la défiance des recruteurs quant à l'état de santé, la résistance et la capacité à s'adapter, ou encore de la crainte de devoir verser des salaires plus élevés. La précarité des seniors exclus du marché du travail représente un coût croissant pour la collectivité, ce qui a de quoi inquiéter si l'on prend en considération la baisse brutale des perspectives de retour à l'emploi après 52 ans.
À la veille de l'examen de la réforme des retraites, je souhaite savoir, madame la ministre, quelles politiques actives et quels dispositifs particuliers en faveur de l'emploi des seniors vous envisagez de poursuivre ou de mettre en oeuvre.
Enfin, le cumul emploi-retraite est de plus en plus souvent nécessaire pour améliorer une pension insuffisante.
Ne considérez-vous pas, madame la ministre, qu'une réforme des retraites ne pourra se faire sans une réflexion approfondie sur l'emploi des seniors ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Madame la députée, comme vous, je me réjouis des très bons résultats du Jura. Des départements de plus en plus nombreux approchent, comme le vôtre, du chiffre de 6 % et c'est là un signe encourageant qui montre bien qu'il n'y a pas de fatalité. Je suis certaine que les habitants du Jura s'en aperçoivent, même si, sur certains bancs, certains ici nient la réalité.
L'emploi des seniors est, comme vous le rappelez à juste titre, un élément essentiel de la politique de l'emploi et il doit également être pris en considération dans la réforme des retraites. C'est la raison pour laquelle, hier, le Premier ministre et moi-même avons ouvert cette concertation avec les partenaires sociaux. A notamment été soulevée à cette occasion la question de savoir comment valoriser l'expérience des seniors, des plus expérimentés. De nombreux intervenants ont évoqué le tutorat, qui est encore mal reconnu en France alors que nous aurons un énorme besoin de transmission de compétences, ce qui en fait une opportunité. Les PME, qui manquent cruellement de compétences, sont parfois moins victimes des stéréotypes qui entourent l'embauche des seniors, mais elles peinent à accéder à des compétences très qualifiées et il nous faut voir comment les aider. Il en va un peu de même pour le secteur associatif.
Nous souhaitons aussi, avec les partenaires sociaux, travailler à l'amélioration de la retraite progressive et du cumul emploi-retraite. Nombreux, en effet, sont ceux qui aspirent, non pas à une opposition binaire entre le travail et la retraite, mais à un système plus progressif, qui est humainement plus équilibré et plus intéressant, car il permet aux personnes concernées d'avoir une utilité sociale et une incidence sur la vie économique, parallèlement à une progressivité dans l'évolution de leur quantité de travail. Cela me semble correspondre à une aspiration très forte de nos concitoyens et avoir un sens économique si nous trouvons le bon contour pour ce dispositif, que nous voulons donc encourager dans ce cadre.
Madame la ministre, penser la lutte contre le chômage, c'est également penser le renforcement de l'attractivité des secteurs d'avenir. À l'occasion des Assises de l'économie de la mer, en décembre dernier, le Président de la République a affirmé que le XXIe siècle serait maritime.
Le secteur maritime emploie 400 000 personnes dans des centaines de métiers différents et pèse environ 70 milliards d'euros en valeur de production annuelle. Ces chiffres pourraient atteindre un million d'emplois et 150 milliards d'euros à l'horizon 2030.
La croissance de l'activité de l'économie bleue s'accompagnera nécessairement d'une transformation des différentes filières destinée à les faire évoluer vers un modèle durable. Les énergies marines renouvelables, le transport maritime décarboné et le bateau du futur sont prometteurs. Des secteurs aussi divers que les ports connectés, les biotechnologies bleues ou le génie écologique côtier feront naître de nouveaux métiers. Il faut donc s'attendre à des centaines de milliers de nouveaux recrutements dans ces secteurs en expansion. Ils s'ajouteront, bien évidemment, aux nombreux emplois actuellement indispensables au fonctionnement des principales filières, notamment les chantiers navals, qui concentrent une grande diversité de métiers.
Pourtant, ce secteur souffre d'un réel problème d'attractivité, de recrutement et de formation. Une méconnaissance des métiers de la mer ainsi que les conditions difficiles de certains métiers sont la cause de ce manque d'attractivité. Des immersions professionnelles en entreprise marine ou des actions de formation préalable au recrutement ont déjà été suggérées par Pôle emploi pour maximiser l'embauche des profils concernés. Les filières maritimes ont incontestablement un rôle important à jouer dans la lutte contre le chômage.
Madame la ministre, quelles mesures envisagez-vous pour « maritimiser » les compétences des demandeurs d'emploi et, ainsi, servir le double objectif de lutter contre le chômage et d'accompagner l'économie bleue dans une croissance durable ?
Merci, madame la députée, pour votre question. Les quinzièmes Assises de l'économie de la mer, en décembre dernier, ont en effet permis de partager ces objectifs ambitieux, et cela d'autant plus qu'il ne s'agit pas seulement du développement de l'économie bleue, mais aussi, comme vous l'avez souligné, d'une grande transformation, avec le développement des énergies renouvelables et le « verdissement » du transport maritime – qui revient, si j'ose dire, à verdir le bleu.
Sourires.
Dans ce secteur, de très forts besoins de recrutement sont à prévoir d'ici 2025 mais, comme vous l'avez souligné, les professionnels de la mer sont pourtant confrontés à un important déficit de main-d'oeuvre. Il s'agit là de l'une des opportunités que j'évoquais tout à l'heure en disant qu'on en avait sous le pied. En effet, de nombreux secteurs cherchent à recruter et ont du mal à le faire.
Le secteur maritime connaît des problèmes spécifiques, avec des niveaux de formation technique initiale qui doivent progresser. Il est peu lisible et fragmenté, avec des déficits d'attractivité, et les candidats potentiels méconnaissent le niveau et l'intérêt de ces métiers de la mer. De fait, la proportion de jeunes diplômés embauchés décroît, alors que les besoins augmentent.
Face à cette situation, les professionnels de la mer se mobilisent et, en octobre 2018, sous l'égide du Conseil national de l'industrie, la filière des industriels de la mer a élaboré et signé un plan d'action ambitieux. Le ministère du travail accompagne cette démarche et, en 2019, le ministère du travail, l'UIMM – l'Union des industries et métiers de la métallurgie – et le campus des industries navales, ainsi que les organisations syndicales du secteur de la métallurgie, ont signé un engagement de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, ou GPEC, dans la filière des industriels de la mer, qui est une partie de la question. Nous travaillons sur plusieurs axes : l'ingénierie de formation par blocs de compétences, l'amélioration de l'attractivité de la filière et la consolidation de la GPEC de filière.
Ce qui est vrai pour les industriels de la mer l'est aussi pour d'autres secteurs, comme ceux de la transformation agroalimentaire ou cosmétique liée à l'économie bleue, ou des nouveaux éléments de tourisme. Il faut, de façon générale, développer cette approche de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. C'est ce que nous allons faire dans le cadre du pacte productif. Nous avons des occasions de le faire, mais il faut les saisir, et les saisir ensemble.
Madame la ministre, le niveau du chômage n'a jamais été aussi bas en France depuis dix ans. Il convient d'intensifier nos efforts, mais nous pouvons convenir que les mesures mises en place depuis le début du quinquennat ont été efficaces.
La seule baisse de charges liées au coût du travail ne suffit pas. En effet, pour l'avoir vécu personnellement, je sais qu'un entrepreneur optimiste est un entrepreneur qui embauche. Porté par une croissance économique modeste, l'optimisme est la clé de voûte pour lutter efficacement contre le chômage. Cela est encore plus vrai pour les PME, qui sont à l'origine de la majorité des créations d'emplois en France.
Ce retour à la confiance est bien là, et nous devons nous en réjouir, mais il reste encore des freins à l'embauche, souvent liés à l'âge du candidat : les seniors sont trop expérimentés, et les jeunes pas assez. C'est un paradoxe très français, contre lequel nous devons lutter en changeant les mentalités.
Ce combat est mené depuis deux ans et demi et commence à porter ses fruits. En effet, le recul du chômage des jeunes est enclenché : en 2019, il est de plus de 2,3 points. C'est, pour les jeunes Françaises et Français, un chiffre encourageant, qui s'explique par des mesures engagées par la majorité en faveur de l'apprentissage et de l'alternance avec la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Il me semble possible d'accroître les ambitions en matière de formation professionnelle des jeunes, en favorisant par exemple la structuration de marchés professionnels, avec une mobilité centrée autour d'entreprises du même secteur, donnant une place importante à l'apprentissage.
Madame la ministre, pouvez-vous nous donner de plus amples précisions sur la feuille de route du Gouvernement pour lutter contre le chômage des jeunes, en particulier de ceux qui sont le plus éloignés de l'emploi ?
Monsieur le député, merci pour cette question. En effet, le chômage des jeunes est, de tous les angles morts du marché du travail, celui qui me préoccupe le plus. Il n'est pas acceptable que, durablement, plus d'un million de jeunes de notre pays ne se projettent pas dans l'avenir. C'est aberrant du point de vue social, économique ou citoyen. Il n'est pas possible que la jeunesse ait l'impression que l'on n'a pas besoin d'elle – c'est faux, mais c'est ce que perçoivent certains.
Nous progressons, en effet. Le taux de chômage, qui était de 21,7 % lorsque nous sommes arrivés, est aujourd'hui de 19,1 %, mais il reste encore tant d'efforts à faire dans ce domaine !
La première chose à faire est donc d'aller vers les jeunes qui échappent aux radars. Plusieurs centaines de milliers de jeunes dits « NEET », c'est-à-dire ni en emploi, ni en formation, ni en études, ne se rendent même pas auprès d'une mission locale ou de Pôle emploi, ni dans aucune structure d'insertion, et considèrent déjà qu'on ne leur offre pas une place sur le marché du travail. Il faut aller vers eux et les trouver là où ils sont.
C'est la raison pour laquelle nous avons, dans le cadre du PIC, le programme d'investissement dans les compétences, lancé un appel d'offres pour la mobilisation de ces jeunes dits « invisibles ». Trois projets ont d'ailleurs été sélectionnés dans votre département de l'Hérault, sur 210 qui l'ont été au plan national, pour un montant de plus de 60 millions d'euros. Il convient de raccrocher ces jeunes décrocheurs en leur donnant l'espoir réel de trouver une solution.
L'apprentissage, dans lequel nous investissons massivement, est bien évidemment une solution particulièrement efficace, mais il faut citer également le programme d'investissement dans les compétences et la garantie jeune, qui fonctionne bien. Nous avons également augmenté de 17 %, portant le total à 330 000 jeunes, le nombre des entrées en parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie – PACEA – , avec l'apport des missions locales, qui reçoivent des moyens supplémentaires dans ce domaine. Il y a enfin l'offre de services des écoles de la deuxième chance de l'EPIDE – l'Établissement d'insertion par l'emploi. Il faut mobiliser encore plus toutes ces structures. Nous nous en sommes donné les moyens dans le budget 2020, afin que des centaines de milliers de jeunes de plus puissent avoir un accès à l'emploi.
Madame la ministre, je voudrais, en tout premier lieu, féliciter le Gouvernement pour son action, qui a donné à l'emploi une dynamique réelle et sans précédent dans notre pays : plusieurs centaines de milliers d'emplois ont ainsi été créés en ce début de quinquennat. Je saisis cette occasion pour féliciter aussi l'ensemble des fonctionnaires qui construisent ces chiffres et travaillent avec une grande conscience professionnelle, mais qui ont malheureusement été mis en cause tout à l'heure par certains et certaines de ceux qui se sont exprimés avant moi, ce qui est tout à fait dommage.
Le chômage a, en effet, évolué dans un sens positif. Certaines zones d'ombre demeurent néanmoins et le chômage reste trop prégnant, en particulier chez les femmes, les seniors et les chômeurs de longue durée.
À cet égard, la circonscription dont je suis élu compte un territoire zéro chômeur de longue durée : celui de Pipriac et Saint-Ganton, que vous êtes venu visiter le 4 octobre 2018. Cette expérimentation au plus près des territoires a fait ses preuves et démontre cette vérité fondamentale que personne n'est inemployable. J'insiste sur les mots : « au plus près des territoires », et cela pour deux raisons.
Tout d'abord, le territoire que je viens d'évoquer se situe au coeur de l'alliance intermétropolitaine Loire-Bretagne, représentée ici par les circonscriptions de Paul Molac et Yves Daniel, et dans le triangle d'or Nantes-Rennes-Vannes. Cette zone métropolitaine porte – et jusqu'à Angers même – de nombreux projets.
L'approche territoriale a des avantages indéniables pour les demandeurs d'emploi comme pour l'ensemble des populations locales. Le dispositif favorise en effet la création de nouveaux services, avec par exemple la reprise de commerces de proximité. Il a créé une dynamique entre tous les acteurs locaux, les élus de tous bords, les associations, les entreprises et les institutions. Enfin, le bénéfice écologique est également important, avec la création de recycleries et de services de tri qui ne seraient économiquement pas rentables dans des modèles classiques.
Le dispositif a besoin de plusieurs améliorations. Il faudrait notamment prévoir des fonds propres suffisants et renforcer son organisation, par exemple pour un meilleur management.
Madame la ministre, pouvez-vous donc nous préciser le calendrier et les contours du dispositif prévu par la nouvelle loi qui est annoncée ? Permettez-moi d'insister sur le calendrier, à propos duquel vous avez du reste déjà beaucoup répondu. J'aimerais, sur ce point, recevoir de vous des informations précises.
M. Paul Molac applaudit.
Monsieur le député, nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer ce point tout à l'heure et nous avons, je crois, la même conviction : lorsque des élus se mobilisent et trouvent des solutions nouvelles avec les acteurs locaux, il est bon que les dispositifs publics nationaux viennent appuyer ces démarches pour les rendre possibles à grande échelle. C'est l'esprit du soutien que j'apporte à cette expérimentation.
Je ferai deux remarques. Tout d'abord, avec les initiateurs de cette démarche et les organismes d'expertise, qui ont procédé à des audits, nous sommes en train d'identifier les freins et les leviers, les améliorations nécessaires et les aspects incontournables – comme, bien évidemment, le rôle des élus dans la gouvernance. Tout cela sera affiné dans les semaines qui viennent.
La loi de 2016 qui inaugure cette expérimentation lui fixait un horizon cinq ans, de telle sorte que la prochaine loi en la matière devrait, en principe, intervenir en 2021. Cependant, la loi ne prévoyait que dix expérimentations : il faut, pour les multiplier, un nouveau véhicule législatif, mais il n'est pas forcément nécessaire d'attendre 2021 pour cela. De même, nous n'avons pas forcément besoin d'une loi ad hoc : le dispositif souhaité, dont il reste à définir le contenu, peut emprunter un autre véhicule législatif – j'en proposerai un ou deux dans le courant de cette année. Nous serons donc assez pragmatiques en la matière, l'important étant de nous entendre sur ce qui doit être corrigé et amélioré pour permettre l'amplification de l'expérimentation.
Je voudrais également, à travers vous, lancer un appel aux élus : il ne faut pas opposer les dispositifs. Nous avons besoin de tous et nous avons les moyens, en matière d'insertion par l'économie, de créer des chantiers et des entreprises d'insertion, notamment, comme vous l'avez dit, avec des ressourceries ou des recycleries, ou avec des entreprises adaptées. Si les élus le demandent, nous le ferons.
Je souhaite vous poser quatre questions relatives aux mesures à explorer en matière de lutte contre le chômage. La première porte sur les initiatives territoriales pour l'emploi, déjà largement évoquées sur ces bancs. Je sais quelle est votre position à propos des maisons de l'emploi, un dispositif qui a parfois abouti à des résultats exceptionnels. Dans certains secteurs, dans certaines filières économiques, il peut être pertinent de réunir autour de la table des représentants du public et du privé ainsi que des chercheurs, et cela peut même produire de très bons résultats. Je sais que vous ne partagez pas ce point de vue. Seriez-vous néanmoins disposée à permettre, au cas par cas, selon le potentiel de chacun des territoires, l'utilisation d'un tel dispositif, dans une nouvelle version, afin de favoriser l'emploi dans ces territoires ?
Ma deuxième question porte sur l'insertion par l'activité économique – IAE. Je suis en effet convaincu qu'on peut aller plus loin dans ce domaine. Considérez-vous qu'il faille désormais intégrer des formations professionnelles dans les structures d'insertion par l'activité économique – SIAE – , dans la mesure où leur schéma s'assimile à de l'alternance, avec des mesures sur le terrain et de la formation ? Certains freins empêchaient jusqu'alors les SIAE d'inclure des structures de formation professionnelle. J'aimerais connaître votre avis. Et, à propos des SIAE toujours, pensez-vous qu'il soit possible d'être plus contraignant s'agissant des commandes publiques et des clauses d'insertion, afin de mobiliser certains prescripteurs publics et de donner de l'emploi à des hommes et à des femmes ?
Ma troisième question concerne l'emploi associatif, un sujet dont je vous ai déjà parlé. Je considère que des emplois peuvent être créés au sein des associations, notamment pour des premiers postes.
Ma dernière question porte sur les travailleurs indépendants. Certes, la loi d'orientation des mobilités – LOM – offre une clarification et favorise, à travers l'adoption d'une charte, le recours au travail indépendant. Je suis convaincu pour ma part qu'il s'agit d'un moyen de donner du travail à des hommes et à des femmes mais il me semble qu'il existe un blocage culturel sur cette question. Qu'en pensez-vous ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
Vous avez réussi à poser toutes ces questions en deux minutes, et j'essaierai de tenir le défi.
Concernant les maisons de l'emploi, l'approche a évolué. Aujourd'hui, elles se portent candidates à la suite d'appels d'offres et d'appels à projets, assez nombreux, du ministère, au sujet par exemple de la gestion professionnelle des emplois, qui peut être locale. Nous sommes plutôt dans une logique de projets car, comme vous l'avez dit, l'appellation recouvre, d'un site à l'autre, des situations très différentes. L'idée est donc, plutôt que d'adopter une politique nationale en la matière, de faire en sorte que les maisons de l'emploi puissent bénéficier des financements dans le cadre des dispositifs de droit commun qui incluent beaucoup d'appels à projet. Elles bénéficient d'ailleurs aussi des financements du Fonds social européen.
À propos de l'IAE, une question se pose en effet. Nous convenons tous que le triptyque gagnant lorsqu'on cherche du travail, c'est d'être placé en situation réelle d'emploi, d'obtenir une formation et de bénéficier d'un accompagnement social. Le deuxième volet du triptyque est souvent celui qui fait défaut dans le secteur de l'IAE. Le secteur a-t-il donc plutôt intérêt à nouer des partenariats avec des professionnels de la formation, ou doit-il lui-même devenir également un organisme de formation ? Ce n'est pas au moment où je permets à chacun d'être à l'initiative en matière d'apprentissage que je vais empêcher qu'il en soit de même pour la formation. C'est au secteur de se structurer sur cette question.
S'agissant des clauses d'insertion, je pense comme vous que nous pouvons aller beaucoup plus loin. Dans le cadre des Jeux olympiques, nous avons prévu, avec le Comité d'organisation et son président Tony Estanguet, que 10 % des heures travaillées soient des heures d'insertion. Cela suppose des dispositifs appropriés. C'est pourquoi les clubs « La France, une chance. Les entreprises s'engagent ! », que j'évoquais tout à l'heure, s'impliqueront dans ce projet. Il faut que des entreprises d'insertion, adaptées, soient en mesure de s'investir. Au-delà des JO, je crois que c'est une voie d'avenir pour la commande publique et privée. Une des modalités de l'engagement des entreprises peut être de réserver une partie de leurs travaux de sous-traitance à l'insertion.
