La réunion débute à 9 heures 35.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
La Commission examine la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales (n° 2478) (Mme Bérangère Couillard, rapporteure).
Nous examinons ce matin la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales.
Chers collègues, c'est un honneur de me trouver aujourd'hui devant la commission des Lois comme rapporteure de cette proposition de loi qui est l'aboutissement d'un long processus.
Du 3 septembre au 25 novembre dernier, sous la direction du Premier ministre, s'est tenu le Grenelle des violences conjugales. Répartis en groupes de travail, des femmes et des hommes de bonne volonté ont travaillé pour que la France améliore la réponse qu'elle apporte aux fléaux des coups, du harcèlement et des souffrances qui surviennent derrière les portes closes de plusieurs dizaines de milliers de foyers de notre pays.
Nous connaissons tous le décompte lancinant des féminicides. Il a braqué, à raison, les projecteurs médiatiques sur la question des violences. Mais n'oublions pas non plus les souffrances du quotidien de celles et ceux qui les endurent en silence, parce qu'ils n'ont pas conscience de leurs droits, qu'ils sont sous l'emprise d'un conjoint violent ou, tout simplement, qu'ils ont peur ! La loi leur doit sa protection. Elle leur doit de faciliter leur expression et de leur permettre de passer enfin à une étape plus joyeuse de leur vie.
À la contribution des groupes de travail du Grenelle et des parties prenantes, nous pouvons ajouter le travail des parlementaires. Notre collègue Guillaume Gouffier-Cha et moi avons créé et copiloté un groupe de travail d'une trentaine de députés, dont certains d'entre vous faisaient partie. Nous avons réalisé de nombreuses visites de terrain partout en France, dans chacune de nos régions, en Europe comme en outre-mer, pour confronter les discours aux réalités et pour comprendre comment, parfois, des dispositifs en théorie parfaits ne résistaient pas à leur confrontation avec la pratique. Je tiens à remercier chaleureusement tous les parlementaires qui ont participé à ce groupe.
Il me revient aujourd'hui de vous présenter le fruit de ce travail, qui a mobilisé les pouvoirs publics sans relâche, sous l'impulsion de la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, Mme Marlène Schiappa. Au cours des auditions, les articles de cette proposition de loi ont été présentés à ceux qui, tous les jours, vivent les violences conjugales – non seulement aux associations, bien sûr, mais aussi aux magistrats qui les jugent, aux policiers et gendarmes qui les recherchent, ou aux médecins qui en pansent les plaies.
Ayant, dès le début, travaillé avec tous, j'ai pu constater que le consensus s'est fait autour de ces dispositions. J'ai d'ailleurs décelé peu d'opposition frontale dans vos amendements ; je veux vous en remercier. Je sais que, parmi vous, certains et certaines portent depuis des années des sujets particuliers. J'espère qu'ils trouveront leur place dans la proposition de loi. Si ce n'est pas le cas, je sais que nous en débattrons honnêtement et dans le même objectif, celui de protéger au mieux les victimes des violences conjugales – les femmes, le plus souvent ; les hommes aussi, parfois ; les enfants, malheureusement, toujours, quand il y en a – car c'est un combat qui nous rassemble tous, au-delà des clivages politiques et des distinctions partisanes.
Depuis dix ans, majorité et opposition ont voté ensemble quand il s'est agi de faire reculer les violences. Je veux saluer ici nos anciens collègues, Guy Geoffroy, rapporteur de la loi du 9 juillet 2010 et Sébastien Denaja, pour la loi du 4 août 2014.
Je veux aussi saluer l'esprit de responsabilité qui a régné à l'Assemblée nationale, il y a quelques mois, quand le groupe Les Républicains a employé sa journée d'ordre du jour réservé à inscrire ce qui allait devenir la loi du 28 décembre 2019, un texte que la majorité a voté unanimement et pour lequel le Gouvernement avait fait le choix d'engager la procédure accélérée. Tous s'étaient exprimés et, dans ces moments, tous avaient fait oeuvre utile pour le bien commun. Je forme le voeu qu'il en aille pareillement aujourd'hui.
Cette proposition de loi, qui tire les conséquences législatives du Grenelle, comporte d'abord des dispositions destinées à retirer l'exercice de l'autorité parentale aux auteurs de violences conjugales. Je ne m'attarderai pas sur ce point car députés et sénateurs de la majorité et de l'opposition, réunis en commission mixte paritaire, il y a quelques semaines, se sont entendus pour que ces articles soient incorporés à la loi du 28 décembre 2019. Nous aurons donc à supprimer les articles 1er et 2, qui sont déjà gravés dans le marbre législatif.
Quant à l'article 3, qui permet au juge pénal de suspendre l'autorité parentale dans le cadre du contrôle judiciaire, il conserve toute sa pertinence.
Vient ensuite l'aboutissement d'un long combat des associations de défense des victimes de violences, avec, aux articles 4 et 5, la fin des médiations dans les matières civile et pénale dès que des violences sont alléguées par l'une des parties. Les mesures alternatives de règlement des différends, notamment la médiation, présentent un immense intérêt, mais elles supposent une égalité des parties ainsi qu'une capacité à entendre l'autre et à recevoir ses arguments, Rien de tel n'est possible lorsque des coups, des brimades ou des sévices ont été infligés. C'est à cette occasion que nous introduisons le terme d'« emprise » dans notre droit. Il s'agit, vous le savez tous, de la sujétion dans laquelle les victimes sont placées par celui qui souhaite plus que tout les maintenir en son contrôle. Sous emprise, on ne peut pas négocier efficacement pas plus que l'on ne pourra engager de médiation.
À l'article 6, nous réglons une situation que la presse avait révélée l'année dernière et que nous ne souhaitons pas voir ressurgir. Des hommes et des femmes, dont l'un des parents a tué l'autre, ont été sollicités, au titre de l'obligation alimentaire qui lie ascendants et descendants, pour financer les vieux jours de l'agresseur. Ces demandes de paiement, que formulaient d'ailleurs souvent innocemment des établissements d'accueil pour personnes âgées, ont réveillé des souvenirs douloureux et un sentiment d'injustice. Aujourd'hui, on déclare facilement l'indignité d'un parent qui délaisse son enfant, mais la jurisprudence est rare en cas de meurtre sur conjoint. Nous prévoirons une déchéance de plein droit. Beaucoup parmi vous ont considéré la rédaction de l'article concerné perfectible : je souscris à ces remarques et je vous proposerai de la corriger.
Quant au harcèlement conjugal, cette infraction créée en 2010 fonctionne avec deux niveaux de gravité selon que l'incapacité totale de travail (ITT) délivrée à la victime excède ou non huit jours. C'est faire peu de cas d'affaires dont nous avons tous entendu parler, dans lesquels la victime, poussée à bout, en vient à attenter à sa propre vie. Les tribunaux ont instruit ces dossiers qui ne faisaient aucun doute, mais ils n'ont pu qualifier le décès qu'en ITT de plus de huit jours. Sur la suggestion d'un groupe de travail du Grenelle et de sa présidente, Mme Yael Mellul, que je félicite de sa constance, je vous propose la création d'une nouvelle circonstance aggravante. Celle-ci viendra réprimer ceux qui, littéralement, ont rendu la vie de leurs victimes impossible. Ils seront désormais punis de dix années d'emprisonnement. Il faudra naturellement apporter la preuve de la causalité entre le harcèlement et le suicide, mais l'expérience montre que les enquêteurs y parviennent. Une lettre d'adieu, le témoignage de proches ou le dossier médical peuvent mener à une condamnation.
Un article nous occupera sans doute plus que les autres car il soulève des doutes bien légitimes : il s'agit de l'autorisation donnée aux personnels de santé de s'abstraire du secret médical pour signaler à la justice des faits qui leur apparaissent comme des violences conjugales évidentes. Sans engager le débat tout de suite, je souligne là encore que cette rédaction est le fruit d'un long travail de compromis avec les premiers concernés, les associations de victimes d'une part, l'ordre des médecins d'autre part. Nous marchons sur une ligne de crête car si la confidentialité des rapports entre le patient et le thérapeute est nécessaire à la société, l'intérêt général qui s'attache à la protection des victimes est également essentiel. Nous discuterons du compromis auquel nous sommes parvenus, je le crois, avec succès.
Je ne m'attarderai pas sur la disposition qui permet la saisie des armes par l'officier de police judiciaire au moment de la perquisition car elle me semble de bon sens. La saisie était d'ailleurs déjà en grande partie possible en combinant quelques articles de différents codes. Les forces de l'ordre se félicitent de cette rédaction qui clarifie utilement le dispositif. Je vous proposerai de la simplifier encore, mais aussi de laisser une marge d'appréciation sur le terrain. S'il est évident que les armes à feu devront être retirées du domicile, les armes par destination, telles que les outils et le matériel de cuisine, ne peuvent donner lieu à une consigne légale uniforme pour l'ensemble des territoires.
La proposition de loi traite également la question encore peu connue du cybercontrôle. Les forces de l'ordre découvrent petit à petit le phénomène mais les victimes sur le terrain le connaissent bien. Il s'agit, pour le conjoint violent, de se procurer un de ces logiciels mouchards que l'on trouve dans le commerce pour quelques dizaines d'euros et d'en lester le téléphone de sa compagne, voire celui de ses enfants, pour tout savoir de leurs échanges, de leurs conversations ou de leur position géoraphique en temps réel. Nous allons préciser les choses et encadrer cette géolocalisation sauvage, qui ne l'est pas par le droit en vigueur. Si deux personnes veulent savoir où elles se trouvent en temps réel, c'est leur choix. Mais il faut s'assurer de leur consentement et, dans le cas d'un mineur, de celui des titulaires de l'autorité parentale.
Enfin, à la suite du remarquable travail réalisé par nos collègues Naïma Moutchou et Philippe Gosselin, sur une suggestion de M. Dimitri Houbron, nous faciliterons l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire aux victimes de violences conjugales. Les premiers temps de la procédure sont essentiels et ne doivent pas se dérouler sans conseil. La rédaction proposée pourra sembler modeste mais c'est tout ce que nous permettent les règles de recevabilité financière. Le Gouvernement s'est engagé à ce que les démarches en vue d'obtenir une ordonnance de protection bénéficient de cet assouplissement.
Je terminerai mon propos par trois réflexions, qui n'ont pas prospéré à temps pour cet examen devant la commission des Lois, mais que je compte poursuivre au cours des deux semaines qui nous séparent de la séance publique.
Premièrement, en matière d'indignité du conjoint violent, la loi du 28 décembre 2019 a traité le cas de la pension de réversion : frapper son conjoint empêche désormais de percevoir le fruit de ses cotisations. Notre proposition de loi décharge de l'obligation alimentaire : frapper son conjoint interdit de solliciter ses enfants dans la vieillesse. Il reste une situation qui n'est pas traitée, celle de l'héritage. Aujourd'hui, la loi permet de déclarer l'indignité successorale en cas de faux témoignage et de dénonciation calomnieuse contre le défunt, mais pas en cas de violences sexuelles ou physiques tant qu'elles n'ont pas été mortelles. Il y a là un problème d'échelle de valeurs que nous pourrions corriger.
Deuxièmement, s'agissant de la levée du secret médical, comme de nombreux juristes, je tique sur l'appel à « l'intime conviction » du médecin. Ce terme de cour d'assises n'est pas très adapté, mais je n'ai pas encore trouvé de meilleure formulation. Je souhaite surtout que cette nouvelle rédaction fasse l'objet d'un consensus avec le conseil national de l'ordre des médecins.
Troisièmement, la proposition de loi contient un article 11 dont je n'ai pas parlé et qui traite de l'accès des mineurs à la pornographie. Nous avons une difficulté face à des opérateurs étrangers, qui mettent des millions de vidéos en ligne sans le moindre contrôle réel et qui échappent à tout contrôle parental, alors que les buralistes sont rappelés à l'ordre s'ils ne placent pas les magazines spécialisés à une hauteur suffisante. Nous sommes là dans une situation où, dans la complaisance générale, internet s'érige en place de non-droit. Toute une génération fait désormais, à l'entrée au collège, son éducation sexuelle à partir des scènes les plus extrêmes et avec une image des femmes totalement déplorable. Là encore, je poursuis ma réflexion et j'auditionnerai la semaine prochaine les parties prenantes. Je note toutefois que des dispositifs techniques de blocage existent. Juridiquement sûrs, ils sont employés sans la moindre critique. Il s'agit par exemple de la législation en matière de cercle de jeux en ligne, dont nous pourrions nous inspirer.
Tels sont, mes chers collègues, l'esprit et le contenu de cette proposition de loi qui, vous l'aurez constaté, est particulièrement riche au regard de sa taille modérée. Elle retrace fidèlement l'ambition de responsabilité et de progrès qui a prévalu tout au long du Grenelle. C'est un moment dont nous pouvons déjà être fiers car il a su réunir pour unir. Et nous serons encore plus fiers, je l'espère, lorsque la commission des Lois aura adopté ce texte.
Du 3 septembre au 25 novembre s'est tenu le Grenelle des violences conjugales, voulu par le Gouvernement et piloté par Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Ce moment important a entraîné une réelle mobilisation dans tous les territoires et toutes les sphères de notre société. Le Grenelle était nécessaire et nous y avons pris toute notre part. La présente proposition de loi, fruit des travaux menés, en reprend les mesures d'ordre législatif.
Les députés du groupe La République en Marche, sous l'impulsion de Mme Bérangère Couillard, ont créé un groupe de travail et traversé la France pour mieux comprendre les ressorts des violences conjugales, voir ce qui ne fonctionne pas et ce que nous devons faire pour que, demain, plus aucune femme ne meure sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint, et que les violences au sein du couple et de la cellule familiale diminuent réellement dans notre pays. Nous sommes allés à Dijon, Roubaix, Wattrelos, Rouen, Tours, Marmande, Paris, Argenteuil, Pointe-à-Pitre, Fort-de-France, Le Mans, Aix-en-Provence, Perpignan, Redon, Thionville, Metz et Lyon. Nous avons rencontré plusieurs centaines de personnes, que nous remercions pour leur accueil et pour le temps qu'elles nous ont accordé. Nous avons rencontré des femmes, victimes de violences, qui nous ont décrit ce qu'elles avaient vécu et ce qu'elles continuent de vivre. Elles nous ont parlé de leurs blessures, de leurs peurs, de leurs agresseurs, de leurs espérances, des difficultés qu'elles avaient dû surmonter, des personnes qui les ont accompagnées et aidées, des combats qu'elles mènent. Elles ont évoqué leurs enfants, qui sont également victimes et qu'il faut protéger.
Nous avons rencontré des policiers, des gendarmes, des magistrats, des avocats, des médecins, des psychologues, des accompagnateurs sociaux, des responsables de l'éducation nationale et d'associations, des élus locaux, des acteurs, tous engagés sur le terrain au quotidien. Ils nous ont parlé de leur travail, des violences conjugales et intrafamiliales, ainsi que des victimes qui sont aujourd'hui plus nombreuses à prendre la parole et à déposer plainte. Ils nous ont parlé des enfants, qui assistent à ces violences, et des agresseurs. Ils nous ont parlé de la réalité de notre société, avec ses faces sombres. Ils ont partagé les dysfonctionnements qu'ils observent et qui les contraignent dans leur action. Ils nous ont présenté les dispositifs innovants qu'ils adoptent pour accompagner les victimes le mieux possible et lutter contre ce fléau.
Nous avons pris le temps de retourner sur le terrain pour faire face à la réalité et construire des solutions. Les violences conjugales, nous le savons, sont parmi les pires agressions, tant elles sont destructrices. Après de telles violences, on peut se reconstruire mais on ne peut jamais oublier. Elles prennent des formes multiples, souvent imbriquées les unes dans les autres. Les solutions à construire doivent prendre en compte cette réalité.
Au sortir de ce Grenelle, nous avons formulé plus d'une centaine de propositions. Parmi elles : l'amélioration de l'accueil des victimes par les forces de l'ordre ; la généralisation des filières d'urgence au sein des tribunaux ; le développement des lieux de prise en charge globale de la victime ; la prise en charge par la sécurité sociale des frais d'accompagnement psychologique des victimes ; le maintien et le retour à l'emploi des victimes ; la création de parcs d'hébergement d'urgence en structures dédiées pour placer et isoler les conjoints violents dès leur éviction du logement ; la coordination des acteurs par des conventions départementales permettant de partager le secret professionnel ; la signature de conventions avec les taxis en milieu rural pour la mobilité des victimes ; le développement de la recherche sur les violences conjugales ; des dispositifs spécifiques pour nos concitoyennes et concitoyens qui vivent à l'étranger.
Nous avons mené ces travaux alors que, dans le même temps, nous adoptions d'importantes mesures législatives, souhaitées depuis longtemps et soutenues par le groupe Les Républicains à travers la proposition de loi de notre collègue Aurélien Pradié. Je tiens à saluer les dispositions adoptées et la qualité des échanges lors de leur discussion.
