Nous avons tous pris conscience au cours de ce déplacement de l'importance que tenait le sujet de la place des femmes dans les politiques de l'ONU. L'égalité des sexes et la promotion de la femme sont véritablement au coeur de la réforme interne des Nations unies qui a été engagée par le Secrétaire général. António Guterres nous l'a dit lorsqu'il nous a reçus : « La bataille des femmes est un autre dossier urgent. La culture est dominée par les hommes. »
Premier point, la parité des sexes au sein du système onusien à tous les niveaux est un élément central des réformes au sein des Nations unies. Le but de la stratégie élaborée en 2017 est d'atteindre la parité au plus haut niveau de la chaîne hiérarchique en 2021, c'est-à-dire l'année prochaine. En 2026, il devra y avoir parité des sexes à l'échelle de tout le système, à quelques rares exceptions près pour les organismes dans lesquels la situation initiale était la pire. En 2028, l'objectif est la parité des sexes à l'échelle de l'ensemble du système onusien. À ce jour, la parité a été atteinte au sein du conseil de direction du Secrétaire général et des coordinateurs résidents. L'organisation compte un plus grand nombre de femmes aux postes de chefs de mission et aux postes d'administrateurs généraux des opérations de la paix. Jean-Pierre Lacroix, que nous avons auditionné et qui est responsable des opérations de maintien de la paix, nous a fait part du nombre croissant de femmes parmi les Casques bleus. Ainsi, l'ONU veut se montrer exemplaire en interne, alors même qu'elle promeut la place de la femme dans ses politiques.
Dans la construction d'un multilatéralisme en transition – Nicole Trisse l'a dit –, les outils traditionnels ne suffisent plus, car ils ne sont plus en adéquation avec la complexité du monde. Les gouvernements seuls ne peuvent plus résoudre les difficultés. D'autres acteurs doivent participer à la réponse aux grands défis du monde, qu'il s'agisse de la sécurité ou du développement, et c'est le cas des femmes. Au cours des dernières décennies, l'ONU a fait d'énormes progrès grâce à des accords historiques comme la déclaration et le programme d'action de Beijing en 1995, ou la convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard des femmes qui a été adoptée le 18 décembre 1979.
Non seulement l'égalité des sexes est un droit humain fondamental, mais sa réalisation a d'importantes retombées sociales, économiques, culturelles, etc. Pourtant, les inégalités de genre restent profondément ancrées dans toutes les sociétés. L'on refuse trop souvent aux femmes l'accès à l'éducation et aux soins de base. Partout dans le monde, elles sont également victimes de violences et de discrimination et sont sous-représentées dans les processus décisionnels politiques et économiques.
L'Assemblée générale a créé en juillet 2010 ONU Femmes. Nous avons rencontré ses responsables et avons été assez impressionnés par son travail. ONU Femmes, en tant qu'entité de l'organisation, a été créée pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes, ce qui a permis de réunir dans un seul organisme les ressources et les mandats de l'ONU qui étaient jusqu'alors éclatés en plusieurs composantes. Cette agence a pour rôle d'appuyer des organes intergouvernementaux, tels que la Commission de la condition de la femme. Elle s'assure que l'ONU elle-même, dans son fonctionnement et dans son action, respecte ces principes d'égalité et de promotion. Cette agence constitue un outil relativement agile qu'il convient de promouvoir, relativement agile parce que l'ONU est extrêmement bureaucratique et technocratique, et nous avons eu le sentiment qu'ONU Femmes était assez opérationnel.
La France contribue à hauteur de 2,1 millions de dollars à ce programme, ce qui la place au dix-neuvième rang des contributeurs, au même niveau que la Chine. La Suède donne 55 millions de dollars et le Royaume-Uni, 28 millions. L'organisation nous a d'ailleurs dit qu'elle attendait que la France fasse plus ; elle pouvait difficilement faire moins. Notre commission, madame la présidente, pourrait contribuer à cet abondement du budget de la France à ONU Femmes.
Deuxième point, la femme fait l'objet d'une attention particulière dans les politiques des Nations unies, qu'il s'agisse de régler des situations de crise ou de promouvoir un développement à long terme.
Le triptyque « Femmes, Paix et Sécurité » est une illustration du premier volet que j'évoquais en ce qui concerne la place des femmes dans les situations de crise ou de conflit. Ce triptyque fait l'objet d'un mandat des Nations unies depuis dix-neuf ans, celui sur la question des violences sexuelles en lien avec les conflits depuis dix ans. Or, nombre de nos interlocuteurs nous l'ont dit, il y a un fort contraste entre les outils développés depuis dix-neuf ans et la réalité sur le terrain. Les violences contre les femmes sont devenues, hélas, une arme des parties au conflit. Nos collègues Jean François Mbaye et Moetai Brotherson l'ont rappelé dans leur rapport sur le droit international humanitaire à l'épreuve des conflits.