L'emploi associatif, que vous citez dans votre troisième question, est en pleine dynamique. Enfin, concernant le travail indépendant, l'adoption de la charte constitue une avancée. Le travail dans les plateformes peut représenter une première chance d'emploi mais il faut aller plus loin dans la régulation sociale et augmenter les possibilités de promotion de ces personnes.
Face à l'actualité, et notamment à la construction du régime de retraites de demain, dont nous allons débattre dans l'hémicycle, je souhaite réaffirmer que la mère des batailles reste, comme vous le savez, la lutte contre le chômage de masse et pour l'emploi pour tous. Comment imaginer sa retraite lorsqu'on est sans emploi ? À quoi bon espérer un système de retraites digne si on n'est pas capable de sortir du chômage de masse ?
Votre gouvernement s'est gargarisé d'une embellie du marché de l'emploi au cours des derniers mois, en s'appuyant sur les chiffres globaux. Mais, comme vous le savez, le diable se cache dans les détails. Si je ne devais en évoquer qu'un seul, je le résumerais en un chiffre : 18 %. C'est le taux de chômage chez les personnes en situation de handicap, et il n'a pas évolué depuis dix ans.
Vous avez annoncé quelques mesures, par exemple le toilettage de certains dispositifs dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui entre en vigueur ce mois-ci. Mais, très largement insuffisantes, elles ne permettront pas de réduire significativement le chômage chez les personnes en situation de handicap. Parmi celles-ci, les premières victimes sont les femmes, dont le taux de chômage s'élève à 50 % – soit une augmentation de trois points en un an – , les seniors, pour qui ce taux atteint 44 %, ou encore les personnes ayant un faible niveau de qualification, le taux étant alors de 37 %.
Aucune réelle mesure spécifique n'a été prise pour ces publics. Les contrats aidés sont en baisse, la croissance des embauches est trois fois moins importante, le nombre moyen de jours au chômage pour les personnes en situation de handicap s'élève à 824.
L'obligation d'emploi des travailleurs handicapés est une avancée de la loi de 2005 adoptée sous la présidence de Jacques Chirac. Il faut désormais aller plus loin pour inclure réellement ces personnes dans le monde du travail : multiplier les expérimentations, telles que les territoires zéro chômeur de longue durée, et les solutions d'accompagnement, faciliter l'accès aux informations pour que chacun sache auprès de quel organisme – Pôle emploi, Cap emploi – entamer les bonnes démarches. Ces recherches s'apparentent aujourd'hui à un deuxième parcours du combattant pour ces personnes qui doivent déjà en mener un, celui de leur vie.
Je vous pose deux questions précises, madame la ministre. Êtes-vous prête à prendre rapidement des mesures pour favoriser l'employabilité des femmes, des seniors et des personnes peu qualifiées en situation de handicap ? Pouvons-nous lancer une simplification dans l'accompagnement de ces publics en recherche d'emploi, y compris concernant le guichet d'accompagnement ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
Nous partons du même constat : en France, nous ne sommes pas bons en matière d'emploi des personnes en situation de handicap. Trente-deux ans après l'adoption de la loi obligeant les entreprises à employer au minimum 6 % de personnes en situation de handicap, le taux n'atteint que 3,5 % dans le secteur privé et ne progresse plus beaucoup.
C'est pourquoi, avec Sophie Cluzel, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, nous avons beaucoup travaillé sur cette question dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Nous avons mené une longue concertation avec les partenaires sociaux et les organismes concernés, ce qui nous a déjà permis de prendre cinq mesures.
La première est la réforme de l'OETH, afin d'encourager les entreprises à embaucher plutôt qu'à payer une contribution pour se dégager de leurs obligations.
La deuxième est l'obligation pour tout CFA d'avoir un référent apprentissage chargé d'examiner la question avec la famille, les jeunes et les entreprises. Aujourd'hui en effet, seuls 1 % des jeunes apprentis sont en situation de handicap alors qu'ils devraient être 6 ou 7 %, à l'image de leur part dans la population. En outre, on sait très bien que les personnes concernées cumulent souvent le préjudice lié aux stéréotypes que suscite leur handicap avec un niveau de qualification plus faible que la moyenne.
La troisième est le lancement du plan d'investissement dans les compétences, dont 8,4 % des bénéficiaires sont en situation de handicap – mais il faut toujours aller plus loin.
La quatrième est l'augmentation de l'offre dans les entreprises adaptées. Dans notre trajectoire budgétaire, nous nous donnons les moyens de passer de 40 000 places à 80 000 places, dans le cadre du Tour de France inclusif que nous organisons avec l'Union nationale des entreprises adaptées, l'UNAPEI et APF France handicap.
La dernière est le rapprochement de Pôle emploi et Cap emploi, qui collaborent à présent étroitement, ce qui permet d'éviter le parcours du combattant que vous avez évoqué. Notre objectif est de les faire cohabiter dans les mêmes locaux afin que chaque personne puisse accéder à l'ensemble de l'offre. De son côté, Sophie Cluzel travaille à un rapprochement des Maisons des habitants et de Pôle emploi. L'idée est que tout le monde se mette au service des personnes concernées pour faciliter leur parcours.
Il reste du travail à accomplir. C'est la qualité de l'exécution qui fera la différence mais nous nous sommes donné les moyens législatifs et financiers pour progresser.
Fin 2019, la France comptait 3,3 millions de chômeurs. Si nous devons nous réjouir que près de 200 000 chômeurs de catégorie A aient retrouvé un emploi, notons que le nombre de demandeurs d'emploi de 50 ans et plus a augmenté depuis mai 2017 et stagne chez les femmes dans les catégories A, B et C. Rappelons aussi que le taux de chômage français reste encore supérieur à la moyenne tant de la zone euro que de l'ensemble de l'Union européenne. La croissance française en 2019 aurait pu laisser espérer une évolution mais force est de constater que le climat social actuel n'augure pas d'une amélioration en 2020.
Pourtant, selon votre ministère, au troisième trimestre 2019, plus de 185 000 emplois étaient toujours vacants en France, faute de candidats – pour des raisons de manque de qualification, parfois de distance, voire peut-être de rémunération, mais aussi parce que le rapport au travail a changé et que beaucoup se satisfont de l'intermittence ou du travail temporaire. Le zapping professionnel existe, comme vous avez sans doute pu le constater et comme le signalent les représentants de Pôle emploi dans les régions. Ce problème, difficile à régler au demeurant, mérite qu'on s'y arrête : il faut examiner avec attention la persistance d'une inadéquation de plus en plus forte entre l'offre et la demande de travail.
J'en veux pour preuve le fait que 60 % des entreprises de plus de 10 salariés ont exprimé ces derniers temps des difficultés de recrutement. Le taux d'emplois non pourvus, en hausse continue, atteint un niveau record de 1,4 %. Dans le contexte d'un chômage qui reste encore élevé dans notre pays, il est essentiel de conduire des politiques de l'emploi qui font se rapprocher les attentes des entreprises et le profil des candidats au recrutement. C'est pourtant le moment que vous choisissez, madame la ministre, pour réduire encore les moyens de Pôle emploi, dont c'est l'une des missions – une baisse de 136 millions d'euros en 2020, je le rappelle.
Permettez-moi de m'étonner de cette gestion un peu erratique et de vous demander si la stratégie poursuivie pour rapprocher les qualifications et les besoins des entreprises n'est pas une occasion manquée, particulièrement pour les régions, acteurs historiques en la matière, auxquelles vous avez enlevé du pouvoir lors de la discussion sur la loi travail.
Tout d'abord, madame Kuster, je me permets de rectifier un chiffre, car je suis une obsédée des chiffres incontestables. Nous sommes passés de 2,8 à 2,5 millions de chômeurs disponibles pour travailler en 2017. Ces chiffres ne sortent pas de mon chapeau : je me réfère toujours au même baromètre, publié chaque trimestre et il s'agit des chiffres de l'INSEE, reconnus par le Bureau international du travail. Tous les chiffres sont discutables mais il faut toujours prendre la même référence pour comparer ce qui est comparable.
En ce qui concerne les sujets que vous évoquez, vous avez raison, les causes sont multiples. Je partage votre constat : il est certain qu'au moins une entreprise sur deux connaît des difficultés pour trouver les compétences qu'elle recherche, ce qui est une proportion énorme. Si nous parvenons à la réduire, c'est en fait une chance, mais si nous n'y arrivons pas ce sera un grave problème, car il s'agit d'un enjeu à la fois social et économique.
Les raisons de ces difficultés sont connues, et je crois à une politique de l'emploi qui utilise tous les leviers. Le premier, dont j'ai déjà parlé, est la compétence. Il existe un très grand écart entre les compétences demandées et celles qui sont disponibles. Le plan d'investissement pour les compétences et les mesures pour l'apprentissage sont là pour y remédier.
D'autre part, certains métiers ne sont pas assez attractifs ou parfois, simplement, pas assez connus. Le cas des chaudronniers est célèbre : des dizaines de milliers de postes sont à pourvoir, c'est un métier bien payé, les conditions d'exercice se sont améliorées et il est très valorisant de travailler sur les ailes d'un Airbus, néanmoins le métier reste peu connu.
Mais parfois aussi, certaines branches doivent réfléchir à des améliorations concernant les conditions de travail, les salaires ou la part d'emplois précaires. Si elles ne proposent que des emplois précaires et jamais de perspective d'embauche durable, elles ne sont pas attractives !
Il faut donc travailler sur toutes ces questions. Je peux citer aussi celle de la mobilité, des transports, que vous avez évoquée et qui suppose un partenariat de plus en plus étroit entre Pôle emploi et les collectivités territoriales, responsables en la matière. Il en va de même pour la question de la garde d'enfants qui donne lieu, comme nous l'avons vu, à des mesures dans le cadre des initiatives locales pour l'emploi.
En ce qui concerne les régions, je m'inscris en faux contre vos propos : dans le cadre du PIC, nous transférons 6 milliards d'euros aux régions pour les aider à se renforcer. Ce large partenariat se passe très bien dans la plupart des seize régions qui l'ont noué. Sur ce sujet, les régions sont actives et nous les aidons à l'être encore plus. Enfin, concernant l'apprentissage, les résultats parlent d'eux-mêmes.
Madame la ministre, lorsque j'étais chef d'entreprise, j'avais tendance à dire que les chiffres sont plus parlants que les beaux discours. En matière de lutte contre le chômage, force est de constater objectivement que vous-même, les politiques que vous avez insufflées et donc le pays obtiennent aujourd'hui des résultats factuellement positifs.
Surtout, nous avons tous conscience que, derrière ces chiffres, il y a des hommes et des femmes qui reconstruisent des projets de vie et retrouvent une dynamique et un espoir : c'est cela qui nous incite à poursuivre la démarche.
Cependant, alors que la situation s'améliore, nous devons choisir entre une politique de continuité ou une approche d'expérimentation et de rupture, au moins dans certains domaines.
La décentralisation des politiques de l'emploi vers les régions constitue l'une des ruptures possibles. En effet, deux atouts majeurs jouent en faveur de l'acteur régional. Il y a, d'une part, sa connaissance du tissu économique en raison de sa proximité – depuis que les régions ont la compétence économique, elles ont créé des liens forts avec les entreprises. D'autre part, les régions ont la capacité de répandre et d'essaimer les innovations que vous avez évoquées de façon efficace sur le terrain.
Les expérimentations menées dans ma circonscription constituent un bon exemple. Je pense en matière de chômage des jeunes à « Café contact emploi », une initiative associative qui s'est déployée et permet aujourd'hui de travailler sur l'insertion. Je pense aussi à l'expérience du parrainage de trente jeunes de quartiers difficiles au chômage par des cadres d'entreprise. Devant les résultats positifs, la région a proposé de multiplier leur nombre par dix en travaillant avec la maison de l'emploi grâce à un appel à projets de l'État « 100 % inclusion ».
L'État est-il prêt à envisager une expérimentation réelle de décentralisation des acteurs de l'emploi, Pôle emploi compris, vers les régions ?
Mme Justine Benin et Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas applaudissent.
Dans ma jeunesse, j'ai été administrateur territorial. Je connais donc un peu les collectivités locales : je travaille avec elles depuis des décennies, y compris de l'intérieur. Par définition, la décentralisation permet la différenciation mais, en ce qui concerne l'emploi, il est difficile de répondre à votre question par un oui ou un non. Je m'en tiendrai donc à un « oui mais ».
En effet, l'expérience montre qu'en matière de formation des demandeurs d'emploi, l'action des régions est très inégale. Certaines d'entre elles font un travail formidable, mais j'ai déjà évoqué le cas du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes, qui a supprimé 65 % des formations pour les demandeurs d'emploi, dont toutes les formations de bas niveaux de qualification, parce qu'il considère que ce n'est pas son rôle de faire de la solidarité et d'aider les plus vulnérables. Alors que la plupart des régions ont supprimé les formations en faveur de la réinsertion des détenus, ou celles visant à lutter contre l'illettrisme, il revient à l'État de s'assurer que, partout sur le territoire, les plus vulnérables sont pris en compte.
Certaines régions jouent leur rôle, je l'ai dit, mais, parce que ce n'est pas le cas de la totalité d'entre elles, nous ne pouvons pas, aujourd'hui, leur déléguer la totalité de la compétence de l'emploi. Je constate d'ailleurs que, pour ces mêmes raisons, ce n'est le cas dans aucun autre pays européen, y compris dans des pays très fédéraux comme l'Allemagne.
Néanmoins, nous sommes prêts à aller plus loin avec les régions. Au congrès des régions de France, le Premier ministre a proposé une expérimentation sur une instance de gouvernance régionale de Pôle emploi. Nous avons aussi prouvé notre bonne volonté, à travers les 6 milliards d'euros supplémentaires apportés par le plan d'investissement dans les compétences – les « 100 % inclusion » que vous évoquiez en relèvent – et notre action en matière d'emploi.
L'expérimentation, qui commencera dans quelques régions volontaires en 2020, verra s'ériger une nouvelle instance de gouvernance, présidée par le conseil régional, avec un rôle opérationnel concernant les grands objectifs de Pôle emploi en matière de formation professionnelle, les expérimentations, notamment pour les parcours de demandeurs d'emploi et leur formation, ou la coordination du contrôle des organismes de formation. Cette expérimentation nous permettra de voir comment il est possible de travailler avec les régions qui le souhaitent et qui s'engagent.
En 2018, le nombre de créations d'emplois a progressé de 2,4 % en Guadeloupe, ce qui met ce territoire au troisième rang de ceux qui créent le plus d'emplois en France. Pour autant, beaucoup reste à faire pour relever le défi de l'emploi dans les outre-mer, singulièrement en Guadeloupe où le taux de chômage s'élève toujours à 23 %.
Nous avons voté, il y a plus d'un an, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui a institué France compétences, institution publique chargée de réguler, de financer et d'organiser la formation professionnelle et l'apprentissage sur tout le territoire national. Sachant que les territoires d'outre-mer ont des particularités et des caractéristiques très spécifiques, liées à l'insularité, à l'éloignement et à l'étroitesse des marchés, j'aimerais vous entendre, madame la ministre, sur l'opportunité de créer des antennes de France compétences dans chaque bassin océanique, et singulièrement aux Antilles-Guyane.
Cela répondrait à un besoin de proximité et à l'impératif de professionnalisation des organismes de formation sur place. Cette évolution est aujourd'hui indispensable en raison du vieillissement de notre population, en Guadeloupe et en Martinique, vieillissement lié à l'exode de notre jeunesse, partie travailler dans l'hexagone ou à l'étranger faute de propositions professionnelles sur place. Que faire pour créer des emplois afin que nos jeunes puissent s'épanouir professionnellement dans l'ensemble des territoires de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion ou de la Guyane ?
Par ailleurs, madame la ministre, j'étais à vos côtés en mars 2019, à Cachan, dans le Val-de-Marne, afin de lancer le dispositif des emplois francs dans les départements d'outre-mer. Cette démarche, innovante et incitative, permet aux entreprises qui recrutent des jeunes demandeurs d'emploi vivant en zones prioritaires de bénéficier de primes à l'embauche, à hauteur de 5 000 euros pendant trois ans pour un contrat à durée indéterminée et de 2 500 euros pendant deux ans pour un contrat à durée déterminée. Quel premier bilan en tirez-vous ? Surtout, comment pourrions-nous simplifier l'accès à ce dispositif afin qu'il puisse pleinement bénéficier aux associations ?
Nous partageons les mêmes convictions, madame Benin. Nous en avons discuté lors de ma visite en Guadeloupe, mais aussi lors de tous nos débats sur l'ordonnance d'adaptation à l'outre-mer de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Je veux d'ailleurs souligner que ce travail a été effectué par des députés et des sénateurs issus de tous les groupes politiques, ce que je tiens à saluer.
Je me réjouis comme vous de la dynamique d'emploi que connaît aujourd'hui la Guadeloupe. Je partage aussi votre sentiment que le taux de chômage sur place est encore très élevé et qu'en conséquence, pour ce qui concerne l'emploi, il faut renforcer l'attractivité du territoire pour les jeunes. C'est la raison pour laquelle nous sommes prêts à expérimenter des formes d'apprentissage innovantes, des sortes d'Erasmus Caraïbes. Il faut avancer en la matière car les regards ne peuvent pas être tournés vers la seule métropole : il faut aussi qu'ils se portent sur le bassin économique naturel que constituent les Caraïbes.
France compétences n'exerce pas de rôle direct auprès des opérateurs : sa mission de régulation financière et administrative est d'ordre général. Elle ne dispose donc d'antenne régionale nulle part. En revanche, nous pourrions regarder ensemble comment le CREFOP – comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles – et le CARIF – centre d'animation et de ressources d'information sur la formation – pourraient monter en puissance, en jouant peut-être des rôles spécifiques et renforcés pour les outre-mer.
Comme vous l'avez souligné, il y a outre-mer un enjeu de montée en professionnalisation qui concerne en particulier l'offre de formation et peut-être aussi l'offre d'accompagnement de l'insertion. Sur ces sujets, il y a un besoin d'ingénierie et nous pourrions peut-être renforcer les capacités d'ingénierie du CREFOP et du CARIF.
S'agissant des emplois francs, nous étions ensemble l'année dernière, lors du lancement de l'extension du dispositif, comme vous l'avez rappelé. Depuis le 1er avril dernier, tous les quartiers prioritaires de la ville peuvent en bénéficier. On compte aujourd'hui 18 000 emplois francs. Nous allons continuer et je suis évidemment d'accord pour vérifier que l'expérimentation fonctionne bien, mais pour l'instant, les choses ont l'air d'être bien parties.
Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur le chômage des seniors. La situation en la matière est préoccupante, comme cela a déjà été souligné à plusieurs reprises par la Cour des comptes. Je pense en particulier à un référé en date du 23 juillet 2019, rendu public le 10 octobre dernier.
