Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi tout d'abord de vous présenter mes meilleurs voeux pour cette année 2020, notamment dans votre vie personnelle, qui est certainement réduite à la portion congrue… J'espère néanmoins que vous trouverez un peu de temps pour regarder les programmes de France Télévisions. (Sourires.) Je vous souhaite également, bien sûr, une année riche en débats. Elle sera en tout cas importante pour le secteur de l'audiovisuel eu égard à l'examen du projet de loi que vous venez d'évoquer, monsieur le Président.
C'est toujours un honneur pour moi de me présenter devant vous pour vous rendre compte de ce que l'entreprise publique France Télévisions a réalisé au cours des douze derniers mois. Nous sommes assez satisfaits du bilan de 2019, année charnière, comme 2020, qui a vu l'amorce d'une transition vers un nouveau modèle de télévision.
Ainsi, 2019 s'est achevée de façon positive pour nous parce que nous avons rencontré du succès auprès de nos publics, comme en témoignent les audiences tant traditionnelles que numériques, mais également parce que l'entreprise a su s'engager dans la transformation demandée par le Gouvernement au mois de juillet 2018. Nous commençons d'ailleurs à en percevoir de premiers signes très positifs. C'était indispensable alors que le secteur connaît de grands bouleversements.
Notre ambition culturelle a rencontré son public : aujourd'hui, un Français sur deux – soit 30 millions de personnes – regarde chaque jour un programme de France Télévisions. Nous avons en outre réussi à mieux – et à plus – parler aux publics les plus jeunes, c'est-à-dire aux enfants, aux adolescents et aux jeunes adultes actifs. Dans un contexte général de vieillissement de l'audience de la télévision, c'est un enjeu important pour le service public. Il est vrai que cette progression est particulièrement marquée sur le numérique : l'audience de france.tv a ainsi enregistré une hausse de 25 % en 2019 par rapport à 2018, l'âge moyen des téléspectateurs de ce service étant d'environ cinquante-deux ans.
Au-delà de ces éléments quantitatifs, je voudrais souligner des aspects plus éditoriaux. L'information demeure, avec la puissance de ses éditions traditionnelles et son caractère permanent de liberté et d'indépendance, le coeur de la maison France Télévisions : elle rassemble chaque jour plus de 10 millions de téléspectateurs. C'est un relais démocratique indispensable. Nous avons d'ailleurs développé de nombreux programmes visant à lutter contre les fausses informations. Au succès des éditions quotidiennes s'ajoute par ailleurs celui des magazines d'investigation et d'information au sens plus large.
La création française a également été à l'honneur sur la télévision publique. Nous pouvons du reste nous enorgueillir du fait que les fictions, les documentaires, l'animation et les spectacles français recueillent chaque année une adhésion toujours plus forte de la part de nos publics. Nous avons essayé de susciter un renouveau créatif en sortant de notre genre traditionnel, le polar, et en offrant des propositions dans le genre fantastique. Peut-être certains d'entre vous ont-ils pu regarder La dernière vague, la série que nous avons diffusée à l'automne. La comédie familiale fera également très prochainement son retour sur nos antennes. Par ailleurs, des unitaires continueront de traiter de sujets de société assez forts. Nous avons ainsi diffusé, à l'occasion de l'anniversaire de la convention internationale des droits de l'enfant, La maladroite, un téléfilm traitant de maltraitance infantile qui a été suivi d'un débat, selon une formule que nous proposons très régulièrement.
S'agissant du documentaire, genre par excellence du service public, vous pourrez découvrir très prochainement Les vies d'Albert Camus, qui sera diffusé à l'occasion du soixantième anniversaire de sa mort. Un autre documentaire, qui sera suivi d'un débat, sera consacré à l'antisémitisme, sujet dont on sait qu'il revient malheureusement en force dans notre société. Là encore, nous avons essayé de diversifier les écritures, les thématiques et les auteurs afin que la création soit la plus diverse possible.