Dans ces nouveaux conflits, il y a souvent une absence de gouvernement ou pas de gouvernement identifié. Il faut donc qu'il y ait de nouveaux modes de coopération. Il faut impliquer les femmes dans le processus politique, en particulier au niveau local. Jean-Pierre Lacroix a pris l'exemple de la République centrafricaine ou de la République démocratique du Congo et du Mali, où cela permettrait de résoudre les conflits au sein des communautés. Lorsque des femmes prennent part au processus de négociations de paix, les accords qui en découlent sont plus durables et de meilleure qualité. Lorsque des femmes sont signataires des accords de paix, ceux-ci sont plus susceptibles d'être mis en oeuvre. C'est un point très important et qui nous a été démontré par de très nombreux exemples.
Les femmes sont souvent les premières à percevoir une montée des tensions susceptibles de dégénérer en violence et à intervenir à la suite d'un conflit, assumant ainsi la charge la plus lourde en matière de soins aux familles, de soins aux enfants et de réparation des économies détruites. Nous ne le disons pas assez et nous devrions tous, non seulement ici au sein de la commission, mais au-delà, prendre conscience de cette situation.
Le deuxième volet porte sur l'enjeu de la promotion de la femme dans le développement, au-delà des conflits. Le représentant permanent du Niger nous l'a rappelé : il existe un lien très fort entre les programmes qui permettent d'augmenter les revenus des femmes, en particulier en milieu rural, et le fait que les femmes plus indépendantes vont avoir moins d'enfants. Il a exprimé la nécessité absolue de réduire le nombre d'enfants par femme dans les pays africains, et il prenait l'exemple de son pays, le Niger, et d'autres. Le programme sur la situation économique des femmes permet d'améliorer in fine l'augmentation de toute la famille, et donc d'envoyer les enfants à l'école.
Quand un pays est confronté à une difficulté, encourager les mouvements de femmes est la voie la plus efficace pour changer les mentalités. Cela impose souvent de changer au préalable les mentalités des autorités traditionnelles. En Tanzanie, les chefs traditionnels ont été associés au programme permettant de réellement changer les mentalités à l'égard des femmes sur la façon dont il fallait les traiter, pour que les chefs laissent les jeunes filles avoir une éducation. Cela a fonctionné. Il s'agit d'un problème souvent politique. Valentine Rugwabiza, la représentante permanente du Rwanda, qui est une femme remarquable par ailleurs, nous l'a dit de manière très forte : « Donner du pouvoir aux femmes en Afrique, c'est aider l'Afrique. »
Les résistances à la promotion de la place de la femme ne sont pas seulement locales. Nombreux, à commencer par le Secrétaire général des Nations unies lui-même, sont ceux qui ont déploré l'attitude des États-Unis. L'administration Trump bloque tous les crédits des agences qui font du planning familial. Plusieurs ont employé l'expression de « push back », c'est-à-dire de recul sur les droits de la femme. Dans certaines commissions, il nous a été dit qu'il faut se battre pour conserver contre les attaques de Washington les simples éléments de langage compatibles avec les objectifs du développement durable qui prévoient la santé reproductive et sexuelle.
Pour conclure, je voudrais attirer votre attention, mes chers collègues, sur l'organisation en juillet 2020 à Paris du Forum Génération Égalité. Organisé par ONU Femmes, il est coprésidé par la France et le Mexique pour marquer les vingt-cinq ans de la plateforme d'action et de la déclaration de Pékin, mais également les vingt ans de l'agenda « Femmes, Paix et Sécurité » et les cinq ans des objectifs du développement durable. Le forum sera lancé à Mexico les 7 et 8 mai 2020. Ce forum culminera à Paris entre les 7 et 10 juillet 2020. Il faut construire des coalitions au-delà des « blancs occidentaux riches ». Il faut construire des coalitions avec des pays pauvres, avec les femmes, avec les hommes du Sud. Le forum élaborera un programme de mesures concrètes pour atteindre l'égalité entre les femmes et les hommes avant 2030. Il prendra la forme d'une discussion publique entre acteurs de la société civile, pouvoirs publics, entreprises, municipalités, assemblées parlementaires, organisations syndicales et médias.