Ce document dresse un constat effarant. Le taux d'emploi des salariés âgés de 55 à 64 ans est de 52 % au premier trimestre de l'année 2019, soit sept points de moins que la moyenne européenne. Les périodes de chômage de cette population sont par ailleurs bien plus longues que celles de l'ensemble des demandeurs d'emploi, et leur niveau de qualification est inférieur. On constate surtout que la situation est encore plus alarmante pour les chômeurs âgés de 60 à 64 ans, dont le taux d'emploi n'est que de 32 %.
Les périodes de chômage, délétères pour tous, sont particulièrement difficiles pour les seniors, qui se retrouvent dans une sorte de période transitoire assez difficile à vivre entre emploi et retraite, avec des conséquences désastreuses. J'ai été particulièrement choquée par la hausse des montants versés aux chômeurs de 60 à 64 ans au titre du RSA-socle – il s'agit pour eux de la dernière des protections – , une augmentation qui se monte à 157 % depuis dix ans
Ces quelques chiffres m'ont profondément interpellée. Ils me semblent appeler, madame la ministre, quelques éclairages sur l'action en cours en la matière. Ces périodes de chômages peuvent constituer pour certains de véritables trappes à pauvreté. Où en sommes-nous de la mise en place du compte personnel de formation ? À mon sens, ce dispositif constitue une vraie opportunité pour accompagner dès l'âge de 55 ans des transitions accélérées. Quelles actions pourraient mener Pôle emploi pour améliorer l'accès à la formation de nos seniors ?
Afin de répondre au référé de la Cour des comptes, le Premier ministre a évoqué la création d'une mission afin de dégager des propositions. Pouvez nous en dire plus aujourd'hui ? Vous-même, madame la ministre, avez évoqué l'année dernière, en répondant à une question écrite, le déploiement d'outils informatiques de sensibilisation et d'information des seniors et des entreprises. Quelles informations pouvez-vous nous donner à ce sujet ?
Madame la députée, nous avons lu le même document de la Cour des comptes, et toutes les analyses dont nous disposons sur le sujet convergent. Comme vous l'avez dit, la situation est préoccupante. D'une part, le taux d'activité des seniors est plus bas que la moyenne européenne, surtout celui des 60-64 ans – il y a là un vrai sujet. D'autre part, le taux de chômage de longue durée est très élevé. Certes, globalement, le taux de chômage des seniors est inférieur au taux national, mais, pour ceux qui sont touchés, il est extrêmement difficile de revenir à l'emploi. Le chômage est moins fréquent, mais ses effets sont plus graves.
De plus, dans cette position intermédiaire entre l'emploi et la retraite, si les deux tiers des personnes concernées tirent leurs revenus de l'assurance chômage, un autre tiers vit grâce aux minima sociaux, dans les situations de précarité qu'on imagine. Il s'agit d'un gâchis humain et d'une perte économique pour la nation, car les personnes en question sont souvent expérimentées et ont des choses à apporter.
C'est dans ce cadre que nous avons confié à trois personnes, dont Mme Sophie Bellon, présidente du conseil d'administration de SODEXO, une mission sur l'emploi des seniors. Mardi prochain, ils remettront au Gouvernement et aux partenaires sociaux leur rapport qui nourrira les travaux entamés hier avec le Premier ministre et les partenaires sociaux d'une part sur l'emploi des seniors et d'autre part sur la pénibilité, sujets qui sont évidemment intriqués.
Le compte personnel de formation constitue bien une opportunité. Aujourd'hui, dans les entreprises, on ne forme pas les seniors : on se contente de constater que leurs connaissances ne sont plus à jour. Mais on peut se former à 50, à 55 ou à 60 ans ! Il est trop tôt pour l'affirmer, mais je pense que l'application Mon compte formation permettra aussi de rouvrir le droit à la formation des seniors.
Du côté de Pôle emploi, pendant une longue période, les seniors ont été un peu oubliés : très peu d'offres d'emploi leur étaient destinées. Aujourd'hui, alors qu'une entreprise sur deux cherche des compétences, nous devons remobiliser les agences de Pôle emploi sur ce sujet. D'autres pistes feront l'objet de la concertation en cours avec les partenaires sociaux – nous pourrons les évoquer ensemble très bientôt.
Alors que le chômage est un fléau pour notre pays et surtout pour les Français qui le subissent, il est depuis plusieurs décennies l'un des défis majeurs que doit relever chaque gouvernement. Il existe aujourd'hui un projet audacieux, qui porte ses fruits sur le front de la lutte contre le chômage : l'initiative « territoires zéro chômeur de longue durée », née d'une proposition de loi déposée par notre ancien collègue Laurent Grandguillaume, adoptée à l'unanimité dans cet hémicycle et au Sénat en 2016.
Partant du constat que personne n'est inemployable, cette initiative vise à rendre effectif un « droit à l'emploi » en sortant des personnes d'une situation de privation d'emploi et en les préparant à la réinsertion dans le monde du travail. On peut considérer aujourd'hui qu'il s'agit d'un succès. Plusieurs rapports intermédiaires ont été publiés : trois ans après le début de l'expérimentation sur dix territoires, 900 personnes en situation de chômage de longue durée ont été embauchées en CDI.
Il est clair que cette initiative redonne confiance, qu'elle remet du lien entre les individus, et entre l'individu et la société. Elle réussit parce que, contrairement aux politiques classiques de lutte contre le chômage, elle part des territoires, elle colle à leurs nécessités en ne se déployant que pour les besoins utiles et non satisfaits.
Madame la ministre, vous avez indiqué que le Gouvernement communiquerait les suites qu'il souhaite donner au projet au cours du mois de janvier. Le moment est donc venu. Les rapports de l'IGAS – inspection générale des affaires sociales – , de l'IGF – inspection générale de finances – et du conseil scientifique de l'évaluation consacrent les éléments positifs que je viens d'évoquer, mais ils se font critiques devant l'impact nul du dispositif sur les finances publiques.
Ces rapports relèvent d'une vision gestionnaire, ce que je regrette, et portent davantage sur les économies réalisées que sur les retombées pour les territoires et le bénéfice humain, pourtant au centre du projet.
Ce dispositif mérite d'être poursuivi, encouragé et déployé. Prévoit-on de l'étendre par le biais d'une nouvelle loi ? Vous avez partiellement répondu à cette question : il semble que le Gouvernement ne souhaite pas généraliser l'expérience. Pouvez-vous confirmer cette orientation et nous préciser les critères qui permettront à de nouveaux territoires de profiter du dispositif ? Je pense particulièrement au Trièves, dans ma circonscription, qui a fait un gros travail en ce sens depuis plusieurs années et qui est très volontaire. Enfin, comment répondre au nécessaire besoin de formation dans le cadre des expérimentations en cours ?
Madame Battistel, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire plusieurs fois, je trouve cette expérimentation intéressante. Aux termes de la loi de 2016, l'expérimentation devait durer cinq ans et concerner dix sites ; elle a bien été menée dans les territoires concernés, bénéficiant à 900 personnes, dont 750 restent actuellement salariées. Dans le cadre de la loi de finances pour 2020, j'ai prévu, sans changer la loi ni le nombre de sites, de doubler l'effort pour le porter à 1 000 équivalents temps plein supplémentaires.
À la demande des initiateurs du projet, Laurent Grandguillaume et Louis Gallois, nous avons décidé, plutôt que d'attendre cinq ans, d'évaluer le dispositif à mi-parcours. Trois évaluations ont été réalisées. La première a été menée par l'IGF et l'IGAS, qui cherchaient principalement à établir si l'hypothèse de départ – la transformation des dépenses passives en dépenses actives – se vérifiait, c'est-à-dire si l'investissement social se retrouvait bien dans l'économie. Je rappelle que dans le cadre de ce dispositif, le ministère du travail alloue 18 000 euros par personne sous forme de salaires, et encore 5 000 euros d'aide au démarrage. Une autre évaluation, plus qualitative, a été réalisée par des experts indépendants. Enfin, les promoteurs du projet ont procédé à une auto-évaluation.
Ces trois évaluations se recoupent partiellement, et partiellement divergent. Nous avons décidé, de façon innovante, de mettre tout le monde dans la même salle pour s'expliquer au fond et comprendre ces écarts : sont-ils dus au fait que les évaluateurs n'ont pas pris en compte les mêmes éléments ? On tente de parvenir à un diagnostic commun pour identifier ensemble les conditions d'une extension du dispositif.
Celle-ci peut intervenir sans attendre la fin des cinq ans, mais il faut pour cela déterminer les éléments qui marchent bien et qu'il faut conforter – c'est par exemple le cas de la gouvernance locale, un élément essentiel à l'origine même du projet – et les éléments qu'il faut améliorer, à spécifier selon le contexte local – zone rurale ou urbaine… D'ici quelques semaines, nous disposerons d'un bilan partagé et de propositions convergentes, qui permettront d'intégrer l'extension de l'expérimentation à un projet de loi au cours de l'année 2020.
Madame la ministre, vous avez indiqué tout à l'heure que vous aimiez bien les chiffres de l'INSEE. Moi aussi, donc je vous en citerai deux. Il y a deux jours, le 6 janvier, l'INSEE a publié une étude sur le nombre d'emplois salariés et non salariés par département, et sur son évolution entre 2017 et 2018. On y constate que trente-huit départements – un nombre très significatif ! – ont affiché en 2018 une baisse du nombre de leurs emplois, salariés et non salariés. Parmi ces départements figurent de nombreux départements ruraux du centre de la France. Vous allez sans doute me répondre que cette évolution découle d'un recul démographique dans ces départements. Mais dans la plupart d'entre eux – je pense notamment au Tarn-et-Garonne, que connaît bien ma collègue Sylvia Pinel ici présente – la population a continué à augmenter alors que le nombre d'emplois a baissé.
Madame la ministre, les politiques que vous avez lancées depuis deux ans conduisent à fragiliser la situation de l'emploi dans certains départements. La réforme de l'assurance chômage, que vous avez imposée aux partenaires sociaux, contribue également à ce déséquilibre. Dès lors, que comptez-vous faire pour éviter que les fractures sociales et territoriales ne s'aggravent, les distorsions étant aujourd'hui très importantes ?
Ma deuxième question porte sur les effectifs dans la fonction publique hospitalière. L'étude publiée par l'INSEE le 17 décembre 2019 révèle que « dans la fonction publique hospitalière, les effectifs diminuent légèrement en 2018 [… ], après une quasi-stabilité en 2017 [… ]. Ici aussi, la baisse est la conséquence de la réduction du nombre de contrats aidés. [… ] La baisse d'effectifs touche notamment les hôpitaux (– 0,4 % y compris contrats aidés) ».
Vous le constatez, madame la ministre, votre politique en matière de contrats aidés a eu un impact néfaste sur les hôpitaux, dont certains subissent des grèves depuis juin 2019 – une première, tant par leur ampleur que par leur durée. Lorsque vous avez supprimé les emplois aidés, vous disiez vouloir apporter des solutions de remplacement. On n'en a pas vu pour les hôpitaux. Que comptez-vous faire ?
Madame Rabault, vous posez plusieurs questions importantes. L'un des risques du développement économique, c'est en effet l'accroissement de la différenciation territoriale que l'on observe depuis vingt ans en matière de chômage. L'emploi va à l'emploi, l'activité économique à l'activité économique. Les emplois se concentrent dans les métropoles alors que les zones rurales connaissent une désertification. Ainsi, dans une vingtaine de départements, le taux de chômage est à 7 % quand dans d'autres, il est à 10 %, 14 %, voire 23 % dans les outre-mer.
Cette différenciation exige des corrections, qui peuvent passer par une action sur les infrastructures – la mobilité et l'accès à la 4G représentent des éléments essentiels de la lutte contre la perte des emplois dans les territoires – , action de nature interministérielle, mais aussi, en matière de politiques de l'emploi, par une discrimination sélective visant à soutenir les populations et les territoires qui en ont le plus besoin. Nous en avons d'ailleurs tenu compte dans les contrats que nous avons passés avec les régions pour les plans d'investissement dans les compétences.
Pour ce qui est des contrats aidés, ils n'ont pas été supprimés – le socle juridique existe toujours – mais transformés en parcours emploi compétences, pour des raisons que nous avons déjà longuement explicitées. Nous y avons ajouté l'accompagnement et la formation, et l'on constate qu'à l'issue des nouveaux parcours emploi compétences, les taux d'embauche durable sont plus importants. En effet, le but des contrats aidés, ce n'est pas de donner de la main-d'oeuvre gratuite aux employeurs, fussent-ils publics, mais de permettre aux personnes en difficulté de retourner à l'emploi. Les hôpitaux peuvent en bénéficier, à condition qu'ils offrent accompagnement et formation.
Mais la fonction publique hospitalière souffre aussi d'un manque d'attractivité et beaucoup de postes restent vacants. C'est un sujet sur lequel ma collègue ministre des solidarités et de la santé est en train de travailler avec les professionnels du secteur, afin d'améliorer les conditions de travail et parfois de rémunération dans les hôpitaux.
Madame la ministre, interroger le Gouvernement sur la politique de lutte contre le chômage, c'est évidemment l'interroger sur les moyens qu'il met en oeuvre afin d'accompagner les demandeurs d'emploi. À l'occasion des débats sur le budget de la mission « Travail et emploi » pour 2020, nous avions déjà été quelques-uns à vous interroger sur la place des initiatives en faveur de l'emploi lancées par les territoires, et sur les moyens de les soutenir.
Parmi ces initiatives, citons les maisons de l'emploi : celles-ci avaient été créées en 2004, à l'initiative de Jean-Louis Borloo, afin de se voir confier, au plus près des réalités des bassins d'emploi, un rôle de coordination des différents acteurs de l'emploi : le service public de l'emploi, mais également les collectivités locales, les entreprises, les organisations professionnelles, les partenaires sociaux et les associations. Ainsi, les maisons de l'emploi, dans le cadre d'un partenariat étroit avec l'État, défini par leur cahier des charges, orchestraient les initiatives territoriales afin de mieux répondre aux spécificités des bassins d'emploi face au chômage. L'État a fait pourtant le choix, ces dernières années, de s'en désengager sur le plan financier.
En novembre dernier, à l'occasion du débat budgétaire, certains collègues ont proposé la création d'un fonds d'expérimentation en faveur des initiatives territoriales. Nous avons suggéré de lancer, dans les quartiers de la politique de la ville, une expérimentation visant à décloisonner le travail des acteurs locaux de l'emploi en s'appuyant sur l'expérience d'un groupe de travail créé l'année dernière au sein de la Métropole européenne de Lille. Cette expérience a permis de faire travailler ensemble des organismes qui, bien que participant à la lutte contre le chômage, n'ont pas l'habitude d'agir en partenariat.
Ainsi, d'une manière générale, on constate que les initiatives territoriales pour l'emploi se développent, que les territoires sont des lieux d'innovation, et que l'État devrait soutenir et encourager ces initiatives. Aussi, madame la ministre, quelle place entendez-vous donner aux initiatives des territoires en faveur de l'emploi ? De quels outils et dispositifs comptez-vous partir pour donner à ces initiatives les moyens de se développer ?
Monsieur Christophe, beaucoup d'initiatives territoriales peuvent faire l'objet d'un soutien et d'un accompagnement de la part de mon ministère. C'est vrai du dispositif territoires zéro chômeur de longue durée, que nous avons évoqué, de l'insertion par l'activité économique, des entreprises adaptées et des initiatives locales.
S'agissant des maisons de l'emploi, j'ai décidé d'en maintenir le financement au même niveau que l'année dernière, à 5 millions d'euros. Ces organismes travaillent en lien étroit avec l'association Alliance villes emploi, qui les coordonne ; elle estime qu'il faut continuer à faire évoluer le réseau. En effet, quand le dispositif a été créé – et c'était une très bonne idée – il n'y avait pas le service public de l'emploi d'aujourd'hui. La plupart des acteurs comprennent qu'il faut agir en complémentarité et en bonne intelligence avec les autres : ce travail est en cours.
Mais les maisons de l'emploi peuvent également bénéficier des opportunités de financement que représentent les appels à projets en matière de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences – beaucoup en font au niveau local – , de formation au numérique ou aux emplois verts, et d'innovation de façon générale. Un exemple : la maison de l'emploi du Grand Périgueux a répondu à l'appel à projets « Intégration professionnelle des réfugiés » et a été sélectionnée ; elle va recevoir 450 000 euros sur trois ans pour faire partie des acteurs innovants dans le domaine de l'intégration et de la formation des réfugiés, et va embaucher des personnes qui vont s'en occuper à temps plein.
Ainsi, on peut aussi agir en mode contractuel, par projet : cela laisse à chacun sa liberté d'initiative, mais permet d'élaborer ensemble de meilleures solutions dans les territoires.
Madame la ministre, j'aimerais vous interroger sur le chômage des personnes en situation de handicap et plus précisément sur le mécanisme de dégressivité de l'allocation adulte handicapé – AAH – prévu dans le cas où le bénéficiaire aurait un emploi. L'AAH est une aide accordée sous certaines conditions aux personnes handicapées, afin de garantir un minimum de revenus. Bien que nous saluions son augmentation, décidée par le Gouvernement, la dégressivité de cette aide, proportionnellement aux ressources perçues tirées du travail, n'incite pas à la recherche et à l'obtention d'un emploi.
En effet, beaucoup de personnes handicapées et motivées pour trouver un emploi n'ont en fait aucun avantage à le faire puisqu'en restant sans emploi elles toucheront au moins autant. J'ai d'ailleurs eu ce cas précis dans ma circonscription des Vosges où la personne, très motivée, se désolait de cet état de fait. La dégressivité de l'AAH ne favorise donc pas la lutte contre le chômage : elle représente même clairement une entrave à l'incitation à trouver un emploi.
Madame la ministre, il faudrait faire en sorte que le mécanisme de l'AAH soit calibré de façon à être incitatif pour les personnes en situation de handicap désirant s'épanouir dans le monde du travail, c'est-à-dire, tout simplement, de façon à favoriser une personne qui travaille par rapport à une personne qui est au chômage. Cela paraît juste et de bon sens.
Monsieur le député, la question que vous posez vaut non seulement pour les personnes en situation de handicap, mais plus généralement pour nos politiques publiques. L'inévitable cloisonnement de celles-ci – politiques de ressources pour les personnes en difficulté ou en situation de handicap, politiques d'aide à l'emploi… – crée des situations où les personnes ne sont pas incitées à retourner à l'emploi, et vous en avez décrit une. La secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, travaille sur ce problème de lissage.
C'est dans le même esprit que nous avons augmenté la prime d'activité dans le cadre de la loi portant mesures d'urgence économiques et sociales, car pour certaines personnes, il n'était pas intéressant de prendre un emploi. La prime d'activité a permis de franchir cette barre : non seulement a-t-elle augmenté le pouvoir d'achat de nos concitoyens les plus précaires, au revenu le plus modeste, mais elle a également assuré de gagner toujours plus en choisissant de travailler.
Quoi qu'il en soit, notre philosophie est claire : on doit toujours gagner plus en travaillant qu'en recevant une allocation ou l'assurance chômage. C'est donc dans cet état d'esprit – le travail doit toujours payer plus que l'inactivité – qu'il nous faut traiter avec Sophie Cluzel le problème que vous soulevez.