Aujourd'hui, nous entamons un débat sur de nouvelles mesures qui doivent venir renforcer notre arsenal législatif. Avec cette proposition de loi, nous ouvrons la possibilité de suspendre l'exercice de l'autorité parentale dans le cadre du contrôle judiciaire. Nous soutiendrons les amendements visant à supprimer les deux premiers articles relatifs à la suspension de l'autorité parentale, que nous avons déjà adoptée dans la loi du 28 décembre 2019.
Nous excluons la possibilité d'avoir recours à la médiation en cas de violences conjugales ou intrafamiliales pour tenir compte des situations d'emprise. Nous déchargeons les ascendants et les descendants de la victime de leur obligation alimentaire à l'égard de l'auteur en cas de meurtre, d'assassinat, d'empoisonnement, de crime ou tentative de crime. Nous reconnaissons le suicide forcé, en aggravant les peines encourues pour harcèlement au sein du couple lorsque celui-ci a conduit la victime à se suicider. Nous proposons une nouvelle dérogation au secret médical. Face au cyberharcèlement et au développement de logiciels espions, nous interdisons la géolocalisation d'une personne sans son consentement et nous ajoutons une circonstance aggravante à l'atteinte à la vie privée lorsqu'elle est commise au sein du couple. Nous renforçons la protection des mineurs à l'exposition à la violence et à la pornographie. Enfin, nous développons l'aide juridictionnelle – provisoire, du moins – dès le dépôt de la requête à fin d'ordonnance de protection.
La semaine prochaine, nous poursuivrons les travaux, avec la rapporteure, pour essayer d'aller plus loin.
Il nous faudra veiller à ce que toutes ces mesures, que nous améliorerons, j'en suis certain, soient adoptées le plus rapidement possible et touchent la société dans son ensemble. C'est une des grandes causes du quinquennat. Nous devons la mener à bien.
Je vous remercie de m'accueillir encore une fois au sein de la commission des Lois pour traiter des violences conjugales. Après le Grenelle, et après la mort de 140 femmes tuées par leur conjoint ou leur compagnon en 2019, ce lundi 13 janvier, nous avons appris le cinquième cas de l'année 2020. J'emploie pour le désigner le terme de « conjuguicide » car ces crimes ne sont pas ordinaires : ils se passent dans le cadre d'un couple ou d'un foyer.
Environ 170 000 enfants vivent dans un foyer dans lequel une femme a déclaré subir des violences physiques ou sexuelles. Derrière ces chiffres, il y a la réalité d'une souffrance insupportable et inacceptable. Ces drames ne sont malheureusement pas nouveaux. C'est pourquoi ma famille politique, Les Républicains, a toujours été au rendez-vous de la lutte contre les violences conjugales.
En 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le Premier ministre François Fillon a déclaré les violences faites aux femmes grande cause nationale. Nous sommes à l'origine de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, qui a été adoptée à l'unanimité, à l'initiative de notre ancien collègue Guy Geoffroy.
Il y a quelques mois, le groupe Les Républicains a choisi de consacrer sa journée réservée du 10 octobre 2019 aux violences au sien de la famille avec la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille, déposée par M. Aurélien Pradié et qui a été adoptée à l'unanimité, ainsi qu'avec la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, dont j'étais à l'origine. Déposée dès 2015 et redéposée sous cette législature, elle visait à assurer l'automaticité du retrait de l'autorité parentale pour les cas les plus graves ainsi qu'à préciser la notion de violence, notamment économique et sexuelle. J'insiste sur la salutaire prise de conscience en train de s'opérer sur cette question, qui a notamment fait l'objet des propos introductifs du Premier ministre lors du Grenelle. À cette occasion, j'ai d'ailleurs pu lui rappeler qu'il existait déjà un texte sur le retrait de l'autorité parentale, que j'avais déposé et qu'il serait intéressant d'adopter. Je me réjouis que ces mesures aient été incluses dans la loi du 28 décembre dernier.
Trop longtemps, notre société a tu la réalité des violences intrafamiliales. Leur persistance est une meurtrissure qui ne peut plus être ignorée et qui nous enjoint d'agir. Comme nombre de collègues, j'ai conduit des centaines d'auditions et j'ai rédigé plus de dix textes sur ce sujet. Une de mes propositions de loi, discutée le 10 octobre dernier, incluait notamment le retrait automatique de l'autorité parentale en cas d'homicide. Elle avait été largement cosignée. Je tiens à remercier tous les députés qui, sans appartenir au groupe Les Républicains, l'ont soutenue : qui pourrait prétendre que les réponses à apporter pour combattre ce fléau ont une couleur politique ? Pourtant, la garde des Sceaux ayant répondu qu'une telle modification risquerait de nous exposer à une condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme, j'ai dû faire face à une levée de boucliers de la part de la majorité. Heureusement, la commission mixte paritaire a fait droit à ces enfants qui souffrent de vivre au sein d'un foyer violent, ce dont je remercie les sénateurs. Mme la rapporteure l'a dit : ces mesures sont à présent gravées dans le marbre de la loi, parce que nous avons été nombreux à insister sur le fait que nous ne pouvions attendre.
Outre cet espoir, j'avais également celui que la majorité démontre aux Français que ces causes pouvaient dépasser les postures. Je regrette que tel n'ait pas été le cas lorsque, le 10 octobre, dans le cadre de la journée réservée au groupe Les Républicains, vous avez rejeté le texte sur l'autorité parentale. Ceux qui ont été marqués pendant des années, voire toute leur vie, car ils ont assisté au meurtre de leur mère ou vu leur mère violemment battue par leur père, méritent que l'on ne perde pas de temps. Je voulais parler de ces enfants et de ce « massacre des innocents », pour reprendre le titre du livre de Françoise Laborde.
J'ai toujours travaillé dans un esprit de rassemblement avec la majorité comme avec toutes les oppositions. Je regrette donc ce vote et, surtout, la façon dont la garde des Sceaux a traité le sujet en séance publique, répétant durant des heures que cette mesure n'était pas possible, alors qu'elle a été adoptée quelques jours plus tard. Ce n'est franchement pas une façon de travailler. Pour que cette violation des droits de l'homme, de l'enfant et des femmes prenne fin, nous devons la dénoncer avec de plus en plus de force, et publiquement.
S'agissant du texte que nous examinons ce matin, nous avons déjà évoqué les deux premiers articles relatifs à l'autorité parentale.
Je voudrais insister sur d'autres dispositions susceptibles de soulever d'importants débats, notamment l'article 8 qui lève le secret médical, y compris en l'absence d'accord de la victime, en vertu de l'intime conviction du professionnel de santé. Cette expression n'est peut-être pas appropriée au dialogue singulier qui lie le patient et le médecin, surtout quand la vie d'une femme est menacée. Actuellement, les professionnels de santé soignent, écoutent et rassurent les victimes. Ils peuvent rédiger un certificat et accompagner une démarche de reconstruction, mais ils ne peuvent pas agir d'initiative. En cas de danger immédiat, notamment au sein d'un service hospitalier, la loi permet aux soignants de réagir face aux victimes de violences conjugales…
Le 10 novembre 2019, dans le Bas-Rhin, Sylvia, 40 ans, a été poignardée par son mari après avoir demandé le divorce. Le lendemain, en Loire-Atlantique, Karine, 48 ans, a été tuée de la même manière par celui dont elle était séparée depuis deux ans. Idem, le jour suivant, en Seine-Saint-Denis pour Aminata, 31 ans, tuée devant ses deux enfants.
En 2019, 116 femmes ont été tuées par leur conjoint : 116 décès de trop, 116 constats de notre impuissance. Et je n'ai évoqué ici que les actes de violence à l'issue fatale. Il ne faut pas oublier toutes les victimes qui survivent à ces violences et qui sont bien souvent anéanties. Personne n'a les mots pour décrire les conséquences irréversibles des violences conjugales sur une vie.
Les chiffres sont consternants et les lacunes de la justice bien présentes. Les mains courantes et les procès-verbaux de renseignement judiciaire ne débouchent sur des investigations que dans 18 % des cas. Dans 41 % des cas d'homicides et tentatives d'homicides conjugaux, la victime s'était signalée auparavant. Face à ce constat inique, notre société est restée trop souvent sourde aux alertes ; elle a participé à la banalisation de l'inacceptable.
Nous devons placer l'identification de solutions au coeur de notre action afin de permettre à chacun de se sentir en sécurité au sein de son foyer. À cet égard, l'engagement du Président de la République et du Gouvernement est à la hauteur des enjeux. Les recommandations formulées à l'occasion du Grenelle des violences conjugales sont des pistes destinées à rompre la spirale infernale des violences au sein du couple, à éloigner et à punir les auteurs des violences.
Dans cette lignée, la proposition de loi de nos collègues Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha propose des mesures que nous considérons comme cruciales et qui se traduiront par des progrès significatifs dans la prise en charge et la protection des victimes.
Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés se félicite de plusieurs avancées, notamment de la prise en compte des victimes collatérales que sont les enfants. De plus, nous saluons la possibilité, pour les professionnels de santé, de faire exception au secret médical, afin de procéder au signalement nécessaire lorsqu'ils ont « l'intime conviction » – expression sur laquelle nous reviendrons – que l'un de leurs patients est victime de violences conjugales.
Nous nous réjouissons également des dispositions de l'article 9, qui faciliteront la saisie des armes au domicile. Ce point nous semble fondamental, compte tenu de l'omniprésence des armes dans les violences au sein du couple. En 2018, pour l'ensemble des décès consécutifs à ces violences, une arme a été utilisée dans 61 % des cas lorsque les auteurs sont des hommes et dans 80,6 % des cas lorsque ce sont des femmes.
Le groupe Modem a déposé quelques amendements afin d'aller encore plus loin dans les mesures protectrices. En particulier, nous proposerons d'étendre la levée de l'obligation d'aliments des ascendants et descendants de la victime quel que soit le crime commis. Ces crimes nous semblent avoir des répercussions dévastatrices pour la famille qui, en tant que victime par ricochet, ne saurait être liée juridiquement par l'obligation alimentaire.
Enfin, nous souhaiterions appeler votre attention sur l'article 11 qui vise à encadrer plus strictement l'accès des mineurs aux sites pornographiques. Bien que ce soit effectivement crucial et que nous devions indéniablement faire face à cet enjeu, les modalités pratiques d'une limitation d'accès sont complexes. Ce sujet mériterait une réflexion autonome et approfondie, distincte de celle liée aux violences conjugales afin de renforcer la protection des mineurs.
Je vous remercie pour ce texte, madame la rapporteure.
Nous sommes toutes et tous d'accord pour défendre la cause qui motive cette proposition de loi et je ne reviens pas sur les décomptes tragiques qui ont été faits : les violences conjugales sont un fléau et la pire des choses serait de renoncer à en faire diminuer le nombre. Elles ont causé la mort de plus de 120 femmes l'année dernière ; je dis « plus de 120 », car, sauf erreur de ma part, il n'existe pas de comptabilisation officielle, mais seulement celle des associations spécialisées, dont le travail doit être salué. Ce chiffre est donc indicatif et nous sommes dans l'incapacité de tout recenser.
Toutes les avancées dans la lutte contre les violences conjugales sont bonnes à prendre. Au nom du groupe Socialistes et apparentés, je salue les députés de la majorité qui ont travaillé à l'élaboration de ce texte. Je relève particulièrement l'intention de la rapporteure de considérer enfin les enfants comme des victimes à part entière des violences conjugales. Lorsque l'on est un enfant et que l'on assiste, parfois de manière régulière, à des actes violents, les conséquences en matière de stress post-traumatique ont des incidences la vie durant. Il est judicieux de considérer qu'un père violent ne peut être, pour l'enfant en question, un bon père.
Première remarque : cette proposition de loi vient après celle de notre collègue Aurélien Pradié. Vous avez évoqué, madame la rapporteure, la bonne volonté des membres du groupe La République en Marche qui ont travaillé dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales. Il y avait autant de bonne volonté de la part de M. Aurélien Pradié et de ceux qui ont travaillé avec lui. En termes de lisibilité, la méthode pose question : à l'heure d'un certain encombrement législatif, nous donnons l'impression de traiter du même sujet à deux reprises dans un temps très réduit. Je ne suis pas certain que cela soit compréhensible pour nos concitoyens. Dans le cadre du travail transpartisan que vous appelez de vos voeux, nous aurions pu faire encore mieux à partir de la proposition de loi de M. Aurélien Pradié.
Ma deuxième remarque porte sur la nécessité de renforcer la formation, qui n'est pratiquement pas abordée dans cette proposition de loi.
La troisième remarque concerne notre arsenal législatif. Même s'il est évidemment perfectible, il est particulièrement complet en matière de violences conjugales ; tous les acteurs en conviennent. Le problème réside principalement dans son application, qui n'est pas satisfaisante. En proposant d'inscrire dans la loi de nouvelles possibilités – parfois frappées au coin du bon sens –, comme vous le faites pour le juge, rien ne dit que ce dernier y aura recours. Bien sûr, un juge pénal pourra retirer l'exercice de l'autorité parentale à un parent violent, mais le fera-t-il ? Je connais les réticences, notamment de la Chancellerie, lorsqu'il s'agit de dire à un juge ce qu'il doit faire. La question est donc : devons-nous rester dans le périmètre du pouvoir des juges ou, dans certaines circonstances, aller vers celui du devoir des juges ; je dis bien, dans certaines circonstances. Ce qui nous intéresse avant tout, c'est que les dispositions que nous allons adopter soient suivies d'effet.
La question des moyens est essentielle ; elle est aussi récurrente. Améliorer des dispositifs est une bonne chose, encore faut-il qu'ils soient applicables. Tous les observateurs dénoncent le manque de moyens : on ne peut pas faire comme si ce sujet n'existait pas.
Cette proposition comporte une avancée en ce qu'elle de complète la définition du harcèlement moral dans le code pénal, en y incluant les circonstances tragiques dans lesquelles il peut pousser la victime à se donner la mort. Toutefois, là aussi la question de l'applicabilité se pose ; en effet, l'enquête menée en cas de mort violente prend fin si elle conclut à un suicide. Sans remettre en cause l'intérêt de cette disposition, comment pouvez-vous nous assurer qu'à l'avenir, les enquêtes qui concluront à un suicide ne seront pas immédiatement classées ?
Le groupe Socialistes et apparentés est favorable à ce texte et s'efforcera d'être constructif, d'être une force de proposition, comme il l'est très souvent, afin que toutes les avancées que nous pourrons voter ensemble puissent être effectives et visibles.
L'urgence de la situation impose de nouvelles mesures : tel est le constat établi dans l'exposé des motifs de cette proposition de loi. J'entends cet appel avec beaucoup d'intérêt, mais je regrette que l'urgence de la situation ne se soit pas imposée à nous avant, dès l'examen de la proposition de loi de M. Aurélien Pradié il y a à peine deux mois : nous aurions gagné du temps !
Bien entendu, le groupe UDI, Agir et Indépendants sera toujours au rendez-vous lorsqu'il s'agit de faire avancer la cause des victimes de violences quelles qu'elles soient, hommes ou femmes.
Je salue tout d'abord l'apparition de la notion d'emprise au sein de la loi, réel progrès qui permettra de mieux prendre en compte toutes les formes de violence et, ce faisant, de mieux défendre les victimes. À ce titre, je proposerai un amendement pour supprimer le caractère manifeste que l'emprise doit présenter pour empêcher une médiation conjugale : cette précision permet d'élargir le champ de l'interdiction. En effet, ce phénomène si insidieux qu'est l'emprise doit pouvoir bénéficier d'un champ d'action non restrictif.
Nous soutenons également la création d'une circonstance aggravante lorsque le harcèlement conduit la victime au suicide. Nous en profiterons pour proposer un dispositif supplémentaire afin que les interdictions prononcées dans le cadre du sursis avec mise à l'épreuve soient valables dès que l'auteur des violences est incarcéré, et non seulement à partir de sa libération. En effet, trop de conjoints violents peuvent maintenir leur emprise depuis la prison.
Bien évidemment, lever le secret professionnel pour les médecins en cas de violences conjugales est également une avancée.
Par ailleurs, protéger les mineurs face à l'exposition à des contenus pornographiques est selon moi essentiel. Malheureusement, le dispositif prévu à l'article 11 ne me paraît pas suffisant. Cette question avait déjà été abordée au moment de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, il y a un an et demi ; nous devons examiner de quelle manière aller plus loin. L'exposition à des contenus pornographiques est l'essentiel de la formation sexuelle de nos enfants ; nous ne pouvons nous en satisfaire et nous devons mettre en avant les moyens de l'éviter.
Un autre sujet me semble trop peu pris en compte : la prise en charge des agresseurs. Si la protection des victimes est primordiale, le suivi des agresseurs l'est presque tout autant. Dans le rapport de l'inspection générale de la justice publié en octobre dernier, le constat est terrible : dans 65 % des cas d'homicide et de violences conjugales, la justice ou la police avaient été saisies. Mieux protéger la victime en renforçant l'arsenal juridique, c'est évidemment important, mais ce n'est pas suffisant. Nous devons soutenir des politiques de prévention, de formation et de suivi psychologique des auteurs de ces violences.
