Ce débat est on ne peut mieux venu, madame la ministre : nous allons discuter des conséquences de l'application des ordonnances travail au moment même où le pays connaît une mobilisation sociale historique contre votre réforme des retraites, qui vise à instaurer le fameux système par points.
À chaque réforme du quinquennat ses éléments de langage. Les ordonnances travail, on s'en souvient, allaient « libérer les énergies » ; elles nous invitaient même à faire le « pari de la confiance dans le dialogue social ». C'était formidable ! La réforme instaurant la retraite par points, elle, qui va contraindre les Français à travailler plus pour gagner moins, est « juste », elle est « simple », elle est « pour tous ». Mais ce n'est pas parce qu'on le répète à l'infini que cela devient vrai ! Vous préparez simplement la retraite tombola : on connaît le prix d'achat du ticket, mais pas la valeur du lot, que l'on n'est d'ailleurs pas certain de gagner.
Surtout, pour contenir à son niveau actuel la part des richesses consacrée aux retraites bien que, selon les projections démographiques, la part des seniors dans la population doive, elle, continuer à augmenter, vous allez faire de la vie des gens une variable d'ajustement comptable en les poussant à travailler toujours plus longtemps, au-delà de l'espérance de vie en bonne santé – à moins qu'ils n'aient mis assez d'argent de côté, dans les fonds de pension et les produits d'épargne retraite par capitalisation, pour pouvoir partir à l'âge légal, maintenu à 62 ans. Au passage, vous ferez ainsi le cadeau très attendu d'un beau stock de boîtes de Smarties aux assureurs, aux banques et autres gestionnaires comme BlackRock. C'est inacceptable, et c'est pourquoi une majorité de Français souhaitent le retrait de cette réforme.
Vous avez donc tenté de maquiller la réalité en venant nous parler – encore des éléments de langage – d'universalité, notamment pour appeler à la fin des régimes spéciaux. L'universalité, quel bel objectif ! L'universalité, comme elle est à géométrie variable depuis que la grève a commencé ! L'universalité, quel bel alibi ! L'universalité parmi les objectifs de La République en marche, c'est juste une mauvaise blague.
Voilà qui nous ramène aux ordonnances travail – rassurez-vous, je n'ai pas oublié le sujet de notre discussion. Madame la ministre, chers collègues de la majorité, vous qui prétendez, avec le Gouvernement, mettre fin aux régimes spéciaux, vous en êtes les plus grands créateurs : les ordonnances travail sont précisément venues détricoter, détruire, écraser une règle commune qui s'appliquait à tous – le code du travail – pour créer autant de règles différentes qu'il y a d'entreprises par la négociation entreprise par entreprise.
Et l'ironie du sort, le plus drôle dans l'affaire, est que c'est au rapporteur du projet de loi d'habilitation ayant permis les ordonnances travail, M. Laurent Pietraszewski, lui qui s'est employé à créer avec vous cette multitude de régimes spéciaux, que l'on confie aujourd'hui la mission de faire aboutir la création d'un régime universel de retraite. Elle a tellement bon dos, l'universalité ! En réalité, vous allez créer autant de régimes spéciaux de retraite qu'il y aura de générations.
Comme vos cadeaux sans contrepartie aux plus riches, comme votre réforme de l'assurance chômage qui suggère que, selon vous, ce sont les chômeurs eux-mêmes qui sont responsables du chômage plutôt que votre politique, vos ordonnances travail, autre pilier de votre action, sont venues accroître la précarité de l'emploi, déjà grande en France. En effet, en favorisant le CDD comme vous l'avez fait et en généralisant le fameux CDI de chantier, qui n'a de CDI que le nom, vous avez vous-même contribué à aggraver cette précarité dont vous vous êtes mis à vous plaindre ces derniers mois.
Mais vous ne vous êtes pas arrêtés là : vous avez aussi simplifié considérablement le licenciement et affaibli les moyens dont disposent les syndicats au sein de l'entreprise en y fusionnant des instances jusqu'alors indépendantes. Pour quels résultats ? Nous venons de passer l'après-midi à les commenter : une situation dont vous n'êtes pas capable de sortir le pays, un chômage de masse que vous avez renoncé à véritablement combattre, préférant vous réjouir de quelques statistiques obtenues au prix d'une aggravation de la précarisation.
En attendant de mener une politique efficace de lutte contre le chômage par le partage du temps de travail, la rupture avec le libre-échange, la hausse des salaires et la planification écologique, il nous reste encore du boulot – du boulot pour finir de recenser l'ensemble des plans sociaux déguisés en rupture conventionnelle collective, qui figurent sous le titre « Souriez, vous êtes virés ! » sur le site internet https: docpenicaud. fr !