Intervention de Muriel Pénicaud

Séance en hémicycle du mercredi 8 janvier 2020 à 15h00
Débat sur la mise en oeuvre des ordonnances de la loi travail

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Force est de constater que les ordonnances travail ont contribué, parmi d'autres facteurs, à stimuler la création d'emplois dans un contexte pourtant incertain. Pour avoir rencontré près de 10 000 chefs d'entreprise, essentiellement de TPE et PME, je peux témoigner qu'ils n'ont qu'une remarque à la bouche : « nous n'avons plus peur d'embaucher ». De fait, 540 000 emplois nets ont été créés en deux ans, le taux de chômage a reculé de 1 % et les embauches en CDI sont en hausse.

En ce qui concerne le dialogue social, la dynamique positive se confirme quantitativement et qualitativement. Elle n'est pas achevée, mais bien engagée. La dynamique quantitative peut être appréciée au vu du nombre de CSE créés, de nouveaux accords conclus – accords de performance collective et ruptures conventionnelles collectives – et de la pratique conventionnelle, en particulier dans les entreprises de moins de cinquante et de moins de onze salariés, où elle était rare. Au 6 janvier 2020, on recense 53 700 CSE, contre 12 000 au 31 décembre 2018. Surtout, 45 % d'entre eux concernent des entreprises de moins de cinquante salariés. S'il reste du chemin à parcourir, la dynamique est néanmoins significative dans les petites entreprises. Depuis les lois Auroux de 1982, jamais une évolution si nette n'avait été constatée.

Certains d'entre vous ont jugé le processus trop lent, sachant qu'une accélération est survenue au terme du délai de deux ans. Si le rythme avait été précipité, vous auriez crié au passage en force ! Surtout, dans de nombreuses entreprises, les partenaires sociaux et les employeurs ont décidé de prendre leur temps et de mettre à profit ces deux ans pour redessiner entièrement l'architecture de leurs instances. Cela me semble positif. Nous faisons confiance au dialogue social de terrain et le laissons adopter son rythme. Notez que le nombre de 53 700 CSE est sous-évalué, car plus de 19 000 procès-verbaux ont été envoyés en décembre et sont en instance de traitement. Quoi qu'il en soit, la dynamique est lancée.

J'en viens aux ruptures conventionnelles collectives, qui sont bien distinctes des plans de sauvegarde de l'emploi. Au 1er janvier 2020, 200 entreprises s'étaient saisies de ce nouveau dispositif, et 140 accords avaient été validés par les DIRECCTE – directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. Plus intéressant encore, 40 % des ruptures conventionnelles collectives concernaient des PME et des ETI. Nous sommes en train d'améliorer le dialogue social dans les grandes entreprises, mais aussi de le faire émerger dans les TPE et PME, conformément à l'une des ambitions de la loi. Tous les syndicats signent des ruptures conventionnelles collectives, ainsi que 80 % des délégués syndicaux. En cas de forte difficulté, ce dispositif permet de procéder à une rupture apaisée des contrats.

Une même dynamique est à l'oeuvre pour les accords de performance collective, dont 256 ont été signés – soit dix par mois en moyenne – , niveau bien supérieur à celui des accords de compétitivité conclus durant l'ensemble du précédent quinquennat. Cette nouvelle modalité connaît donc un réel succès. Sur les 256 accords de performance collective, 158 concernent des PME, 90 % sont signés avec un ou deux délégués syndicaux et près de 60 % le sont à l'unanimité. Ils traitent majoritairement du temps de travail et de la rémunération. Soit on fait confiance au dialogue social et on se réjouit que les partenaires sociaux trouvent des accords pertinents, soit on ne croit pas au dialogue social de terrain et on émet un avis nécessairement négatif sur cette dynamique.

L'activité conventionnelle est dynamique dans les TPE et PME. L'épargne salariale reste son premier motif, soit 34 000 accords conclus en 2018, niveau en progression. Au-delà, près de 4 700 accords ont été signés dans les entreprises de moins de cinquante salariés, dont quelque 1 500 dans les entreprises de moins de dix salariés. Enfin, 2 600 accords de cette nature ont été ratifiés par référendum en 2018. Le rythme est encore plus soutenu en 2019, puisque durant les neuf premiers mois, 7 800 accords ont été signés dans les entreprises de moins de cinquante salariés, dont 2 700 par référendum. La nouvelle pratique consistant pour les TPE et les PME à signer des accords et à les ratifier par référendum est donc en progression. Outre le temps de travail, le thème qu'ils abordent le plus souvent est la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat.

Les ordonnances travail offrent donc au personnel des entreprises des moins de cinquante salariés un accès réel à la négociation, comme nous le souhaitions. Et encore, nous n'en sommes qu'au début du mouvement.

Pour ce qui est des nouveaux motifs de négociation au niveau des branches – CDD, intérim et contrats de chantier – , dix-neuf branches se sont saisies de ces thèmes et ont conclu des accords créant le CDI de chantier, seize accords aménagent des dispositions relatives au CDD ou à l'intérim, et ces branches couvrent plus de 3 millions de salariés. Enfin, neuf accords traitent du CDI de chantier – soit 2 millions de salariés concernés – en adaptant ce contrat aux métiers, aux secteurs et aux environnements de travail, tout en prévoyant des contreparties avantageuses pour le personnel en matière de formation et de rémunération. Dans la métallurgie, le CDI de chantier donne ainsi droit à une majoration salariale de plus de 10 %. Le télétravail ouvre également de nouvelles possibilités, et le nombre d'accords qui lui sont consacrés progresse.