Je n'oublie pas la création numérique uniquement destinée aux antennes numériques du groupe. Quatre saisons de la série norvégienne Skam ont été adaptées et diffusées. La cinquième, qui arrive sur les écrans, puis la sixième, sont en revanche des créations françaises, créées ex nihilo. Cette série est un véritable phénomène de société – certes pas toujours perçu par les adultes – pour les adolescents de quinze, seize ans. Nous sommes par ailleurs en discussion pour les septième et huitième saisons.
Nous avons également produit des séries comme Mental, qui évoque précisément le trouble mental, affection qui, on le sait, touche énormément les publics très jeunes. Une fiction est donc proposée actuellement sur France tv Slash et sur france.tv. D'autres productions, dont Stalk, qui traite du harcèlement en ligne, seront ultérieurement portées sur nos écrans.
Dans le même temps, nous avons essayé de renouveler notre approche des arts et de la musique, dont la plus traditionnelle, notamment avec le Grand échiquier. Et comme cela répondait à une attente assez forte du public, nous nous sommes également essayés à d'autres genres, comme l'humour, et le stand-up fait son retour sur les écrans de France Télévisions.
Le cinéma restant un art majeur, nous avons poursuivi les investissements importants du groupe en la matière : 60 millions d'euros par an, qui viennent s'ajouter aux 420 millions d'euros investis dans la création audiovisuelle pure. Nous avons continué à faire la promotion du cinéma : Passage des arts, le magazine culturel quotidien qui met à l'honneur tous les arts, mais en particulier le cinéma, a ainsi été également diffusé le samedi. Par ailleurs, les deux magazines grand public, très regardés, 20 h 30 le samedi et 20 h 30 le dimanche, reçoivent des artistes, des écrivains et des musiciens, dont certains se produisent en direct, et de grands cinéastes qui viennent présenter leur prochaine sortie.
À cet engagement culturel s'ajoute le souci de renforcer le lien quotidien avec nos publics. Les après-midi de France 2, dont on parle beaucoup, sont ainsi des rendez-vous très importants. Je pense également aux émissions de France 5 comme C à vous ou C dans l'air, dont l'audience poursuit sa progression, ou C politique, qui a trouvé sa place : elles constituent des piliers de l'audience. Elles se renforcent année après année, ce qui constitue une bonne nouvelle pour la télévision publique.
Nous avons aussi beaucoup travaillé sur les rendez-vous sportifs. Au-delà des compétitions elles-mêmes, nous avons ainsi refondu l'ensemble de nos magazines sportifs comme Tout le sport, sur France 3, ou Stade 2, dont le titre reste inchangé mais qui a migré sur cette même antenne tout en doublant quasiment son audience. Nous avons par ailleurs tiré parti de nombreuses innovations technologiques : nous utilisons dorénavant un studio totalement virtuel fabriqué en interne à France Télévisions pour la retransmission de Stade 2.
L'Outre-mer, comme en 2019, sera au coeur de nos préoccupations en 2020. À la suite de l'annonce de la fin de France Ô, nous avons énormément travaillé afin que l'Outre-mer conserve toute sa place sur la totalité de nos antennes, qu'elles soient ou non linéaires. Un premier comité de suivi du pacte pour la visibilité des outre-mer, qui engage très fortement France Télévisions, vient d'ailleurs de se tenir. On peut dire, je crois, qu'on a vu la différence, tant dans nos journaux télévisés que dans tous nos programmes ainsi que dans la création. Nous nous réjouissons à cet égard du succès de notre vaste plan de fictions tournées outre-mer : nous avons atteint un record d'audience avec Meurtres à Tahiti, le Capitaine Marleau va s'envoler pour la Guadeloupe et la Nouvelle-Calédonie servira de décor à une Chasse au trésor… La présence des outre-mer sur nos antennes a donc été largement renforcée. Une telle évolution est visible et rencontre le succès : c'est donc une très bonne nouvelle. Nous comptons poursuivre dans cette voie, sous l'oeil vigilant du comité de suivi qui se réunira à nouveau prochainement.
