Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mercredi 8 janvier 2020 à 16h35
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire :

Après la première série d'interventions, je n'avais pas répondu aux questions portant sur les déchets. La préoccupation du traitement et du recyclage a toujours fait partie de la politique nucléaire. Elle s'inscrit dans une volonté d'économie circulaire. Aujourd'hui, nous consommons près de 10 % d'uranium en moins grâce au recyclage. Toutefois, il est clair qu'une partie des déchets nucléaires ne sont pas recyclables et nécessitent d'être stockés. Ainsi a notamment vu le jour le projet Cigéo de stockage en souterrain. Cela fait partie des sujets évoqués dans le débat public sur le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs.

Le Gouvernement exposera, au cours du mois de février, les suites qu'il veut donner à ce débat, notamment en termes d'évolution de la gouvernance du plan, de son contenu et du processus, notamment sur les problèmes de qualification des déchets matières. Ensuite, un travail sera engagé sur le plan lui-même, au cours du premier semestre 2020, l'objectif étant d'arrêter un plan au premier semestre 2021. Les conditions de mise en oeuvre du projet Cigéo pourront être définies dans ce cadre, puisqu'elles ne le sont pas encore aujourd'hui dans leur intégralité.

S'agissant des difficultés de la filière nucléaire évoquées par Mme Lardet, je ne reviendrai pas sur les éléments mis en avant par M. Jean-Martin Folz dans le rapport qu'il a rendu. EDF a apporté une première réponse dans le cadre de son projet Excell, et nous attendons une réponse plus globale de la filière au cours du mois de mars. Ces propositions seront contre-expertisées, et nous souhaitons, évidemment, suivre la mise en oeuvre des actions annoncées dans le cadre des différents plans, pour nous assurer qu'elles arrivent bien aux résultats escomptés.

Madame Batho, la question du moxage a été posée à EDF pour ses réacteurs à 1 300 mégawatts. Je ne vais pas préjuger aujourd'hui de la réponse de l'entreprise quant aux coûts aussi élevés que vous l'avez évoqué. Je souligne qu'en termes de gestion des déchets, c'est un enjeu important. Un travail est en cours chez EDF, notamment sur ce point. L'ASN aura également à se prononcer sur ce sujet.

Quant au calendrier des études qui sont menées, tant à propos du nucléaire que d'un scénario « 100 % énergies renouvelables », nous souhaitons disposer de l'ensemble des éléments, à la fois techniques et économiques, à la mi-2021. La décision n'interviendra pas, comme je l'ai déjà dit, avant la mise en service de Flamanville – le chargement du combustible n'y étant pas prévu avant fin 2022, ce sera donc au-delà.

Quant au fait qu'EDF ne travaille pas sur un scénario « 100 % énergies renouvelables », j'ai bien précisé que c'est avec l'AIE et RTE que nous travaillons sur ce scénario. Évidemment, il ne s'agit pas de ne pas associer EDF à ces réflexions. Au contraire, il est important qu'EDF, dans le cadre de sa stratégie d'entreprise, envisage toutes les hypothèses, en miroir des réflexions du Gouvernement. Cela doit comprendre aussi bien un scénario prévoyant le maintien durable d'une part de nucléaire qu'un scénario « 100 % énergies renouvelables ». Je ne doute pas que cela soit effectivement la préoccupation des dirigeants d'EDF que de réfléchir également à ces différentes alternatives.

J'en viens à la question, posée au nom de Mme la députée Sophie Panonacle, sur l'ARENH. Lorsque le dispositif a été créé, on s'était placé dans un scénario où le besoin d'électricité était croissant et où l'ouverture des marchés supposait de donner aux fournisseurs alternatifs accès à une partie de l'énergie nucléaire produite par EDF, en attendant que ceux-ci développent leurs propres moyens de production. Aujourd'hui, on ne prévoit plus de croissance de notre consommation d'électricité ; fort heureusement, des actions d'efficacité énergétique sont conduites, qui orientent l'hypothèse de travail vers la stabilité. Multiplier les moyens de production supplémentaires pour des fournisseurs alternatifs ne se justifie donc plus. Cela dit, je suis convaincue de l'importance de la régulation du nucléaire historique, pour deux raisons. Premièrement, nous disposons ainsi d'une électricité dont le coût de production ne dépend pas des aléas géopolitiques dans les zones où on exploite des hydrocarbures. Il me paraît important que les consommateurs français puissent garder cet avantage. Deuxièmement, la fixation d'un plafond au prix de vente de la production nucléaire empêche qu'il ne s'envole au gré des éventuelles tensions pouvant apparaître sur le cours du baril de pétrole. Réciproquement, la fixation d'un plancher empêche que le prix de cette énergie ne baisse trop, mettant en difficulté l'opérateur qui doit assurer la bonne maintenance de ses installations, enjeu très important en termes de sûreté nucléaire. Voilà pourquoi nous considérons qu'il est souhaitable de maintenir une régulation du nucléaire au-delà de 2025. J'ai engagé avec la Commission européenne, en particulier avec Mme Margrethe Vestager, des discussions en ce sens ; elles vont se poursuivre dans les prochains mois.

