… non que le texte en lui-même ne soit pas louable, mais parce que nous doutons grandement du volontarisme de l'État en la matière.
L'article 1er du protocole impose l'obligation d'établir un cadre législatif qui facilite l'exercice du droit de participer aux affaires d'une collectivité locale. Cependant, le protocole ne comprend pas de normes directement applicables : il revient aux États parties de le mettre en oeuvre par la voie de la législation nationale. À cet égard, la question se pose des mesures concrètes que la France envisage de prendre.
Je vous ai bien entendue, madame la secrétaire d'État : j'ai compris que, pour le Gouvernement, ce qui existe était déjà suffisant… D'où mon inquiétude. Car les seuils et les conditions de validité pour l'organisation de consultations référendaires sont aujourd'hui excessivement restrictifs, comme l'ont dénoncé des centaines de milliers de personnes, en particulier les gilets jaunes. Je rappellerai par exemple la la nécessité, comme le prévoit la loi, de collecter au moins 100 000 signatures, en Loire-Atlantique, soit au moins 10 % du corps électoral, pour demander l'organisation d'une consultation sur la réunification administrative de la Bretagne. Or, malgré l'atteinte de ce seuil, le président du conseil départemental a pu enterrer cette demande démocratique. Ce protocole ne fera donc pas, à droit constant, de la France un exemple de démocratie participative, tout comme la ratification de la charte européenne de l'autonomie locale n'en a pas fait un État des autonomies régionales et n'a pas non plus renforcé un tant soit peu les libertés locales. Les bonapartistes s'en féliciteront… Pour notre part nous, les députés du groupe Libertés et Territoires, le déplorons.
Pourtant la charte, en théorie, oblige les États à appliquer tout un ensemble de règles fondamentales garantissant l'indépendance politique, administrative et financière des collectivités locales, établit que le principe de l'autonomie locale doit être reconnu dans le droit national et protégé par la Constitution, et garantit le principe de subsidiarité des États. Mais qu'en est-il de tout cela concrètement dans notre droit interne ? Pas grand-chose ! Certes, la Constitution dispose que l'organisation de la République est décentralisée et que les collectivités locales s'administrent librement. Mais les pouvoirs et les budgets dévolus aux régions françaises sont à des années-lumière de ceux dont disposent les provinces belges, les länder allemands ou les nations britanniques ; les collectivités ne disposent pas en France d'autonomie fiscale – sinon quelques pour cent – et sont tributaires des dotations fluctuantes votées chaque année par l'Assemblée. Sans adaptation réglementaire et sans autonomie fiscale, leurs capacités d'action restent faibles. Peut-on alors parler de pouvoir local ? D'administration locale sans doute, mais de pouvoir local, j'en doute.
Ce n'est bien évidemment pas à une charte européenne qu'il incombe de changer profondément la structure foncièrement centralisée de l'architecture institutionnelle française. Pour y parvenir, il faudrait une réforme constitutionnelle d'envergure, voire une réforme des esprits. La réforme à venir, dite loi 3D – décentralisation, différenciation, déconcentration – , sera peut-être un pas en avant, mais qui restera de toute façon très en deçà de la structure administrative et politique des États qui nous entourent car ce sont tous des États fédéraux ou du moins à large autonomie régionale. Le simple fait que le Parlement ait attendu dix ans pour enfin ratifier ce protocole additionnel et qu'il ait fallu attendre vingt-deux ans pour que la France ratifie la charte européenne de l'autonomie locale démontre ses réticences profondes à sortir d'une idéologie centralisatrice. Je ferai d'ailleurs un parallèle avec une autre charte européenne, celle des langues régionales, qui n'est toujours pas ratifiée par la France alors que c'est possible depuis… 1992.
La charte européenne de l'autonomie locale n'a, quant à elle, même pas permis à la France de respecter certains des principes démocratiques les plus élémentaires. Ce fut le cas lors du redécoupage des régions : il n'est nulle part imaginable, en Europe, qu'un gouvernement redessine à sa guise, sur un coin de table, les contours des régions sans même les consulter. Je me rappelle pourtant que la région Bretagne avait voté un voeu à l'unanimité de ses membres afin de procéder à un élargissement de ses limites en y incluant la Loire-Atlantique. Je me rappelle également le refus unanime des Alsaciens, élus compris, de voir leur région disparaître dans un « Grand Est ». On ne sera pas surpris d'ailleurs que le gardien du temple jacobin, le Conseil d'État, saisi sur le sujet, n'ait rien trouvé à redire à cette aberration anti-démocratique ; pire, il a même posé une nouvelle règle selon laquelle le juge administratif ne saurait écarter une loi nationale au motif que sa procédure d'adoption serait contraire à un traité international. Curieuse hiérarchie des normes qui voudrait que le droit français soit devenu supérieur au droit international. Voilà un principe pour le moins contestable. Pourtant, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe a voté en 2016 un rapport regrettant le non-respect de la charte par la France.
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que nous ne nous fassions pas grande illusion quant à la volonté de l'État français de rendre ce texte véritablement efficace. Et si l'on a fait l'Europe des États, le Béarnais que vous êtes, monsieur le président, comprendra ce que je vais dire en conclusion : nous sommes très loin de l'Europe des peuples !