Nous nous sommes efforcés, en 2019, de remplir notre mission de service public, et l'audience a été au rendez-vous, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
L'entreprise France Télévisions se transforme également beaucoup en interne. Nous devons en effet à la fois prendre le virage du numérique et mettre en oeuvre le plan d'économie assez drastique annoncé en 2018 : en dix ans, de 2012 à 2022, les effectifs baisseront, à périmètre constant, de 20 %, ce qui, pour une entreprise publique, est loin d'être négligeable. En outre, ce plan se déroule alors que nos investissements dans la création, tant dans l'audiovisuel que dans le cinéma, ont augmenté : il s'avère donc très exigeant pour cette maison.
Une telle évolution m'incite à faire montre d'une vigilance particulière. Nous avons signé avec les organisations syndicales – qui représentent 85 % du personnel – un accord fixant à la fois le cadre du plan de départs, mais également une méthode de dialogue social. Il faut veiller à ce qu'au fil des départs et des décroissances d'effectifs, cet accord très important pour nous et à bien des égards fondateur soit bien respecté et qu'on conserve une bonne qualité de vie au travail. La formation des salariés et la transformation des métiers doivent se dérouler dans un climat bénéfique pour l'ensemble de la maison.
Au fond, le principal objectif de ce plan de transformation n'est pas de réaliser des économies mais d'adapter l'entreprise, ses métiers et ses compétences, à cette nouvelle donne numérique, c'est-à-dire d'emmener tout le monde.
2020 sera une année clé, avec tout d'abord le projet de loi qui va dessiner les conditions d'exercice de notre métier dans les années à venir. Elle sera également une année charnière, puisque vont s'arrêter à la fois France Ô et France 4.
Pour faire face à ces différents enjeux, nous avons procédé à de nombreuses réorganisations au sein des équipes gestionnaires des programmes, de la direction des antennes, des équipes techniques – c'est-à-dire celles contribuant à la fabrication de tous les programmes diffusés sur nos antennes, puisque nous fabriquons en interne plus de 20 % de ce qui est vu par le téléspectateur. Nous avons calculé que nous produisions environ chaque année deux chaînes et demie de direct : un tel niveau est donc très exigeant. Les fonctions support, qui sont amenées à décroître plus particulièrement dans les années qui viennent, ont également fait l'objet d'une réorganisation.
Cette transformation numérique a pour objectif de faire de france.tv notre première antenne. Ce n'est déjà plus une simple plateforme sur laquelle on visionne un programme en rattrapage : on y choisit un programme tout court. Depuis le mois de septembre, en effet, il est possible dès six heures du matin de voir tous les programmes de la journée et de la soirée, ce qui permet à ceux qui ont envie de regarder une fiction sur cette plateforme de s'affranchir de la contrainte des horaires. Cela fonctionne extrêmement bien : ce service a tout de suite été adopté par les téléspectateurs, en particulier pour les feuilletons quotidiens.
En outre, on y trouvera de plus en plus des programmes spécifiquement fabriqués pour france.tv. C'est d'ores et déjà le cas de tous les programmes pour les jeunes adultes que j'ai évoqués à propos de France tv Slash. Nous préparons ainsi l'adaptation d'un roman de Michel Houellebecq qui est pensée pour être distribuée et diffusée sur cette plateforme.
Tout cela n'a été possible que parce que nous avons réussi, fin 2018, une négociation très importante pour nous – qui a été parachevée en 2019 – avec le monde de la production et les syndicats de producteurs. Je voudrais les remercier de nous accompagner dans cette transformation numérique. Avant cette négociation, en effet, nous ne disposions pas vraiment de droits numériques : ces derniers découlaient des droits linéaires. Dans la mesure où l'on se détache de plus en plus d'une pure approche linéaire, il fallait pouvoir acquérir des droits numériques. Sans cette négociation, nous n'aurions pas pu lancer les nouvelles plateformes numériques Okoo et Lumni.