De nombreux territoires comme mon département, le Tarn-et-Garonne, justifient un effort particulier en matière de formation et de lutte contre le chômage. Malgré le besoin évident de proximité pour lutter efficacement contre le chômage et répondre aux différentes dynamiques territoriales, les régions se sont vu retirer la régulation de l'ouverture des centres de formation d'apprentis par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Cette compétence a été confiée aux branches professionnelles, qui développent un marché privé de l'apprentissage, financé selon un coût au contrat qu'elles fixent uniformément. Ce nouveau modèle de financement met en péril d'anciens CFA, notamment ceux qui sont situés en zone rurale ou ceux qui forment à des métiers rares.
Madame la ministre, comment pouvez-vous justifier ce choix alors que le Gouvernement saluait le nombre record d'apprentis formés dans notre pays en juin 2019, fruit des efforts persistants des élus régionaux ? Ne serait-il pas judicieux de faire confiance aux régions et aux collectivités territoriales, qui disposent d'une véritable expertise en la matière ?
Je suis convaincue que seule une gouvernance régionale forte permettra d'unir les divers acteurs à travers des partenariats associant l'État, les branches professionnelles, les organismes de formation et les entreprises.
Je souhaitais vous interroger sur un second sujet : la nécessité, pour faciliter le retour à l'emploi, de renforcer l'attractivité de certains métiers, notamment dans des filières où de nombreux emplois ne sont pas pourvus. Les arboriculteurs du Tarn-et-Garonne, par exemple, ont peiné cette année à recruter des saisonniers, au point que les fruits de certains vergers n'ont pu être ramassés, entraînant un manque à gagner évident pour les producteurs. Mais les métiers du grand âge ou du bâtiment subissent les mêmes difficultés de recrutement, notamment en raison de leur pénibilité.
Comment comptez-vous investir dans la revalorisation de ces métiers, étape incontournable pour orienter les chômeurs vers les secteurs en tension ? Comment mieux reconnaître la pénibilité de ces métiers ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
Madame Pinel, vous posez deux questions importantes.
S'agissant de l'apprentissage, je n'ai rien contre la décentralisation, bien au contraire. Nous apportons d'ailleurs la preuve de notre foi en la décentralisation puisque, dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences, nous transférons 6 milliards d'euros supplémentaires aux régions pour la formation des demandeurs d'emploi.
Il faut néanmoins reconnaître que l'apprentissage stagnait depuis des années. En fait, il augmentait pour les sorties avec un niveau de l'enseignement supérieur mais diminuait pour les autres, notamment pour les sorties avec un niveau 4 ou 5.
Pendant des mois, nous avons mené des concertations avec les partenaires sociaux, les régions, les directeurs de CFA, les acteurs de terrain. Une fois identifiés, tous les freins ont été levés. Comme nous croyons à la liberté d'initiative, nous avons ainsi autorisé le développement de CFA sans autorisation administrative. Nous l'avons fait malgré le désaccord des régions parce que nous estimions qu'il y allait de l'intérêt général.
Que constatons-nous ? Grâce à cette liberté qu'a donnée la loi, le nombre d'apprentis a augmenté de 8,4 % ; plusieurs dizaines de lieux de formation ont d'ores et déjà été créés sur les 500 projets annoncés. Les compteurs sont en train d'exploser partout, que ce soit dans les chambres de commerce et d'industrie, dans les chambres de métiers et de l'artisanat, chez les Compagnons du devoir ou dans les maisons familiales rurales, grâce à la dynamique que nous avons permise chez les acteurs. D'ailleurs, après avoir été inquiets, les directeurs de CFA sont désormais très satisfaits de la réforme.
À présent, nous devons passer à l'étape suivante. Nous avons laissé aux régions la compétence d'investissement tout en renforçant leurs prérogatives dans le domaine de l'orientation. Nous travaillons main dans la main avec de nombreuses régions. Chacun a son rôle à jouer : les entreprises, les branches, les régions, l'État. Nous n'avons pas recentralisé mais nous avons libéré le jeu des acteurs et donné des moyens de financement. L'apprentissage mobilise beaucoup plus d'argent et d'acteurs, ce dont nous pouvons nous réjouir pour la jeunesse de notre pays et pour les entreprises.
En octobre dernier, la Cour des comptes nous a alertés sur la situation de l'emploi de nos compatriotes de plus de 50 ans. Son constat est sans appel : dans notre pays, le taux d'emploi des 55-64 ans est de 52,3 %, c'est-à-dire de six points inférieur à la moyenne européenne. Plus problématique encore, on observe qu'un senior reste deux fois plus longtemps au chômage que l'ensemble des autres demandeurs d'emploi.
D'après ce rapport, les entreprises se montrent particulièrement réticentes à embaucher des salariés de plus de 52 ans, réputés trop âgés pour le monde du travail. À titre personnel, je crois que ce constat doit nous conduire à nous interroger sur notre conception sociale de l'âge. Là où certains voient une tare, je vois la garantie d'une expérience certaine.
Dans ce contexte, en attendant de prendre leur retraite, nos concitoyens se résolvent souvent à vivre d'une allocation chômage, d'une allocation de solidarité spécifique – ASS – quand ils ont épuisé leurs droits, ou d'autres minima sociaux, car ils sont sans aucune perspective d'emploi. Cette prise en charge par la solidarité nationale et l'assurance chômage s'élève d'ailleurs à 1,5 milliard d'euros par an.
Madame la ministre, à l'heure où nous évoquons la réforme de notre système de retraite et l'éventuelle création d'un âge d'équilibre, cette réalité est inacceptable. À ce propos, permettez-moi de citer un proverbe de chez moi, du Cantal : pain de vieillesse se pétrit pendant la jeunesse !
Comment le Gouvernement compte-t-il favoriser l'emploi des seniors et faciliter leur transition vers la retraite ? Comment comptez-vous lutter contre l'exclusion et la précarité qui les touchent ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
Monsieur El Guerrab, nous faisons le même constat. Le taux d'emploi des personnes jusqu'à 59 ans correspond à la moyenne européenne et est assez élevé, mais il s'écroule pour les personnes plus âgées : seulement une personne sur trois travaille après 60 ans. Et si le taux de chômage des seniors n'est que de 6 %, le chômage de longue durée est plus beaucoup important dans cette catégorie que dans les autres. C'est une trappe dont il est difficile de sortir.
Dans le contexte de la réforme de notre système de retraite, il est impossible de ne pas aborder ce sujet. Cette réforme représente même une opportunité d'entreprendre des actions encore plus audacieuses que celles que nous menons déjà, afin de permettre aux seniors, aux expérimentés, d'apporter leur contribution à la société et à l'économie.
Voilà pourquoi nous avons tenu hier une réunion au ministère du travail avec le Premier ministre et Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites, afin de lancer une concertation sur l'emploi des seniors et une autre sur la pénibilité, les deux sujets étant liés puisque la prévention de la pénibilité joue un rôle dans l'employabilité des seniors.
Il faut aussi prévenir l'obsolescence des compétences. La réforme de la formation professionnelle va permettre aux seniors d'accéder davantage au droit à la formation dont ils sont souvent écartés alors qu'ils ont les mêmes capacités et les mêmes besoins que les autres en la matière. Il faut également penser à adapter les conditions de travail et à améliorer le système de retraite progressive et de cumul emploi-retraite, qui correspond à une grande aspiration sociale.
Il va falloir aussi changer les logiciels de recrutement, les mentalités. Alors qu'une entreprise sur deux peine à recruter, on ne peut pas continuer à exclure les jeunes, une partie des femmes, les seniors, les personnes en situation de handicap, les réfugiés et les personnes en réinsertion ! Nous avons besoin de tout le monde. Nul n'est inemployable, à condition d'y mettre les moyens, ce qui sera l'objet de futurs débats dans cet hémicycle.
La parole est à M. Sébastien Chenu pour la dernière question de ce débat.
Il y a quarante et un ans, le 12 décembre 1978, avait lieu la fermeture de l'usine Usinor-Denain. La France connaissait le plus dramatique plan de licenciements de son histoire : 12 000 emplois sacrifiés, dont 5 000 dans la seule ville de Denain dont je suis le député.
À l'époque, les ouvriers français étaient déjà les victimes de la mondialisation et d'une mise en concurrence sauvage avec l'acier chinois. La fermeture de l'usine Usinor-Denain n'est malheureusement qu'un épisode de la longue liste de plans sociaux et de fermetures d'usines abandonnées par l'État au nom du sacro-saint principe de la libre ouverture des frontières et du libre-échangisme.
Depuis, le processus s'est encore accéléré. Depuis 1980, 1,5 million d'emplois industriels ont été détruits dans notre pays. La litanie des fermetures d'usines s'égrène sans fin : Michelin, Moulinex, Danone, Alstom… L'État qui ne pouvait pas tout, pour reprendre une expression bien connue, a multiplié les effets de manches inutiles et, trop souvent, a laissé l'industrie française seule face à une concurrence déloyale.
En septembre dernier, la SNCF, pour l'achat de vingt-huit rames automotrices électriques de trains intercités, a préféré passer commande à un constructeur espagnol au lieu de faire appel à Alstom. Dernier épisode en date : la direction générale de l'armement vient de commander pour 44 millions d'euros de pistolets à des sociétés autrichiennes et tchèques, le marché des munitions ayant été emporté par une société américaine. Le dernier manufacturier d'armes français, Verney-Carron, a été écarté de l'appel d'offres de manière contestable. Nous avions un savoir-faire prodigieux dans le domaine des armes légères, qui a été sabordé.
Si les dirigeants français avaient été soucieux des intérêts stratégiques de la France, jamais les industries françaises et leurs emplois n'auraient ainsi disparu.
Comment pouvez-vous, madame le ministre, affirmer mettre en oeuvre une politique de l'emploi efficace alors que vous refusez d'appliquer un vrai patriotisme économique, que le Rassemblement national est le seul à défendre ?
Monsieur le député, vous faites deux affirmations avec lesquelles je ne suis pas d'accord. En fait, nous ne sommes d'accord que sur un point : l'industrie est importante dans un pays, car chaque emploi industriel génère quatre emplois autour, notamment dans les services.
C'est pourquoi nous conduisons une politique vigoureuse à travers le programme Territoires d'industrie et le futur pacte productif. Nous travaillons avec tous les professionnels de l'industrie, car il faut anticiper l'avenir. On ne peut pas arrêter le progrès et l'évolution technologique, supprimer internet. Notre industrie va être profondément transformée par le numérique et l'écologie. Dans le cadre du pacte productif, nous allons aider les entreprises à évoluer.
L'année dernière, et pour la première fois depuis bien longtemps, l'industrie a recréé des emplois nets, après en avoir perdu beaucoup. Mais ce ne sont pas forcément les mêmes que par le passé : il faut donc former les salariés à ces nouveaux emplois.
Je suis en total désaccord avec vous quand vous imaginez que la fermeture des frontières protégerait l'emploi. Toutes les expériences prouvent le contraire. Une entreprise espagnole ou allemande peut, en effet, sortir gagnante d'un appel à projets. Il n'empêche que, dans nombre de cas, ce sont des entreprises françaises qui bénéficient de cette ouverture des marchés, régulée par l'Europe et les traités internationaux, ce qui a des conséquences positives sur l'emploi en France.
Rappelons que, sur notre sol, 6 millions d'emplois du secteur privé résultent de notre ouverture internationale : 2 millions sont le fruit d'investissements étrangers et 4 millions produisent pour l'exportation.
Nous devons continuer à transformer l'industrie pour qu'elle crée plus d'emplois à l'avenir. C'est l'une de nos grandes priorités. Nous réussirons non pas en essayant de nous protéger par la fermeture mais en étant meilleurs, compétitifs, grâce à des salariés bien formés qui voient leur avenir dans l'industrie.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures.
L'ordre du jour appelle le débat sur la mise en oeuvre des ordonnances de la loi travail.
Je vous rappelle, chers collègues, que la conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à la traditionnelle séance de questions-réponses.
La parole est à M. Boris Vallaud.
Deux ans après la promulgation de la loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, force est de constater que les promesses n'ont pas été tenues. D'après tous les acteurs que j'ai eu l'occasion d'auditionner en tant que corapporteur sur l'application du texte, vous avez perdu votre pari. Vous avez abîmé le dialogue social – au fond, n'est-ce pas la marque de fabrique de cet exécutif ?
Vous aviez par ailleurs promis qu'à la flexibilisation du marché du travail par les ordonnances répondrait la sécurisation des travailleurs par la réforme de l'assurance chômage. Résultat : 40 % de perdants parmi les chômeurs indemnisés. Mais il s'agit, avec cette seconde promesse non tenue, d'un autre débat.
Les réformes engagées par le Gouvernement n'étaient pas demandées par les partenaires sociaux : ils n'y ont pas répondu avec enthousiasme et les entreprises ont même traîné les pieds. La nouvelle architecture conventionnelle n'a donné lieu à aucun accord et la notion gazeuse de « garanties au moins équivalentes » reste un objet de spéculation académique. Depuis deux ans qu'il est appliqué dans les entreprises de moins de cinquante salariés, le dispositif de négociation sans mandatement n'a pas réussi à convaincre les organisations syndicales de salariés des vertus que vous lui prêtiez. Pas d'avantage d'engouement chez les salariés ou les chefs d'entreprise ! L'augmentation des accords conclus par référendum depuis le début de l'année 2019 est très modeste et conjoncturelle puisqu'elle est liée à la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat. Pour le reste, les accords ne font que valider les pratiques établies dans les entreprises.
Le bilan est peu glorieux donc, d'autant que, sur le principe, l'approbation par référendum d'un projet d'accord de l'employeur est l'antithèse de la négociation. Cette mesure, qui expose les salariés, insuffisamment formés et protégés, continue d'ailleurs de susciter la réprobation unanime des organisations syndicales, qui y voient l'une des dispositions les plus contestables des ordonnances, car elle affaiblit le dialogue social.
Non contentes de contourner les organisations syndicales, les ordonnances travail les affaiblissent. Il en va ainsi des conditions de mise en oeuvre du nouveau comité social et économique – CSE – , qui remplace le comité d'entreprise – CE – et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – CHSCT. De nombreuses entreprises voient leurs moyens diminuer. C'est en particulier le cas des entreprises d'au moins cinquante salariés : quel que soit l'effectif considéré, les membres titulaires du CSE voient leur nombre diminuer dans une proportion allant de 27 % à 50 % par rapport aux effectifs cumulés des délégués du personnel membres du CE et du CHSCT. La diminution est particulièrement marquée pour les petites et moyennes entreprises dont l'effectif est compris entre cinquante et cent vingt-quatre salariés, qui perdent chacune 50 % de titulaires par rapport à la situation antérieure. Le nombre mensuel d'heures de délégation est également en diminution, de 48 % en moyenne, par rapport aux heures cumulées des délégués du personnel membres du CE et du CHSCT.
Selon les données publiées le 30 septembre par la DARES – direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques – dans le cadre des évaluations conduites par le comité d'évaluation des ordonnances travail, un retard considérable est constaté dans la mise en place des CSE, en dépit d'une accélération au second semestre. À cette date, seulement 50 % des entreprises de plus de onze salariés s'étaient conformées à la loi. Là où le dialogue social était de bonne qualité, il l'est demeuré ; là où il faisait défaut, il ne s'est pas amélioré. Les ordonnances du Gouvernement n'ont pas permis d'engager la dynamique promise en faveur du dialogue social. Pire encore, elles ont parfois contribué à l'affaiblir lorsqu'il était fragile en diminuant les moyens et les prérogatives des représentants du personnel.
Le constat est partagé par les trois coprésidents du comité d'évaluation des ordonnances travail, qui ont également noté, dans de nombreux accords négociés, la volonté de ne pas modifier les équilibres existants. Cette tendance s'est traduite le plus souvent par une absence de diagnostic partagé et de réflexion approfondie sur ce que pourrait être le dialogue social de demain dans l'entreprise.
Parmi les personnes auditionnées – je pense notamment aux représentants de cabinets de conseil – , beaucoup considèrent même que les négociations sur le CSE ont contribué à crisper les relations entre les représentants des salariés et les employeurs, y compris dans les entreprises où le dialogue social était jusqu'alors de bonne qualité. Les syndicats de salariés, ainsi que les représentants de plusieurs cabinets de conseil, insistent sur l'inégalité du rapport de force entre la direction et les représentants des salariés dans la négociation sur la mise en place du CSE. Dès lors, pour les futurs représentants du personnel, les négociations portent avant tout sur la défense des moyens, au point qu'ils sont parfois prêts à renoncer à certaines de leurs prérogatives, ce qui ne peut évidemment pas être considéré comme un progrès. Dans de nombreux cas, faute de contrepoids suffisants leur permettant d'exiger davantage de contreparties de la part de l'employeur, les représentants du personnel signent les accords à contrecoeur, conscients qu'ils engagent une régression du point de vue des moyens et des prérogatives par rapport à la situation antérieure.
Le temps me manque, madame la ministre du travail, pour achever cet exercice minimal de contrôle, mais la séance de questions nous permettra d'engager la discussion. J'ose espérer que vous ne vous contenterez pas, dans vos réponses, de prononcer un satisfecit sur votre politique et que vous accepterez de la reconsidérer.
La loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social est appliquée depuis maintenant près de deux ans. Elle a constitué le premier acte du Gouvernement, dès son arrivée au pouvoir, dans son entreprise de démolition des droits collectifs des salariés. Suppression des CHSCT, inversion de la hiérarchie des normes, recours au contrat de projet, source de précarisation : nous assistons à une véritable dégradation des conditions de travail et du travail lui-même, comme acte de production, lieu de relations, geste d'émancipation.
Pour nourrir le débat sur la mise en oeuvre des ordonnances travail, il eut été fort intéressant de s'appuyer sur le rapport d'évaluation des corapporteurs Boris Vallaud et Laurent Pietraszewski, mais celui-ci ayant été appelé à mettre son expérience au service de la destruction de notre système de retraite solidaire,
Sourires. – M. Boris Vallaud applaudit
ce rapport ne verra pas le jour. Nous le regrettons vivement.
Nous traversons aujourd'hui une crise sociale et économique violente. Comme pour les retraites, le Gouvernement se trompe de diagnostic : les responsables de la crise ne sont pas les salariés qui auraient trop de droits ou des salaires trop élevés, mais les grands propriétaires de la finance. Dès les premières annonces sur le projet de loi relatif aux ordonnances travail, nous vous avions alerté, madame la ministre, sur sa dangerosité pour des millions de salariés. Force est de constater que nous avions raison. La mise en oeuvre des ordonnances travail se traduit par moins de discussions, par moins de négociations entre les organisations syndicales de salariés et les employeurs, et donc par des droits au rabais. Le MEDEF vous remercie une fois encore de ces mesures !
La loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social porte bien mal son nom. Vous vouliez plus de liberté et plus de sécurité pour l'employeur comme pour le salarié, mais ce que vous avez donné au premier, vous l'avez pris au second. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel devait assurer le volet de protection des salariés, mais elle n'a évidemment pas échappé à votre logique de dérégulation et de libéralisation.
Déjà plusieurs éléments confirment mes propos. Comme l'a relevé le comité d'évaluation des ordonnances travail en juin 2018, les directeurs des ressources humaines « sont peu nombreux à considérer que les ordonnances permettent de recruter plus facilement, mais largement majoritaires pour dire qu'elles simplifient les procédures de licenciement. » Il observe en outre qu'une forte majorité de dirigeants n'envisagent pas de recourir plus souvent à la négociation.
