Intervention de Bérangère Couillard

Réunion du mercredi 15 janvier 2020 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBérangère Couillard, rapporteure :

Chers collègues, c'est un honneur de me trouver aujourd'hui devant la commission des Lois comme rapporteure de cette proposition de loi qui est l'aboutissement d'un long processus.

Du 3 septembre au 25 novembre dernier, sous la direction du Premier ministre, s'est tenu le Grenelle des violences conjugales. Répartis en groupes de travail, des femmes et des hommes de bonne volonté ont travaillé pour que la France améliore la réponse qu'elle apporte aux fléaux des coups, du harcèlement et des souffrances qui surviennent derrière les portes closes de plusieurs dizaines de milliers de foyers de notre pays.

Nous connaissons tous le décompte lancinant des féminicides. Il a braqué, à raison, les projecteurs médiatiques sur la question des violences. Mais n'oublions pas non plus les souffrances du quotidien de celles et ceux qui les endurent en silence, parce qu'ils n'ont pas conscience de leurs droits, qu'ils sont sous l'emprise d'un conjoint violent ou, tout simplement, qu'ils ont peur ! La loi leur doit sa protection. Elle leur doit de faciliter leur expression et de leur permettre de passer enfin à une étape plus joyeuse de leur vie.

À la contribution des groupes de travail du Grenelle et des parties prenantes, nous pouvons ajouter le travail des parlementaires. Notre collègue Guillaume Gouffier-Cha et moi avons créé et copiloté un groupe de travail d'une trentaine de députés, dont certains d'entre vous faisaient partie. Nous avons réalisé de nombreuses visites de terrain partout en France, dans chacune de nos régions, en Europe comme en outre-mer, pour confronter les discours aux réalités et pour comprendre comment, parfois, des dispositifs en théorie parfaits ne résistaient pas à leur confrontation avec la pratique. Je tiens à remercier chaleureusement tous les parlementaires qui ont participé à ce groupe.

Il me revient aujourd'hui de vous présenter le fruit de ce travail, qui a mobilisé les pouvoirs publics sans relâche, sous l'impulsion de la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, Mme Marlène Schiappa. Au cours des auditions, les articles de cette proposition de loi ont été présentés à ceux qui, tous les jours, vivent les violences conjugales – non seulement aux associations, bien sûr, mais aussi aux magistrats qui les jugent, aux policiers et gendarmes qui les recherchent, ou aux médecins qui en pansent les plaies.

Ayant, dès le début, travaillé avec tous, j'ai pu constater que le consensus s'est fait autour de ces dispositions. J'ai d'ailleurs décelé peu d'opposition frontale dans vos amendements ; je veux vous en remercier. Je sais que, parmi vous, certains et certaines portent depuis des années des sujets particuliers. J'espère qu'ils trouveront leur place dans la proposition de loi. Si ce n'est pas le cas, je sais que nous en débattrons honnêtement et dans le même objectif, celui de protéger au mieux les victimes des violences conjugales – les femmes, le plus souvent ; les hommes aussi, parfois ; les enfants, malheureusement, toujours, quand il y en a – car c'est un combat qui nous rassemble tous, au-delà des clivages politiques et des distinctions partisanes.

Depuis dix ans, majorité et opposition ont voté ensemble quand il s'est agi de faire reculer les violences. Je veux saluer ici nos anciens collègues, Guy Geoffroy, rapporteur de la loi du 9 juillet 2010 et Sébastien Denaja, pour la loi du 4 août 2014.

Je veux aussi saluer l'esprit de responsabilité qui a régné à l'Assemblée nationale, il y a quelques mois, quand le groupe Les Républicains a employé sa journée d'ordre du jour réservé à inscrire ce qui allait devenir la loi du 28 décembre 2019, un texte que la majorité a voté unanimement et pour lequel le Gouvernement avait fait le choix d'engager la procédure accélérée. Tous s'étaient exprimés et, dans ces moments, tous avaient fait oeuvre utile pour le bien commun. Je forme le voeu qu'il en aille pareillement aujourd'hui.

Cette proposition de loi, qui tire les conséquences législatives du Grenelle, comporte d'abord des dispositions destinées à retirer l'exercice de l'autorité parentale aux auteurs de violences conjugales. Je ne m'attarderai pas sur ce point car députés et sénateurs de la majorité et de l'opposition, réunis en commission mixte paritaire, il y a quelques semaines, se sont entendus pour que ces articles soient incorporés à la loi du 28 décembre 2019. Nous aurons donc à supprimer les articles 1er et 2, qui sont déjà gravés dans le marbre législatif.