Je souscris aux propos de M. Hervé Saulignac quant aux moyens dont disposent la justice, la police, la gendarmerie, le corps médical et, plus généralement, ceux qui ont à gérer le problème des violences conjugales. En effet, si vous avez mené des auditions, le manque de moyens de ces structures vous a certainement été signalé, dénoncé et même crié. Ce point est crucial et nous ne pouvons pas ne pas l'aborder tout au long de ce débat.
Pour conclure, je regrette que la nouvelle interprétation de l'article 45 de la Constitution nous limite dans notre capacité à déposer de nouvelles propositions afin d'enrichir le texte. Mais je souhaite que nos débats soient constructifs et animés par la volonté d'évincer le fléau des violences conjugales de notre société, donc qu'ils demeurent transpartisans.
Le groupe Libertés et territoires estime salutaire que la société entière se saisisse de l'enjeu crucial que représentent les violences faites aux femmes. Tel était déjà l'objectif de la proposition de loi de notre collègue Aurélien Pradié, que nous avons récemment adoptée.
Dans le cadre des questions d'actualité, nous avons interpellé à plusieurs reprises le Gouvernement. Cette proposition de loi apporte quelques améliorations à la loi du 28 décembre 2019. Sans entrer dans le détail, certains aspects nous paraissent positifs, notamment l'élargissement de la loi du 28 décembre aux tentatives d'homicide, à la gravité comparable à la commission du crime.
S'agissant de l'obligation alimentaire, il ne nous semble pas opportun de prévoir un automatisme légal. Mieux vaut laisser au juge le pouvoir de décharger ou non les descendants et ascendants de la victime de leur obligation alimentaire à l'égard de l'auteur.
Par ailleurs, nous jugeons utile de limiter au seul cas de suicide l'aggravation de la peine pour harcèlement moral figurant à l'article 7. Sur ces questions, nous sommes donc sur la même ligne que d'autres collègues.
S'agissant du secret des professionnels de santé, il est nécessaire de tenir compte des réserves du milieu médical. S'il y a un risque d'exposition de la victime, il y a aussi un risque d'éloignement de certains cabinets médicaux. Nous ne sommes pas favorables à cette mesure.
Enfin, il faut soutenir les articles 10 et 11.
Plus globalement, même si cette proposition de loi intervient après le vote de la loi du 28 décembre 2019, nous pensons qu'il faut sortir de tout débat d'ordre politique et partisan : nous devons essayer d'avancer et saisir ce véhicule portant sur un sujet évidemment crucial.
Les féminicides sont apparus dans le débat public avec force l'année dernière ; le mot-même s'est imposé. Je veux d'ailleurs saluer la campagne de l'association Nous toutes ! et la mobilisation de la société, extrêmement puissante et qui a permis de déboucher sur le Grenelle contre les violences conjugales.
Je l'ai déjà dit, parler de Grenelle me paraît bien fort alors qu'il a abouti essentiellement à de la communication. Depuis le début de la législature, nous avons eu une grande loi qui n'a visiblement pas suffi à répondre aux enjeux soulevés, puis un Grenelle, c'est-à-dire juste un grand mot. Et voilà qu'une nouvelle proposition de loi nous est présentée alors que d'autres ont déjà été discutées et ont permis de progresser. Ainsi, je juge la politique du Gouvernement assez erratique. Commencer par une loi-cadre, prenant l'ensemble des sujets à bras-le-corps, nous aurait permis d'avancer et nous n'aurions plus à débattre aujourd'hui que des modalités de son application.
Par ailleurs, la prévention nous paraît sous-investie par l'exécutif – c'est un euphémisme. Or, il est essentiel de briser tous les mécanismes qui mènent à ces violences conjugales, ce qui passe évidemment par l'éducation des petites filles et des petits garçons, qui baignent très tôt dans des stéréotypes qui forgent de futurs comportements sociaux. Cela passe également par la formation des policiers, des gendarmes, des magistrats et du personnel de santé. Il faut aussi embaucher des médecins légistes, qui ne sont pas présents dans tous les départements. Ainsi, une femme victime de viol à Évreux doit aller à Caen pour faire constater les sévices corporels qu'elle a subis.
Enfin, la France insoumise l'a beaucoup dit, il nous semble que le renforcement des moyens des associations spécialisées dans l'accompagnement des femmes victimes de violences conjugales et de violences tout court est absolument décisif. Or la fin des contrats aidés et la baisse des subventions ont eu un impact sur ces associations.
Pour le dire autrement – nous l'avons déjà dit et nous le redisons –, il nous semble que des moyens concrets sont indispensables. Les associations ont répété dans la rue qu'un milliard d'euros était nécessaire. Cela nous semble un minimum et un effort qui n'est pas si grand si on le compare au 1,5 milliard de la réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), somme dont l'Etat se prive pour servir les plus riches. Un milliard d'euros pour lutter contre les violences faites aux femmes, ce ne serait vraiment pas du luxe, sans même parler des moyens nécessaires pour résorber l'engorgement des tribunaux. Nous pouvons durcir la législation avec des textes qui ne coûtent pas un centime, mais à quoi bon si nous n'avons pas les moyens de les appliquer ? Je rappelle que le budget alloué à la promotion de l'égalité hommes-femmes et à la lutte contre les violences faites aux femmes est inchangé depuis le début de la législature ; par rapport à l'inflation, il est en réalité en baisse. Il est toujours possible de recourir à des jeux d'équilibre, mais la vérité est là : il n'y a pas de moyens supplémentaires contre les violences faites aux femmes.
Ce cadre étant posé, la proposition de loi présente pour nous une limite majeure : elle n'est pas une loi-cadre et elle n'est donc pas assortie de moyens. Certains éléments semblent positifs : la fin de la médiation pénale, que les mouvements féministes demandent depuis longtemps, est une très bonne nouvelle. Par ailleurs, certaines peines deviennent plus lourdes pour des faits aggravants, ce qui me paraît tout à fait justifié. Autre mesure juste et très positive : la saisine de toute arme chez un homme violent, qu'il s'agisse d'armes de chasse ou de membres des forces de l'ordre.
En revanche, l'assouplissement du secret professionnel des médecins ne nous convient pas du tout et nous y reviendrons dans la discussion des amendements. Nous estimons qu'il ne faut pas briser ce secret médical, en premier lieu parce qu'il s'agit d'un lien de confiance entre le praticien et la patiente. Cette confiance sera mise à mal si ce lien est rompu en donnant la possibilité au médecin de saisir la police et de raconter des faits rapportés sous le sceau du secret professionnel. Cela peut en outre être très dangereux : en cas de saisine, si la police intervient pour violences conjugales, la femme saura que c'est le médecin qui a donné l'alerte, ce qui compliquera beaucoup la situation.
Enfin, les femmes doivent être sujets, c'est-à-dire qu'elles doivent avoir une parole maîtrisée pour elles-mêmes. Or, je pense que nous sortons de ce cadre. Il ne faut pas infantiliser les femmes, mais au contraire leur donner les moyens de se défendre et d'être actrices de leur propre combat contre ces violences qui leur sont faites.
S'agissant d'un tel enjeu, compte tenu du retard que notre pays a pris et de l'accumulation des drames qui se répètent, toute évolution de la législation permettant de renforcer la lutte contre les violences conjugales ou intrafamiliales recevra l'assentiment du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Néanmoins, je rejoins Mme Clémentine Autain : une loi-cadre en début de mandat aurait peut-être permis de traiter l'ensemble des sujets.
C'est d'autant plus vrai que, depuis le début de la législature, on avait l'impression que la question de l'égalité hommes-femme et des violences conjugales était l'apanage, au sein de l'exécutif, d'un ministère de la parole extrêmement bavard mais qui devenait muet dès que l'on examinait la loi de finances et les moyens dévolus à sa politique. Il a fallu l'initiative du groupe Les Républicains, à travers la proposition de loi de notre collègue Aurélien Pradié, pour qu'on cesse enfin d'être dans le registre de la parole pour aller vers une traduction législative de ce que devait être une lutte efficace contre les féminicides et les violences conjugales.
Cette proposition de loi est bienvenue parce qu'elle renforcera utilement ce combat dans un certain nombre d'aspects, notamment pour tout ce qui relève des violences conjugales, de la protection des enfants et des dispositifs de présentation et de protection. À ce sujet, je rappelle qu'au moment de l'examen de la proposition de loi de M. Aurélien Pradié, j'avais fait voter, contre l'avis du Gouvernement et d'une partie de la majorité. un amendement portant sur la médiation, notamment sur la fin du principe du contradictoire, Je constate que ce dispositif est conforté dans la présente proposition et qu'il est même envisagé de le renforcer. Je m'en réjouis et j'en félicite la rapporteure, qui n'y est sans doute pas pour rien. On le voit, faire voter un amendement contre l'avis du Gouvernement permet de faire cheminer des idées et donne raison à l'Assemblée nationale, ce qui est une bonne chose.
Vous le savez, la Seine-Saint-Denis est un département pionnier dans le domaine de la lutte pour l'égalité et contre les violences. Les associations y sont nombreuses et certains services de l'État, au parquet, dans les services de police et au sein de l'hôpital public, sont très impliqués. Je travaille en étroite relation avec ces associations et ces services et je les consulte ; certains de leurs représentants ont été auditionnés et, je dois le dire d'emblée, ils ont fait état d'un avis plutôt favorable à la proposition de loi, ce dont je me félicite.
J'ai deux observations dont nous aurons l'occasion de débattre en examinant les articles. La première a été évoquée par Mme Clémentine Autain : elle concerne le secret médical, qui est un sujet de débat. Les associations que j'ai interrogées – je ne parle pas ici des professionnels de santé – sont toutes hostiles à la levée du secret médical, partant du principe qu'elle serait de nature à rompre une relation de confiance. Lorsque l'on connaît les contextes de violence et de pression, une telle mesure peut aboutir à ce que le médecin, auquel on peut parler librement et exposer ses maux physiques et psychologiques, cesse d'être cet interlocuteur puisqu'il ne garantit plus le secret. C'est une véritable question. La levée de la confidentialité pourrait provoquer des déficits d'information et de recours pour les victimes. Toutes les associations, quelle que soit leur place dans le dispositif, y sont hostiles, à tout le moins en Seine-Saint-Denis. Je tiens certains de leurs documents, que j'ai sous les yeux, à votre disposition.
Enfin, on ne peut pas donner un avis sur une proposition de loi de ce type – c'était le cas également concernant la proposition de M. Aurélien Pradié – sans parler de la question des moyens. Dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, des annonces ont été faites ; dans une période récente, tous les retours du terrain disent qu'il s'agit d'une immense supercherie, notamment en ce qui concerne les questions d'hébergement. Aucune association ou structure publique ne peut vous dire qu'elle est capable, avec les montants alloués et les cahiers des charges exigés, de réaliser une unité d'hébergement prévue dans le cadre de ce Grenelle. C'est une équation impossible et les hébergements ne se font donc pas, c'est bien dommage.
Un mot de la méthode tout d'abord : il est vrai qu'après un Grenelle des violences conjugales qui a suscité beaucoup d'intérêt et rassemblé de nombreux acteurs, la méthode choisie pour légiférer, par petits bouts et sans traiter des moyens, pose question quant au traitement dans le temps de ce problème majeur de notre société. En effet, lors de la discussion du projet de loi de finances, les débats ont montré que des mesures sont prévues, mais que leur financement ne l'est pas, ou ne l'est plus.
Pour en venir au fond, la prévention demeure absente de ce texte. De nombreux collègues l'ont souligné. Si l'on veut durablement enrayer ce fléau, il faudra des mesures fortes pour que les agresseurs soient pris en charge et que la prévention devienne une priorité nationale.
Enfin, l'article 8 soulève beaucoup de questions. Je ne crois pas que l'on puisse faire reposer sur les médecins la décision de lever le secret médical ; je ne crois pas non plus que ce soit rendre service aux victimes que d'instiller chez elles une suspicion vis-à-vis de leur médecin, qui pourrait de son propre chef enclencher une procédure qu'elles ne se sentent pas en mesure d'assumer au moment où elles vont le consulter. Si l'effet produit consiste à dissuader les victimes de consulter leur médecin, ce sera complètement contreproductif.
Mon collègue Jean-Félix Acquaviva a exposé la position de notre groupe sur ce texte. Pour ma part, je souhaite insister sur les propositions relatives aux 1 000 places d'hébergement et aux 250 places d'hébergement d'urgence. En effet, là se situe une partie du noeud du problème. Lorsque les femmes commencent à s'émanciper de l'emprise de leur conjoint, au moment où elles passent à l'acte, elles ont besoin d'être soutenues. Elles sont obligées de quitter le domicile familial puisque leur harceleur y habite : il faut donc pouvoir les héberger rapidement. Or, d'après les expériences dont j'ai eu connaissance, il n'est pas évident d'obtenir un hébergement d'urgence. Par la suite, il est encore nécessaire pour ces femmes d'être soutenues car lorsqu'un harceleur constate que la femme pourrait s'émanciper, il renforce son emprise, même si elle a quitté le domicile familial. Les victimes ont besoin des travailleurs sociaux, mais aussi de juristes.
Il est également important de bien expliquer ce type de comportement aux forces de l'ordre. En effet, certaines femmes m'ont dit qu'elles avaient été carrément rejetées alors qu'elles voulaient porter plainte. Dans ce cas, elles retournent dans leur milieu familial et se retrouvent face à la personne qui les harcèle et, quelques fois, qui les torture. Il s'agit d'un pouvoir réglementaire, mais dans le rôle de contrôle qui est le nôtre en tant que parlementaire, nous devrons porter une grande attention à ces aspects pratiques, particulièrement importants, voire déterminants pour la vie de ces femmes.
Notre collègue Nicole Le Peih, qui a rédigé le rapport d'information sur ce texte de la délégation aux Droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, conclura notre discussion générale.
La Délégation a évidemment souhaité se saisir de cette proposition de loi qui concerne directement les droits des femmes. En effet, ce sont elles qui, le plus souvent, sont victimes des violences au sein d'un couple. Je suis très fière d'avoir été chargée de rédiger un rapport sur ce texte et je tiens à remercier Mme Bérangère Couillard, rapporteure, et M. Guillaume Gouffier-Cha pour leur travail. Cette proposition de loi découle directement du Grenelle contre les violences conjugales, qui a donné une impulsion décisive, et je crois que nous avons enfin adopté la bonne démarche pour en finir avec les violences conjugales. Je ne reviendrai pas sur les chiffres, mais nous savons toutes et tous qu'elles sont une réalité omniprésente et insupportable. Je suis convaincue que cette proposition nous permettra de mieux lutter contre cette forme de violence et de mieux protéger les personnes qui en sont victimes.
J'ai privilégié trois axes de réflexion.
Il convient tout d'abord, et c'est pour moi une priorité, d'améliorer la détection des situations de violences conjugales. Bien souvent, il est difficile pour les victimes de dénoncer les violences qu'elles subissent, et encore plus de s'engager dans une démarche de sortie des violences. Nous devons tout faire pour les y aider.
Il importe, ensuite, de mieux prendre en compte les conséquences des violences conjugales, qui sont très lourdes, non seulement pour les victimes directes, mais aussi pour les enfants. Nous devons, dans ce domaine, opérer un changement de paradigme, en nous rappelant les mots du Premier ministre au lancement du Grenelle : un conjoint violent n'est pas un bon père. Notre droit doit en tirer les conséquences.
Enfin, pour lutter efficacement contre les violences conjugales, il est nécessaire de tenir compte de leur caractère multiforme. Elles s'inscrivent dans un continuum de violences et nous n'arriverons à les déconstruire qu'en agissant résolument contre chacune d'entre elles et en transmettant à nos enfants, dès le plus jeune âge, une culture de l'égalité entre les hommes et les femmes.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui aborde des sujets variés, mais qui visent tous le même objectif : mettre fin aux violences conjugales.
J'aimerais m'arrêter sur deux dispositions du texte en commençant par celle relative au secret médical et à la possibilité, pour les professionnels de santé, de révéler des faits de violences conjugales sans l'accord de la victime majeure. S'il est évidemment pertinent de faciliter et de clarifier cette procédure de signalement en cas de danger immédiat, il me semble néanmoins impératif de prendre certaines précautions. Il ne faut pas prendre le risque de mettre la victime encore plus en danger. Il ne faut pas non plus que cette décision l'isole encore davantage. Il ne faut pas, enfin, que cette démarche l'infantilise et la prive de la possibilité d'être actrice de son destin. Il me semble impératif de ne pas inciter avec trop de légèreté au déclenchement d'un signalement : il faut que cela se fasse de manière raisonnée. Cela suppose de former les professionnels de santé et de toujours favoriser un accompagnement respectueux de la volonté de la victime.
Je souhaite à présent dire un mot de l'article 10 et de la question des cyberviolences. Celles-ci se multiplient, du fait de la diffusion d'outils technologiques accessibles à tous. Notre droit doit s'adapter à ces évolutions, s'il veut prendre en compte les différentes formes de violences conjugales et garantir une vraie protection des victimes. Les réseaux sociaux facilitent l'humiliation en ligne ; la géolocalisation permet de contrôler les moindres faits et gestes de quelqu'un ; les logiciels espions se développent et rendent possible une surveillance continue. Nous ne devons pas sous-estimer ces formes de violences qui se multiplient et qui permettent aux agresseurs de maintenir sur leur victime une emprise forte. Ce texte va dans le bon sens mais je suis convaincue que nous devons aller encore plus loin et systématiser la détection des cyberviolences au cours des enquêtes et des procédures judiciaires.