Tout est dit : la principale ambition des ordonnances travail était bien d'affaiblir la négociation, de simplifier les mesures de licenciement et, en supprimant certaines normes, de modifier le rapport de force au bénéfice des employeurs. Réduire les pouvoirs et les droits des salariés dans l'entreprise pour donner plus de pouvoir aux propriétaires des moyens de production et d'échange : tel est le coeur de votre réforme. Pour le Gouvernement, il y a trop de syndicalistes, trop de moyens d'intervention, trop de pouvoir pour les instances représentatives du personnel !
Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, le nombre de membres titulaires du CSE diminue de 27 % à 50 % par rapport aux effectifs cumulés des délégués du personnel, des CE et des CHSCT. En matière de rénovation du dialogue social, on repassera !
Quant à la suppression des CHSCT, les craintes qu'elle suscite sont toujours aussi vives. Les organisations syndicales de salariés redoutent le manque de réactivité, d'attention et de compétence du CSE sur les questions liées à la santé et à la sécurité des travailleurs. Le CSE, issu du regroupement des deux instances antérieures, aura en effet moins de temps et de compétences pour travailler et alerter sur ces enjeux spécifiques et essentiels. Les gains de productivité, de rentabilité et de compétitivité se font pourtant trop souvent au détriment de la santé de celles et ceux qui travaillent. Nombre de choix, de comportements et de droits sont encore à conquérir pour mieux prévenir, reconnaître et guérir les maladies professionnelles. Le gel des tableaux des maladies professionnelles est bien la preuve que le dialogue social est en panne dans notre pays !
Les accidents industriels – je pense évidemment au récent incendie de l'usine Lubrizol – soulignent également la nécessité de disposer d'instances pour agir concrètement, au quotidien, sur les questions de sécurité, en particulier dans les sites classés Seveso : que ces derniers soient comme les autres soumis aux ordonnances travail constitue un véritable problème.
Comme vient de le souligner Boris Vallaud, la logique de ces ordonnances a fait prévaloir, dans certaines entreprises, des démarches de chantage à l'emploi. Madame la ministre, votre théorie du grain à moudre a débouché sur un dialogue social et sur des droits moulus ! C'est donc un piètre bilan que vous affichez aujourd'hui au regard des objectifs que vous vous étiez fixés. Il y a urgence à enclencher de nouvelles dynamiques sociales et économiques dans notre pays, et à redonner du sens au travail dans la vie.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC.
Tout comme l'année dernière, une semaine de contrôle de l'Assemblée nationale nous fournit l'occasion de dresser le bilan des ordonnances ratifiées puis signées en septembre 2017.
Ces ordonnances avaient pour but de définir une nouvelle articulation de l'accord d'entreprise et de l'accord de branche, tout en étendant de façon sécurisée le champ de la négociation collective ; de simplifier et de renforcer le dialogue économique et social et ses acteurs en transformant le paysage des institutions représentatives du personnel ; enfin, de rendre les règles applicables à la relation de travail plus prévisibles et plus sécurisantes pour l'employeur comme pour les salariés.
C'est donc tout le pan du code du travail relatif à la négociation collective – de branche et d'entreprise – qui a été modifié par ces ordonnances, lesquelles ont permis de définir de nouvelles modalités de négociation et de validation des accords. Elles ont ainsi apporté un panel de solutions à des problèmes qui se posaient depuis de longues années dans les entreprises et qui compliquaient à l'excès leur fonctionnement ou sclérosaient leur développement.
À l'époque, le groupe MODEM avait soutenu sans réserve ce projet, dont l'objectif était de parvenir à une meilleure reconnaissance de la situation particulière de chacun et à une meilleure répartition de la contribution de tous à de nouveaux équilibres sociétaux.
Madame la ministre, nous savions il y a deux ans qu'il faudrait du temps pour qu'un tel chantier produise pleinement ses effets. En avril dernier, vous nous indiquiez qu'une dynamique positive commençait à s'enclencher. Notre groupe se montrera donc très attentif au second bilan d'étape que vous nous présenterez dans quelques instants.
On constate déjà une plus forte proportion de contrats à durée indéterminée, certainement liée à l'instauration du barème prud'homal ; du reste, le nombre de contentieux aux prud'hommes a baissé.
Nous sommes particulièrement intéressés par la situation des très petites entreprises et des petites et moyennes entreprises, qui constituent la très grande majorité du tissu entrepreneurial français : rappelons-le, 96 % de nos entreprises emploient moins de vingt salariés. Les principales mesures contenues dans les ordonnances visaient justement à mettre l'accent sur le dialogue social au sein de ces structures où le taux de négociation collective dépassait à peine 20 % en 2016.
Autre sujet : l'installation des comités sociaux et économiques, ou CSE, qui doit normalement être achevée. Sur les 40 000 entreprises concernées par cette obligation, vous nous indiquiez l'an dernier que 23 000 s'y étaient conformées. Qu'en est-il aujourd'hui ? Les difficultés rencontrées, notamment d'information, ont-elles été surmontées ? Les observatoires économiques et sociaux départementaux qui se sont progressivement créés ont-ils permis de faire le lien entre ces petites entreprises et l'État ?
En ce qui concerne les accords de performance collective, les entreprises, particulièrement les plus petites d'entre elles, se sont-elles saisies du dispositif, et dans quelles proportions ? Je pense également au mécanisme permettant aux entreprises de un à vingt salariés sans élus de négocier avec les salariés sur tous les sujets par une consultation simple dans laquelle la majorité des deux tiers est requise.
S'agissant des accords effectivement signés, disposez-vous d'exemples concrets de négociations menées à leur terme sur ces nouvelles bases au sein de TPE et de PME et ayant permis de conjuguer performance économique et performance sociale ?
J'en viens enfin au travail de regroupement autour de la branche, qui n'en était qu'à ses balbutiements l'an dernier. En la matière, les entreprises ne semblent pas s'être pleinement saisies des périmètres et des domaines de négociation que nous leur avons ouverts. Quelles sont les propositions du Gouvernement face à cet écueil ? Un accompagnement des entreprises, par exemple, est-il à l'ordre du jour ?
Pour conclure cet exercice de contrôle absolument nécessaire, surtout s'agissant d'ordonnances, nous tenons, madame la ministre, à réaffirmer notre plein soutien à l'action de transformation que vous conduisez depuis 2017. Nous devons continuer, collectivement, à tout mettre en oeuvre pour rénover structurellement notre dialogue social et pour restaurer la confiance qui fait tant défaut dans notre pays.
Ce débat est on ne peut mieux venu, madame la ministre : nous allons discuter des conséquences de l'application des ordonnances travail au moment même où le pays connaît une mobilisation sociale historique contre votre réforme des retraites, qui vise à instaurer le fameux système par points.
À chaque réforme du quinquennat ses éléments de langage. Les ordonnances travail, on s'en souvient, allaient « libérer les énergies » ; elles nous invitaient même à faire le « pari de la confiance dans le dialogue social ». C'était formidable ! La réforme instaurant la retraite par points, elle, qui va contraindre les Français à travailler plus pour gagner moins, est « juste », elle est « simple », elle est « pour tous ». Mais ce n'est pas parce qu'on le répète à l'infini que cela devient vrai ! Vous préparez simplement la retraite tombola : on connaît le prix d'achat du ticket, mais pas la valeur du lot, que l'on n'est d'ailleurs pas certain de gagner.
Surtout, pour contenir à son niveau actuel la part des richesses consacrée aux retraites bien que, selon les projections démographiques, la part des seniors dans la population doive, elle, continuer à augmenter, vous allez faire de la vie des gens une variable d'ajustement comptable en les poussant à travailler toujours plus longtemps, au-delà de l'espérance de vie en bonne santé – à moins qu'ils n'aient mis assez d'argent de côté, dans les fonds de pension et les produits d'épargne retraite par capitalisation, pour pouvoir partir à l'âge légal, maintenu à 62 ans. Au passage, vous ferez ainsi le cadeau très attendu d'un beau stock de boîtes de Smarties aux assureurs, aux banques et autres gestionnaires comme BlackRock. C'est inacceptable, et c'est pourquoi une majorité de Français souhaitent le retrait de cette réforme.
Vous avez donc tenté de maquiller la réalité en venant nous parler – encore des éléments de langage – d'universalité, notamment pour appeler à la fin des régimes spéciaux. L'universalité, quel bel objectif ! L'universalité, comme elle est à géométrie variable depuis que la grève a commencé ! L'universalité, quel bel alibi ! L'universalité parmi les objectifs de La République en marche, c'est juste une mauvaise blague.
Voilà qui nous ramène aux ordonnances travail – rassurez-vous, je n'ai pas oublié le sujet de notre discussion. Madame la ministre, chers collègues de la majorité, vous qui prétendez, avec le Gouvernement, mettre fin aux régimes spéciaux, vous en êtes les plus grands créateurs : les ordonnances travail sont précisément venues détricoter, détruire, écraser une règle commune qui s'appliquait à tous – le code du travail – pour créer autant de règles différentes qu'il y a d'entreprises par la négociation entreprise par entreprise.
Et l'ironie du sort, le plus drôle dans l'affaire, est que c'est au rapporteur du projet de loi d'habilitation ayant permis les ordonnances travail, M. Laurent Pietraszewski, lui qui s'est employé à créer avec vous cette multitude de régimes spéciaux, que l'on confie aujourd'hui la mission de faire aboutir la création d'un régime universel de retraite. Elle a tellement bon dos, l'universalité ! En réalité, vous allez créer autant de régimes spéciaux de retraite qu'il y aura de générations.
Comme vos cadeaux sans contrepartie aux plus riches, comme votre réforme de l'assurance chômage qui suggère que, selon vous, ce sont les chômeurs eux-mêmes qui sont responsables du chômage plutôt que votre politique, vos ordonnances travail, autre pilier de votre action, sont venues accroître la précarité de l'emploi, déjà grande en France. En effet, en favorisant le CDD comme vous l'avez fait et en généralisant le fameux CDI de chantier, qui n'a de CDI que le nom, vous avez vous-même contribué à aggraver cette précarité dont vous vous êtes mis à vous plaindre ces derniers mois.
Mais vous ne vous êtes pas arrêtés là : vous avez aussi simplifié considérablement le licenciement et affaibli les moyens dont disposent les syndicats au sein de l'entreprise en y fusionnant des instances jusqu'alors indépendantes. Pour quels résultats ? Nous venons de passer l'après-midi à les commenter : une situation dont vous n'êtes pas capable de sortir le pays, un chômage de masse que vous avez renoncé à véritablement combattre, préférant vous réjouir de quelques statistiques obtenues au prix d'une aggravation de la précarisation.
En attendant de mener une politique efficace de lutte contre le chômage par le partage du temps de travail, la rupture avec le libre-échange, la hausse des salaires et la planification écologique, il nous reste encore du boulot – du boulot pour finir de recenser l'ensemble des plans sociaux déguisés en rupture conventionnelle collective, qui figurent sous le titre « Souriez, vous êtes virés ! » sur le site internet https: docpenicaud. fr !
Applaudissements sur les bancs des groupes FI, SOC et GDR.
Les ordonnances travail avaient pour objectif de donner de la prévisibilité et de la sécurité aux entreprises, de dynamiser la croissance et de créer davantage d'emplois. Elles ont indéniablement apporté des solutions, en complément d'autres véhicules législatifs comme la loi, dite PACTE, relative à la croissance et à la transformation des entreprises, notamment concernant la question des seuils, qui compliquaient à l'excès le fonctionnement des entreprises et constituaient des freins dommageables à la croissance. Le groupe UDI, Agir et indépendants avait en conséquence, dans sa grande majorité, autorisé le Gouvernement à procéder par ordonnance, puis ratifié ces ordonnances travail.
II reste que la mise en oeuvre de ces dernières n'est pas encore entièrement effective et se heurte à des difficultés réelles.
La question du plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif l'illustre assez bien. Notre groupe avait soutenu la mesure au nom du principe d'une plus grande prévisibilité pour les employeurs, même si nous craignions que le barème ne soit rapidement contourné. La multiplication des décisions remettant en cause sa conformité au droit a indéniablement représenté un revers eu égard à la sécurité juridique visée par les ordonnances.
La reconnaissance de la conventionnalité du barème par la Cour de cassation, en juillet 2019, n'a d'ailleurs pas mis fin à toutes les polémiques, les avis de la Cour restant de portée générale et ne liant pas les juges du fond. La preuve en est que la cour d'appel de Reims a jugé en septembre dernier que le barème, dans certains cas, pouvait constituer une « atteinte disproportionnée » au droit du salarié de bénéficier d'une indemnisation adéquate en cas de licenciement injustifié. L'application du barème pourrait par conséquent, au cas par cas, se voir écartée malgré sa conformité aux textes internationaux.
Des incertitudes similaires accompagnent l'installation des comités sociaux et économiques. La fusion des instances représentatives du personnel devait donner naissance, dans les entreprises de plus de onze salariés, à cette nouvelle instance unique. Or, selon les évaluations, entre 15 et 30 % de ces entreprises n'ont pas encore constitué de comité social et économique alors que cela devait être fait au 1er janvier 2020. Dans le détail, 50 000 CSE auraient été créés depuis deux ans et 21 000 seraient en cours d'installation, mais au moins 15 % manqueraient à l'appel.
Dans le même temps, la réforme des ordonnances visait à faciliter le dialogue social au sein des TPE et PME, en permettant aux entreprises de moins de cinquante salariés de négocier directement avec un élu du personnel sur tous les sujets. Pourriez-vous nous faire un état des lieux, madame la ministre ?
J'en viens à un dernier point : la réforme du compte de pénibilité. La mise en oeuvre de celui-ci s'est heurtée depuis sa création, lors de la précédente réforme des retraites, en 2014, à d'importants obstacles, et le dispositif ne contribuait pas à une véritable prise en considération des difficultés rencontrées au travail par les salariés.
L'une des revendications principales des partenaires sociaux est la réintroduction du critère de pénibilité pour ceux qui portent des charges lourdes, qui sont exposés à des vibrations, à des agents chimiques dangereux ou à des postures pénibles. Considérés comme trop difficiles à évaluer par les entreprises, ces facteurs n'ont pas été pas suffisamment pris en compte. Ils sont néanmoins reconnus dans le cadre d'un départ en retraite anticipée pour incapacité permanente lorsque le salarié est victime d'une incapacité partielle permanente d'au moins 10 %.
Madame la ministre, quelles sont les orientations du Gouvernement à ce sujet dans le cadre de la concertation en cours ?
Rapporteure des crédits de la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances, je suis particulièrement honorée de participer au présent débat sur la mise en oeuvre des ordonnances de la loi travail, une série de textes que l'on réduit souvent, à tort, au remplacement des instances représentatives du personnel par le comité social et économique.
À tort, car la philosophie de ces ordonnances est bien plus large. Elle correspond à une conviction partagée au sein de la majorité : que la norme du travail de demain doit être co-élaborée par les partenaires sociaux, et ce d'abord au sein de l'entreprise, pour être plus souple, plus spécifique, plus concrète, plus adaptée aux attentes des salariés comme des entreprises.
Il paraît nécessaire de rappeler le contexte antérieur à ces ordonnances afin de faire mieux comprendre en quoi elles étaient requises et où nous en sommes aujourd'hui.
Sur le front de l'emploi, la situation du marché du travail en France se caractérisait par un taux de chômage resté supérieur à 9 % depuis dix ans. Au sein des embauches, la part de CDD était passée de 76 % en 1993 à 87 % en 2017. Et ce sont les établissements de moins de dix salariés et le secteur de la construction qui indiquaient le plus souvent recruter en CDD pour se soustraire au poids de la réglementation applicable aux CDI.
Sur le front de la négociation sociale, 15 % des entreprises de dix salariés ou plus du secteur marchand non agricole ont engagé en 2016 au moins une négociation collective tous thèmes confondus. Enfin et plus globalement, le droit du travail, qui s'est construit en grande partie à la sortie de la Seconde Guerre mondiale pour et par les grandes entreprises n'était plus adapté à la compétition internationale ni aux TPE et PME.
Les objectifs annoncés de ces ordonnances étaient donc de trois ordres, et c'est à l'aune de ces seuls objectifs que les Français doivent juger de l'efficacité de ces ordonnances deux ans après leur mise en oeuvre.
S'agissant de la sécurisation des relations de travail et de la diminution de l'incertitude quant au coût juridique des licenciements, trois dispositifs ont concouru à cet objectif : l'instauration du barème d'indemnité prud'homale pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse, la simplification du régime juridique des licenciements économiques et l'introduction de la rupture conventionnelle collective. Les chiffres de l'INSEE montrent que la part des entreprises citant les risques associés aux licenciements comme barrière à l'embauche a significativement diminué dans tous les secteurs d'activité, de 10 % en septembre 2017 à 4 % en septembre 2019 pour les entreprises de services par exemple. Le barème a changé également le comportement des salariés. Une récente étude qualitative de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, démontre que les salariés ont tendance à recourir davantage à la transaction et que leur demande d'indemnités est plus adaptée. La « barémisation » a renforcé la négociation entre les salariés et les employeurs.
S'agissant de l'élargissement de la négociation collective, notamment pour les très petites et moyennes entreprises, le référendum d'entreprise a été très utilisé – son utilisation a augmenté de 161 % – , matérialisant une forme de démocratie directe dans les entreprises comptant jusqu'à vingt salariés et permettant de stabiliser des dispositions consensuelles.
Enfin, concernant la simplification et le renforcement du dialogue économique et social, les accords de performance collective ont pleinement rempli leur objectif. Comme le rapport de décembre 2019 de la DARES le souligne, les APC ont répondu aux nécessités de fonctionnement des entreprises.
Cependant des défis restent à relever. Premièrement, la mise en place des comités sociaux et économiques s'inscrit pour l'instant dans une approche plutôt quantitative et d'application minimaliste des dispositions légales. Deuxièmement, la fusion de l'ensemble des instances en une seule pose la question d'une représentativité qui respecte la proximité. Le troisième défi porte sur les parcours des élus et leur travail concret face aux nouvelles charges qui naissent de cette logique de concentration. Il peut s'avérer plus intense mais aussi plus complexe.
Ce qu'il faut retenir cependant c'est que les ordonnances du 22 septembre 2017 ont fait le pari d'un profond bouleversement des règles du dialogue social en favorisant une culture de la négociation et du compromis. Ce changement d'ordre culturel qui fait de la négociation une opportunité pour créer un levier de progrès et d'innovation ne pourra produire tous ses effets que sur le temps long. Pourtant, le nombre de création nette d'emplois, la reprise du recrutement dans l'industrie, la baisse actuel du taux de chômage, la progression record du taux d'emploi en CDI sont les résultats d'une politique visant à décentraliser la négociation au niveau de l'entreprise et de donner confiance aux employeurs.
La réforme du code du travail voulue par le Président la République et que le Gouvernement a mise en oeuvre dès juillet 2017 avait deux objectifs clairement inscrits dans le projet de loi, dont le titre était sans ambiguïté : « projet de loi pour le renforcement du dialogue social ». Renforcer le dialogue social et simplifier le code du travail : voilà deux axes souhaités par le groupe Les Républicains, qui a donc appuyé cet engagement en votant pour le projet de loi, qui devait permettre un retour au développement des entreprises et de l'emploi.