La primauté accordée à la négociation interprofessionnelle par le projet de loi nous semble donc très positive. Depuis que je suis en poste, il s'agit de la seconde négociation que nous menons avec succès et qui nous permet d'engager une telle transformation numérique.
La seule zone d'ombre qui subsiste concerne le cinéma puisque les règles de diffusion à la télévision nous interdisent de diffuser les films en rattrapage, ce que nos publics comprennent mal. Pouvoir visionner un film diffusé la veille semble naturel à tout le monde ; or cela n'est pas possible aujourd'hui. Cela fait neuf ans que cette négociation a été entamée… J'espère qu'un jour nous parviendrons à la conclure, pour le bien du cinéma, en premier lieu. Imaginez en effet que france.tv devienne notre antenne principale et que l'on n'y trouve toujours aucune oeuvre cinématographique ! Cela poserait question eu égard à notre mission de service public.
Nous avons articulé notre offre numérique autour de deux grands piliers : france.tv, qui, comme je viens de l'indiquer, progresse de façon très satisfaisante, se modernise et s'enrichit de nouveaux services, et franceinfo, qui constitue un réel succès puisqu'elle est devenue, avec plus de 20 millions de visiteurs uniques par jour, la première plateforme d'information en France.
Elle s'est construite dès 2016 en synergie avec Radio France, France 24 et l'Institut national de l'audiovisuel (INA) et continue à prospérer. Nous en sommes fiers. Nous sommes en effet très ouverts à nos partenaires publics européens, desquels nous essayons d'apprendre – je suis moi-même très impliquée dans les instances européennes. Alors que nous avons souvent rendu visite à nos collègues des pays du Nord de l'Europe, qui ont été bouleversés par le numérique un peu avant les pays plus latins, en vue de s'inspirer de leurs réalisations pour réorganiser nos offres numériques, nous sommes fiers de faire savoir qu'ils nous rendent la pareille s'agissant de franceinfo. Même la BBC a fait la démarche pour comprendre comment nous avions réussi à construire une plateforme aussi intégrée entre radios et télévisions !
Ce lien avec nos voisins européens est de plus en plus fort : c'est très positif, car nous devons nous inspirer des autres comme ils s'inspirent de nous. En tant que présidente de France Télévisions, je sens que la France se trouve à la pointe de la transformation, ce qui est positif pour notre pays.
Nous avons ajouté à ces piliers que sont france.tv et franceinfo des offres transversales très importantes à nos yeux : la première, Lumni, qui a été lancée au mois de novembre, est une co-construction avec l'ensemble de l'audiovisuel public, pilotée avec l'INA. J'en profite d'ailleurs pour remercier son président Laurent Vallet, car nous avons vraiment mené ce projet ensemble et en très bonne intelligence. Nous sommes fiers d'avoir réussi tous ensemble à fabriquer cette plateforme à destination des élèves, des enseignants et des associations intervenant en milieu scolaire qui a été annoncée au moment du Salon de l'éducation. Nous espérons qu'elle rencontrera le succès : elle a, en tout cas, très bien démarré.
La seconde est Okoo, qui a été lancée début décembre et dont il semble par conséquent prématuré de dresser le bilan. Cette offre destinée aux enfants est sécurisée à 100 % et sans publicité. Nous allons beaucoup la « pousser » sur nos antennes grâce à une campagne assez forte. Le projet de loi évoque beaucoup la mise en avant de nos services : il ne faut pas que demain elle se retrouve dans les Google Home et autres Alexa en quarantième position des services proposés, alors même qu'Okoo est une offre publique, gratuite et sécurisée.