Nombre d'entre vous ont insisté sur l'appréciation qualitative du déploiement des ordonnances travail. Le CSE a érigé la santé au travail au rang des orientations stratégiques de l'entreprise. Auparavant, ce sujet était confié à une commission constituée de personnes non élues mais simplement désignées, parfois déconnectées du comité d'entreprise. Aujourd'hui, la santé est débattue au niveau stratégique, entre le chef d'entreprise et les représentants syndicaux, comme dans tous les pays où le dialogue social est fortement structuré – je pense aux pays nordiques ou encore à l'Allemagne. C'est une occasion unique de renforcer l'articulation entre les orientations économiques, l'organisation et la santé au travail, volets dont nous pouvons nous accorder à dire qu'ils sont intimement liés. Le CSE reprend pleinement les attributions du CHSCT, et peut s'appuyer sur l'expertise technique de la commission de santé, de sécurité et des conditions de travail. Je tiens à vous rassurer, monsieur Cherpion : les membres du CSE endossent bien une mission globale couvrant tous les sujets, y compris la santé et la sécurité, et ont donc pleinement le droit d'être formés dans ces domaines.

Toujours sur le plan qualitatif, une équipe de l'université de Montpellier a passé en revue 450 accords de CSE et en a tiré les constats suivants : un quart prévoient la présence des représentants de proximité – non obligatoire, mais jugée utile et nécessaire par les deux parties – et 56 % prévoient la création d'une commission de santé, de sécurité et des conditions de travail, dont près de 30 % dans des entreprises de moins de 300 salariés qui n'y sont pourtant pas contraintes. Je tiens également à rappeler à M. Dharréville que toutes les entreprises et tous les établissements classés Seveso, comme tous les secteurs à risque, ont l'obligation de créer une telle commission. Par ailleurs, un quart des accords de CSE prévoient la désignation de représentants de proximité et leur attribuent des heures de délégation.

Les discussions relatives à l'instauration d'un CSE portent souvent sur le rôle des suppléants et sur les moyens accordés à l'instance. Rappelons que le nombre minimum d'heures légal n'a pas été modifié, puisque le décret a reconnu la totalité des heures minimales des commissions précédentes. Néanmoins – et certains d'entre vous l'ont souligné avec raison – , les parties prennent conscience de la nécessité de professionnaliser les acteurs du dialogue social et de valoriser les parcours de la représentation syndicale. À cet égard, la loi garantit des moyens, qu'il s'agisse de formations renforcées pour les représentants du personnel ou de la certification de leurs compétences, que nous avons créée. Il reste néanmoins beaucoup à faire pour mieux valoriser les compétences des représentants du personnel. Des expérimentations et des accords novateurs explorent ces pistes : ainsi la Matmut entend-elle créer une école du dialogue social en son sein, permettant aux élus de s'engager dans un dispositif officiel de reconnaissance de leurs compétences. À cela s'ajoutera un référentiel de compétences élaboré avec l'université Paris-Dauphine. Nous devons favoriser les initiatives de cette nature.

Concernant la pénibilité, en aucun cas nous n'avons considéré que les quatre critères cités par plusieurs d'entre vous – postures pénibles, port de charges lourdes, vibrations mécaniques, exposition aux produits chimiques – ne traduisaient pas une pénibilité. En revanche, nous avons constaté qu'ils ne pouvaient pas être mesurés par un chronométrage quotidien pour chaque salarié, ce qui privait les intéressés d'une reconnaissance de leur pénibilité. C'est pourquoi nous avons transformé ces critères en un droit au départ anticipé à la retraite, lié à une reconnaissance d'incapacité de 10 %. Dans le cadre de la concertation dédiée à la pénibilité que nous avons ouverte hier avec les partenaires sociaux, nous réfléchirons également aux moyens de renforcer la mobilisation des branches.

Je m'étonne quand même que vous ne reconnaissiez pas que grâce à cette disposition relative au taux d'incapacité de 10 %, des salariés ont d'ores et déjà pu partir à la retraite deux ans plus tôt, alors que dans le précédent système, cela n'aurait pas pu être possible avant 2033. Pour certains, il s'agit d'un progrès évident.

Vous avez aussi abordé la question du barème d'indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La diminution continue du nombre de contentieux aux conseils des prud'hommes – 10 % en moins entre 2017 et 2018 – montre qu'il y a plus de médiations et moins de conflictualité. En définitive, c'est une indemnisation plus rapide pour le salarié et une sécurisation juridique tant pour celui-ci que pour l'entreprise.

Comme vous l'avez indiqué, quelques conseils de prud'hommes ont refusé d'appliquer le nouveau barème, bien que le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel l'aient validé. La Cour de cassation a été saisie par deux conseils de prud'hommes. Elle a rendu son avis le 17 juillet 2019 et a estimé, d'une part, que le nouveau barème était conforme à la convention no 158 de l'Organisation internationale du travail, d'autre part, que la Charte sociale européenne était dépourvue d'effet dans le cadre d'un litige entre un employeur et un salarié. Depuis, les trois cours d'appel qui se sont prononcées – Reims, Paris et Chambéry – ont rendu des arrêts conformes à l'avis de la Cour de cassation.

En résumé, la mise en place des CSE se passe de manière active et positive. La dynamique conventionnelle progresse, notamment dans les PME. Des efforts restent à faire en matière d'accompagnement des acteurs, de reconnaissance des parcours, de formation des élus. Il convient d'encourager ce changement culturel qui n'en est qu'à son tout début.

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