J'en viens à la question de M. Cesarini. Aucun membre du Gouvernement ne dénigre l'énergie nucléaire, mais il est de notre responsabilité, quand nous constatons des difficultés, de l'exprimer. Ces difficultés existent ; il faut les voir et y répondre. Pour l'avenir, nous travaillons sur différents scénarios, loin de suivre un quelconque mouvement de yo-yo entre différentes positions. Nous avons dit très clairement qu'une décision responsable doit prendre en compte tous les scénarios, pour en retenir finalement le meilleur : celui qui assure le recours à une électricité décarbonée, proposée à un prix maîtrisé tenant compte de l'enjeu des déchets nucléaires Nous nous efforçons de procéder à ce choix posément. Je ne pense donc pas que nous dénigrions l'énergie nucléaire ni que nous en faisions l'éloge aveugle.

Monsieur Vigier, un scénario où l'électricité nucléaire ne représenterait que 50 % de la production ne pose pas en soi de problème de sécurité d'approvisionnement. La France doit être le seul pays au monde à tirer 72 % de son électricité de l'atome. Ramener cette part à 50 % constitue un objectif assez consensuel. Il est ressorti des débats sur la loi du 6 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte que la sécurité d'approvisionnement, c'est d'atteindre un mix énergétique équilibré, en tirant parti des qualités des différentes sources d'énergie.

Monsieur Delpon, je suis convaincue de l'importance de l'hydrogène dans notre politique énergétique. L'hydrogène est utilisé à la fois dans l'industrie et, de plus en plus, dans la mobilité. Je pense que cette énergie jouera demain un rôle important dans l'équilibre de notre système électrique. Aujourd'hui, nous ouvrons des appels à projets pour soutenir le développement de l'hydrogène dans l'industrie ou dans la mobilité. Dans le cadre de la loi « énergie-climat », il est prévu que le Gouvernement présente une ordonnance définissant un cadre de soutien à l'hydrogène. Nous travaillerons donc sur ce sujet, car le recours à l'hydrogène pourrait être l'un des moyens de stocker l'énergie. Même si RTE n'identifie pas, compte tenu des autres capacités de pilotage de notre production d'électricité, de besoin à court terme en ce domaine, je suis vraiment convaincue de la nécessité de développer l'hydrogène à l'avenir.

Monsieur Bricout, je pense que l'éolien est une énergie qui présente beaucoup d'atouts, surtout si l'on veut diversifier notre mix énergétique. Mais les parcs éoliens sont aujourd'hui très mal répartis sur notre territoire. Plus de 50 %, je crois, sont concentrés dans deux régions, le Grand Est et les Hauts-de-France. J'ai donc constitué, en décembre, un groupe de travail pour réfléchir aux mécanismes pouvant faciliter l'acceptabilité de l'éolien, notamment en ce qui concerne les nuisances visuelles liées au dispositif de signalement des éoliennes. Il s'agit également d'examiner comment apporter des garanties sur le démantèlement des parcs éoliens, en particulier s'agissant de la remise en état du terrain après l'arrêt des appareils.

Des mécanismes doivent inciter les porteurs de projet à se diriger désormais vers des zones où la concentration d'éoliennes est moins forte. Les collectivités doivent également jouer le rôle d'acteurs dans la répartition des champs éoliens. Avec l'appui de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), le préfet des Hauts-de-France a mené des études très intéressantes. Elles ont mis en évidence, dans certains territoires, une saturation visuelle dont on comprend bien qu'elle remette en cause l'acceptabilité de cette énergie. Dans certains villages, des phénomènes d'encerclement apparaissent aussi. Nous devons y répondre, pour conforter l'acceptabilité de l'éolien.

J'en viens au projet ASTRID. Il pourrait présenter un intérêt en cas de pénurie d'approvisionnement en uranium, mais ce n'est pas la situation que nous connaissons actuellement. Même si la réflexion n'a pas été arrêtée, c'est une phase de recherche et développement qui est à l'ordre du jour, plutôt que la phase opérationnelle. Compte tenu de l'horizon auquel ces technologies pourraient être à la fois disponibles et nécessaires, nous ne perdons pas de temps sur ce sujet, car nous continuons à y travailler sur le moyen terme.

Quant aux véhicules électriques, il faut, là aussi, relativiser les besoins liés au développement d'un tel parc. Nos études tablent sur un besoin de 30 térawattheures, ce qui n'est pas énorme comparé aux 500 térawattheures de notre consommation électrique totale. En outre, si l'on veut développer ces parcs, tous les véhicules ne sont pas obligés de se recharger au même moment. Dans une vie antérieure, en tant que PDG d'une entreprise exploitant 4 500 bus, j'avais pris la décision de passer pour 80 % d'entre eux à la propulsion électrique. Certes, cela peut produire un fort impact sur le réseau si vous ne travaillez pas à un mode de charge intelligent. Mais, si vous y travaillez, l'impact sera très faible. Je suis convaincue que répondre à ces nouveaux besoins n'affecterait pas les volumes de notre consommation électrique ni n'en aggraverait les difficultés. Par contre, cela suppose de développer les capacités de pilotage et de réversibilité des futurs véhicules électriques, comme l'a prévu la récente loi d'orientation des mobilités. Pour que les véhicules nouveaux s'insèrent correctement dans notre consommation électrique, il faut qu'on fasse appel à des recharges intelligentes ; toutes les technologies sont disponibles pour cela.

Quant à la transparence, Madame Batho, puisque vous m'avez demandé si on pouvait transmettre aux parlementaires les premiers éléments qui nous ont été rendus par EDF, je tiens à vous dire que cela ne me semble pas poser de difficultés.

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