Il est regrettable de constater qu'en ne s'appuyant pas sur les liens forts existants entre les parlementaires, les territoires et les entreprises, le Parlement est devenu une simple chambre d'enregistrement des textes de l'exécutif, alors que la coconstruction des textes avec l'ensemble des partenaires garantissait la qualité et l'acceptation des projets par tous. C'est ainsi que les espoirs qu'il avait créés ont été déçus.
La presse quotidienne régionale cite ce jour des éléments communiqués par l'INSEE et qui sont sans appel : après une légère baisse dont on ne peut que se réjouir, le chômage est reparti à la hausse dans neuf des dix départements de la région Grand Est. Cela semble d'ailleurs en contradiction avec l'augmentation de près de 10 % du nombre de création d'entreprises, également signalée par l'INSEE. En fait, ces créations étant pour la plupart des microentreprises, créées par des autoentrepreneurs, souvent trop peu préparés – vous avez hélas ! supprimé l'obligation de suivre un stage de formation – , leur taux de survie est faible. Ils sont d'ailleurs nombreux à venir dans nos permanences chercher conseils et appui, alors que dans les Vosges le représentant de l'État reste très en retrait s'agissant des problèmes économiques et sociaux.
Je voudrais donner un exemple des tergiversations de votre ministère en ce qui concerne les CSE. Si l'objectif de simplification était louable, l'application montre ses limites. En effet, en décembre 2019, entre 15 et 20 % de CSE n'étaient pas encore en place. Alors que vous annoncé au début du mois dernier que 50 000 instances uniques étaient désormais installées, 21 000 procès-verbaux de carence ont été transmis au ministère du travail. Les partenaires sociaux avaient d'ailleurs souhaité un report d'application de quelques mois mais vous l'avez refusé. Que se passerait-il pour ces entreprises, madame la ministre, si le délit d'entrave venait à être retenu ? Les conséquences seraient alors catastrophiques !
Par ailleurs, le document intitulé « questionsréponses sur le CSE », diffusé le 18 décembre dernier par le ministère du travail, opère un recul notoire en restreignant le droit d'accès à la formation « santé, sécurité et conditions de travail », qui dure de trois ou cinq jours selon la taille des entreprises, aux seuls membres de la commission SSCT et en excluant tous les autres membres du CSE. Cette position est incompréhensible et contraire à la volonté du législateur. En effet, votre ministère cite pour se justifier une ancienne version de l'article L. 2315-18 du code du travail alors que le Parlement a ouvert le droit à la formation à tous les membres du CSE, pourtant moins nombreux depuis la réforme.
Cette disposition est d'autant plus incompréhensible que dans le cadre de la réforme des retraites, les aspects dits de pénibilité sont enfin au centre des débats. Or qui plus que les entreprises, les CSE, les partenaires sociaux et les branches est à même de déterminer quelles tâches sont pénible avec les services de santé au travail ? C'est cela, un dialogue social responsable, qui nécessite la formation de tous les acteurs. Comptez-vous donc revenir sur cette mesure ?
Du côté des entreprises, beaucoup de chantiers ont été ouverts, comme elles le souhaitaient, mais l'évolution contradictoire des textes et la difficulté à les appliquer les rendent plus circonspectes et prudentes dans la réalisation de leurs projets, et cela se ressent sur la croissance. Pour les partenaires sociaux, le paritarisme de gestion n'a pas survécu au décret de l'assurance chômage, devenant un paritarisme de caution. La conséquence est la méfiance, quand le progrès social, comme le progrès économique, nécessite de la confiance et de la stabilité.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Le Gouvernement a placé ce quinquennat sous le signe de la réforme. Le Président de la République s'était déjà attaqué à plusieurs chantiers avant celui des retraites, notamment celui de la réforme du code du travail, que vous avez défendue, madame la ministre, une réforme attendue, l'évolution de notre société devant s'accompagner d'une transition nécessaire pour adapter le marché du travail aux enjeux d'un monde en pleine mutation et moderniser notre modèle social tout en le préservant et en privilégiant le dialogue et le travail en commun. Le Gouvernement semblait d'ailleurs l'avoir bien compris quand il faisait du renforcement du dialogue social l'une de ses priorités.
Or, comme cela a trop souvent été le cas depuis le début de la législature, la réforme du code du travail a été réalisée par ordonnances et sans qu'une véritable concertation parlementaire soit organisée en amont, ce que nous ne pouvons que regretter. S'agissant d'un sujet aussi structurant pour notre société, le choix des ordonnances n'était pas judicieux, surtout dans un cadre social au sein duquel les corps intermédiaires ne cessent de s'affaiblir.
Après un premier bilan au mois d'avril, l'opportunité nous est à nouveau donnée aujourd'hui d'évaluer les effets de ces ordonnances. Certaines de ces mesures étaient nécessaires et attendues par les entreprises, notamment les petites et très petites entreprises. Pour lutter contre un chômage persistant, s'adapter à un monde de plus en plus ouvert aux échanges, aux bouleversements économiques et technologiques, mais également pour répondre aux nouvelles aspirations de certains salariés, notre marché du travail avait besoin de plus de flexibilité.
Je m'empresse de préciser que plus de flexibilité ne signifie pas moins de sécurité. Notre code du travail se devait également d'accompagner les évolutions de l'emploi et de sécuriser les nouvelles pratiques. Nous saluons à ce propos certaines mesures que nous considérons comme des avancées, comme le recours facilité au télétravail, ou encore la hausse de l'indemnité légale de licenciement, augmentée de 25 % jusqu'à dix ans d'ancienneté.
Le renforcement du dialogue social a été placé au coeur de cette réforme. Son bilan est pourtant en demi-teinte. Rappelons que ces ordonnances devaient profiter à chacun des acteurs, en particulier aux TPE et aux PME. En septembre 2017, au moment de la réforme, 96 % des TPE n'avaient pas de syndicats. Il était donc urgent de doter les petites entreprises de moyens, afin de favoriser le dialogue au sein de leur structure. Mais les entreprises peinent à se saisir des possibilités offertes par les ordonnances.
J'en veux pour preuve l'exemple du comité social économique, résultant de la fusion des instances représentatives du personnel, et dont les entreprises de plus de 11 salariés doivent impérativement se doter depuis le 1er janvier. Cette mesure est intéressante en ce qu'elle permet de supprimer les seuils qui dissuadent certaines entreprises d'embaucher lorsqu'elles sont sur le point de les franchir. Le mouvement met pourtant du temps à s'initier : en novembre 2018, seules 10 500 entreprises avaient mis en place un CSE, au lieu des 50 à 60 000 attendues – mon collègue M'Jid El Guerrab reviendra sur ce point.
De même, l'effet du barème prud'homal encadrant le montant des dommages et intérêts en cas de préjudice causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui devait offrir plus de prévisibilité aux salariés et aux entreprises, est amoindri en raison des incertitudes juridiques liées au contexte jurisprudentiel.
Il en va de même de la nouvelle articulation entre négociations de branche et d'entreprise. Cette mesure devait faire de l'entreprise le lieu privilégié de la création de la norme sociale, afin d'apporter des réponses adaptées aux besoins spécifiques des salariés et des entreprises au plus près du terrain. Or il apparaît clairement que les représentants du personnel continuent de considérer la négociation de branche comme plus protectrice et que la dérogation par accord d'entreprise est généralement dictée par des nécessités économiques, et non par la volonté d'améliorer le cadre global de travail au sein de l'entreprise.
Deux ans après la mise en oeuvre de ces ordonnances, le bilan est donc mitigé. Le renforcement du dialogue social, au coeur de cette réforme, n'a pas encore atteint le niveau attendu.
Madame la ministre, devant les effets limités de ces ordonnances, tant en termes de résultats chiffrés que de changement de culture d'entreprise, il est indispensable de poursuivre le travail, d'améliorer les dispositifs. Nos entreprises ont certes besoin d'efficacité, mais, dans un contexte mondial impitoyable de désescalade sociale, nous avons aussi à répondre à la légitime demande de protection exprimée au sein du monde du travail.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
La mise en oeuvre des ordonnances travail, sujet de ce débat réclamé par le groupe Socialistes et apparentés, a suscité plusieurs inquiétudes de la part des organisations syndicales. Je souhaite ici revenir sur quatre d'entre elles.
La première concerne la création du comité social et économique, obligatoire dans les entreprises dont l'effectif est au moins égal à onze salariés pendant douze mois consécutifs. Les CSE résultent de la fusion des trois anciennes instances de représentation du personnel : délégués du personnel, comité d'entreprise et comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Leurs élus doivent donc désormais exercer simultanément les compétences auparavant attribuées à trois instances distinctes, et doivent donc faire montre d'une exigence accrue dans la maîtrise des dossiers. Si l'objectif affiché par le Gouvernement était d'élargir les compétences des représentants du personnel afin de leur donner une vision globale des enjeux de l'entreprise, il semble au contraire que la concentration de leurs responsabilités a pour effet de dissuader de nombreux salariés à se présenter aux élections professionnelles, ce qui pourrait à terme ralentir le rythme de travail des CSE.
En outre, alors même que vous demandez aux élus un investissement accru au sein du CSE, vous faites le choix, madame la ministre, de réduire les moyens alloués à cette instance en termes d'heures de délégation, de recours à l'expertise et de délais d'information-consultation, sans compter que vous interdisez aux suppléants de participer aux réunions du CSE en présence de leurs titulaires. Tous ces facteurs constituent autant de freins à la montée en compétences des élus du CSE.
La deuxième inquiétude a trait à la santé et à la sécurité au travail. Si les instances de représentation du personnel ont été fusionnées au sein du CSE, les ordonnances prévoient cependant la possibilité de créer une ou plusieurs commissions de santé, de sécurité et des conditions de travail, auxquelles le CSE peut déléguer ses attributions en la matière. Bien qu'il soit prématuré de dresser un bilan du travail de ces commissions, les organisations syndicales expriment néanmoins des inquiétudes à leur sujet. Tout d'abord, on peut regretter la disparition du CHSCT, qui fait perdre aux représentants du personnel leur capacité de réaction immédiate en cas de danger pour la sécurité ou la santé des salariés. Par ailleurs, les ordonnances renvoient à la négociation collective l'établissement des règles de composition et de fonctionnement de ces commissions : nombre de membres, modalités d'exercice, etc. Dès lors, il est à craindre que certains accords s'en tiennent au minimum légal et entraînent un recul par rapport à l'existant. En cas de désaccord, ces règles seront fixées par le règlement intérieur, sans qu'aucune disposition minimale ne soit prévue.
Troisièmement, pour ce qui est de la pénibilité, et comme nous avons souligné hier lors des questions au Gouvernement, les règles qui existaient en 2017 permettaient à 800 000 salariés de bénéficier d'un départ anticipé à la retraite du fait de la pénibilité de leur fonction, tandis que les règles actuelles ne concernent plus que 180 000 salariés – d'où une réduction considérable des droits des salariés.
Quatrièmement, enfin, nous exprimons également plusieurs inquiétudes au sujet des accords de performance collective, destinés à aménager la durée du travail, la rémunération et les conditions de la mobilité professionnelle, en particulier à cause de la souplesse juridique avec laquelle ils ont été conçus. En effet, contrairement aux accords de préservation et de développement de l'emploi et aux accords de maintien de l'emploi qu'ils remplacent, les accords de performance collective peuvent être conclus par des entreprises qui ne rencontrent pas nécessairement de difficultés économiques. Cela laisse craindre un détournement du dispositif dans le but de se soustraire aux obligations en matière de licenciement économique et de recherche de repreneur. En outre, l'employeur n'est pas tenu d'inclure dans les accords de performance collective une clause de retour à meilleure fortune. De fait, près de trois quarts des accords conclus jusqu'à présent sont à durée indéterminée, modalité qui n'impose pas à l'employeur d'y revenir ultérieurement, même en cas d'amélioration de la situation économique de l'entreprise – sauf mention contraire dans l'accord. Une telle insécurité juridique peut s'avérer particulièrement problématique, notamment dans les très petites entreprises.
Enfin, des inquiétudes ont été remontées concernant le possible détournement de certains accords de performance collective dans des entreprises relevant d'une même branche professionnelle, qui adopteraient des mesures identiques, notamment en matière d'augmentation du temps de travail, afin de contourner collectivement la convention collective dont elles relèvent. Ces accords n'étant pas rendus publics, je me permets, madame la ministre, de vous interroger à ce sujet.
M. M'jid El Guerrab applaudit.
Nous en avons terminé avec les orateurs des groupes. La parole est désormais à Mme la ministre du travail.
Je commencerai par quelques observations générales répondant à vos interventions. Concernant la méthodologie tout d'abord, les ordonnances travail mettent en oeuvre un engagement pris par le Président de la République durant sa campagne. Que n'auriez-vous dit si cet engagement n'avait pas été respecté ? L'élaboration des ordonnances a fait l'objet d'une articulation étroite et inédite entre démocratie sociale et démocratie politique, puisqu'elles sont le fruit de plus de trois cents heures de concertation avec les partenaires sociaux, d'une loi d'habilitation et d'une loi de ratification.
Quelle était la nature de notre engagement ? Il s'agissait de créer les conditions d'un dialogue social structuré, lisible et décentralisé, offrant davantage d'agilité et de sécurité aux employeurs mais aussi aux salariés et à leurs représentants. Deux ans plus tard, une nouvelle question se pose : comment cette potentielle révolution culturelle, dont nous avons annoncé d'emblée qu'elle demanderait des années et nécessiterait un temps d'appropriation par les acteurs, infuse-t-elle globalement et positivement notre économie – notamment les TPE et PME, qu'elle vise principalement tant elles sont dépourvues de dialogue social structuré ?
Force est de constater que les ordonnances travail ont contribué, parmi d'autres facteurs, à stimuler la création d'emplois dans un contexte pourtant incertain. Pour avoir rencontré près de 10 000 chefs d'entreprise, essentiellement de TPE et PME, je peux témoigner qu'ils n'ont qu'une remarque à la bouche : « nous n'avons plus peur d'embaucher ». De fait, 540 000 emplois nets ont été créés en deux ans, le taux de chômage a reculé de 1 % et les embauches en CDI sont en hausse.
En ce qui concerne le dialogue social, la dynamique positive se confirme quantitativement et qualitativement. Elle n'est pas achevée, mais bien engagée. La dynamique quantitative peut être appréciée au vu du nombre de CSE créés, de nouveaux accords conclus – accords de performance collective et ruptures conventionnelles collectives – et de la pratique conventionnelle, en particulier dans les entreprises de moins de cinquante et de moins de onze salariés, où elle était rare. Au 6 janvier 2020, on recense 53 700 CSE, contre 12 000 au 31 décembre 2018. Surtout, 45 % d'entre eux concernent des entreprises de moins de cinquante salariés. S'il reste du chemin à parcourir, la dynamique est néanmoins significative dans les petites entreprises. Depuis les lois Auroux de 1982, jamais une évolution si nette n'avait été constatée.
Certains d'entre vous ont jugé le processus trop lent, sachant qu'une accélération est survenue au terme du délai de deux ans. Si le rythme avait été précipité, vous auriez crié au passage en force ! Surtout, dans de nombreuses entreprises, les partenaires sociaux et les employeurs ont décidé de prendre leur temps et de mettre à profit ces deux ans pour redessiner entièrement l'architecture de leurs instances. Cela me semble positif. Nous faisons confiance au dialogue social de terrain et le laissons adopter son rythme. Notez que le nombre de 53 700 CSE est sous-évalué, car plus de 19 000 procès-verbaux ont été envoyés en décembre et sont en instance de traitement. Quoi qu'il en soit, la dynamique est lancée.
J'en viens aux ruptures conventionnelles collectives, qui sont bien distinctes des plans de sauvegarde de l'emploi. Au 1er janvier 2020, 200 entreprises s'étaient saisies de ce nouveau dispositif, et 140 accords avaient été validés par les DIRECCTE – directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. Plus intéressant encore, 40 % des ruptures conventionnelles collectives concernaient des PME et des ETI. Nous sommes en train d'améliorer le dialogue social dans les grandes entreprises, mais aussi de le faire émerger dans les TPE et PME, conformément à l'une des ambitions de la loi. Tous les syndicats signent des ruptures conventionnelles collectives, ainsi que 80 % des délégués syndicaux. En cas de forte difficulté, ce dispositif permet de procéder à une rupture apaisée des contrats.
Une même dynamique est à l'oeuvre pour les accords de performance collective, dont 256 ont été signés – soit dix par mois en moyenne – , niveau bien supérieur à celui des accords de compétitivité conclus durant l'ensemble du précédent quinquennat. Cette nouvelle modalité connaît donc un réel succès. Sur les 256 accords de performance collective, 158 concernent des PME, 90 % sont signés avec un ou deux délégués syndicaux et près de 60 % le sont à l'unanimité. Ils traitent majoritairement du temps de travail et de la rémunération. Soit on fait confiance au dialogue social et on se réjouit que les partenaires sociaux trouvent des accords pertinents, soit on ne croit pas au dialogue social de terrain et on émet un avis nécessairement négatif sur cette dynamique.
L'activité conventionnelle est dynamique dans les TPE et PME. L'épargne salariale reste son premier motif, soit 34 000 accords conclus en 2018, niveau en progression. Au-delà, près de 4 700 accords ont été signés dans les entreprises de moins de cinquante salariés, dont quelque 1 500 dans les entreprises de moins de dix salariés. Enfin, 2 600 accords de cette nature ont été ratifiés par référendum en 2018. Le rythme est encore plus soutenu en 2019, puisque durant les neuf premiers mois, 7 800 accords ont été signés dans les entreprises de moins de cinquante salariés, dont 2 700 par référendum. La nouvelle pratique consistant pour les TPE et les PME à signer des accords et à les ratifier par référendum est donc en progression. Outre le temps de travail, le thème qu'ils abordent le plus souvent est la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat.
Les ordonnances travail offrent donc au personnel des entreprises des moins de cinquante salariés un accès réel à la négociation, comme nous le souhaitions. Et encore, nous n'en sommes qu'au début du mouvement.
Pour ce qui est des nouveaux motifs de négociation au niveau des branches – CDD, intérim et contrats de chantier – , dix-neuf branches se sont saisies de ces thèmes et ont conclu des accords créant le CDI de chantier, seize accords aménagent des dispositions relatives au CDD ou à l'intérim, et ces branches couvrent plus de 3 millions de salariés. Enfin, neuf accords traitent du CDI de chantier – soit 2 millions de salariés concernés – en adaptant ce contrat aux métiers, aux secteurs et aux environnements de travail, tout en prévoyant des contreparties avantageuses pour le personnel en matière de formation et de rémunération. Dans la métallurgie, le CDI de chantier donne ainsi droit à une majoration salariale de plus de 10 %. Le télétravail ouvre également de nouvelles possibilités, et le nombre d'accords qui lui sont consacrés progresse.
Nombre d'entre vous ont insisté sur l'appréciation qualitative du déploiement des ordonnances travail. Le CSE a érigé la santé au travail au rang des orientations stratégiques de l'entreprise. Auparavant, ce sujet était confié à une commission constituée de personnes non élues mais simplement désignées, parfois déconnectées du comité d'entreprise. Aujourd'hui, la santé est débattue au niveau stratégique, entre le chef d'entreprise et les représentants syndicaux, comme dans tous les pays où le dialogue social est fortement structuré – je pense aux pays nordiques ou encore à l'Allemagne. C'est une occasion unique de renforcer l'articulation entre les orientations économiques, l'organisation et la santé au travail, volets dont nous pouvons nous accorder à dire qu'ils sont intimement liés. Le CSE reprend pleinement les attributions du CHSCT, et peut s'appuyer sur l'expertise technique de la commission de santé, de sécurité et des conditions de travail. Je tiens à vous rassurer, monsieur Cherpion : les membres du CSE endossent bien une mission globale couvrant tous les sujets, y compris la santé et la sécurité, et ont donc pleinement le droit d'être formés dans ces domaines.
