Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mercredi 8 janvier 2020 à 16h35
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire :

Je vous souhaite, à mon tour, une très bonne année 2020. Je suis convaincue qu'elle sera décisive pour la transition écologique et solidaire, aussi bien en France qu'en Europe et dans le monde, avec les échéances de la COP15 sur la biodiversité et de la COP26 sur le climat.

Je vous remercie pour votre invitation dans ce cycle d'auditions sur le nucléaire. Comme vous le savez, le nucléaire est une industrie du temps long, qu'il s'agisse de la construction de nouvelles centrales ou de la gestion des déchets. Les décisions que nous devons prendre auront des conséquences pour de nombreuses décennies, bien au-delà du terme de nos mandats, et certaines d'entre elles n'auront d'impact concret que dans plusieurs années.

Cela ne signifie pas pour autant que nous pouvons attendre. Fermeture, démantèlement, évolution du mix électrique ou retraitement des déchets, ces décisions engagent l'avenir énergétique de notre pays. Nous avons devant nous des étapes concrètes qu'il nous faut franchir rapidement. Telle est notre responsabilité.

La première étape est d'arrêter les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim, ce qui sera fait avant la fin du premier semestre, puisque le premier réacteur doit être fermé au mois de février et le second au mois de juin. Cette fermeture devait initialement intervenir simultanément avec la mise en service de l'EPR de Flamanville, mais les retards de ce dernier nous ont conduits à décorréler les deux opérations. Il nous était impossible d'attendre et de laisser dans l'incertitude les salariés et les territoires concernés ; nous devions leur donner de la visibilité.

Appliquer une stratégie, c'est avancer de chaque pas dès que cela est possible. Fermer Fessenheim cette année et procéder au chargement du combustible de l'EPR de Flamanville d'ici à fin 2022 sont deux chantiers essentiels pour notre parc nucléaire.

Vous avez déjà auditionné MM. Jean-Martin Folz et Jean-Bernard Lévy, qui vous ont exposé les conclusions de l'audit sur la dérive des coûts et des délais de l'EPR et le plan d'action en résultant. Je ne reviendrai pas dessus, sauf pour dire que si la fiabilité de la date de mise en service de l'EPR et le respect des coûts constituent un enjeu de première importance pour EDF, il en représente également un pour notre politique énergétique. Respecter les délais de l'EPR et, plus largement, les dates d'arrêt pour maintenance des moyens de production et de redémarrage est essentiel en vue d'assurer notre sécurité d'approvisionnement, notamment pour nos concitoyens et nos entreprises du Grand Ouest.

Notre stratégie nucléaire se pense également à moyen terme, avec l'objectif de ramener la part du nucléaire à 50 % de notre mix électrique en 2035, que vous avez voté il y a quelques mois. Passer la part du nucléaire de 72 % aujourd'hui à 50 % revient, disons-le, à opérer un changement très significatif. Pour y parvenir, le premier chantier est celui de la diversification de notre mix électrique. Vous connaissez les ambitions de la PPE en matière d'énergies renouvelables, notamment solaires et éoliennes.

Ces 50 % constituent également un défi, car ils impliquent la fermeture de quatorze réacteurs. Les deux de Fessenheim seront, je l'ai indiqué, fermés dès la fin du mois de juin 2020 ; s'agissant des autres, nous confirmerons les échéances dans le cadre de la même PPE. Si les conditions sont remplies, deux réacteurs supplémentaires pourront être fermés au milieu de la décennie, puis deux autres en 2027 et 2028, et les huit à dix derniers entre 2029 et 2035.

La fermeture de quatorze réacteurs pose des questions sociales et techniques. Nous avons pris l'engagement de ne pas fermer d'autres sites complets en dehors de Fessenheim, et nous travaillons, s'agissant des autres sites, à des projets de territoire.

Par ailleurs, la gestion du combustible deviendra un enjeu majeur dans la perspective de réduire le volume des déchets. Aujourd'hui, seuls les trente-quatre réacteurs de 900 mégawatts peuvent utiliser du combustible recyclé, le fameux MOX. C'est sur ce palier de puissance que les quatorze réacteurs seront, compte tenu de leur âge, fermés en priorité. C'est pourquoi nous avons demandé à EDF de prévoir l'utilisation de combustible issu en partie du recyclage sur les réacteurs de 1 300 mégawatts. Cette option s'appelle, pour les spécialistes, le « moxage » des 1 300 mégawatts.

Pour satisfaire l'échéance de 2035, nous avons défini une trajectoire claire et pris en considération toutes ses conséquences sur les moyens de production d'électricité ainsi que sur la gestion du cycle combustible. À plus long terme, notre stratégie reste encore à écrire. La très grande majorité du parc électronucléaire a été construite pendant une courte période d'une quinzaine d'années, et ces réacteurs seront arrêtés bien avant 2050. La construction de nouveaux moyens de production, qu'ils soient nucléaires ou renouvelables, destinés à prendre le relais, s'étalera sur plusieurs années. Notre stratégie de long terme doit donc s'écrire sans attendre ces fermetures.

Je souhaite que nous adoptions une approche raisonnée, que nous étudiions tous les scénarios et que nous en analysions les avantages et les inconvénients avant de prendre une décision éclairée. Nous nous trouvons, en effet, face à un choix entre des scénarios à 100 % d'énergies renouvelables, et d'autres dans lesquels le nucléaire reste durablement une source de production dans le mix électrique.

Cette transition énergétique pose des questions qui engagent notre pays tout entier. Peut-on mettre en place un système à 100 % d'énergies renouvelables, et si oui, à quel coût ? Dans quelles conditions la filière nucléaire pourrait-elle délivrer un nouveau programme et, là aussi, à quel coût ? Que ferons-nous des déchets ?

C'est notre responsabilité que de répondre à ces questions. Nous avons donc établi un programme de travail dont les conclusions seront rendues au milieu de l'année prochaine. En particulier, nous avons, avec M. Bruno Le Maire, confié à EDF la mission de démontrer la capacité de la filière à maîtriser un nouveau programme de six réacteurs. En parallèle, nous travaillons avec l'Agence internationale de l'énergie (AIE) et Réseau de transport d'électricité (RTE) sur un scénario « 100 % énergies renouvelables » afin d'évaluer les solutions disponibles et celles à développer.

Quel que soit le scénario, notre objectif est de disposer de la même sécurité d'approvisionnement qu'aujourd'hui, à un coût acceptable pour la société. Fort de ces réponses et de la mise en service de l'EPR de Flamanville, le Gouvernement sera en mesure de prendre une décision en toute connaissance de cause.

L'utilisation de l'énergie représente 75,6 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Répondre à l'urgence climatique implique donc de faire sans attendre nos choix de politique énergétique. À court comme à long terme, je souhaite évidemment que nous agissions ensemble. Je sais que vous y êtes attachés, car vous l'avez montré tout au long du débat parlementaire sur la loi « énergie-climat ».

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