Cette proposition de loi est une nouvelle occasion de progresser rapidement dans la lutte contre les violences conjugales.
La Commission en vient à l'examen des articles.
Article 1er (art. 378, 379-1 et 380 du code civil ; art. 221-5-5, 222-31-2, 222-48-2227-10, 227-27-3 et 421-2-4-1 du code pénal) : Retrait de l'exercice de l'autorité parentale
La Commission examine l'amendement CL129 de la rapporteure.
L'article 1er de la proposition de loi a pour objet de permettre aux juridictions civiles et pénales de retirer au conjoint violent l'exercice de l'autorité parentale. Pour l'auteur des violences, en effet, l'enfant est souvent un moyen de continuer à exercer son emprise sur sa victime ou sur ses proches, même une fois qu'il a été condamné. Le Premier ministre l'a dit au moment du Grenelle : un mari violent n'est pas un bon père. Celui qui est violent avec sa compagne l'est souvent aussi avec ses enfants : même quand il ne les soumet pas à ses coups, il leur en impose le spectacle.
Cet article avait été conçu avant la promulgation de la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, qui l'a, pour l'essentiel, reprise dans son article 8. Le présent amendement propose d'en tirer les conséquences et de supprimer l'article 1er de la proposition de loi.
Je voudrais tout d'abord saluer nos collègues pour le travail réalisé avec ce texte. Notre état d'esprit n'a pas changé et nous voulons, plus que jamais, faire avancer les choses. Mais cela suppose de faire preuve d'une grande humilité. Or, beaucoup se félicitent, depuis le début de notre discussion, de l'importance de ce texte. Comprenons bien que ni ce texte, ni aucun autre, ne réglera à lui seul la question des violences conjugales dans notre pays ! Ne soyons pas trop présomptueux : beaucoup d'autres mesures seront nécessaires pour mettre fin à ce drame, et il faudra surtout des moyens importants, ce qui n'est pas tout à fait le cas aujourd'hui.
Vous l'avez rappelé, madame la rapporteure, la proposition de loi que j'ai déposée l'année dernière et qui est désormais entrée en vigueur prévoit la suspension automatique de l'exercice de l'autorité parentale en cas de crime ou de procédure engagée pour ce chef d'accusation. L'automaticité de la disposition et le fait de pouvoir l'engager dès le début des enquêtes, et pas seulement au stade de la condamnation, constituent une double révolution.
J'aimerais toutefois appeler votre attention sur un point et vous inviter à y travailler collectivement d'ici la séance : il me semble important d'introduire la rétroactivité de cette mesure en matière civile, ce que votre texte ne prévoit pas. J'ai en tête un cas bien précis : celui de Laura, dont vous avez certainement entendu parler. À la fin de l'année dernière, avant la promulgation de la loi, son compagnon a été reconnu coupable de tentative d'assassinat sur sa personne et condamné à une lourde peine de réclusion. Malgré cela, la justice de la République a maintenu l'exercice de l'autorité parentale. C'est une honte absolue : c'est inacceptable et incompréhensible.
La mesure que nous avons adoptée pourrait s'appliquer à cette situation, comme à beaucoup d'autres, mais cela implique qu'on en reconnaisse la rétroactivité. Compte tenu du débat unanime que nous avons eu à ce sujet, je pense que nous pouvons régler ce détail dès la séance. Et que l'on ne vienne pas nous opposer des arguties juridiques ! Nous devons aller au bout de notre logique.
Je me réjouis que cette question de l'autorité parentale fasse aujourd'hui l'unanimité même si je déplore que nombre d'entre vous aient adopté une position contraire il y a quelques semaines. La commission mixte paritaire a finalement permis de faire avancer les choses sur cette question dans la loi du 28 décembre 2019, mais il me semble que le dispositif peut encore être amélioré. La question de l'autorité parentale se pose dans des affaires en cours : je pense notamment à celle de l'assassinat de Julie Douib, survenu en Corse l'année dernière.
Il n'est plus possible qu'en cas de violences avérées, on continue d'accepter que l'enfant puisse revoir le conjoint violent sans protection particulière. Je défendrai tout à l'heure un amendement afin que l'enfant soit considéré comme une covictime, comme le suggère le juge Édouard Durand. Je déplore que nous abordions ces sujets d'une manière aussi confuse et brouillonne. Si nous étions parvenus à rédiger un texte prenant en compte la parole de chacun, proposant un dispositif plus large et approprié, nous aurions davantage marqué l'opinion.
Notre collègue Aurélien Pradié a raison : il faut garder le sens de la mesure. Aujourd'hui, nous travaillons, comme nous le faisons depuis un certain temps, à compléter notre arsenal juridique. C'est une bonne chose. Mais n'oublions pas qu'il importe de mobiliser l'ensemble de la société dans les mois et les années à venir pour que ces mesures soient appliquées et que les personnels de justice, de police, de santé et de l'éducation nationale soient formés rapidement. Nous devons continuer à secouer la société si nous voulons éradiquer ce fléau.
Nous voterons la suppression de l'article 1er, dans la mesure où les dispositions qu'il contient ont déjà été introduites dans la loi. On peut regretter la manière dont cela s'est passé, mais la réalité, c'est que nous avons cheminé et que nous avons fini par adopter ces mesures au mois de décembre. Ce sont de belles avancées. Madame Boyer, vous avez beaucoup travaillé sur la question de l'autorité parentale, comme nos collègues sénateurs et sénatrices : vous avez contribué à faire avancer les choses dès la commission mixte paritaire, même si nous avions peu évoqué cette question lors des débats à l'Assemblée nationale... Cette possibilité de suspendre l'autorité parentale a d'autant plus marqué l'opinion publique qu'elle avait été annoncée par le Premier ministre dès le 3 septembre 2019, jour de lancement du Grenelle.
Vous parlez d'un cheminement, mais je rappellerai tout de même, sans vouloir faire de polémique, que certains collègues de la majorité se sont pincé le nez quand M. Aurélien Pradié a déposé sa proposition de loi. Et il a fallu attendre de très longues années pour que l'intérêt du bracelet électronique soit reconnu. Depuis 2010, je dépose régulièrement des amendements en ce sens : je l'ai fait, par exemple, au moment des débats sur la réforme de la justice et de l'examen de la loi de programmation du 23 mars 2019. Nous avions alors trouvé quelques points d'accord avec le ministère, mais ce n'était manifestement pas d'actualité… Je me réjouis en tout cas de ce cheminement, qui est dans l'intérêt de tous, sur un sujet très grave.
La Commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 1er est supprimé.
Après l'article 1er
La Commission examine l'amendement CL117 de Mme Florence Provendier.
Le présent amendement vise, conformément à l'article 388-1 du code civil, à rendre obligatoire la prise en compte de la parole de l'enfant lors d'une procédure visant à retirer l'autorité parentale. En effet, dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut être entendu par le juge, qui l'informe de son droit de refuser cette audition et d'être assisté par un avocat. La procédure de retrait total ou partiel de l'autorité parentale concerne directement l'enfant : c'est pourquoi il doit pouvoir exercer son droit d'être entendu.
Vous exprimez une préoccupation essentielle. L'enfant étant le premier concerné par les décisions relatives à l'autorité parentale, si une opinion doit compter, c'est bien la sienne. Ce n'est évidemment pas un absolu, mais c'est un élément sans lequel le juge ne peut pas, et ne doit pas, prendre sa décision.
Je vous invite toutefois à retirer cet amendement, car il est déjà satisfait par l'article 388-1 du code civil, qui dispose que « dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ».
Je suis assez perplexe car, dans les faits, cet article du code civil est très peu appliqué. Cet amendement me semble donc avoir toute sa place ici.
Je partage la préoccupation de Mme Provendier. Je proposerai quant à moi, après l'article 11, un amendement visant à reconnaître le statut de victime, ou de covictime, de l'enfant. Une telle disposition compléterait les mesures relatives à l'autorité parentale qui ont été adoptées en commission mixte paritaire sur la loi du 28 décembre 2019.
À condition que le juge estime que le mineur fait preuve de discernement, cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. Et cette possibilité est toujours portée à sa connaissance. Votre amendement me semble donc, je le répète, satisfait par l'article 388-1 du code civil.
L'amendement est retiré.
La Commission examine l'amendement CL119 de Mme Florence Provendier.
Cet amendement vise également à mieux prendre en considération la parole de l'enfant. Il prévoit qu'avant de se prononcer sur le retrait de l'autorité parentale, la juridiction doit recueillir la parole de l'enfant si celui-ci est capable de discernement, conformément à l'article 388-1 du code civil.
Vous soulevez une question importante, mais je ne suis pas sûre que vous ayez argumenté sur l'amendement en discussion. Celui-ci prévoit une action des services sociaux au moment du retrait de l'autorité parentale, mais il vise l'article 378-1 du code civil qui concerne le retrait de l'autorité parentale non pas pour des violences commises sur l'enfant ou sur l'autre parent, mais en raison de la mauvaise éducation de l'enfant, du mauvais exemple qui lui est donné ou du délaissement dont il fait l'objet.
Les cas correspondants sont souvent liés à des problèmes sociaux et concernent des foyers dysfonctionnels. À ce titre, non seulement les services sociaux compétents interviennent pour accompagner l'enfant à la suite du retrait de l'autorité parentale, mais ils sont même généralement présents bien avant – à l'origine de la demande de retrait de l'autorité parentale ou sollicités comme experts par un membre de la famille.
La ministre vous apportera sans doute des éléments complémentaires en séance publique. Pour ma part, je vous invite à retirer votre amendement.
L'amendement est retiré.
Article 2 (art. 377 et 378-2 du code civil) : Suspension de l'exercice de l'autorité parentale de plein droit en cas de poursuite ou de condamnation pour crime sur l'autre parent
La Commission examine l'amendement CL130 de la rapporteure.
Je vous propose de supprimer l'article 2 qui, comme l'article 1er, a été intégré à la loi du 28 décembre 2019. La suspension de l'autorité parentale de la personne poursuivie ou condamnée pour crime sur la personne de l'autre parent est effective depuis cette date.
Je rappelle que cette suspension est précaire, pour six mois au maximum, et que son objet consiste à donner au juge aux affaires familiales le temps de prendre une décision pérenne.
Madame la rapporteure, si votre amendement est voté, les propositions qui suivent, notamment mon amendement CL114, tomberont sans avoir été examinées : c'est pourquoi je souhaite prendre la parole. Je tiens à féliciter tous ceux qui ont travaillé sur ce texte et tous ceux qui s'intéressent à ce sujet auquel je suis particulièrement sensible du fait de mon parcours.
Madadame la rapporteure, je m'étonne que vous abandonniez votre rédaction, qui me paraissait plus judicieuse que celle choisie dans la loi du 28 décembre 2019. La portée du texte que vous aviez préparé était plus large dans la mesure où il ne se référait pas au résultat du crime – il englobait par exemple les empoisonnements même lorsqu'ils n'entraînent pas la mort. Surtout, votre rédaction visait la « tentative », ce qui n'est pas le cas de la loi du 28 décembre 2019. Or, la jurisprudence risque d'avoir une interprétation restrictive, s'agissant de l'incrimination de la tentative, dans la mesure où il s'agit d'une atteinte à l'autorité parentale. Nous ne devrions pas nous priver de cette possibilité de suspendre de plein droit l'autorité parentale en cas de tentative de ces infractions très lourdes.
Mon amendement CL114 était une façon de rendre hommage à votre rédaction puisque je me proposais de la reprendre et d'aller au-delà de ce qui a été adopté en commission mixte paritaire.
La Commission adopte l'amendement CL130.
En conséquence, l'article 2 est supprimé et les amendements CL114 de Mme Laurence Vichnievsky, CL14 de Mme Emmanuelle Ménard, CL97 de M. Sébastien Cazenove, CL45 de Mme Alexandra Louis, CL7 de Mme Emmanuelle Ménard, CL26 de Mme Marie-France Lorho, CL46 et CL47 de Mme Alexandra Louis tombent.
Après l'article 2
La Commission examine l'amendement CL122 de M. Alexandre Freschi.
Cet amendement est le fruit d'une réflexion menée dans le cadre d'une table ronde organisée par les associations et les services de l'État en Lot-et-Garonne au moment du Grenelle contre les violences conjugales. Il propose que le juge aux affaires familiales, saisi en référé par le tiers accueillant le parent exposé aux violences et ses enfants, puisse suspendre totalement l'exercice de l'autorité parentale du parent violent. Cette suspension aurait un caractère préventif et pourrait être décidée avant toute décision de justice.
De nombreuses femmes ayant trouvé refuge dans une structure d'accueil continuent d'être les victimes de leur partenaire violent parce que celui-ci use de son autorité parentale pour rentrer en contact avec elles, en demandant à voir ses enfants. Lorsqu'elles sont sous emprise, ou sous le choc, elles ne sont pas en mesure de porter plainte ou de déclencher des poursuites.
Avec cet amendement, on pourrait interdire au conjoint violent l'accès au lieu où se trouvent les enfants et la femme victime de violence, avant le déclenchement des poursuites et dans les cas où la femme, parce qu'elle est sous emprise, n'est pas en mesure de déclencher ces poursuites.
Vous souhaitez que, dans les cas de violences probables, le juge aux affaires familiales puisse être très rapidement saisi de façon à prendre des mesures relatives à l'autorité parentale. Vous mentionnez la forme des référés.
Votre amendement me semble pleinement satisfait par l'évolution, actée le mois dernier, de la procédure d'ordonnance de protection. Le juge aux affaires familiales devra désormais la délivrer en six jours, à compter de la fixation de la date de l'audience – une durée qui correspond à la norme en matière de référé.
De plus, le juge aux affaires familiales doit désormais soulever la question de l'autorité parentale, même si la victime n'a rien demandé à ce propos. J'ai auditionné Mme Ernestine Ronai, responsable de l'observatoire des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis, qui m'a indiqué avoir déjà pu assister, depuis le début de l'année, à une audience dans laquelle l'autorité parentale exclusive avait été demandée oralement et obtenue par la victime.
J'ajoute qu'une tierce partie peut déjà demander l'ordonnance de protection – il s'agit du ministère public – même si cette pratique n'est pas encore très répandue. Nous avons des précédents en la matière. Je vous invite à retirer votre amendement.
J'ai pris, auprès des familles et des associations, l'engagement de défendre cet amendement jusqu'au bout : je le maintiens.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL125 de M. Alexandre Freschi.
Suivant l'avis de la rapporteure, la Commission rejette l'amendement.
La Commission examine l'amendement CL118 de Mme Florence Provendier.
Cet amendement concerne, une fois encore, le recueil de la parole de l'enfant.
Le droit de participation de l'enfant aux décisions qui le concernent est un droit fondamental, reconnu par la Convention internationale des droits de l'enfant. De la même façon, la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l'égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d'Istanbul, engage la France, au titre de l'article 26, à prendre « les mesures législatives ou autres nécessaires pour que, dans l'offre des services de protection et de soutien aux victimes, les droits et les besoins des enfants témoins de toutes les formes de violence soient dûment pris en compte ». La prise en compte des besoins de l'enfant par la juridiction implique que celle-ci lui donne la parole.
Vous allez sans doute me dire que mon amendement est satisfait. Engagée de nombreuses années au sein de La voix de l'enfant, je peux vous dire que, trop souvent, la parole de l'enfant n'est pas entendue.
En effet, je vais faire la même réponse que tout à l'heure : c'est au juge de déterminer si l'enfant est assez mature et s'il fait preuve de suffisamment de discernement pour prendre la parole. Il se peut que cette décision ne soit pas prise assez souvent. En tous les cas, le texte le prévoit : à nous de sensibiliser les juges au fait que la parole de l'enfant doit être davantage entendue. Je vous invite à retirer votre amendement.
Je crois que la solution qui consisterait à faire de l'enfant une victime en cas de violences conjugales serait de nature à satisfaire nos collègues du groupe La République en marche. Ce serait une façon de tirer quelque chose du Grenelle – et de satisfaire la ministre Mme Marlène Schiappa, qui semble souhaiter qu'une décision découlant du Grenelle puisse lui être imputée.
La situation des enfants est une question grave. Ne ratons pas l'occasion qui nous est donnée de prendre une décision consensuelle, en étant à l'écoute les uns des autres, et reconnaissons à l'enfant le statut de victime, ou de covictime, en cas de violences conjugales.
Je vous proposerai, dans ce débat, de créer une infraction autonome consistant, pour le parent violent, à exposer ses enfants aux violences qu'il commet sur l'autre parent. La peine encourue serait identique à celle prévue, en matière de mise en péril de mineurs, lorsqu'un parent se soustrait à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur.