Toujours sur le plan qualitatif, une équipe de l'université de Montpellier a passé en revue 450 accords de CSE et en a tiré les constats suivants : un quart prévoient la présence des représentants de proximité – non obligatoire, mais jugée utile et nécessaire par les deux parties – et 56 % prévoient la création d'une commission de santé, de sécurité et des conditions de travail, dont près de 30 % dans des entreprises de moins de 300 salariés qui n'y sont pourtant pas contraintes. Je tiens également à rappeler à M. Dharréville que toutes les entreprises et tous les établissements classés Seveso, comme tous les secteurs à risque, ont l'obligation de créer une telle commission. Par ailleurs, un quart des accords de CSE prévoient la désignation de représentants de proximité et leur attribuent des heures de délégation.
Les discussions relatives à l'instauration d'un CSE portent souvent sur le rôle des suppléants et sur les moyens accordés à l'instance. Rappelons que le nombre minimum d'heures légal n'a pas été modifié, puisque le décret a reconnu la totalité des heures minimales des commissions précédentes. Néanmoins – et certains d'entre vous l'ont souligné avec raison – , les parties prennent conscience de la nécessité de professionnaliser les acteurs du dialogue social et de valoriser les parcours de la représentation syndicale. À cet égard, la loi garantit des moyens, qu'il s'agisse de formations renforcées pour les représentants du personnel ou de la certification de leurs compétences, que nous avons créée. Il reste néanmoins beaucoup à faire pour mieux valoriser les compétences des représentants du personnel. Des expérimentations et des accords novateurs explorent ces pistes : ainsi la Matmut entend-elle créer une école du dialogue social en son sein, permettant aux élus de s'engager dans un dispositif officiel de reconnaissance de leurs compétences. À cela s'ajoutera un référentiel de compétences élaboré avec l'université Paris-Dauphine. Nous devons favoriser les initiatives de cette nature.
Concernant la pénibilité, en aucun cas nous n'avons considéré que les quatre critères cités par plusieurs d'entre vous – postures pénibles, port de charges lourdes, vibrations mécaniques, exposition aux produits chimiques – ne traduisaient pas une pénibilité. En revanche, nous avons constaté qu'ils ne pouvaient pas être mesurés par un chronométrage quotidien pour chaque salarié, ce qui privait les intéressés d'une reconnaissance de leur pénibilité. C'est pourquoi nous avons transformé ces critères en un droit au départ anticipé à la retraite, lié à une reconnaissance d'incapacité de 10 %. Dans le cadre de la concertation dédiée à la pénibilité que nous avons ouverte hier avec les partenaires sociaux, nous réfléchirons également aux moyens de renforcer la mobilisation des branches.
Je m'étonne quand même que vous ne reconnaissiez pas que grâce à cette disposition relative au taux d'incapacité de 10 %, des salariés ont d'ores et déjà pu partir à la retraite deux ans plus tôt, alors que dans le précédent système, cela n'aurait pas pu être possible avant 2033. Pour certains, il s'agit d'un progrès évident.
Vous avez aussi abordé la question du barème d'indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La diminution continue du nombre de contentieux aux conseils des prud'hommes – 10 % en moins entre 2017 et 2018 – montre qu'il y a plus de médiations et moins de conflictualité. En définitive, c'est une indemnisation plus rapide pour le salarié et une sécurisation juridique tant pour celui-ci que pour l'entreprise.
Comme vous l'avez indiqué, quelques conseils de prud'hommes ont refusé d'appliquer le nouveau barème, bien que le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel l'aient validé. La Cour de cassation a été saisie par deux conseils de prud'hommes. Elle a rendu son avis le 17 juillet 2019 et a estimé, d'une part, que le nouveau barème était conforme à la convention no 158 de l'Organisation internationale du travail, d'autre part, que la Charte sociale européenne était dépourvue d'effet dans le cadre d'un litige entre un employeur et un salarié. Depuis, les trois cours d'appel qui se sont prononcées – Reims, Paris et Chambéry – ont rendu des arrêts conformes à l'avis de la Cour de cassation.
En résumé, la mise en place des CSE se passe de manière active et positive. La dynamique conventionnelle progresse, notamment dans les PME. Des efforts restent à faire en matière d'accompagnement des acteurs, de reconnaissance des parcours, de formation des élus. Il convient d'encourager ce changement culturel qui n'en est qu'à son tout début.
Mes chers collègues, il est vingt heures et je vous indique qu'en application des décisions qui ont été prises par la conférence des présidents, nous allons prolonger la séance jusqu'à la fin de ce débat.
Nous en venons donc aux questions. Je vous rappelle que la durée de celles-ci, comme celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique. Je signale que je serai beaucoup plus strict dans l'encadrement du temps de parole que je ne l'ai été jusqu'à présent.
La parole est à M. Boris Vallaud.
Outre la réduction du nombre de représentants du personnel, applicable à défaut d'accord, deux caractéristiques du CSE modifient le lien de proximité entre les représentants du personnel et les salariés de l'entreprise tel qu'il existait avec les délégués du personnel, le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail : d'une part, les modalités de définition du périmètre des établissements distincts, d'autre part, la faculté de désigner les représentants de proximité. Un risque de centralisation excessive du CSE apparaît, notamment lorsque le périmètre des établissements distincts retenu est plus large que celui qui prévalait précédemment, lorsque aucun accord n'a permis la mise en place de représentants de proximité, ou encore lorsque ces derniers ont des moyens insuffisants au regard de leurs prérogatives.
Le parti pris des ordonnances consistant à laisser à la négociation collective la responsabilité de décider ou non de la présence de représentants de proximité, ainsi que, le cas échéant, de définir l'étendue de leurs prérogatives et les moyens mis à leur disposition, est particulièrement contesté par les syndicats. En cas d'échec de la négociation, la présence de représentants de proximité est de facto écartée, alors qu'elle est souvent considérée comme essentielle pour maintenir des relais d'expression des salariés au plus près du terrain dans les entreprises comprenant plusieurs sites. Lorsque la négociation aboutit, peu se satisfont des moyens accordés aux représentants de proximité. En effet, aux termes du code du travail ces représentants ne sont pas forcément membres du CSE. Dès lors, le volume d'heures de délégation et leurs prérogatives dépendent directement de la négociation. Or l'absence de mode d'emploi et de dispositions supplétives conduit trop souvent à négocier de façon minimaliste et les moyens octroyés sont insuffisants par rapport aux prérogatives qui leur sont confiées. Plusieurs syndicats déplorent ainsi qu'en dehors d'une référence à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail, l'ordonnance n'ait pas défini à l'article L. 2313-7 du code du travail les missions des représentants de proximité. Dès lors, les accords qui parviennent aux syndicats tendraient selon eux à faire des représentants de proximité davantage des « n+1 » intégrés à la hiérarchie de l'entreprise plutôt que de véritables représentants du personnel devant rendre des comptes au CSE ou aux commissions.
En somme, l'assouplissement des critères de définition des établissements distincts et l'indétermination du cadre juridique applicable aux représentants de proximité conduisent à une centralisation excessive du dialogue social dans les entreprises pluri-établissements, susceptible d'entraîner une méconnaissance au niveau central des problèmes rencontrés sur le terrain. Comment, madame la ministre, entendez-vous remédier à cet autre affaiblissement du dialogue social produit par votre réforme ?
Monsieur Vallaud, nous sommes en désaccord sur le point suivant : alors que vous prônez une centralisation à travers un code du travail qui décrirait dans le détail ce que doivent faire les entreprises, quels que soit leur taille et le contexte dans lequel elles s'inscrivent, nous avons fait le choix, dans le cadre de ces ordonnances, de donner au contraire une plus grande liberté de négociation à l'entreprise et aux représentants du personnel s'agissant du périmètre, des moyens, de l'organisation du dialogue social et de la mise en place de représentants de proximité. Si un quart des accords prévoient la mise en place de représentants de proximité, il convient de noter que, dans de nombreux cas, comme beaucoup de PME et de TPE ont instauré des CSE, les notions d'entreprise et d'établissement se confondent. Ce n'est que dans les grandes entreprises que la mise en place de représentants de proximité a du sens.
Je crois pour ma part qu'il faut faire confiance au dialogue social. Des accords sont conclus au sein de l'entreprise, et s'ils prévoient la mise en place de représentants de proximité, c'est que les partenaires sociaux en voient la nécessité ; dans le cas contraire, c'est qu'il y existe d'autres modes de relation entre les délégués syndicaux et le personnel.
Il faut évaluer les résultats non pas en termes quantitatifs, mais en examinant la dynamique enclenchée. Or, en la matière, il me semble que les signaux sont plutôt positifs.
Lors de l'examen en novembre 2017 du projet de loi ratifiant les ordonnances travail, mes collègues Francis Vercamer, Charles de Courson et Agnès Firmin Le Bodo avaient permis l'adoption d'un amendement visant à instaurer une visite médicale de fin de carrière pour certains travailleurs. Il s'agissait de prendre en considération la situation spécifique des travailleurs bénéficiant du dispositif de suivi individuel renforcé ou ayant bénéficié d'un tel dispositif au cours de leur carrière professionnelle. Cela concerne des salariés exposés à certains risques pour leur santé ou leur sécurité, notamment les expositions à l'amiante, aux rayonnements ionisants, au plomb ou aux agents cancérogènes. La loi prévoit désormais que ces salariés sont examinés par le médecin du travail au cours d'une visite médicale avant leur départ en retraite, ce qui permet d'établir une traçabilité et un état des lieux des expositions à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels. L'objectif est de mettre en place, en cas de besoin et en liaison avec le médecin traitant, une surveillance dépassant la période d'activité professionnelle. S'appuyant sur l'expertise du médecin du travail, cette mesure permet d'éviter la perte d'informations liée à la fin de carrière et d'améliorer le suivi de la situation du salarié. Il s'agit donc d'un progrès réel et concret en matière de prévention des maladies liées aux expositions professionnelles.
Cet amendement laissait le soin au Conseil d'État de préciser par décret les modalités d'application. Or l'échéancier de mise en application de la loi, disponible sur Légifrance, indique que la publication du décret est « envisagée fin septembre 2018 ». Cela représente un retard de près d'un an et demi ! Pourriez-vous, madame la ministre, nous indiquer les raisons de ce retard et nous apporter des précisions concernant la prochaine publication de ce décret ?
Tout d'abord, monsieur le député, je confirme que nous avions trouvé que cet amendement était bienvenu, et qu'il s'agissait d'une bonne idée. Il a été adopté. Ce qui s'est passé, c'est qu'entre-temps les partenaires sociaux ont engagé des discussions sur la santé au travail. Celles-ci doivent très prochainement faire l'objet d'un document d'orientation qui a été longuement discuté et qui doit être soumis à une négociation interprofessionnelle. C'est pourquoi nous avons préféré ne pas publier de décret préalablement et isolément. Certes, cela provoquera un certain retard, mais je crois que cela donnera aussi plus de force à ce qui résultera de la négociation.
Pour le groupe Libertés et territoires, la démocratie sociale et le dialogue social constituent de puissants leviers pour répondre à des enjeux essentiels et globaux ; je pense à la lutte contre la précarité, à la protection des salariés, à la sécurisation de leurs parcours professionnels, à l'amélioration de la compétitivité de nos entreprises et à l'anticipation des mutations économiques, sociales, technologiques et écologiques profondes.
Les travaux du comité d'évaluation des ordonnances travail, et plus particulièrement la récente étude sur l'appropriation et la mise en oeuvre de ces ordonnances, démontrent que des difficultés subsistent. Je souhaiterais, madame la ministre, vous interroger plus particulièrement sur la mise en place du comité social et économique qui fusionne l'ensemble des institutions représentatives du personnel.
Cette simplification doit permettre un dialogue social plus souple et plus efficace. Toutefois, nous devons veiller à ce que ce dialogue ne perde ni en qualité ni en proximité. Or il ressort de l'étude menée auprès des entreprises que le passage à une instance unique renforce une tendance à la concentration et à la centralisation.
Cette tendance suscite une double interrogation. D'abord, il nous semble important de préserver un dialogue social de proximité, ce qui peut paraître contradictoire avec la concentration des instances et la réduction de leurs moyens. Ensuite, cela induit un élargissement des périmètres de représentation des élus du personnel, qui font face à des missions toujours plus intenses et plus complexes sans y être toujours préparés.
Aussi, madame la ministre, ma question sera-t-elle double. Premièrement, le Gouvernement va-t-il prendre de nouvelles mesures afin de préserver un dialogue social de proximité, notamment en précisant le nombre, les moyens et les fonctions des représentants de proximité prévus par les ordonnances ? Deuxièmement, ne devrait-on pas repenser globalement et renforcer la formation des élus du personnel, dont les périmètres d'intervention sont désormais plus importants ?
D'abord, rien ne permet aujourd'hui de dire qu'il y a une centralisation. Il n'existe aucun indice en ce sens. Je le répète : 25 % des accords prévoient des représentants de proximité, alors que cela n'est pas obligatoire : ce sont les entreprises et les organisations syndicales qui en conviennent. Or une grande partie des entreprises sont des petites et moyennes entreprises implantées sur un seul site : pour elles, la question ne se pose pas. Cela signifie qu'une proportion extrêmement importante des entreprises concernées par le sujet ont décidé de mettre en place des représentants de proximité.
D'autre part, je le répète, il y a deux philosophies bien différentes : soit l'on fait confiance au dialogue social, soit l'on pense que nous, ici, dans cet hémicycle, savons mieux que les syndicats et l'entreprise ce qui est bon pour eux. En ce qui me concerne, j'admets que je m'inscris en faux contre cette dernière assertion ; je suis pour la décentralisation, y compris – voire surtout – celle du dialogue social.
Quant à la formation des élus, vous avez raison, il s'agit d'une question importante. C'est pourquoi nous avons prévu des actions en la matière. C'est la première fois qu'un texte de loi en reconnaît l'importance. Le ministère a prévu, en liaison bien sûr avec les partenaires sociaux, une certification des compétences des représentants du personnel et des mandataires syndicaux. Je crois qu'il est très important d'affirmer que les représentants du personnel développent des compétences ; cela leur permettra de les faire reconnaître dans d'autres cadres, au-delà de leur mandat. Il s'agit d'un réel progrès, car, en matière de formation et de reconnaissance des parcours syndicaux, la France était en retard ; or nous sommes en train de le combler.
L'adoption en 2017 des ordonnances travail n'avait laissé que peu de place aux interventions parlementaires, ce que nous avions à l'époque dénoncé. Deux ans plus tard, quel bilan pouvons-nous en tirer ? Rien n'a vraiment changé. Les mobilisations sociales n'ont fait que s'amplifier. N'est-ce pas la démonstration que la « rénovation profonde du modèle social » que vous espériez s'est transformée en quelque chose qui s'apparente à la liquidation de toute forme de dialogue ? Depuis trente-cinq jours, des dizaines de milliers de Français, soutenus par une majorité de la population – c'est encore le cas – , sont en grève, sans que vous ne leur prêtiez une attention réelle, si ce n'est pour attendre d'eux qu'ils fassent une trêve ou qu'ils cessent la grève, comme vous ne cessez de le réclamer.
Dans le cadre de votre réforme des retraites, vous avez aujourd'hui l'audace de parler de « pénibilité ». À l'occasion d'une concertation en octobre 2019, le président Emmanuel Macron considérait que la pénibilité était un mauvais terme parce qu'il donnait le sentiment que le travail, ça serait pénible. Eh oui ! Hélas, c'est le cas ! Concrètement, ce mépris affiché s'est traduit par la suppression en 2017 de quatre critères sur dix de pénibilité au travail, au détriment de près de 300 000 salariés.
C'est ce mépris qui nous est pénible. Selon les études de l'assurance maladie, ce sont près de dix salariés qui, chaque semaine, décèdent d'un accident du travail, la pénibilité étant bien souvent liée aux dangers qui pèsent sur les salariés. Nous vous avions pourtant prévenus du caractère dévastateur de ces ordonnances.
Ces métiers usants touchent au total 8 millions de nos concitoyens. La conséquence est connue, et elle est terrible : l'espérance de vie des intéressés s'en voit sévèrement réduite. Pour un ouvrier, la pénibilité se traduit concrètement par une espérance de vie de six ans – au moins – inférieure à celle d'un cadre. Il en est de même pour nombre d'autres professions.
Madame la ministre, alors que la question de la pénibilité est de nouveau sur la table, allez-vous enfin réintégrer les critères supprimés en 2017 ?
Monsieur le député, vous dites que le bilan des ordonnances est négatif ou que rien n'a changé. Si vous vous reportez à mes propos, lors de l'examen du projet de loi d'habilitation, j'avais annoncé qu'un changement culturel ne se faisait pas en un ou deux ans, mais qu'il faudrait des années pour qu'il produise tous ses effets. En revanche, une dynamique est enclenchée, avec plus de 50 000 CSE créés, une pratique conventionnelle qui se développe, notamment dans les PME, et beaucoup moins de crainte à l'embauche.
S'agissant de la pénibilité, qui est une question très importante, d'abord, je précise que nous n'avons pas supprimé des critères, mais que nous avons décidé de ne plus les créditer sur le C3P – le compte personnel de prévention de la pénibilité, devenu le compte professionnel de prévention, le C2P – pour les mesurer différemment : c'est un médecin qui doit dire s'il existe une incapacité liée à ces risques ; et si un taux de 10 % d'incapacité est constaté, alors, automatiquement, la personne part à la retraite deux années plus tôt. Des milliers de personnes bénéficient déjà de cette disposition, alors qu'elles ne seraient jamais parties à la retraite plus tôt si l'ancien dispositif avait été conservé.
Il reste en revanche des sujets qui ne sont pas épuisés, comme les risques liés aux agents chimiques toxiques, qui sont différés et mal mesurables. Le professeur Frimat, à qui nous avions demandé il y a deux ans un rapport, nous l'a remis et le sujet fait partie de ceux sur lesquels nous voulons avancer avec les partenaires sociaux.
Oui, il y a encore des progrès à faire en matière de pénibilité. Mais nous ne reviendrons pas en arrière, nous ne rétablirons pas un droit formel, inapplicable. Ce qui m'intéresse, c'est de faire progresser les droits réels. Nous en sommes convenus hier avec les partenaires sociaux, dans le cadre de la concertation lancée avec le Premier ministre et Laurent Pietraszewski en vue de la réforme des retraites.
Madame la ministre, je voudrais aborder le sujet des conséquences négatives des ordonnances de la loi travail sur les politiques de santé et de prévention. Le mois dernier s'est tenu le procès de France Télécom : il n'aurait jamais eu lieu si vos ordonnances avaient été en vigueur…
… puisque la procédure a été initiée par le CHSCT. Je rappelle que dix-neuf suicides ont été reconnus comme directement liés aux pratiques managériales de France Télécom.