Tout en investissant très fortement sur le numérique pour les enfants, nous avons également cherché à sécuriser l'offre linéaire puisque certains enfants n'ont pas encore accès au numérique. En même temps que nous lancions Okoo, nous avons donc cherché, d'une part, à rassurer le monde de l'animation, secteur d'excellence en France qui justifie que l'on soit vigilant à son égard, et, d'autre part, à augmenter nos investissements dans l'animation. Lorsque je suis arrivée, en 2015, nos investissements dans ce secteur s'élevaient chaque année à 29 millions d'euros, contre 32 millions d'euros aujourd'hui. Nous avons également voulu sécuriser les acteurs s'agissant de l'exposition traditionnelle sur les chaînes linéaires. J'ai ainsi annoncé que nous allions quasiment doubler l'exposition actuelle sur les chaînes restantes, et en particulier sur France 5, ce qui nous imposera de refondre complètement celles-ci lorsque France 4 aura été fermée. L'enjeu est de continuer à toucher 60 % des enfants, comme nous le faisons aujourd'hui. Nous comptons bien persévérer dans cette voie.
Ayant trouvé très positif le comité de suivi du pacte pour la visibilité des outre-mer, qui offre un lieu de débat et de transparence permettant de suivre nos progrès en la matière, j'ai proposé que nous mettions en place un comité de suivi de l'offre destinée aux enfants, afin que, dans ce domaine également, les chiffres puissent être mis sur la table et refléter le nombre d'enfants que nous touchons tous les mois. Nous pourrons partager nos informations, mais également prendre les décisions qui s'imposent si d'aventure nous n'arrivions pas à tenir notre engagement.
Comme vous pouvez le constater, l'évolution engagée est perçue positivement. Je pense aux progrès de france.tv, de franceinfo, au bouleversement éditorial que représente Skam. Tout cela rend confiant dans la poursuite de cette transformation numérique, qui ne sera pas négligeable.
Ce qui va se passer en 2020 sera majeur car de nouvelles plateformes vont faire leur entrée sur le marché de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD), sur lequel Netflix détenait une position d'oligopole. Je pense notamment à Disney+, qui a, sur le marché américain, atteint en un mois l'objectif qu'elle s'était fixé pour l'année : son arrivée risque donc de prendre des allures de raz-de-marée. De son côté, Amazon Prime va sans doute encore progresser. Il y aura aussi l'arrivée de Salto, c'est-à-dire l'offre de SVOD française. Ce marché émergent connaîtra encore des bouleversements et ce sera absolument passionnant.
C'est dans le cadre de cette incroyable dynamique que sera discuté le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique : 2020 sera donc véritablement une année charnière pour l'audiovisuel. Il ne faut pas se leurrer, en effet, si nous sommes heureux du succès de nos audiences, les offres en matière de SVOD attirent de plus en plus de gens. Ainsi, 1,7 million de personnes regardent chaque soir, non plus la télévision, mais les programmes proposés en SVOD. Or ce mouvement va s'intensifier. Il ne faut donc pas perdre de vue ce bouleversement des usages qui va s'amplifier puisque l'offre va s'accroître très fortement en 2020.
En tant qu'acteur français important parce que public, nous avons besoin de disposer, face à ces concurrents qui sont des médias globalisés, de règles claires et partagées et d'une forme d'équité de traitement. Nous devons pouvoir jouer à armes égales avec ces géants mondiaux qui bénéficient de moyens colossaux et surtout d'un périmètre géographique que nous n'avons pas. Nous nous engageons, quant à nous, à tout mettre en oeuvre pour gagner en agilité et en pertinence dans le cadre de notre transformation.
