Les féminicides sont apparus dans le débat public avec force l'année dernière ; le mot-même s'est imposé. Je veux d'ailleurs saluer la campagne de l'association Nous toutes ! et la mobilisation de la société, extrêmement puissante et qui a permis de déboucher sur le Grenelle contre les violences conjugales.
Je l'ai déjà dit, parler de Grenelle me paraît bien fort alors qu'il a abouti essentiellement à de la communication. Depuis le début de la législature, nous avons eu une grande loi qui n'a visiblement pas suffi à répondre aux enjeux soulevés, puis un Grenelle, c'est-à-dire juste un grand mot. Et voilà qu'une nouvelle proposition de loi nous est présentée alors que d'autres ont déjà été discutées et ont permis de progresser. Ainsi, je juge la politique du Gouvernement assez erratique. Commencer par une loi-cadre, prenant l'ensemble des sujets à bras-le-corps, nous aurait permis d'avancer et nous n'aurions plus à débattre aujourd'hui que des modalités de son application.
Par ailleurs, la prévention nous paraît sous-investie par l'exécutif – c'est un euphémisme. Or, il est essentiel de briser tous les mécanismes qui mènent à ces violences conjugales, ce qui passe évidemment par l'éducation des petites filles et des petits garçons, qui baignent très tôt dans des stéréotypes qui forgent de futurs comportements sociaux. Cela passe également par la formation des policiers, des gendarmes, des magistrats et du personnel de santé. Il faut aussi embaucher des médecins légistes, qui ne sont pas présents dans tous les départements. Ainsi, une femme victime de viol à Évreux doit aller à Caen pour faire constater les sévices corporels qu'elle a subis.
Enfin, la France insoumise l'a beaucoup dit, il nous semble que le renforcement des moyens des associations spécialisées dans l'accompagnement des femmes victimes de violences conjugales et de violences tout court est absolument décisif. Or la fin des contrats aidés et la baisse des subventions ont eu un impact sur ces associations.
Pour le dire autrement – nous l'avons déjà dit et nous le redisons –, il nous semble que des moyens concrets sont indispensables. Les associations ont répété dans la rue qu'un milliard d'euros était nécessaire. Cela nous semble un minimum et un effort qui n'est pas si grand si on le compare au 1,5 milliard de la réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), somme dont l'Etat se prive pour servir les plus riches. Un milliard d'euros pour lutter contre les violences faites aux femmes, ce ne serait vraiment pas du luxe, sans même parler des moyens nécessaires pour résorber l'engorgement des tribunaux. Nous pouvons durcir la législation avec des textes qui ne coûtent pas un centime, mais à quoi bon si nous n'avons pas les moyens de les appliquer ? Je rappelle que le budget alloué à la promotion de l'égalité hommes-femmes et à la lutte contre les violences faites aux femmes est inchangé depuis le début de la législature ; par rapport à l'inflation, il est en réalité en baisse. Il est toujours possible de recourir à des jeux d'équilibre, mais la vérité est là : il n'y a pas de moyens supplémentaires contre les violences faites aux femmes.
Ce cadre étant posé, la proposition de loi présente pour nous une limite majeure : elle n'est pas une loi-cadre et elle n'est donc pas assortie de moyens. Certains éléments semblent positifs : la fin de la médiation pénale, que les mouvements féministes demandent depuis longtemps, est une très bonne nouvelle. Par ailleurs, certaines peines deviennent plus lourdes pour des faits aggravants, ce qui me paraît tout à fait justifié. Autre mesure juste et très positive : la saisine de toute arme chez un homme violent, qu'il s'agisse d'armes de chasse ou de membres des forces de l'ordre.
En revanche, l'assouplissement du secret professionnel des médecins ne nous convient pas du tout et nous y reviendrons dans la discussion des amendements. Nous estimons qu'il ne faut pas briser ce secret médical, en premier lieu parce qu'il s'agit d'un lien de confiance entre le praticien et la patiente. Cette confiance sera mise à mal si ce lien est rompu en donnant la possibilité au médecin de saisir la police et de raconter des faits rapportés sous le sceau du secret professionnel. Cela peut en outre être très dangereux : en cas de saisine, si la police intervient pour violences conjugales, la femme saura que c'est le médecin qui a donné l'alerte, ce qui compliquera beaucoup la situation.
Enfin, les femmes doivent être sujets, c'est-à-dire qu'elles doivent avoir une parole maîtrisée pour elles-mêmes. Or, je pense que nous sortons de ce cadre. Il ne faut pas infantiliser les femmes, mais au contraire leur donner les moyens de se défendre et d'être actrices de leur propre combat contre ces violences qui leur sont faites.