Gardons à l'esprit que protéger les enfants est aussi un moyen efficace de protéger la mère, en évitant de la mettre en contact avec son conjoint violent. C'est une manière de la soustraire à son emprise et de mettre fin au chantage que ce dernier peut exercer par l'intermédiaire des enfants. Le juge Édouard Durand a montré qu'un parent violent est un danger pour l'enfant, y compris lorsque l'enfant n'assiste pas directement aux violences. Nous avons tous entendu les représentants du Centre Hubertine Auclert dans le cadre du Grenelle – et même bien avant en ce qui me concerne. Or, ils disent tous qu'il faut créer un statut de victime pour l'enfant qui vit dans un foyer où se produisent des violences. Ce serait un moyen de le sortir de situations de violence absolument inextricables.
Le groupe Socialistes et apparentés soutient l'amendement CL118. Nous avons compris les arguments de la rapporteure : il appartient bien évidemment au juge d'apprécier la situation et il ne saurait y avoir automaticité.
La décision d'accorder la délégation de l'autorité parentale ne doit pas obligatoirement reposer sur la parole de l'enfant : le rôle du législateur ne consiste pas à dicter au juge sa parole, mais à faire en sorte que tous les acteurs soient associés. Après un traumatisme, à un moment, donc, où la nécessité de prendre l'enfant en considération paraît la plus évidente, le juge doit recueillir sa parole selon sa capacité de discernement, puis apprécier la situation. Une telle prise en compte n'est pas une option, mais une obligation.
Pour notre société, nous souhaitons que cette évolution soit inscrite dans le texte.
Nous partageons cet objectif. L'âge de l'enfant n'est toutefois pas précisé dans l'amendement. Or, je ne suis pas certaine qu'un enfant de deux ans, trois ans, six ans soit en mesure de parler de sa situation avec le discernement nécessaire, notamment parce qu'il ne connaît pas l'histoire de ses parents. Ce ne serait donc pas forcément dans son intérêt.
L'amendement pose comme condition la capacité de discernement de l'enfant, ce qui ne change rien à la pratique actuelle puisque cette limite figure déjà dans les textes en vigueur.
Rendre automatique le recueil de la parole de l'enfant sans prévoir de cadre clair ne me paraît pas souhaitable, en particulier lorsqu'il s'agit de retirer l'autorité parentale. L'enfant est alors tiraillé entre ses parents. À nouveau, c'est au juge d'en décider. Je suis néanmoins d'accord avec vous sur la nécessité de sensibiliser les magistrats car des enfants qui devraient être entendus ne le sont pas. Je salue à ce titre le travail des associations.
Je vais suivre votre avis et retirer mon amendement, mais je souhaiterais que ce sujet soit débattu en séance publique. Pas moins de 170 000 enfants sont en effet concernés, et les structures ne sont pas toutes adaptées pour les accueillir et recueillir leur parole.
Nos échanges ont montré l'importance de l'enjeu.
L'amendement est retiré.
Article 3 (art. 138 du code de procédure pénale) : Suspension du droit de visite et d'hébergement dans le cadre du contrôle judiciaire
La Commission examine l'amendement CL75 de M. Hervé Saulignac.
Cet amendement permet au juge d'interdire à la personne mise en examen pour violences conjugales de se rendre dans les lieux où se trouve de façon habituelle la victime, notamment l'école des enfants.
L'amendement, qui a été suggéré lors de nos auditions d'associations de défense des droits des femmes, apparaît judicieux. Toutefois, si l'interdiction prévue au 17° de l'article 138 du code de procédure pénale ne porte que sur le domicile de la victime, et pas sur son lieu de travail ou sur l'école des enfants, c'est parce que le 3° du même article permet déjà au magistrat d'interdire à l'auteur des faits de se rendre en certains lieux déterminés dans la décision.
Ces deux dispositions ne figurent pas au même alinéa parce que nos prédécesseurs ont considéré qu'il y avait une différence entre interdire à quelqu'un d'aller quelque part et lui interdire de revenir à son propre domicile. Il s'agit donc d'une séparation formelle.
Je vous confirme néanmoins que le juge peut ordonner l'une comme l'autre de ces interdictions.
L'amendement est retiré.
La Commission adopte l'amendement rédactionnel CL127 de la rapporteure.
Elle examine ensuite l'amendement CL121 de Mme Florence Provendier.
Dans le même esprit que précédemment, je propose de compléter l'alinéa 2 de l'article 3 par la phrase : « Il doit alors recueillir la parole de l'enfant, si celui-ci est capable de discernement conformément à l'article 388-1 du code civil. »
L'avis est le même que sur vos amendements précédents concernant l'article 388-1 du code civil : je vous demande le retrait.
Je vous ferai donc la même réponse : l'enjeu est réel et je souhaite que nous travaillions ce sujet afin qu'il prenne toute sa place dans ce texte.
L'amendement est retiré.
La Commission adopte l'article 3 modifié.
Après l'article 3
La Commission examine l'amendement CL33 de M. Dimitri Houbron.
Certaines victimes de violences conjugales sont contraintes de quitter le domicile avec les enfants dans l'urgence, sans avertir l'auteur des faits ni les autorités judiciaires. Cette décision est prise au motif que la victime est exposée, ainsi que ses enfants, à un danger imminent généré par l'auteur des faits et qu'elle ne peut s'en protéger en attendant une décision des autorités compétentes. Cependant, un tel acte peut, en dépit de sa motivation, être qualifié d'enlèvement d'enfant.
Le présent amendement vise à exclure ce délit en cas de violences conjugales. Si la victime est menacée par une personne placée sous contrôle judiciaire, qui a dès lors obligation de résider hors du domicile et qui viole cette obligation, la victime ne peut faire valoir ses droits dans un délai raisonnable sans mettre en péril sa sécurité ou celle de ses enfants. Le dernier recours est donc la fuite.
Votre amendement me semble déjà satisfait par ce que le droit appelle l'état de nécessité : s'il existe un risque d'atteinte grave et imminente à votre sécurité ou à celle de vos enfants, vous êtes en droit de prendre toutes les mesures de précaution pour prévenir cette atteinte.
Bien sûr, ce fait justificatif n'est pas un blanc-seing. Il faut pouvoir prouver que le danger est effectif. Mais le dispositif proposé par votre amendement requiert également de justifier la réalité du risque d'atteinte grave et imminente à la sécurité des personnes. Votre proposition ne modifie donc en rien l'état actuel du droit.
Je vous demande, par conséquent, de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, l'avis sera défavorable.
Les conditions de reconnaissance de l'état de nécessité sont trop nombreuses à mes yeux. En pratique, il arrive très souvent que les femmes soient condamnées, ce qui montre que ce fait justificatif est peu utilisé par les magistrats. Je maintiens mon amendement.
La Commission rejette l'amendement.
Chapitre II DISPOSITIONS RELATIVES À LA MÉDIATION EN CAS DE VIOLENCES CONJUGALES
Section 1 Dispositions relatives à la médiation familiale
Article 4 (art. 255 et 373-2-10 du code civil) : Interdiction de la médiation civile en cas de violences ou d'emprise
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL93 de M. Erwan Balanant, les amendements identiques CL131 de Mme la rapporteure et CL107 de M. Guillaume Gouffier-Cha, ainsi que les amendements CL101 de Mme Sophie Auconie, CL73 de M. Hervé Saulignac, CL27 de Mme Marie-France Lorho et CL74 de M. Hervé Saulignac.
Dans la rédaction actuelle du texte, l'utilisation des mots « sauf si des violences ont été commises » semble restreindre la pratique de la médiation familiale aux cas où une condamnation pour violences conjugales est intervenue. Il paraît souhaitable que cette restriction puisse être renforcée, dès lors que des poursuites sont engagées pour des violences commises à l'encontre de l'autre conjoint.
Par ailleurs, l'amendement CL93 prévoit que la restriction du recours à la médiation familiale intervienne alternativement en cas de violences ou d'emprise manifeste, comme cela est prévu à l'alinéa 6 de l'article.
L'amendement CL131 a deux objets.
En premier lieu, la rédaction de l'article 4 pourrait laisser penser que la médiation civile est fermée dans les situations qui présentent à la fois des violences et une emprise de l'agresseur sur sa victime, ce qui n'est pas mon intention. Les conditions sont alternatives, et non pas cumulatives ; l'amendement lève l'ambiguïté.
En second lieu, je vous propose de retenir les termes « violences alléguées » plutôt que ceux de « violences commises ». C'est aligner le droit sur la pratique puisque le Conseil constitutionnel l'a jugé ainsi et que la Chancellerie recommande par circulaire de l'appliquer ainsi. C'est aussi se conformer au choix de l'Assemblée nationale en faveur du terme « alléguées » que notre collègue Stéphane Peu avait fait inscrire par amendement dans la loi du 28 décembre dernier.
L'amendement CL107 est identique à celui de la rapporteure. Les termes « sauf si des violences ont été commises » nous paraissent trop restrictifs. Nous leur préférons ceux de « violences alléguées ». Cette rédaction serait en outre cohérente avec celle adoptée voilà quelques semaines.
L'amendement CL101 tend à interdire la médiation dès lors que des violences sont alléguées. En effet, en vue d'une meilleure protection des victimes, il ne paraît pas nécessaire à ce stade de la procédure que les violences aient été effectivement démontrées. Dans le cadre d'une procédure civile, des allégations sont suffisantes.
Je m'interroge sur la manière dont sera déterminée l'emprise de l'un des époux sur l'autre : comment définir juridiquement l'ascendant intellectuel ou moral d'une personne sur une autre ? Comment condamner sans preuve tangible une attitude relevant d'une notion définie par la psychanalyse ?
L'objectif visé est louable mais il me semble important d'encadrer cette notion avant de l'insérer dans la loi.
L'amendement CL74 vise également à s'assurer que la prise en compte de l'emprise pour interdire la médiation familiale soit dissociée de celle des violences, qu'elle soit considérée de façon alternative. Il s'agit donc de remplacer « et » par « ou ».
Je suis hostile à l'amendement CL93 qui laisse la porte trop ouverte à la médiation en cas de violences conjugales. Une personne qui a fait l'objet d'un rappel à la loi ou d'une composition pénale n'a techniquement jamais été poursuivie ni condamnée. Surtout, la rédaction proposée constitue un recul par rapport à la pratique de la Chancellerie, à la jurisprudence constitutionnelle et à la rédaction de la loi du 28 décembre 2019.
Je suis en revanche favorable à l'amendement CL107 qui est identique à celui que j'ai déposé. Les amendements CL101, CL73 et CL74 seront satisfaits par l'adoption des deux précédents.
J'entends les craintes qui ont motivé le dépôt de l'amendement CL27, madame Lorho, et je vais y répondre. D'abord, il ne s'agit pas de condamner quelqu'un : nous parlons des règles qui régissent la possibilité pour le juge d'enjoindre une médiation dans une procédure de divorce ou relative à l'autorité parentale. Si le juge détecte une emprise, il n'ordonnera aucune médiation ; les conséquences s'arrêtent là. Ensuite, la notion d'emprise est caractérisée à la fois par la littérature scientifique et par la jurisprudence, qui l'emploie déjà sans difficulté. Vous pouvez donc être rassurée. Je suis défavorable à l'amendement.
J'admets être un peu perdue. En octobre dernier, sur le même sujet, le groupe La République en marche défendait une position inverse de celle que vous adoptez aujourd'hui. J'avais alors voté l'amendement de M. Stéphane Peu, comme beaucoup d'autres collègues, et mes arguments avaient été rejetés. Vous les reprenez aujourd'hui avec la même conviction. Comment peut-on changer d'avis aussi catégoriquement en un temps aussi court ?
Si j'ai bien compris, en cas de violences alléguées, au civil comme au pénal, il n'y aurait pas de médiation possible ? Pour combien de temps ?
La modification portait sur l'autorité parentale dans la loi du 28 décembre 2019 ; elle porte à présent sur le divorce. C'est toujours une affaire de médiation dans le procès civil, mais les bases légales sont différentes.
Vous soulignez une différence dans les positions adoptées d'un texte à l'autre. La disposition à laquelle vous vous référez a pu être adoptée contre l'avis du Gouvernement grâce à M. Stéphane Peu, et je reprends à mon compte cette avancée dans le cadre de ce texte qui est, je le rappelle, non pas un projet de loi, mais une proposition de loi.
J'ai bien entendu l'avis défavorable de la rapporteure à mon amendement, mais il me semble être plus cohérent en ce qu'il prévoit aussi de modifier l'alinéa 6 de l'article.
J'ai également déposé un amendement à l'alinéa 6 qui viendra un peu plus tard en discussion, madame Auconie.
La Commission rejette l'amendement CL93, puis elle adopte les amendements identiques CL131 et CL107.
En conséquence, les amendements CL101, CL73, CL27 et CL74 tombent.
La Commission en vient à l'amendement CL102 de Mme Sophie Auconie.
Je propose de supprimer la nécessité que l'emprise soit « manifeste » pour empêcher toute médiation. Il s'agit ici de protéger la victime et d'éviter un contact traumatisant avec l'agresseur. Tout d'abord, l'emprise est dans la plupart des cas un phénomène insidieux et latent. Interdire la médiation dans les seuls cas où l'emprise serait manifeste reviendrait donc à restreindre excessivement le champ de cette interdiction. Ensuite, dans le cadre d'une procédure civile, il n'apparaît pas gênant d'assouplir, d'élargir le champ de l'interdiction afin de protéger les potentielles victimes. En effet, le juge pourra librement apprécier l'existence de l'emprise sans être tenu par son caractère manifeste. Enfin, la notion d'emprise est pour la première fois inscrite dans un texte de loi. Il ne serait donc pas opportun de lui adjoindre un qualificatif restreignant son champ d'application.
J'entends vos critiques sur la présence du terme « manifeste » dans le texte. Laissez-moi vous en donner les raisons. Nous avons considéré qu'un juge aux affaires familiales, même formé aux situations de violences conjugales, n'était pas en capacité de caractériser une situation d'emprise comme le ferait un psychiatre ou un psychologue. Prenons un exemple : peu d'entre nous sont capables, en regardant un passant dans la rue, de dire s'il souffre d'une grippe ou non ; en revanche, nous sommes tous capables d'identifier une personne qui se trouve manifestement en état grippal.
C'est la limite que nous avons jugé utile de reproduire ici. Je vous demande par conséquent de bien vouloir retirer votre amendement.
J'aimerais que vous m'éclairiez sur ce que nous sommes en train de faire, madame la rapporteure. En novembre dernier, lors de notre débat sur la proposition de loi visant à agir contre les violences faites aux femmes, nous avons enrichi le texte à l'initiative de notre collègue Stéphane Peu en indiquant qu'il ne pouvait y avoir de médiation familiale dès lors que des violences étaient alléguées. La proposition de loi supprimait cette avancée et revenait au texte antérieur. Aujourd'hui vous proposez par votre amendement de revenir à notre rédaction.
Qu'apporte l'article 4 à la loi, si ce n'est la notion d'emprise qui, de toute façon, entre dans le champ des violences alléguées ? J'essaie de comprendre sereinement l'objet de cet article. Pourriez-vous nous éclairer ? Il est important pour les personnes extérieures qui suivent le débat de comprendre précisément ce qu'il en est.
Monsieur Pradié, l'amendement adopté dans la discussion de votre proposition de loi ne concernait que l'autorité parentale ; il est ici question de divorce. Nous avons en outre introduit la notion d'emprise. Plusieurs amendements ont été discutés et il a été nécessaire d'éclaircir le sens de cet article, mais il n'y a pour moi plus aucune ambiguïté.
Quant au fait de retenir les violences alléguées, c'est une avancée à laquelle je souscris totalement. Ce texte est une proposition de loi. Permettons-lui de mûrir tout au long de son examen par le Parlement.
La Commission rejette l'amendement CL102.
Elle adopte ensuite l'amendement de cohérence CL132 de la rapporteure.
Puis elle adopte l'article 4 modifié.
Section 2 Dispositions relatives à la médiation pénale
Article 5 (art. 41-1 du code de procédure pénale) : Interdiction de la médiation pénale en cas de violences ou d'emprise
La Commission adopte l'article 5 sans modification.
Après l'article 5
La Commission examine l'amendement CL112 de Mme Sophie Panonacle.
Afin de responsabiliser l'auteur de violences commises au sein du couple, il s'agit d'assortir le rappel à la loi d'un stage de prévention et de lutte contre les violences au sein du couple ou d'un stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes. Pour combattre la récidive, il ne peut être procédé à un nouveau rappel à la loi si de nouvelles violences sont commises. Le procureur de la République engagera directement des poursuites.
Vous souhaitez interdire les rappels à la loi consécutifs, de la même façon que la loi interdisait jusqu'à présent les médiations pénales consécutives dans les affaires de violences au sein du couple. Je pourrais vous soutenir si notre système pénal n'était pas construit sur le principe d'opportunité des poursuites.
Si nous fermons la voie du rappel à la loi, que d'ailleurs la loi de programmation pour la réforme de la justice a commencé à renforcer en lui adjoignant une interdiction de paraître, nous ne laissons que deux choix au procureur de la République : poursuivre ou classer. Et il se pourrait qu'il ne soit pas en mesure de poursuivre à chaque fois, ce qui serait plus dévastateur encore pour les victimes. Par ailleurs, vous entendez également fermer la voie du classement sans suite, ce qui s'oppose directement à la capacité du parquet de décider de l'opportunité des poursuites.