Dans ce contexte, un mot clef m'anime depuis le début : c'est le mot « alliance ». La première alliance se noue avec ses frères et soeurs ; or nos frères et soeurs, ce sont les autres entreprises de l'audiovisuel public. Nous devons donc poursuivre le rapprochement : nous l'avons entamé avec franceinfo ; nous travaillons aujourd'hui au quotidien avec Radio France, en mettant à l'antenne de plus en plus de matinales communes à France 3 et France Bleu ; nous avons regroupé nos forces pour proposer une offre éducative avec Lumni. Il faut continuer dans ce sens. La création de France Médias nous donne l'opportunité de développer encore plus de synergies et d'alliances au sein de l'audiovisuel public.
C'est aussi le sens de Salto, que j'ai soutenu dès le début. Si l'on s'en tient à la France, TF1 et M6 sont nos concurrents mais, dans ce projet, ils sont nos partenaires. C'est pour cela que l'alliance autour d'un projet de SVOD mettant en avant la création française – c'est une guerre culturelle, et non une guerre économique – est si importante pour nous : les Français sont capables de faire fi d'années de concurrence et de compétition pour se mettre autour de la table et créer quelque chose en commun.
Par ailleurs, nous savons bien que nous aurons du mal à résister aux géants mondialisés si nous ne raisonnons qu'à l'échelle d'un pays, quel qu'il soit. Pour ma part, je m'attache à favoriser des alliances européennes. Nous sommes derrière Arte sur la plateforme européenne et nous continuerons à travailler ensemble ; nous avons d'ailleurs une réunion cette semaine pour avancer en ce sens. Je m'implique beaucoup dans la recherche d'une alliance encore plus forte, dans le cadre d'une infrastructure européenne. L'axe franco-allemand est très fort : Ulrich Wilhelm, le patron de l'ARD, le soutient beaucoup dans son pays ; nous sommes alliés sur ce sujet et nous continuerons à travailler dans ce sens, notamment auprès de la Commission européenne.
Dans ce contexte, un point me semble fondamental – nous avons eu l'occasion de l'évoquer hier avec les rapporteurs du projet de loi. Comment notre métier d'éditeur continuera-t-il à exister dans ce monde où la distribution s'élargit, assurée non plus seulement par la distribution numérique terrestre mais également par les box et la télévision connectée ? Comment être sûr que, demain, quand on demandera un programme jeunesse à son Alexa ou à son Google Home, Okoo, avec tout l'environnement de services qui va avec – absence de publicité, choix éditorial fait par les équipes de France Télévisions –, n'apparaîtra pas au cent-cinquantième rang, derrière toutes les offres américaines de contenu ?
Cela n'est qu'un exemple mais c'est vrai pour tout : comment s'assurer que le travail d'éditorialisation fait sur france.tv est pris en compte ? On ne se limite pas à mettre à disposition des contenus sur le numérique. Notre métier ne consiste pas à donner à voir aux gens ce qu'ils ont envie de voir : il s'agit aussi de leur proposer un autre regard sur un sujet, de leur proposer ce que l'on pense qu'ils vont aimer regarder, même s'ils n'en ont pas forcément l'intuition : c'est cela, notre métier ! Comme le disait Jacques Chancel, « il ne faut pas donner au téléspectateur ce qu'il aime mais ce qu'il pourrait aimer. » Comment s'assurer que ce métier d'édition existera demain avec l'intermédiation des operating systems d'Androïd et IOS ou d'une télévision connectée Sony ou LG ? Il me semble très important que la loi prenne en compte ce nouveau type d'accès pour éviter que le service public soit coupé de ses publics.
Dans le même esprit, nous n'avons pas aujourd'hui accès aux données : nous ne savons pas ce que les téléspectateurs regardent quand ils utilisent une box Orange, SFR ou Free. Or nous avons besoin de cette information, non pas pour la commercialiser – ce n'est pas notre métier –, mais pour comprendre les usages de nos téléspectateurs et adapter notre offre. Avoir accès aux données afin de préserver l'intégrité de notre métier d'éditeur est vraiment un combat pour demain.