Quant à l'article 3, qui permet au juge pénal de suspendre l'autorité parentale dans le cadre du contrôle judiciaire, il conserve toute sa pertinence.

Vient ensuite l'aboutissement d'un long combat des associations de défense des victimes de violences, avec, aux articles 4 et 5, la fin des médiations dans les matières civile et pénale dès que des violences sont alléguées par l'une des parties. Les mesures alternatives de règlement des différends, notamment la médiation, présentent un immense intérêt, mais elles supposent une égalité des parties ainsi qu'une capacité à entendre l'autre et à recevoir ses arguments, Rien de tel n'est possible lorsque des coups, des brimades ou des sévices ont été infligés. C'est à cette occasion que nous introduisons le terme d'« emprise » dans notre droit. Il s'agit, vous le savez tous, de la sujétion dans laquelle les victimes sont placées par celui qui souhaite plus que tout les maintenir en son contrôle. Sous emprise, on ne peut pas négocier efficacement pas plus que l'on ne pourra engager de médiation.

À l'article 6, nous réglons une situation que la presse avait révélée l'année dernière et que nous ne souhaitons pas voir ressurgir. Des hommes et des femmes, dont l'un des parents a tué l'autre, ont été sollicités, au titre de l'obligation alimentaire qui lie ascendants et descendants, pour financer les vieux jours de l'agresseur. Ces demandes de paiement, que formulaient d'ailleurs souvent innocemment des établissements d'accueil pour personnes âgées, ont réveillé des souvenirs douloureux et un sentiment d'injustice. Aujourd'hui, on déclare facilement l'indignité d'un parent qui délaisse son enfant, mais la jurisprudence est rare en cas de meurtre sur conjoint. Nous prévoirons une déchéance de plein droit. Beaucoup parmi vous ont considéré la rédaction de l'article concerné perfectible : je souscris à ces remarques et je vous proposerai de la corriger.

Quant au harcèlement conjugal, cette infraction créée en 2010 fonctionne avec deux niveaux de gravité selon que l'incapacité totale de travail (ITT) délivrée à la victime excède ou non huit jours. C'est faire peu de cas d'affaires dont nous avons tous entendu parler, dans lesquels la victime, poussée à bout, en vient à attenter à sa propre vie. Les tribunaux ont instruit ces dossiers qui ne faisaient aucun doute, mais ils n'ont pu qualifier le décès qu'en ITT de plus de huit jours. Sur la suggestion d'un groupe de travail du Grenelle et de sa présidente, Mme Yael Mellul, que je félicite de sa constance, je vous propose la création d'une nouvelle circonstance aggravante. Celle-ci viendra réprimer ceux qui, littéralement, ont rendu la vie de leurs victimes impossible. Ils seront désormais punis de dix années d'emprisonnement. Il faudra naturellement apporter la preuve de la causalité entre le harcèlement et le suicide, mais l'expérience montre que les enquêteurs y parviennent. Une lettre d'adieu, le témoignage de proches ou le dossier médical peuvent mener à une condamnation.

Un article nous occupera sans doute plus que les autres car il soulève des doutes bien légitimes : il s'agit de l'autorisation donnée aux personnels de santé de s'abstraire du secret médical pour signaler à la justice des faits qui leur apparaissent comme des violences conjugales évidentes. Sans engager le débat tout de suite, je souligne là encore que cette rédaction est le fruit d'un long travail de compromis avec les premiers concernés, les associations de victimes d'une part, l'ordre des médecins d'autre part. Nous marchons sur une ligne de crête car si la confidentialité des rapports entre le patient et le thérapeute est nécessaire à la société, l'intérêt général qui s'attache à la protection des victimes est également essentiel. Nous discuterons du compromis auquel nous sommes parvenus, je le crois, avec succès.

Je ne m'attarderai pas sur la disposition qui permet la saisie des armes par l'officier de police judiciaire au moment de la perquisition car elle me semble de bon sens. La saisie était d'ailleurs déjà en grande partie possible en combinant quelques articles de différents codes. Les forces de l'ordre se félicitent de cette rédaction qui clarifie utilement le dispositif. Je vous proposerai de la simplifier encore, mais aussi de laisser une marge d'appréciation sur le terrain. S'il est évident que les armes à feu devront être retirées du domicile, les armes par destination, telles que les outils et le matériel de cuisine, ne peuvent donner lieu à une consigne légale uniforme pour l'ensemble des territoires.

