La première question de M. Bois portait sur la holding. Tout d'abord, le projet de loi préservera la compétence éditoriale des sociétés-filles. De plus, cela nous permettra de simplifier et d'accélérer les synergies en cours et à venir. Cette holding est donc une bonne nouvelle.
Les économies budgétaires qui nous sont demandées s'élèvent à 160 millions net à fin 2022 mais, en réalité, cela représente 400 millions en raison du glissement naturel des charges et de l'effort que l'on nous demande en parallèle dans le domaine numérique. Sur ces 400 millions, les programmes contribuent à hauteur de 60 millions. Le reste consiste en des économies sur les charges externes autres que les programmes et en baisse des effectifs. J'ai toujours entendu dire que l'entreprise devait se réformer de l'intérieur sans toucher aux programmes : c'est exactement ce que nous sommes en train de faire.
La baisse concerne d'abord les achats de programmes : si nous préservons la création – nous avons augmenté les investissements dans ce domaine –, nous avons réduit les coûts principalement en diminuant les marges des producteurs. Je comprends que ceux-ci s'en émeuvent mais nous n'avons transigé ni sur la qualité, ni sur l'étendue des programmes de flux que nous proposons. Le rapport de la Cour des comptes nous enjoignait de travailler sur notre structure de coûts : les marges des producteurs en font partie. C'est donc ainsi que nous travaillons.
Cela étant, j'ai conscience que cela pose un problème aux producteurs de flux. Nous essayons d'être des partenaires loyaux en agissant en précurseurs, en diffusant nombre de pilotes, en mettant beaucoup d'émissions de flux nouvelles à l'antenne. De cette façon, les producteurs peuvent expérimenter de nouveaux formats sur France Télévisions, pour ensuite les exporter et trouver ainsi un relais de croissance à l'international. Du reste, les producteurs de flux se concentrent, s'organisent mieux et c'est une bonne nouvelle : en étant des partenaires efficaces de création, ils devraient pouvoir prospérer sur de nouveaux territoires.
Concernant la publicité, il est vrai que nous enregistrons cette année un surcroît de budget. Cela tient à la conjoncture et en particulier aux Jeux olympiques (JO) : ceux-ci entraînent toujours une augmentation des recettes, mais cela retombe l'année suivante. De plus, les JO engendrent des coûts supplémentaires puisque nous produisons davantage : en réalité, cela est relativement neutre pour l'économie générale de la maison.
Nous sommes bien sûr attendus sur le numérique, et le prochain enjeu, très important, sera le renouveau éditorial de la plateforme pour les outre-mer, prévu fin mars. Nous sommes assez confiants et contents de ce que nous allons proposer.
Madame Bannier, vous avez évoqué Lumni : nous sommes en effet très satisfaits d'avoir travaillé en synergie. Rien que pour les enseignants, le fait d'avoir une seule entrée plutôt que quatre sur le portail Éduthèque aura déjà un effet. Nous avons aussi beaucoup enrichi l'offre en travaillant avec l'Éducation nationale, les fiches pédagogiques étant rédigées par des enseignants. Le plus important, maintenant, c'est la communication auprès des enseignants : le ministère de l'Éducation nationale s'est engagé à nous aider dans cette démarche, et nous en attendons beaucoup. Nous profiterons évidemment de la Semaine de l'éducation pour promouvoir Lumni car la communication sur la richesse de cette offre nous semble essentielle.
Madame Tolmont, vous m'avez interrogée sur les ressources, et vous êtes plusieurs à soulever la question de la redevance. Le fait de disposer d'une taxe affectée est un élément clef de l'indépendance du service public ; cela n'est toutefois pas prévu dans le projet de loi. Le financement dédié peut être assuré par une redevance telle qu'elle existe aujourd'hui, ou encore par un système à la finlandaise ou à l'allemande, mais l'important, c'est que cette taxe soit affectée et prévisible dans le temps. Nous sommes des entreprises et nous avons besoin de prévisibilité pour avancer. L'arbitrage rendu par le Premier ministre pour la période allant jusqu'à 2022 est maintenu, et c'est extrêmement important pour nous. Même si cela est difficile, nous préférons une situation difficile mais stable à un financement erratique parce que nous sommes incapables de gérer une entreprise sans savoir à quelle sauce nous serons mangés l'année suivante. Affectation et prévisibilité : voilà ce que l'on attend d'une redevance pour l'audiovisuel.
Par ailleurs, même si, comme tout le monde, l'audiovisuel public fait des économies, il a aussi besoin d'être soutenu parce que la transformation numérique est consommatrice de ressources : elle suppose des investissements, de la formation. Nous en parlons beaucoup entre patrons de l'audiovisuel public en Europe : nous pensons que l'audiovisuel public représente une chance pour les États dans l'organisation d'une riposte à la suprématie culturelle des géants mondialisés.
Comment faire mieux avec moins ? Nous y arriverons comme les années précédentes : cela fait quatre ans que notre budget est tenu, à l'équilibre. Ce n'est pas facile, cela demande de la souplesse pour réallouer des budgets en cours d'année tout en garantissant l'équilibre social, lequel est absolument nécessaire dans notre maison. Cet équilibre est forcément fragile puisque nous nous transformons ; néanmoins les indicateurs, comme celui de l'absentéisme de courte durée – je le surveille de près car c'est un très bon indicateur du climat social –, ne se dégradent pas. Je suis moi-même très impliquée dans le dialogue social, j'écoute les organisations syndicales : c'est dans le dialogue et dans le maintien d'un lien permanent que nous réussirons cette transformation, tout en préservant l'engagement, qui est très fort, des salariés de France Télévisions dans leur mission de service public.