Je vous demande de retirer votre amendement. À défaut, l'avis sera défavorable.
Pourriez-vous me donner votre avis sur le stage de prévention, une mesure à laquelle je tiens également beaucoup ?
Il faudrait alors dissocier cette mesure de votre amendement. Mon avis vaut pour l'ensemble de votre proposition.
La proposition de notre collègue me paraît intéressante. Prévoir un unique rappel à la loi en cas de violences commises, puis une réponse d'un autre ordre en cas de récidive, me paraît élémentaire. Quel serait le sens de la réitération d'une telle mesure ? Permettre de procéder à plusieurs rappels pour des faits similaires reviendrait à dévaloriser la parole publique, la parole de la justice.
Si l'auteur des faits récidive dans les mêmes conditions, c'est que le rappel à la loi n'a pas eu l'effet escompté. Je souscris donc aux propos de ma collègue.
En outre, nous sommes plusieurs à avoir souligné en discussion générale qu'il manque dans ce texte des mesures relatives à la prévention des violences et au suivi des auteurs. L'idée d'un stage me semble parfaitement adaptée. Il doit intervenir après un premier et unique rappel à la loi.
Quand une personne fait l'objet d'un rappel à la loi pour violences conjugales, bien souvent celles-ci durent depuis longtemps. Il me semble donc que les poursuites s'imposent en cas de récidive. J'accepte néanmoins de retirer mon amendement et d'en discuter en vue de l'examen en séance publique.
S'agissant du stage, qui est une idée intéressante, le procureur de la République peut déjà l'ordonner.
Il a l'opportunité d'orienter l'auteur des faits vers un stage ou d'engager des poursuites. Il ne me semble pas nécessaire d'encadrer davantage cette possibilité. Je suivrai sur ce point l'avis de la rapporteure.
Il convient d'être pragmatique et de s'appuyer sur la pratique observée au quotidien dans chaque tribunal. Les procureurs de la République ont pris le parti, conformément à plusieurs directives et instructions, de favoriser la médiation, peut-être pour apaiser un contexte conjugal violent au lieu de le rendre plus conflictuel encore.
Il n'en demeure pas moins qu'en pratique, il est procédé à plusieurs rappels à la loi, ce qui signifie qu'il y a eu plusieurs infractions impunies et que les victimes ont subi des faits de violences plusieurs fois. Si on peut, à l'article 4, limiter la capacité d'appréciation du juge et interdire au juge aux affaires familiales d'ordonner des médiations, il faut également pouvoir le faire pour le parquet à l'article 5.
Je souscris aussi à l'idée de responsabiliser les auteurs. C'est ce que prévoit la loi en cas d'infraction au code de la route : une personne qui aurait pris le volant sous l'emprise de l'alcool peut se voir imposer un stage de sensibilisation. Il me paraîtrait logique d'imposer un stage de responsabilisation à celui qui aurait commis des violences à l'encontre de sa conjointe.
Le sujet des mesures alternatives aux poursuites, dont fait partie le rappel à la loi, est très important.
Je veux souligner tout d'abord que, dans la plupart des cas, le parquet ne prononce pas un rappel à la loi lorsqu'il y a matière à poursuites ; c'est la pratique la plus répandue. En revanche, il y a souvent rappel à la loi quand il n'y a pas d'éléments suffisants, quand poursuivre risque d'aboutir à une relaxe, ce qui serait néfaste pour la victime. Dans ces cas précis, le rappel à la loi peut être un moyen de donner un avertissement très ferme au suspect de violences, même s'il n'est pas ainsi qualifié juridiquement.
Quant aux stages, ils me paraissent très importants, et il faut les développer. La possibilité de les proposer dans un cadre juridique existe d'ores et déjà. Elle doit être utilisée lorsque la situation s'y prête.
La Commission rejette l'amendement CL112.
Elle examine l'amendement CL37 de M. Dimitri Houbron.
La confrontation entre la victime des violences conjugales et l'auteur de ces faits constitue une épreuve supplémentaire, une souffrance psychologique. Si des victimes parviennent à faire face, d'autres subissent une telle emprise qu'elles se rétractent lors de la confrontation, faisant courir le risque d'un abandon des poursuites. Le présent amendement vise à donner expressément aux victimes la possibilité de refuser la confrontation.
Lors des auditions, j'ai posé la question à tous les acteurs concernés, sans exception.
Votre proposition est le miroir de l'interdiction de la médiation. Si l'auteur des faits et la victime ne sont pas sur un pied d'égalité, il sera pénible pour cette dernière de subir une confrontation avec celui qui la maintient peut-être sous son emprise, celui qui lui fait peur.
La démarche est cependant très différente. Une confrontation répond aux besoins d'une enquête. Le magistrat ou l'officier de police judiciaire a pour mission de démêler le vrai du faux dans des versions souvent contradictoires. La confrontation peut être un outil pour y parvenir. Par ailleurs, la victime est déjà en droit de refuser une confrontation sans que la loi ne prévoie une conséquence dommageable pour elle, même si, je vous l'accorde, cela n'est pas explicitement écrit.
Enfin, comme l'ont indiqué les associations de protection des droits des femmes, la bonne réponse réside dans l'amélioration de la procédure pour éviter une survictimisation. Il faut prévenir en avance de la tenue de la confrontation pour que la victime s'assure de la présence de son avocat. Rien n'oblige à un contact visuel entre les parties, des tentures ou des cloisons amovibles pouvant jouer un rôle protecteur. Tout cela nous a été proposé par les acteurs auditionnés. Des solutions existent, et la garde des Sceaux nous en dira sans doute plus en séance publique sur les actions déjà engagées par le Gouvernement.
J'apporte un soutien personnel à cet amendement qui va dans le bon sens. Il est le miroir, non pas de la médiation familiale – ce n'est pas le sujet ! – mais de la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille, que nous avons adoptée en fin d'année dernière. Son article 1er dispose, en effet, que « à la demande de la partie demanderesse, les auditions se tiennent séparément » dans le cadre des ordonnances de protection. Lors de nos débats, nous avions indiqué que, pour des raisons tenant à l'emprise, nous devions protéger les femmes dans cette situation.
Puisque nous avons adopté cette disposition pour les ordonnances de protection, je ne vois pas pourquoi nous ne le ferions pas pour d'autres procédures : cela me paraît parfaitement cohérent avec le texte voté il y a plusieurs semaines et avec les propos tenus tout à l'heure sur l'emprise. Nous avions déjà eu ce débat : oui, en effet, c'est possible, mais la loi ne le dispose pas clairement. Parfois, il vaut mieux que la loi soit un peu plus claire et qu'elle contraigne davantage les magistrats.
Beaucoup de victimes hésitent à déposer plainte ou à engager une procédure, précisément parce qu'elles redoutent ce moment de la confrontation. Nous devons réfléchir à leur accompagnement au cours de la procédure pénale. Très souvent, malheureusement, elles ne sont pas assistées par un avocat et elles craignent de ce fait la confrontation. On ne leur propose pas systématiquement des aménagements, comme des dispositifs de vidéo qui permettent de ne pas mettre la victime et l'auteur dans la même pièce.
Au-delà de la possibilité de refuser la confrontation, il faut vraiment réfléchir à un cadre garantissant les droits de la victime. Le policier n'est pas là pour la protéger : il doit organiser un débat. Or, très souvent, la personne mise en cause se présente accompagnée d'un conseil tandis que la victime arrive seule, sans avocat. Il faut donc renforcer cet encadrement et, à tout le moins, proposer des alternatives aux confrontations physiques.
L'ordonnance de protection relève du civil : celui qui est jugé peut, au pire, écoper d'un bracelet électronique pour un maximum de six mois. La confrontation, quant à elle, se déroule dans le cadre d'une enquête pouvant déboucher sur une incarcération avec un verdict correctionnel, voire criminel. L'objectif n'est pas le même.
Il y a nécessité d'interroger les parties mais la victime, dans les textes, peut parfaitement refuser cette confrontation. Laissons-lui donc la liberté de déterminer si elle se sent en capacité de répondre !
Madame la rapporteure, je tiens à préciser que l'obligation du bracelet est prononcée par le juge pénal : nous en avons suffisamment discuté pour que vous ne nous disiez pas que cela relève du civil !
Sur le fond, il y a quelque chose d'incohérent : vous disiez à l'instant qu'il faut laisser la victime libre de décider si elle se sent la force ou non de faire la confrontation. Or, vous avez rappelé que l'emprise ne permettait pas aux femmes d'exercer leur libre arbitre. On ne peut pas d'un côté défendre fortement, comme vous l'avez fait il y a quelques minutes, et à très juste titre, la notion d'emprise et, de l'autre, considérer que c'est aux femmes de trouver la force nécessaire pour affronter leur potentiel bourreau. Vous devez aller au bout du raisonnement sur ce sujet !
Je veux rappeler à M. Aurélien Pradié que le bracelet anti-rapprochement relève aussi bien du juge civil que du juge pénal dans la loi du 28 décembre 2019.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL15 de Mme Emmanuelle Ménard.
Je propose d'instaurer une coopération active entre les services d'urgence des hôpitaux ou des cliniques et les forces de l'ordre, afin de permettre aux victimes de violences de porter plainte plus facilement. De telles conventions ont déjà été signées – ainsi à Lunel, dans l'Hérault. À Béziers, nous sommes en train d'en rédiger une autre entre l'hôpital, la police nationale, la gendarmerie et la police municipale – cette dernière non pas pour recueillir les plaintes, mais pour intervenir plus facilement en cas de problème dans les services d'urgence dû à la présence des conjoints violents.
En travaillant sur le sujet, nous nous sommes rendu compte que 10 % des femmes seulement portaient plainte après avoir subi ces violences : c'est bien trop peu ! Quand une femme a été battue et qu'elle se rend dans un service d'urgences pour se faire soigner, le fait de devoir en ressortir pour aller porter plainte au commissariat ou à la gendarmerie est dissuasif. En effet, très souvent, entre l'hôpital et le commissariat ou la gendarmerie, il y a un retour au domicile où elle retombe sous l'emprise du conjoint violent. Parfois même, celui-ci l'attend au service des urgences : elle ne va évidemment pas porter plainte sous son nez !
À Béziers, la police nationale, la gendarmerie et l'hôpital sont très favorables à cette possibilité de recueillir la plainte des victimes au sein même du service des urgences. Nous sommes en train d'étudier des solutions pratiques pour que cela puisse être possible en toute discrétion. Il faudra peut-être définir des modalités par décret mais cette proposition pourrait se montrer efficace pour inciter les femmes à saisir la justice des violences conjugales qu'elles subissent.
Sur le fond, je soutiens pleinement cet amendement. Une dynamique a été lancée par le Premier ministre, qui a annoncé ces mesures il y a quelques semaines. Des conventions départementales doivent être signées et une quinzaine de départements l'ont déjà fait. Mais cela relève directement des territoires et non du domaine de la loi : je vous demande donc le retrait de votre amendement, même si j'en soutiens l'objectif. Nous ne pouvons que nous réjouir de la signature de protocoles locaux comme vous l'avez signalé pour Béziers.
Je ne retire pas cet amendement. Même si nous sommes d'accord sur le fond, je ne suis pas sûre que cela relève forcément du département : à Lunel, le dispositif mis en place n'est pas une initiative du département, pas plus qu'à Béziers. Les modalités de cette coopération pourront être définies par décret, mais il est souhaitable que la coopération entre forces de sécurité et hôpitaux pour assurer davantage de sécurité aux victimes soit inscrite dans la loi.
La Commission rejette l'amendement.
Chapitre III DISPOSITIONS RELATIVES À LA DÉCHARGE DE L'OBLIGATION ALIMENTAIRE EN CAS DE VIOLENCES CONJUGALES
Article 6 (art. 207 du code civil) : Décharge de l'obligation alimentaire en cas de crime sur la personne de l'autre parent
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL133 de la rapporteure, CL96 de M. Erwan Balanant, CL113 de Mme Sophie Panonacle, CL115 de Mme Laurence Vichnievsky, CL100 de Mme Sophie Auconie et CL110 de M. Guillaume Gouffier-Cha.
L'amendement CL133 corrige la rédaction de l'article 6, dont beaucoup d'entre vous ont noté qu'elle était perfectible. Il privilégie également, plutôt qu'une liste forcément lacunaire des infractions susceptibles de décharger les ascendants et descendants de la victime de leur obligation alimentaire à l'égard de l'auteur, la mention plus claire et plus englobante de « crime ». Cela nous permettra notamment de cibler les tortures et actes de barbarie, les mutilations et les viols. L'amendement précise aussi l'exigence d'une condamnation en justice pour attester la réalité du crime commis. Il utilise enfin le terme de « parent », qui est plus correct que celui d'« époux » – ce dernier limitant le dispositif aux couples mariés.
Ainsi, si votre père a commis un crime sur la personne de votre mère, s'il a été condamné pour cela dans un procès d'assises et si, par conséquent, votre famille a volé en éclats tout au long d'un processus ayant duré des années, on peut présumer que le devoir d'éducation qui vous était dû n'a pas été assumé. Il est donc légitime de vous dégager en retour de votre obligation alimentaire envers l'auteur des faits. Je vous demande de bien vouloir me suivre et d'adopter le présent amendement.
L'amendement CL96 a pour objet de lever l'ambiguïté rédactionnelle de l'article 6. Il privilégie également, à la liste des infractions susceptibles de décharger les ascendants et descendants de la victime de leur obligation alimentaire à l'égard de l'auteur, la mention plus claire de « crime ». C'est aussi cette rédaction qu'a privilégiée la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille avec la suspension de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale en cas de poursuite ou de condamnation d'un parent pour crime sur l'autre parent. Il précise enfin l'exigence d'une condamnation en justice pour attester la réalité du crime commis.
Mais je réalise que je me suis trompé et que j'ai lu votre exposé sommaire, madame la rapporteure ! C'est bien la preuve que nos amendements sont très proches. (Sourires.)
L'amendement CL113 n'est pas tout à fait identique puisque je souhaite élargir le champ des infractions prévues par l'article 6 aux actes de torture et de barbarie et aux actes de violence ayant entraîné une mutilation, une infirmité permanente ou une incapacité de travail, au viol et également aux agressions sexuelles.
Je souhaite appeler l'attention de tous sur le caractère automatique de la décharge de l'obligation alimentaire proposée, caractère contre lequel je m'insurge.
L'amendement CL115 propose une alternative : il faut laisser cette décision aux magistrats. Peut-être vous souvenez-vous, mes chers collègues, de l'affaire Jacqueline Sauvage, condamnée avant d'être graciée par le précédent Président de la République. Dans un cas comme celui-là, aurait-il fallu décharger ses enfants de leur obligation alimentaire ? Il faut être très précautionneux parce qu'il y a des cas de figure que l'on n'imagine pas quand on propose un texte – de bonne foi d'ailleurs. Dans une matière comme celle-là, l'office du juge n'est pas contestable.
L'amendement CL100, rédactionnel, vise à remplacer « à son égard » par « à l'égard de l'auteur » : c'est beaucoup plus clair. Mais puisque la rapporteure propose une nouvelle rédaction de cet alinéa, le présent amendement est certainement nul et non avenu ! Nous aurons le loisir d'en parler dans l'hémicycle.
Je demande le retrait de ces amendements car ils sont satisfaits par celui que j'ai défendu.
Pour répondre à Mme Panonacle, prévoir une décharge automatique de l'obligation alimentaire en cas de condamnation criminelle semble évidemment légitime. En revanche, ce processus est excessif pour des condamnations délictuelles car la gravité n'est pas la même, la nature des poursuites non plus. Je précise qu'il sera toujours possible d'être déchargé de l'obligation alimentaire mais il faudra pour cela présenter des arguments au juge, qui appréciera la situation.
Madame Vichnievsky, vous avez évoqué l'affaire Jacqueline Sauvage. Je me suis évidemment posé cette question. Cette femme a de très bonnes relations avec ses filles, cela est connu ; ce n'est donc pas parce qu'elles n'ont plus d'obligation qu'elles n'aideront pas leur mère si c'est nécessaire. L'automaticité se justifie à 99,9 %. Le cas cité est extrêmement particulier : c'est le Président de la République de l'époque qui a permis une libération et non une décision judiciaire.
Je souscris à vos propos concernant les filles de Mme Jacqueline Sauvage, qui ont toujours soutenu leur mère. C'est grâce à elles, ainsi qu'aux quatre-vingt parlementaires qui en avaient fait la demande, que le Président François Hollande lui avait accordé une grâce, d'ailleurs partielle. Mais ce n'est pas de cela que je voulais parler.
Je partage totalement l'esprit des amendements présentés par mes collègues. Peut-être faudrait-il prévoir une règle assortie d'exceptions ? Cela permettrait de ne pas tomber dans le caractère automatique tout en envoyant un signal important. Permettez-moi toutefois de m'étonner : lorsque nous avons examiné ces textes, j'ai discuté de longues heures avec Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, et avec ses collaborateurs, qui fustigeaient toute idée d'automaticité. Désormais, vous proposez cette automaticité dans tous les cas : on comprend l'esprit mais il faudrait sans doute être plus mesuré en prévoyant une règle permettant au juge de tenir compte des cas particuliers.
Je ferai une observation sur l'amendement de Mme Laurence Vichnievsky, que je trouve très juste : il y a des principes généraux qui nous dépassent, qui nous transcendent, dont celui de l'individualisation de la sanction. En choisissant l'automaticité, vous réduisez la capacité à interpréter et à apprécier d'un magistrat qui, par nature, est empreint de sagesse et de connaissance du dossier. Je comprends le message global mais je forme le souhait que l'on évite autant que possible d'interdire à un magistrat de faire son métier.
C'est bien pour cette raison que le dispositif qui vous est proposé se limite aux infractions criminelles.
L'amendement CL133 est adopté.
En conséquence, les amendements CL96, CL113, CL115, CL100 et CL110 tombent.
L'article 6 modifié est adopté.
Avant l'article 7
La Commission examine l'amendement CL98 de M. Sébastien Cazenove.
L'amendement complète la définition du harcèlement moral en incluant dans le champ de la constitution de l'infraction les appels téléphoniques répétés imposés à autrui, ayant pour effet une dégradation de ses conditions de vie et se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale. Cet article vise également à donner aux victimes les moyens de prouver le harcèlement subi en obtenant communication auprès des opérateurs de téléphonie, sur simple demande, du relevé de leurs appels entrants, dans le but de simplifier leurs démarches à l'encontre du harceleur.
Votre amendement porte sur le harcèlement moral au sens large, tel qu'on peut le rencontrer dans le milieu du travail ou en milieu scolaire, et non sur l'incrimination spécifique de harcèlement conjugal qui figure à un autre article du code pénal que celui que vous souhaitez modifier.
Je ne suis pas hostile par principe à cette idée, mais je suis assez mal à l'aise parce que j'ai concentré mes travaux préparatoires sur les questions de violences conjugales et non sur le harcèlement moral dans toutes ses acceptions. J'observe cependant que le droit en vigueur réprime des propos et des comportements répétés, ce qui me semble recouvrir le fait d'appeler à de multiples reprises une même personne au téléphone. Les dispositions que vous envisagez de compléter incriminent le harcèlement collectif par un groupe de personnes, plus que des méthodes particulières. Je recommande donc un retrait de votre amendement dans la perspective d'un échange avec la ministre en séance publique ; à défaut, l'avis sera défavorable.
Je retire mon amendement mais je le redéposerai en séance en ayant travaillé avec le ministère.
L'amendement CL98 est retiré.
Chapitre IV DISPOSITIONS RELATIVES AU HARCÈLEMENT MORAL AU SEIN DU COUPLE
Article 7 (art. 222-33-2-1 du code pénal) : Incrimination du harcèlement dans le couple menant au suicide
La Commission se saisit de l'amendement CL13 de Mme Emmanuelle Ménard.
Le présent amendement porte les peines encourues à 15 ans d'emprisonnement et 150 000 euros lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider. Lorsque le harcèlement mène à la mort, il doit être très sévèrement condamné. On pourrait, en revanche, laisser l'article inchangé, avec une peine de 10 ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende, lorsque le harcèlement a conduit à une « simple » – pardonnez-moi pour ce mot ! – tentative de suicide. On estime, sans avoir évidemment de certitudes sur le sujet, que 218 femmes se seraient suicidées en 2018 à la suite des violences physiques et morales qu'elles auraient subies.
Le groupe de travail du Grenelle des violences conjugales, qui a proposé cette rédaction, s'est interrogé sur la pertinence d'une incrimination criminelle pour la répression du suicide forcé. Les débats ont été nourris mais l'avis général était qu'une procédure en cours d'assises n'était pas indiquée, à la fois en raison de sa lourdeur et par une volonté de soumettre l'infraction à des magistrats professionnels avant d'en saisir un jury populaire. De plus, la progression des peines retenue présente une cohérence : ce serait 3 ans d'emprisonnement pour les incapacités temporaires de travail (ITT) de moins de 8 jours, 5 ans pour les ITT de plus de 8 jours et 10 ans dans le cas de suicide ou tentative de suicide. Je demande le retrait, sinon avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle adopte ensuite l'amendement rédactionnel CL128 de la rapporteure.
Elle en vient aux amendements identiques CL22 de Mme Marie-France Lorho et CL116 de Mme Laurence Vichnievsky.
L'amendement CL22 est retiré.
Par l'amendement CL116, je souhaite appeler votre attention sur des situations dont j'ai pu avoir à connaître par le passé ; je sais combien la question est délicate. Un suicide ou une tentative de suicide résulte souvent, même en cas de violences conjugales, de plusieurs facteurs. Il est très difficile de faire la part des choses. Il arrive également que la souffrance psychologique soit telle que la tentative de suicide est en réalité un appel à l'aide. C'est pourquoi je propose, par l'amendement CL116, de limiter l'aggravation des peines, qui me semble justifiée, au suicide lui-même.
Je comprends vos arguments mais votre amendement me met mal à l'aise. En effet, je ne crois pas que la sincérité d'une démarche suicidaire puisse s'apprécier à l'aune de son résultat. Si l'on s'engage sur ce terrain, on se trompe de débat.
La constitution de l'infraction découle moins de la tentative de suicide, réussie ou ratée, que de la réalité du harcèlement qui y a mené. Pour le dire sans détour, le suicide ne crée pas le délit. Il faut ainsi faire apparaître par toute une série d'éléments concordants – relevés téléphoniques, témoignages des proches… – que la personne qui s'est suicidée l'a fait en raison de comportements de son conjoint qui ont sérieusement dégradé ses conditions de vie ou sa santé. C'est ce que devront établir les enquêteurs, que la victime ait survécu ou pas.
Notre législation comporte déjà un texte punissant la provocation au suicide, sur lequel, du reste, je me suis fondée lorsqu'en 2009, j'ai élaboré une proposition de loi sur l'extrême maigreur. Quel serait l'apport, au plan du droit et de la protection des victimes, d'une nouvelle disposition ciblant la provocation au suicide dans le cadre particulier des violences conjugales ?
En l'espèce, le harcèlement conduit la victime au suicide ou à la tentative de suicide, mais son auteur ne demande pas forcément à celle-ci de se suicider.
Au demeurant, très souvent, son objectif est, non pas de pousser la victime au suicide, mais de la garder sous son emprise. Et c'est précisément parce qu'elle ne parvient pas à se soustraire à cette emprise qu'elle se suicide.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 7 modifié.
Avant l'article 8
La Commission examine l'amendement CL58 de M. Ugo Bernalicis.
Nous proposons d'intituler le chapitre V : « Dispositions relatives à l'accompagnement des femmes victimes de violences dans le milieu médical » plutôt que « Dispositions relatives au secret professionnel ».
Lorsqu'on consulte un médecin, on le fait en confiance car on le sait tenu au secret médical : tout ce qu'on lui racontera restera entre lui et soi. Si nous permettons qu'en cas de constatation de violences, ce secret soit levé pour alerter l'autorité judiciaire, nous nous heurterons à plusieurs écueils. Tout d'abord, les femmes victimes de violences pourraient renoncer à voir un médecin, par crainte que celui-ci divulgue leur situation, et elles s'éloigneraient ainsi des soins. Ensuite, le médecin, en levant le secret médical, se substituerait à leur propre volonté.
C'est pourquoi nous avons déposé à l'article 8 une série d'amendements dont l'objet est de faire en sorte que les médecins puissent suivre une formation – c'est, du reste, le souhait exprimé par les médecins dans une tribune de presse – afin d'être en mesure de proposer à la victime un accompagnement approprié. Il nous paraît préférable de faire avancer les choses en ce sens plutôt que d'enjoindre aux médecins de saisir l'autorité judiciaire, sachant qu'ils en ont déjà la possibilité en cas de danger imminent. Ne détricotons pas ce qui fonctionne ! Donnons aux médecins des moyens supplémentaires afin qu'ils puissent mieux accompagner les victimes de violences conjugales !
Si je ne souscris pas à vos arguments ni à l'exposé sommaire de votre amendement, je partage néanmoins votre objectif de modifier l'intitulé du chapitre V de la proposition de loi. Le titre actuel, « Dispositions relatives au secret professionnel », me gêne car il s'agit, ici, non pas de lever le secret médical contrairement à ce qu'ont écrit les journalistes, mais de permettre un signalement par les médecins. Ce n'est pas la même chose. Je vous propose que nous en rediscutions d'ici à la séance publique afin que vous modifiiez l'exposé sommaire de votre amendement.
Un dernier mot, avant que j'aille rejoindre des manifestants (Mouvements divers.).
Le titre du chapitre emporte une logique. Si votre objectif n'est pas de lever le secret médical, partiellement ou dans des conditions bien particulières, alors il faut se poser la question des moyens qu'on donne aux médecins d'accompagner la personne à l'évidence victime de violences conjugales tout en respectant sa volonté, qui peut être de déposer plainte ou de faire appel à une association.
Si vous êtes d'accord pour changer l'intitulé du chapitre, c'est une petite victoire. Le plus important, ce sont nos amendements à l'article 8, que vous rejetterez certainement. En tout état de cause, si l'exposé sommaire de l'amendement ne vous convient pas, je vous invite à déposer un amendement identique avec votre propre exposé sommaire car je ne modifierai pas le mien.
Nous entamons une discussion sur un sujet complexe et capital. À ce propos, je souhaite vous faire part d'une expérience personnelle. Il y a quelques semaines, certains d'entre nous se sont rendus à Aulnay-sous-Bois dans le cadre de notre réflexion sur les violences conjugales. À cette occasion, nous avons rencontré une médecin généraliste dont le maire nous avait indiqué qu'elle était spécialisée dans ce domaine. Je lui ai donc demandé pourquoi on lui reconnaissait cette spécialité qui ne correspondait à aucune formation médicale spécifique. Elle m'a raconté son parcours.
Originaire de la Creuse, elle s'est installée à Aulnay-sous-Bois où l'une de ses premières patientes fut une femme dont elle comprit immédiatement qu'elle était victime de violences conjugales. Probablement l'a-t-elle accueillie comme beaucoup de médecins généralistes n'avaient pas su le faire jusque-là. Toujours est-il qu'elle a revu cette patiente à une quinzaine de reprises, avant que celle-ci accepte de lui confier qu'elle était victime de violences. Cette femme médecin nous a expliqué que c'est le lien de confiance établi avec cette patiente qui a amené, dans les mois qui ont suivi, des dizaines de femmes à venir la consulter, elle, plutôt que leur médecin traitant, qui ne savait pas écouter leur parole. Il existe ainsi aujourd'hui, à Aulnay-sous-Bois, un cabinet de médecins généralistes qui reçoit essentiellement des femmes victimes de violences, lesquelles vont consulter parce qu'elles savent qu'elles ne seront pas trahies et que la relation de confiance avec leur médecin ne sera pas rompue.
Cette rencontre m'a beaucoup instruit sur l'extrême minutie avec laquelle nous devons légiférer en la matière. Le risque serait que les médecins généralistes n'accueillent plus la parole de ces femmes comme il le faut et que celles-ci se retrouvent dans la nature, sans interlocuteur. Nous en débattrons mais je tenais à vous livrer cette réflexion pour illustrer la complexité d'une question sur laquelle, pour ma part, j'ai encore un peu de mal à me faire une opinion.
Comme notre collègue Aurélien Pradié, je pense que la question est complexe. Toutefois, il me semble que le texte proposé est satisfaisant.
Si, dans l'exemple qu'il a cité, la patiente a été vue quinze fois par son médecin, c'est qu'elle n'était pas exposée à un danger imminent. Les praticiens que j'ai rencontrés, quant à eux, m'ont demandé de franchir le pas en faisant en sorte que le texte, non pas lève le secret médical, mais leur donne la possibilité de faire un signalement.
Pour justifier cette demande, l'un d'entre eux a établi un double parallèle. Le premier est critiquable et délicat puisqu'il concerne les mineurs. De fait, lorsqu'un mineur est en situation de danger immédiat, il est possible pour le médecin de faire un signalement. Pourquoi cette possibilité n'existerait-elle pas pour les autres êtres humains ? C'est un sujet de réflexion. Il faut pouvoir agir lorsqu'une personne se trouve exposée à un danger immédiat, majeure ou mineure. Le second parallèle concerne l'article 40 du code de procédure pénale, qui impose à un fonctionnaire de signaler un crime ou un délit, quitte, on peut l'imaginer, à violer un certain secret professionnel. Dès lors, pourquoi un médecin ne pourrait-il pas signaler le cas d'une femme qui, en rentrant chez elle, se fera peut-être tabasser, précisément parce qu'elle aura consulté un médecin ?
À mon sens, le texte préserve la confiance et le secret médical. Il faut que nous avancions sur ce sujet ; les médecins qui sont confrontés à ce type de situation nous le demandent.
Cette question importante a alimenté les débats lors du Grenelle car elle bouscule les habitudes de notre société, qui est une société du silence : on ne parle pas des violences conjugales dont on peut être témoin ou que l'on peut suspecter. C'est ce qu'il faut changer, notamment en donnant à un médecin qui, lorsqu'il est face à une victime de violences conjugales, y compris quand celle-ci est dans le déni de ce qu'elle subit, la possibilité de signaler ces violences. Il s'agit bien, j'insiste, d'un signalement. En effet, la rédaction proposée a été longuement discutée avec l'ordre des médecins, au sein duquel la question fait débat, afin d'aboutir à un équilibre le plus solide possible entre, d'un côté, la protection des victimes et, de l'autre, la parole du médecin.
Nous ne faisons pas une loi pour les médecins mais pour les victimes de violences. C'est donc leur point de vue que nous devons adopter dans notre réflexion. Pour ma part, j'ai consulté de nombreuses personnes car je n'avais ni position de principe ni avis arrêté sur la question. Or, les retours ont été extrêmement négatifs, notamment de la part des associations de défense des femmes victimes de violences.
Tout d'abord, elles estiment que signaler des violences sans l'accord de la victime ou contre sa volonté, c'est rompre la confiance et, partant, prendre le risque que ces femmes renoncent à consulter. Monsieur Balanant, les femmes victimes de violences ne sont ni des mineures ni des majeures incapables…
Il n'y a donc pas lieu d'établir une quelconque équivalence avec ces catégories de personnes. Il faut les accompagner, les aider et les rassurer. En tout état de cause, il est impossible qu'un médecin puisse, sans leur avis ou contre leur volonté, signaler les violences dont elles sont victimes. Sinon, la relation de confiance risque d'être rompue, et elles seront réduites au silence et privées d'un interlocuteur.
Je souhaiterais vous faire part de mes doutes quant à la levée du secret médical. En effet, je ne voudrais pas que l'on brise le lien de confiance qui existe entre médecin et patient. Je suis d'autant plus gênée que j'ai du mal à percevoir l'intérêt d'une telle mesure. Pour l'instant, je constate qu'elle ferait peser une responsabilité supplémentaire sur les médecins, lesquels, je le rappelle, sont, au même titre que n'importe quel citoyen, tenus d'agir lorsqu'ils ont connaissance de situations de violence. Ainsi, mes chers collègues, si votre voisine ou votre voisin est battu, vous devez le signaler ou, en tout cas, lui porter secours. J'ajoute que l'expression « intime conviction » me gêne car elle ne semble pas appropriée dans le cadre du dialogue entre le patient et son médecin.
J'aurais préféré que nous travaillions à l'élaboration de protocoles de bonnes pratiques qui permettent aux professionnels de santé de mieux interroger et accompagner la victime, qu'elle ait subi des violences conjugales ou sexuelles du reste. Par ailleurs, si les femmes ne sont en effet ni des mineurs ni des incapables majeurs, on peut néanmoins estimer que leur mise en danger permanente et les coups répétés peuvent altérer leur jugement. Je souhaiterais donc que nous reprenions notre réflexion sur cette question.
Je comprends que la secrétaire d'État, Mme Marlène Schiappa, tienne à la levée du secret médical. Ceci lui permettrait d'inscrire une proposition emblématique du Grenelle dans la loi. Mais, franchement, ne peut-on pas être plus nuancé et travailler davantage avec les professionnels de santé, par exemple sur le statut de la victime de violences, au lieu de détruire le secret médical ? Que se passerait-il concrètement si cette mesure était adoptée ? Le médecin qui reçoit une femme victime de violences ferait un signalement, puis cette femme retournerait chez elle. Mais pourra-t-elle encore se rendre chez le médecin ? Quelles seraient les conséquences concrètes de la levée du secret pour la victime ? Je n'ai pas de réponse à cette question.
Il semble que l'article 8 n'est que la traduction législative malhabile et maladroite d'un totem ministériel. C'est une véritable question, à n'en pas douter. Mais force est de constater que le corps médical lui-même est divisé sur la réponse à apporter. Ainsi, j'ai reçu, en tant que député des Vosges, une lettre du conseil départemental de l'ordre des médecins dans laquelle il m'est demandé de m'opposer à la position de l'ordre national.