La proposition de loi traite également la question encore peu connue du cybercontrôle. Les forces de l'ordre découvrent petit à petit le phénomène mais les victimes sur le terrain le connaissent bien. Il s'agit, pour le conjoint violent, de se procurer un de ces logiciels mouchards que l'on trouve dans le commerce pour quelques dizaines d'euros et d'en lester le téléphone de sa compagne, voire celui de ses enfants, pour tout savoir de leurs échanges, de leurs conversations ou de leur position géoraphique en temps réel. Nous allons préciser les choses et encadrer cette géolocalisation sauvage, qui ne l'est pas par le droit en vigueur. Si deux personnes veulent savoir où elles se trouvent en temps réel, c'est leur choix. Mais il faut s'assurer de leur consentement et, dans le cas d'un mineur, de celui des titulaires de l'autorité parentale.

Enfin, à la suite du remarquable travail réalisé par nos collègues Naïma Moutchou et Philippe Gosselin, sur une suggestion de M. Dimitri Houbron, nous faciliterons l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire aux victimes de violences conjugales. Les premiers temps de la procédure sont essentiels et ne doivent pas se dérouler sans conseil. La rédaction proposée pourra sembler modeste mais c'est tout ce que nous permettent les règles de recevabilité financière. Le Gouvernement s'est engagé à ce que les démarches en vue d'obtenir une ordonnance de protection bénéficient de cet assouplissement.

Je terminerai mon propos par trois réflexions, qui n'ont pas prospéré à temps pour cet examen devant la commission des Lois, mais que je compte poursuivre au cours des deux semaines qui nous séparent de la séance publique.

Premièrement, en matière d'indignité du conjoint violent, la loi du 28 décembre 2019 a traité le cas de la pension de réversion : frapper son conjoint empêche désormais de percevoir le fruit de ses cotisations. Notre proposition de loi décharge de l'obligation alimentaire : frapper son conjoint interdit de solliciter ses enfants dans la vieillesse. Il reste une situation qui n'est pas traitée, celle de l'héritage. Aujourd'hui, la loi permet de déclarer l'indignité successorale en cas de faux témoignage et de dénonciation calomnieuse contre le défunt, mais pas en cas de violences sexuelles ou physiques tant qu'elles n'ont pas été mortelles. Il y a là un problème d'échelle de valeurs que nous pourrions corriger.

Deuxièmement, s'agissant de la levée du secret médical, comme de nombreux juristes, je tique sur l'appel à « l'intime conviction » du médecin. Ce terme de cour d'assises n'est pas très adapté, mais je n'ai pas encore trouvé de meilleure formulation. Je souhaite surtout que cette nouvelle rédaction fasse l'objet d'un consensus avec le conseil national de l'ordre des médecins.

Troisièmement, la proposition de loi contient un article 11 dont je n'ai pas parlé et qui traite de l'accès des mineurs à la pornographie. Nous avons une difficulté face à des opérateurs étrangers, qui mettent des millions de vidéos en ligne sans le moindre contrôle réel et qui échappent à tout contrôle parental, alors que les buralistes sont rappelés à l'ordre s'ils ne placent pas les magazines spécialisés à une hauteur suffisante. Nous sommes là dans une situation où, dans la complaisance générale, internet s'érige en place de non-droit. Toute une génération fait désormais, à l'entrée au collège, son éducation sexuelle à partir des scènes les plus extrêmes et avec une image des femmes totalement déplorable. Là encore, je poursuis ma réflexion et j'auditionnerai la semaine prochaine les parties prenantes. Je note toutefois que des dispositifs techniques de blocage existent. Juridiquement sûrs, ils sont employés sans la moindre critique. Il s'agit par exemple de la législation en matière de cercle de jeux en ligne, dont nous pourrions nous inspirer.

Tels sont, mes chers collègues, l'esprit et le contenu de cette proposition de loi qui, vous l'aurez constaté, est particulièrement riche au regard de sa taille modérée. Elle retrace fidèlement l'ambition de responsabilité et de progrès qui a prévalu tout au long du Grenelle. C'est un moment dont nous pouvons déjà être fiers car il a su réunir pour unir. Et nous serons encore plus fiers, je l'espère, lorsque la commission des Lois aura adopté ce texte.

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