Concernant la publicité segmentée, nous souhaitons que l'audiovisuel public ne soit pas traité différemment de l'audiovisuel privé. Après tout, nous sommes dans un marché : l'on peut effectivement se poser la question d'une suppression radicale de la publicité, mais dès lors qu'elle existe, il n'y a pas de raison que la télévision publique ne dispose pas des mêmes possibilités que la télévision privée. C'est un marché et il est toujours dangereux de sortir une entreprise des règles générales du marché.
Faut-il supprimer la publicité sur France Télévisions ? J'ai un avis à la fois managérial et très pragmatique sur cette question. D'un point de vue managérial, nous sommes assez fiers de disposer de ressources propres, pour lesquelles nous nous battons. Il se trouve que notre régie est très performante, dirigée par une patronne exceptionnelle et constituée d'équipes de France Télévisions dont nous sommes fiers. Nous avons également d'autres ressources propres, provenant de notre studio, de notre filiale de production, de notre filiale de distribution.
D'un point de vue pragmatique, la publicité n'est pas un petit revenu ! Elle rapporte plus de 300 millions d'euros et je nous vois mal demander un ajustement du financement de l'audiovisuel public d'un tel montant. Ces 300 millions représentent une ressource qui n'est pas prélevée sur le budget de nos concitoyens : ma foi, pourquoi s'en passer ? On sait qu'on ne pourra pas la remplacer : la supprimer serait donc assez dramatique. De plus, si nous arrêtions la publicité sur France Télévisions, TF1 et M6 en profiteraient sans doute un peu mais c'est principalement Google qui y gagnerait ; cet argent nous échapperait.
Par ailleurs, les reversements aux sociétés d'auteurs, les investissements que nous faisons dans la création, sont assis sur notre chiffre d'affaires : 300 millions d'euros de moins, ce serait autant de moins pour les auteurs français, autant de moins pour la production française, et autant d'euros de plus pour Google et consorts. Peut-être cela aurait-il été possible, voire pertinent, il y a quelques années ; dans le contexte actuel, cela affaiblirait plutôt l'audiovisuel français et renforcerait nos compétiteurs.
Concernant les missions de service public, certains nous reprochent de faire la même chose que le privé : je m'inscris en faux ! Honnêtement, nous ne faisons pas du tout la même chose que TF1 et M6. Je pense que les téléspectateurs font parfaitement la différence : quand on les interroge, ils déclarent faire davantage confiance à l'information du service public – 20 points de plus, ce n'est pas rien ! Sur le contenu des programmes, sur la place de la culture à la télévision, c'est sans commune mesure : nous revendiquons un regard différent et nous continuerons à nous distinguer.
Je ne pense pas que cela se joue sur un genre de programme plus que sur un autre : cela tient plutôt à la manière dont on interprète un genre. Nous entendons souvent dire que le divertissement devrait être l'apanage du privé : j'affirme pour ma part que le service public a un rôle à jouer dans ce domaine par rapport au privé. Il a sa logique propre et doit aborder tous les genres. Le divertissement peut parfaitement être culturel ! Prodiges, que vous avez peut-être vu ce Noël, est un divertissement culturel, qui touche la jeunesse. C'est la manière dont on joue une partition, plus que la partition elle-même, qui fait notre singularité.
Je parle beaucoup des plateformes parce que nous ne pouvons pas nous abstraire de ce que font nos téléspectateurs, de la réalité de l'évolution des usages : 1,7 million de téléspectateurs qui, auparavant, regardait la télévision, regarde aujourd'hui les plateformes américaines. C'est une réalité, que cela me plaise ou non ! Ce phénomène ira en s'accentuant parce que l'offre va énormément évoluer cette année. Disney+ a enregistré 24 millions de souscripteurs en un mois : c'est colossal ! Ils ont fait en un mois ce qu'ils voulaient faire en un an : ce sera un raz-de-marée en France et dans d'autres pays européens ! Nous sommes obligés de tenir compte de cet état de fait.
Nous ne cherchons pas à faire la même chose, et nous ne faisons pas la même chose, mais nous devons exister au même niveau : il est donc très important que le projet de loi transpose l'article 7 bis de la nouvelle directive « Services de médias audiovisuels ». Il faut que notre métier d'éditeur, nos contenus d'intérêt général, soient mis en avant et ne figurent pas en dernière position : quand on allume sa télé connectée, il ne faut pas que france.tv et Okoo se retrouvent à la dernière page, après toutes les offres américaines ! L'enjeu est celui de la visibilité, non pas seulement de nos contenus – ils seront évidemment d'accord pour reprendre toutes nos oeuvres ! – mais également de notre éditorialisation, car là réside notre valeur ajoutée et notre lien avec le public. Notre existence peut être menacée si nous perdons ce lien direct avec les publics et la mise en avant de nos services.
Enfin, la qualité de vie au travail, le bien-être des salariés, leur motivation, leur plaisir à être dans l'entreprise sont très importants. C'est une entreprise très particulière : quand on interroge les salariés, ils se déclarent confiants dans leur avenir propre, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas tellement de doutes à titre individuel, mais ils doutent toujours du collectif. Ce doute est bien compréhensible car nous travaillons sous la pression du regard médiatique, des économies qui sont demandées à tous et de la concurrence ; il est donc nécessaire de se remettre en question. Mais nous devons travailler sur notre capacité à développer la solidarité en interne et avec les autres services publics comme la radio, les autres télévisions et l'INA : cette solidarité, ce travail coopératif, cette envie de réussir ensemble nous permettront de marquer des points en interne.