Par ailleurs, on risque d'ouvrir la boîte de Pandore. Pourquoi, en effet, ne pas étendre la mesure aux autres professionnels, notamment du secteur paramédical, qui sont amenés à être en contact avec des femmes victimes de violences ?
Enfin, il me semble que la rédaction qui, encore une fois, a pour objet de répondre à une injonction médiatique, complique la décision qu'un médecin devrait prendre sans réserve. Peut-être revient-il à l'ordre des médecins d'élaborer un protocole de bonnes pratiques, comme l'a suggéré Mme Boyer ? Cette solution me paraît la meilleure ; elle est en tout cas préférable à celle qui consiste à légiférer maladroitement sur une question aussi importante.
Je ne partage pas l'avis de mon collègue et ami Erwan Balanant ; je ne voterai pas l'article 8. J'ajouterai un élément aux arguments développés par M. Stéphane Peu. Si le procureur de la République qui, comme il en a la possibilité – nous savons ce qu'il en est dans le cas d'autres dénonciations –, ne donne pas suite au signalement adressé, la femme victime de violences risque d'être encore plus exposée.
Cher collègue Stéphane Peu, il n'est évidemment pas question pour moi de dire – et je crois avoir usé des précautions oratoires qui s'imposaient – qu'une femme victime de violences serait une sorte de mineur ou de majeur incapable.
Quoi qu'il en soit, je crois qu'un praticien qui a été confronté à une telle situation a une vision des choses totalement différente de celle de l'ordre des médecins. J'ai vu la détresse d'un urgentiste qui me disait qu'il pourrait sauver une personne mais qu'il ne pouvait rien faire, à part la soigner. Je le répète : il ne s'agit pas, ici, d'une levée du secret médical, mais d'un signalement. Ce sont deux choses différentes.
Enfin, monsieur Viry, si, comme vous l'affirmez, cette mesure était un totem ministériel, elle aurait été adoptée lorsque je l'ai proposée dans le cadre de l'examen de la proposition de loi de M. Aurélien Pradié, et la messe aurait été dite.
Il me semble que M. Peu a bien identifié les difficultés soulevées par cette mesure, qui tiennent à la possibilité de signaler des faits de violence sans l'accord de la victime. Mais, je le rappelle, la première partie du dispositif permet au médecin de faire un signalement avec son accord, ce qui est déjà une avancée. Par ailleurs, monsieur Viry, le signalement sans l'accord de la victime est soumis à trois conditions spécifiques. Il faut que la victime majeure soit dans une situation de danger immédiat et qu'elle se trouve sous l'emprise de l'auteur des violences. Ces deux conditions sont cumulatives et sécurisent, me semble-t-il, le dispositif. En outre, le médecin doit, au préalable, s'être efforcé d'obtenir l'accord de la victime. Je partage donc l'avis de M. Balanant : il nous faut avancer sur cette question.
Le texte prévoit, je le précise, que le signalement est une possibilité. On peut donc s'en remettre au médecin qui jugera de son opportunité. Qui plus est, la victime doit être exposée à un danger immédiat – et il sait très bien de quoi il s'agit. En tout état de cause, il ne me semble pas très raisonnable de faire prévaloir la relation de confiance avec le médecin, aussi importante soit-elle, sur la notion de non-assistance à personne en danger.
Au mois de novembre dernier, France Info a relayé le témoignage de chirurgiens plasticiens qui, à cause du secret médical, ne peuvent appeler le procureur de la République lorsqu'ils soignent une femme victime de violences conjugales, même si celle-ci est d'accord. De fait, les chirurgiens esthétiques ne font pas que des jolis nez ou des implants mammaires ; ils font aussi de la chirurgie reconstructrice. Ils voient ainsi des fractures de la face – du nez, des pommettes ou des orbites –, des ecchymoses, des brûlures, des plaies, des sections de tendons… Le président de la société française de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique concluait ainsi ce reportage : « On sait bien qu'elles ne sont pas tombées de vélo. Notre problème, c'est que ces lésions sont tellement importantes que, normalement, la patiente ne devrait pas rentrer chez elle. Il faut que l'on puisse appeler le procureur pour que celle-ci soit protégée. » Ces femmes sont, à l'évidence, exposées à un danger immédiat. Je ne peux que vous encourager à adopter cet article, qui marque une avancée.
Le groupe Socialistes considère qu'il ne faut pas se précipiter. Comme l'a très bien dit M. Stéphane Peu, ce texte part de la parole des femmes victimes de violences. Nous avons bien noté que vous étiez très attentifs à l'encadrement du dispositif. Mais, pour ce qui est du danger immédiat, il a pu arriver qu'une personne qui n'y semblait pas exposée ait pourtant été tuée par la suite.
Je voulais vous faire part d'un exemple. Un médecin constate sur une patiente la présence de bleus. Hésitant à lui poser cette question intrusive, il lui demande si elle subit des violences. Il ne l'a plus jamais revue… La relation avec le médecin est très particulière. Il ne faut pas que les victimes de violences perdent le refuge que constitue l'espace du médecin. Nous ne devons pas inscrire une telle proposition dans ce texte, mais mener une réflexion plus globale sur la question.
S'agissant de la possibilité, pour un médecin confronté à une urgence absolue, de signaler les violences, j'ai été convaincu par plusieurs de mes collègues. Sans vouloir comparer les situations ni infantiliser les femmes, du point de vue traumatologique, lorsqu'un médecin constate sur un enfant des blessures liées à des coups, il doit le signaler. Quand une femme ou un homme victime de violences va chez le médecin, il sait parfaitement pour quelle raison il y va, quelle que soit celle qu'il donnera. C'est en réalité un refuge qu'il va chercher. Il sait parfaitement que, en l'examinant, le médecin découvrira un certain nombre de signes des violences subies. C'est pourquoi, à mon sens, dans les cas où il n'y a pas d'urgence évidente, le médecin ne doit pas rompre le colloque singulier entre son patient et lui-même. En revanche, il est de son devoir de l'interroger. Le médecin doit continuer de représenter un refuge pour le patient.
Permettez-moi de vous faire part de ma perplexité face à l'exemple donné par M. Aurélien Pradié sur ce cabinet médical reconnu pour son aide aux victimes de violences conjugales. Cela risque, à mon sens, de stigmatiser les patients. Par ailleurs, le principe de confiance entre un médecin et son patient ne peut se résumer à un simple lieu de recueillement, comme le serait un confessionnal. Des mécanismes psychologiques beaucoup plus complexes sont en jeu : emprise, refoulement, déni. L'un des rôles du médecin est d'essayer de décrypter tout cela, grâce à des signes et à des symptômes, avant de transmettre, éventuellement, un signalement au procureur de la République.
C'est l'ordre des médecins lui-même qui a proposé cette rédaction de l'article 8. La profession semblant divisée à ce sujet, il est de notre rôle de parlementaires de trancher. Il ne s'agit pas, comme on le lit dans la presse, de la fin du secret médical et de la relation de confiance entre le médecin et son patient. Par ailleurs, la possibilité de faire un signalement a également été ouverte aux autres professionnels de santé, beaucoup plus nombreux que les médecins et très bien placés pour constater des violences conjugales. Personne n'en a parlé.
La Commission rejette l'amendement CL58.
Chapitre V DISPOSITIONS RELATIVES AU SECRET PROFESSIONNEL
Article 8 (art. 226-14 du code pénal) : Levée du secret médical en cas de violences conjugales et d'emprise
La Commission est saisie des amendements identiques CL12 de Mme Emmanuelle Ménard et CL20 de Mme Marie-France Lorho.
Mon amendement CL12 vise à supprimer l'article 8. En cas de violence, le rôle du médecin est de constater les sévices subis par la victime et de la soigner. Vouloir faire du médecin un lanceur d'alerte reviendrait, pour lui, à renoncer au secret médical et, pour la victime, à voir trahie la confiance placée en lui. Bien que l'on puisse comprendre l'intention d'une telle mesure, il ne faudrait pas que cela se retourne contre la victime qui, de peur d'être signalée au procureur de la République, ne voudrait plus aller consulter. Cet effet pervers a été souligné par un certain nombre de professionnels de santé lors du Grenelle. Je sais que l'ordre des médecins soutient la levée partielle du secret médical. Mais, à titre individuel, de nombreux médecins estiment que, si le secret médical n'était plus respecté, l'effet pourrait être désastreux. C'est à mon sens l'archétype de la fausse bonne idée.
Le meilleur service qu'un médecin puisse rendre à une femme battue, au-delà du soin, est de lui donner suffisamment confiance en elle pour qu'elle aille déposer plainte. Dans le cas où une patiente serait en danger, le médecin peut également se demander si son intervention, contre la volonté de la victime, ne risque pas d'être plus délétère que bénéfique. En cas de danger grave et imminent, le principe de non-assistance à personne en danger, auquel il peut se fier pour intervenir, prévaut. Je ne pense donc pas que ce soit une bonne solution de lever le secret médical. Il semblerait plus opportun de renforcer les pouvoirs et les moyens des policiers et des magistrats, afin que la justice inspire confiance et efficacité aux victimes. Par ailleurs, il faudrait renforcer la coopération entre les services d'urgence et les forces de police afin d'inciter les victimes à déposer plainte.
Mon intervention vaudra défense de mes amendements CL20, CL21, CL28 et CL29. Je m'oppose également à la levée du secret médical dans les cas de violences conjugales. Le secret médical comporte déjà des dérogations pour des personnes en état de grave vulnérabilité. Par ailleurs, une telle levée pourrait porter préjudice aux victimes de violences. Certains professionnels de santé perçoivent un risque de mise à mal de la confiance des patients à l'égard de leur médecin. Une femme frappée par son conjoint pourrait ne plus oser consulter au motif que son médecin pourrait porter son cas à la connaissance de la justice. C'est pour ne pas porter préjudice aux patients que j'aspire à la suppression de l'article.
J'ai attendu que l'ensemble des arguments aient été présentés avant de m'exprimer. Je les respecte profondément et j'entends bien vos craintes. Même si nos solutions diffèrent, nos préoccupations sont les mêmes. Je l'ai dit tout à l'heure : nous avons « tenu la plume » avec l'ordre des médecins pour rédiger l'article 8. J'ai essayé de respecter tous les droits de la victime et de préserver toute la conscience des professionnels de santé. La rédaction comporte des garanties, le médecin devant s'efforcer d'obtenir autant que possible l'accord de la victime. À défaut d'accord, la démarche est communiquée à la victime et n'est pas accomplie dans son dos. Qui plus est, il est bien précisé que le praticien « a l'intime conviction que la victime majeure est en danger immédiat », soit en danger vital comme l'a précisé l'ordre des médecins. Enfin, la loi n'oblige pas le praticien à révéler ce qu'il sait : elle lui assure une immunité disciplinaire et pénale s'il se décide, en toute conscience, à adresser un signalement.
Si j'entends l'argument de la confidentialité et de la confiance entre le praticien et le patient, je crois qu'il est faux de dire que, dans les conditions posées par la loi, une victime de violences ne reviendra plus jamais si elle sait que son médecin risque de parler. Nous visons justement les situations dans lesquelles la victime ne reviendra plus jamais si le médecin ne parle pas avant l'inéluctable… Avis défavorable.
La Commission rejette ces amendements.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL21 de Mme Marie-France Lorho, CL99 de M. Sébastien Cazenove et CL90 de Mme Annie Chapelier.
L'amendement CL99 étend la faculté de signalement au procureur de la République à toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans qui se propose, par ses statuts, d'aider les victimes de violences conjugales, y compris quand il n'a pas été possible d'obtenir leur accord.
L'amendement CL90 inscrit, à la première phrase de l'alinéa 2, après le mot « santé », les mots « et de l'action sociale ». Les travailleurs sociaux sont régulièrement confrontés à des victimes de violences conjugales. Les interlocuteurs vers lesquels se tournent ces victimes sont en effet loin d'être toujours des professionnels de santé. Les travailleurs sociaux sont présents auprès des victimes, surtout parmi les populations les plus précaires, pour lesquelles ils représentent des interlocuteurs privilégiés, dans un environnement où l'accès aux soins est souvent très difficile. La levée du secret existant déjà pour les mineurs, il conviendrait de l'étendre au cas des victimes majeures.
Je suis hostile à l'amendement CL21.
Pour ce qui est de l'amendement CL99, les associations n'étant pas soumises au secret et pouvant déjà s'adresser librement au procureur de la République, l'avis est défavorable.
Quant à l'amendement CL90, nous avons longuement échangé à ce sujet avec Mme Annie Chapelier : les professionnels de l'action sociale doivent-ils être déchargés de leur obligation de confidentialité, à l'instar des médecins et des professionnels de santé ? À titre personnel, je répondrais oui. Mais, étant donné que cette suggestion est apparue très tard dans les débats, je n'ai pas eu l'occasion de diligenter des concertations avec les intéressés. Or, plus qu'une question de courtoisie, le dialogue est la condition même de la bonne réception de la loi sur le terrain. Si je n'ai aucun doute sur la portée de l'article, c'est parce que l'ordre des médecins a travaillé avec nous : les bonnes pratiques ont fait l'objet d'un travail de définition ; les professionnels ont échangé et savent que leurs représentants ont été pleinement associés, ce qui n'est pas le cas pour les travailleurs de l'action sociale. Voter un dispositif à la hussarde fait courir le risque d'une levée de boucliers. Je vous suggère de retirer votre amendement ; à défaut, avis défavorable.
La Commission rejette successivement les amendements.
Suivant l'avis défavorable de la rapporteure, elle rejette successivement les amendements CL28 et CL29 de Mme Marie-France Lorho.
La Commission examine l'amendement CL41 de Mme Caroline Abadie.
La grossesse, moment de grande vulnérabilité, cristallise les comportements violents. Les victimes subissent des répercussions physiques et psychologiques graves. Grâce à plusieurs études, nous savons aussi qu'un enfant, dont la mère est victime de violences, en subit également les conséquences, du fait notamment d'une sécrétion d'hormones qui viennent perturber son développement. La grossesse est déjà reconnue dans le droit commun, à l'article 434-3 du code pénal, comme un état de vulnérabilité particulier justifiant une approche spécifique, puisque toutes les personnes non soumises au secret professionnel doivent, sous peine de sanctions, signaler les violences exercées contre une femme enceinte. C'est pourquoi, même si je doute qu'il soit adopté, je vous propose de préciser que le médecin n'a pas besoin d'obtenir l'accord de la patiente enceinte pour faire le signalement.
Sans sous-estimer un seul instant les effets des violences conjugales sur l'enfant à naître, il me semble que l'article répond déjà à votre souhait. Le médecin peut signaler les violences sans l'accord de la victime. Il n'y a donc pas besoin de faire une différence entre les femmes enceintes et les autres.
L'amendement de Mme Caroline Abadie est particulièrement intéressant, sachant qu'il existe deux pics dans les violences conjugales : pendant la grossesse et en cas de demande de séparation. Cette vulnérabilité est d'autant plus accrue par la présence d'un enfant. Si l'on considère que l'enfant, y compris in utero, est une personne et qu'il doit être protégé à ce titre, on pourrait faire en sorte de le considérer comme une raison supplémentaire de protéger la mère. L'amendement nous rappelle que l'enfant est au coeur des dispositifs de protection contre les violences conjugales. Je me réjouis toujours lorsque l'on protège un enfant, à naître ou déjà né.
L'amendement est retiré.
La Commission adopte l'article 8 sans modification.
Nous poursuivrons l'examen de la proposition de loi à 14h30, lors de la prochaine réunion de la Commission.
La réunion s'achève à 13 heures.
Informations relatives à la Commission
- La Commission a désigné Mme Coralie Dubost et M. Pierre Morel-À-L'Huissier co-rapporteurs de la mission d'information sur le Défenseur des droits.
- Conformément à l'article 103 du Règlement, la présidente a fait part à la Commission de son intention de demander que le projet de loi, adopté par le Sénat, ratifiant l'ordonnance n° 2019-235 du 27 mars 2019 relative aux dispositions pénales et de procédure pénale du code de l'urbanisme de Saint-Martin (n° 2395) fasse l'objet de la procédure d'examen simplifiée lorsqu'il sera inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Vincent Bru, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, Mme Bérangère Couillard, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe Euzet, Mme Isabelle Florennes, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Émilie Guerel, Mme Marie Guévenoux, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Philippe Latombe, Mme Marie-France Lorho, Mme Alexandra Louis, M. Olivier Marleix, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, Mme Valérie Oppelt, M. Didier Paris, Mme George Pau-Langevin, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Aurélien Pradié, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Hervé Saulignac, M. Antoine Savignat, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Hélène Zannier
Excusés. - Mme Laetitia Avia, Mme Huguette Bello, M. Philippe Dunoyer, Mme Paula Forteza, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, Mme Maina Sage
Assistaient également à la réunion. - Mme Sophie Auconie, Mme Clémentine Autain, Mme Valérie Boyer, M. Sébastien Cazenove, Mme Annie Chapelier, M. Alexandre Freschi, Mme Laurence Gayte, Mme Nicole Le Peih, Mme Sophie Panonacle, Mme Bénédicte Pételle, M. Damien Pichereau, Mme Florence Provendier, M. Stéphane Viry, M. Michel Zumkeller