En supprimant les élus de proximité qu'étaient les délégués du personnel, vous avez ôté aux salariés une ressource indispensable pour qu'ils aient leur mot à dire au sujet de leurs conditions de travail. Vous avez aussi supprimé le mot « pénibilité » de l'intitulé du compte personnel de prévention. C'est plus que symbolique : cela illustre la suppression de quatre critères de pénibilité qui ouvraient aux salariés la possibilité d'un départ anticipé à la retraite, le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques, qui n'ont pourtant pas disparu de leur travail quotidien.
On peut établir une relation entre vos ordonnances et les chiffres de l'assurance maladie pour 2018 : les accidents du travail et les maladies professionnelles repartent à la hausse, respectivement de 3 % et de 2,1 %, tandis que les arrêts maladies continuent d'augmenter chaque année.
Madame la ministre, quand allez-vous faire droit à la demande des syndicats de rétablir les CHSCT, dont l'exemple de France Télécom, entre autres, démontre l'utilité ? Quand allez-vous réintroduire les quatre critères de pénibilité supprimés en 2017 ? Comment comptez-vous améliorer la prise en compte de la pénibilité et de la santé au travail ?
Monsieur le député, je pense qu'il s'agit d'une erreur involontaire mais ce que vous dites du CHSCT est, pardon, entièrement faux. L'intégralité des missions du CHSCT ont été attribuées au CSE par les ordonnances. Tout CSE peut donc se saisir d'un sujet touchant à la santé au travail. Concernant France Télécom, je vous rappelle que toute entreprise de plus de 300 salariés est obligée d'avoir, au sein de son CSE, une commission santé, sécurité et conditions de travail. Et même en l'absence d'une telle commission, le CSE est souverain dans ce domaine. Votre exemple est donc erroné.
Le changement de dénomination du compte personnel de prévention avait pour but de mettre en relief le point faible sur lequel nous devons progresser : la prévention. Aujourd'hui, en France, on a tendance à penser que la pénibilité est uniquement matière à réparation, mais la vraie justice sociale réside dans la prévention de la pénibilité, dans le fait de ne pas arriver à l'âge de la retraite avec une santé détériorée, qui va dégrader la qualité du reste de votre vie ! Prévention, possibilité de se reconvertir à temps, réparation in fine, ce sont les trois composantes de cette justice sociale que nous allons aborder avec les partenaires sociaux. Ceux-ci partagent d'ailleurs notre constat : hier, toutes les organisations syndicales et patronales ont déclaré que la prévention devait être notre priorité.
C'est aussi dans cette perspective que la prévention des accidents du travail constitue une des priorités de l'inspection du travail : il ne faut rien laisser passer dans ce domaine. Ces accidents sont trop nombreux en France, et la situation n'a pas progressé depuis une dizaine d'années. Maintenant que les instances adéquates sont en place, maintenant que ce sujet est porté au niveau stratégique des CSE, maintenant que se dessine une négociation interprofessionnelle sur la santé et la sécurité au travail, car les partenaires sociaux nous ont fait part de leur souhait d'aborder ce sujet, nous allons pouvoir avancer en matière de prévention de la pénibilité.
Encore une fois, on n'en reviendra pas à des critères qui ne sont pas mesurables. Un artisan, un agriculteur ne sera pas derrière son salarié pour déterminer combien d'heures par jour celui-ci soulève des charges, et de quel poids. Cela relève d'une vision du droit purement formelle, déconnectée de la réalité du terrain. Il valait mieux reconnaître l'incapacité ! Mais nous allons continuer à travailler sur ces sujets, et surtout étendre la prise en compte de la pénibilité au secteur public, où elle n'est actuellement pas reconnue.
Madame la ministre, les ordonnances de la loi travail de septembre 2017 ont probablement opéré l'une des plus importantes réformes du code du travail de ces dernières années. Il faut s'en féliciter.
Dans ce dispositif figure notamment la création d'une instance unique de représentation du personnel, le comité social et économique. Celui-ci fusionne les délégués du personnel __ DP __, le comité d'entreprise __ CE __ et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Il remplace, là où elle existait, la délégation unique du personnel __ DUP. Je m'en tiendrai là pour les sigles.
L'ordonnance de septembre 2017 qui visait à simplifier le dialogue social dans l'entreprise a parachevé un processus de fusion initié en 1993. Le CSE, doté de la personnalité civile, d'un budget, exerce pleinement les prérogatives auparavant dévolues aux DP, au CE et au CHSCT. Il rend un avis ; il est consulté en lieu et place des anciennes instances représentatives du personnel.
La loi a imposé la création d'un CSE dans toutes les entreprises d'au moins 11 salariés pour le 1er janvier 2020. Selon vos indications, 53 700 CSE ont été instaurés, dont 49 % dans les petites entreprises. Pourriez-vous s'il vous plaît détailler ces chiffres ?
Par ailleurs, je suis particulièrement sensible au respect des partenaires sociaux, à l'instauration d'un véritable dialogue, à l'amélioration des conditions de travail. C'est pourquoi je voudrais conclure cette intervention par un ensemble de questions d'ordre qualitatif : les nouvelles instances représentatives du personnel ont-elles lancé des dynamiques, modernisé des pratiques ? Les femmes et les hommes ont-ils changé ? Les dirigeants reconnaissent-ils la valeur du parcours syndical et électif ? Les salariés adoptent-ils ces nouvelles instances, s'engagent-ils dans ces mandats utiles et exigeants ?
Madame la députée, vous posez la question essentielle, celle de la portée du changement culturel. Aujourd'hui, les conditions de ce changement sont réunies. Il existe plus de 50 000 CSE, auxquels 10 000 ou 20 000 autres s'ajouteront dans quelques semaines, une fois tous les accords enregistrés. On constate un début de dynamique conventionnelle. Le changement culturel commence à s'esquisser dans les TPE et PME, où il se signe beaucoup plus d'accords : des CSE sont créés là où il n'y avait rien. Ce changement n'est pas généralisé, mais la dynamique a démarré, même dans les petites entreprises.
Le 28 juin dernier, nous avons organisé au ministère du travail la première édition des réussites du dialogue social, qui réunissait une centaine de participants. Les entreprises déléguaient un représentant de la direction ou des ressources humaines et un ou plusieurs représentants syndicaux, afin qu'ils parlent des accords qu'ils concluaient. Nous en avons ainsi vu de très innovants. Vous me direz que tout cela est plus qualitatif que quantitatif : aujourd'hui, on ne sait pas évaluer en quantité cette évolution en qualité.
Ces exemples ne sont pas encore massifs, car il fallait d'abord créer les CSE. Le travail de ces deux premières années a consisté à calibrer ces instances en fonction des métiers, des territoires, des besoins, des cultures d'entreprise. Les représentants de proximité, par exemple, ne seront pas positionnés de la même manière selon que l'entreprise est très centralisée ou très décentralisée. Ce travail d'architecture de terrain est désormais achevé. Nous en sommes à l'étape des pionniers : la dynamique est là, les outils sont là ; certains s'en sont saisis et ont conclu des accords innovants ; pour les autres, nous allons accompagner le mouvement afin qu'émerge dans les prochaines années un dialogue constructif, exigeant, facteur à la fois de progrès social et de performance des entreprises.
Madame la ministre, les ordonnances dont nous discutions aujourd'hui ont constitué la première étape de la rénovation de notre modèle social. Deux ans après leur entrée en vigueur, nous pouvons faire un point d'étape.
Concrètement, j'aimerais vous parler de la manière dont ces ordonnances ont été reçues dans le territoire que je représente et qui vous est familier, le Nord-Isère. En raison de sa position stratégique, celui-ci connaît depuis des années une croissance économique et démographique qui témoigne de son dynamisme. Le taux de chômage y est inférieur à 7 %, contre 8,5 % de moyenne en France. En Nord-Isère, il y a davantage d'emplois à pourvoir que de demandeurs d'emploi, et pourtant le chômage perdure ! Les ordonnances ont déjà permis d'apporter de nombreuses réponses à ce paradoxe qui engendre une frustration importante, tant chez les employeurs que chez les chômeurs.
Aussi le GICOB, le groupement patronal du Nord-Isère, qui regroupe de nombreuses PME appartenant à tous les secteurs d'activité, souhaite-t-il vous remercier, au nom des entreprises du Nord-Isère, pour ces ordonnances et leur mise en oeuvre. Elles avaient pour ambitions la relance de l'emploi et la baisse durable du taux de chômage : elles ont tenu leurs promesses. En élargissant le champ de la primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche, et surtout en permettant aux PME dépourvues de délégués syndicaux de négocier des accords d'entreprise par l'intermédiaire des élus du CSE, elles ont renforcé le dialogue social au plus près du terrain.
Fort de ce constat, le GICOB tient néanmoins à appeler votre attention, madame la ministre, sur une difficulté rencontrée par les entreprises dans leur fonctionnement quotidien.
Le CSE a absorbé l'ensemble des anciennes instances représentatives du personnel : DP, CE et CHSCT. Mais les obligations qui incombent aux entreprises de moins de 50 salariés n'étant pas les mêmes que celles des entreprises plus grandes, l'appellation de CSE recouvre en fait deux réalités différentes. De ce fait, lorsqu'il est question des obligations liées au CSE, les entreprises ne savent jamais si elles sont concernées. Pensez-vous que nous puissions mettre fin à cette confusion et à l'insécurité qu'elle suscite dans nos entreprises ?
Par ces ordonnances, nous avons voulu permettre l'émergence du dialogue social au sein des petites entreprises. Il est évident qu'avoir 11 ou 100 000 salariés n'entraîne pas les mêmes exigences. Par exemple, le référendum comme mode de décision concerne les toutes petites entreprises : pour grossir le trait, lorsqu'il y a dix personnes autour de la table, on peut parvenir à un accord sans recourir à des lettres avec accusé de réception !
Nous avons donc choisi de donner un nom unique à une réalité progressive, afin d'éviter de créer encore des seuils supplémentaires. La petite entreprise est appelée à grandir ; le but d'une TPE, c'est de devenir une PME, puis une ETI, voire davantage. Il faut donc une appropriation progressive du dialogue social. Faute de délégués syndicaux, on recourt à un élu du personnel… Il existe une gradation de solutions que l'on n'autoriserait évidemment pas aux grandes entreprises, où les élections ne pourraient se passer des organisations syndicales. Il y avait deux options : des effets de seuil, des mondes à part, ou un apprentissage du dialogue social, et nous avons choisi de permettre cette progressivité.
Enfin, peut-être n'est-il pas mal que des entreprises de 45 salariés dialoguent avec d'autres qui en comptent 60 : elles verront ainsi qu'elles n'ont pas à avoir peur, qu'elles peuvent grandir, dépasser le seuil des 50 salariés, et connaître un dialogue social qui aide aussi à leur performance économique.
Parmi les ordonnances de la loi travail, l'une établissait un encadrement artificiel des indemnités prud'homales. Vos objectifs, servis par une communication bien huilée, étaient de simplifier la procédure, de la rendre plus lisible, et d'offrir une sécurité juridique aux petites entreprises.
Malheureusement, deux ans plus tard, le bilan est pour le moins contrasté, voire très négatif, parfois à l'opposé des objectifs fixés. Vous avez accompli l'exploit de mécontenter à la fois les entreprises et les salariés. Quatre points posent particulièrement problème et suscitent les inquiétudes.
Le premier est la mise en place d'une justice prud'homale à deux vitesses, au détriment des salariés les plus modestes. Un acteur de terrain, un magistrat, déclare que l'un des aspects majeurs de cette réforme en particulier, c'est qu'elle aboutit à écrémer le contentieux prud'homal, en ne laissant subsister que le contentieux qui a un fort potentiel de gain, celui des cadres à haut salaire, qui peuvent payer un avocat et tenir quatorze mois. Les autres salariés se replient sur des accords amiables a minima, dans le meilleur des cas. Le dialogue social ne s'en trouve pas amélioré.
Deuxièmement, il existe des différences de pratique d'une juridiction à l'autre ; certains juges s'affranchissent même du barème, qu'ils estiment contraire à la convention de l'Organisation internationale du travail, ou à la charte sociale européenne. L'application de vos ordonnances aboutit donc là encore à un système à deux vitesses, cette fois en fonction du lieu de résidence, ce qui est injuste et inégalitaire.
Troisièmement, les délais n'ont pas été réduits puisque des antennes prud'homales ont été fermées en parallèle, à commencer par les plus petites ou les plus rurales. Mais, même à Paris, il faut attendre quinze mois pour avoir un jugement, quinze autre mois en cas de départage et quinze mois de plus en cas d'appel, c'est-à-dire quasiment quatre ans avant la décision définitive.
Quatrièmement, et c'est sans doute le pire effet de vos ordonnances pour les salariés et les entreprises, le plafonnement ne vaut que pour les licenciements sans cause réelle ou sérieuse, pas pour les cas de discrimination ou de harcèlement. De ce fait, nous avons assisté à l'explosion de ces dossiers, qui servent à contourner les barèmes. Je cite ici un acteur : « Du fait de ce glissement, il n'y a plus de prévisibilité et de sécurisation, comme envisagé dans le marketing de cette réforme. »
Ainsi, en privant certains salariés de recours, en créant des tensions dans les entreprises et en soumettant leurs dirigeants à une insécurité juridique nouvelle et accrue, vous avez manqué votre cible. Que comptez-vous faire, madame la ministre, pour corriger ces erreurs ?
Monsieur Di Filippo, je suis très étonnée d'entendre que le groupe Les Républicains ne considère pas la sécurisation juridique des entreprises et des salariés comme un objectif important.
Ce que nous avons dit, c'est qu'elle n'était pas au rendez-vous : l'objectif est manqué !
C'est un objectif important pour nous, et je vous assure que la situation est devenue sacrément différente d'avant.
Ce n'est peut-être pas un hasard si le contentieux a diminué de 10 %.
J'avais mal compris alors, et il est bon d'avoir vérifié votre interprétation. Quoi qu'il en soit, 10 % de contentieux en moins, c'est déjà positif.
Deuxièmement, certaines des choses que vous avez dites sont erronées : toutes les indemnités sont encadrées par le barème, y compris celles des cadres. Il n'y a donc pas d'inflation possible. Troisièmement, il y a aujourd'hui beaucoup moins de conflictualité et plus de médiation. Je m'attendais à ce que les Républicains considèrent la médiation comme meilleure pour l'entreprise et pour le salarié.
Quatrièmement, c'est justement parce qu'il existait une incertitude totale que les délais étaient très longs. Maintenant que les gens sont passés à la médiation, ils ne rentrent plus dans vos statistiques. Certes, les délais prud'homaux restent longs, mais ils sont beaucoup plus courts pour ceux qui ne vont pas au contentieux, ce qui incite à recourir à la médiation.
Cinquièmement, l'insécurité juridique a été réduite. Vous avez évoqué le cas de quelques juges aux interprétations différentes, mais la Cour de cassation s'est prononcée le 17 juillet et depuis, les jugements s'alignent.
La raison pour laquelle nous avons exclu le harcèlement du barème, c'est que l'on ne peut pas juger de la même façon les cas d'atteinte à l'intégrité de la personne – et pas seulement à son emploi.
Ce n'était pas le sens de ma remarque : je disais qu'il y avait un contournement !
J'ajoute, pour ceux qui croient qu'ils gagneront plus en recourant à un contentieux pour harcèlement, qu'il faut des preuves. Beaucoup de ceux qui ont participé à ce premier mouvement, conseillés par des avocats qui y voyaient un intérêt pécuniaire, seront déboutés parce qu'on ne peut pas aller au tribunal et obtenir n'importe quoi, sous n'importe quel motif, sans preuve.
Contrairement à vous, j'ai en permanence des échos des entreprises qui me disent merci, aujourd'hui comme il y a deux ans, parce que c'est grâce à cette meilleure sécurisation juridique qu'elles n'ont plus peur d'embaucher !
Les ordonnances travail signées en septembre 2017 ont fait la part belle au télétravail ; c'était l'occasion. En effet, si le télétravail était inscrit dans le code du travail depuis 2012, il ne disposait pas encore d'une définition claire et précise. Nous nous réjouissons que, grâce à ces ordonnances qui ont rendu le cadre plus clair, il soit désormais possible de recourir de manière effective au télétravail. Le définir a permis de faire évoluer le droit, et surtout de reconnaître la réalité du marché du travail et celle du comportement des familles. Les ordonnances ont simplifié les procédures, ce qui représente un véritable pas en avant pour notre société. Il n'y a désormais plus besoin d'inscrire le télétravail dans les accords collectifs : chaque salarié peut demander à en bénéficier par l'envoi d'un simple mail, ce qui représente une vraie avancée sociale, et c'est maintenant à l'employeur de motiver son refus.
Pour citer d'autres évolutions, les accidents du travail survenant en période de télétravail sont maintenant reconnus comme tels et l'accès à la formation et à l'engagement syndical est désormais garanti, y compris pour les salariés en télétravail. Ce sont là des avancées concrètes que je souhaitais souligner, voire rappeler, à l'occasion de cette session de contrôle.
Madame la ministre, je pose ici la question de la progression. On sait que le recours au télétravail a progressé de manière significative – il concerne environ 700 000 salariés de plus, ce qui est une vraie réussite, et 17 % des salariés au total – mais un écart important subsiste avec d'autres pays. Madame la ministre, c'est parce que je crois en la capacité du télétravail à répondre à des besoins essentiels de notre société et à la manière de vivre des familles que je vous pose la question : les objectifs du gouvernement ont-ils été atteints et, dans le cas contraire, comment accompagner le développement du télétravail dans notre pays ?
Merci pour votre question, madame El Haïry. L'avancée du droit social dans les ordonnances répond en effet à une aspiration très forte. Il y a aujourd'hui beaucoup plus de travail autonome, tandis que le temps passé dans les transports est perdu à la fois pour le travail et pour la vie personnelle. Le télétravail permet également, pour certains métiers, de se concentrer mieux, et accorde une certaine souplesse dans l'aménagement du temps. De manière plus générale, il encourage de nouvelles formes de management en atténuant la logique de contrôle et de présentéisme des hiérarchies classiques, faisant ainsi bouger des pratiques managériales sans doute plus adaptées au passé qu'à l'avenir. Il correspond particulièrement aux aspirations des jeunes, qui ne veulent plus d'un management prescriptif trop précis.
On estime que 17 % des salariés bénéficient du télétravail à travers des accords. Paradoxalement, les ordonnances ont rendu le suivi plus difficile en ouvrant la possibilité d'accords individuels, en plus des accords d'entreprise et de branche que nous continuerons de comptabiliser. Sauf à commander une enquête, ce qui est envisageable, nous n'aurons jamais les chiffres exacts et devrons nous contenter de témoignages !
Un autre élément intéressant est le développement des espaces de travail partagé. Ce n'est pas parce que l'on travaille seul à une tâche que la solitude n'est pas un problème et il est quelquefois important de disposer d'un lieu de travail, notamment en zone rurale, pour ceux entre autres qui viennent y rejoindre leur conjoint. Là où un espace de coworking existe, à l'initiative des entreprises ou de la municipalité, un salarié pourra retrouver un fonctionnaire, un artisan et un demandeur d'emploi… Cela crée de nouveaux collectifs de travail, non plus hiérarchiques mais horizontaux et territoriaux, qui dessinent le travail de demain. Cette question ce sera très intéressante à suivre et, je le crois, assez inspirante.
Prochaine séance, ce soir, à vingt-deux heures :
Questions sur la situation dans les EHPAD.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures quarante.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra